Le monde arabe se regarde dans le miroir de la Covid-19

Des techniciens de laboratoire dans les locaux d'Eva Pharma à Gizeh (Photo, Dossier/AFP).
Des techniciens de laboratoire dans les locaux d'Eva Pharma à Gizeh (Photo, Dossier/AFP).
Short Url
Publié le Lundi 28 décembre 2020

Le monde arabe se regarde dans le miroir de la Covid-19

Le monde arabe se regarde dans le miroir de la Covid-19
  • On ne peut cependant nier qu’une éclosion virale dans un pays a réussi à déclencher l'ère post-normale dans le monde
  • La Covid-19 a contraint le monde à se regarder dans un miroir dont il s’est toujours détourné, et dont il a déformé les réflexions pour sauvegarder la confiance des populations dans la vitalité de nos sociétés

Au cours des deux dernières décennies, nous avons été confrontés à une avalanche de crises qui ont rendu le monde imprévisible et l'avenir morose. Le monde est désormais accablé, angoissé et effrayé, que ce soit en raison de la crise financière, du terrorisme, des turbulences intraitables au Moyen-Orient, des immigrés en Europe, des écarts grandissants des niveaux de vie, de la réapparition du populisme, des conditions climatiques extrêmes et de la pandémie qui sévit actuellement.

Les crises, et l'incertitude qui en découle, ne sont pas chose nouvelle. Le chaos et les bouleversements qui caractérisent cette époque lui valent toutefois le surnom de «période post-normale». Aujourd'hui, nous empruntons un chemin semé d'embûches, qui exige une réflexion nouvelle et innovante avant de s'engager dans un nouvel équilibre. Il convient d'abord de tirer les leçons des échecs et des vulnérabilités observés par le passé.

Nous avons évolué depuis que cette nouvelle crise a commencé à remodeler notre monde, et peu de gens auraient pu prédire qu'une pandémie puisse exploiter avec autant d’efficacité les failles nos sociétés, et qu'elle finisse par paralyser des pays entiers. La Covid-19 ne constitue pas en tant que telle un phénomène nouveau et puissant, d’autres fléaux suivront. Les pandémies sont, historiquement, toujours prises en compte dans les évaluations de risques de la plupart des gouvernements, ainsi que dans les analyses périodiques des épidémiologistes.

On ne peut cependant nier qu’une éclosion virale dans un pays a réussi à déclencher l'ère post-normale dans le monde, et à provoquer des discussions politiques et législatives. La létalité de cette pandémie n'est pas la seule explication, même si elle a fait 1,7 million de morts, et plus de 80 millions de cas dans le monde. La situation aurait pu être pire. Alors que les vaccins distribués dans le monde entier apportent quelque répit, ce qui importe, c'est de procéder à une enquête rigoureuse, à un diagnostic différentiel, afin d'éviter une nouvelle crise tentaculaire.

Cette enquête sera cependant probablement reléguée au second plan pour faciliter le renvoi de balles et pour chercher à désigner des coupables. En effet, certains lancent déjà des accusations contre l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ajoutant à la sinophobie dans plusieurs régions du monde. La Chine, qui a pris son temps avant de relayer l’information, et la réponse initialement inadaptée de l'OMS ont certes sapé la confiance des gens dans ce qui devait être une réponse mondiale engagée et efficace face à une crise émergente.

Les répercussions des échecs de Pékin et de l'OMS sont toutefois dérisoires en comparaison de l'ampleur des fractures socio-économiques, des inégalités et des divisions démographiques qui ont permis à la pandémie de persister aussi longtemps. C'est cette tempête idéale de crises, souvent ignorées, qui a exacerbé la pandémie, et c'est elle qui force aujourd'hui le monde à affronter les mentalités vieillissantes et les modèles de fonctionnement qui sont devenus incompatibles avec l'incertitude qui règne dans les sociétés interdépendantes et extrêmement complexes d'aujourd'hui.

Le monde arabe a réussi mieux que d'autres régions à freiner la propagation de la pandémie. Néanmoins, ce bilan encourageant ne justifie pas le recours à des mesures compensatoires telles que le «renforcement de la résilience» ou la réécriture de manuels, pour essayer d’affronter de nouvelles menaces qui restent inconnues. La Covid-19 a contraint le monde à se regarder dans un miroir dont il s’est toujours détourné, et dont il a déformé les réflexions pour sauvegarder la confiance des populations dans la vitalité de nos sociétés, ainsi que dans la vigueur de l'ordre mondial multilatéral. Nous ne pouvons plus à présent nier que les anciens modes de fonctionnement ne sont plus adaptés aux économies mondialisées, aux avancées technologiques, à la croissance démographique, à la mobilité accrue et à d'autres changements structurels.

Le monde arabe peut tirer bien des leçons du reflet qu'il voit dans le miroir de la Covid, outre la nécessité de renforcer la résilience des communautés, consolider les piliers économiques ou raccourcir les chaînes d'approvisionnement.

Hafed Al-Ghwell

En premier lieu, les gouvernements doivent se méfier du fossé qui se creuse entre les anciennes et les nouvelles méthodes de faire les choses.  Après tout, si la pandémie a perduré aussi longtemps, c'est en partie parce que les gouvernements ne disposent dans leur arsenal de lutte que de politiques défectueuses qui ne tiennent pas compte de certains facteurs, jugés non pertinents. Malheureusement, la pandémie a entraîné un effet démesuré sur les populations pauvres et vulnérables, car certains de ces facteurs négligés concernaient les inégalités socio-économiques, ce qui n'a fait qu'aggraver la situation.

En effet, on ne peut qu'espérer que les futures évaluations des risques insisteront sur la nécessité de garantir un accès non discriminatoire aux soins de santé appropriés, à une éducation de qualité, à des opportunités de travail lucratif et à la technologie, et sur l'importance de ces éléments pour toute société résiliente. Après tout, il ne suffit pas de limiter les déplacements des personnes pour contrer une pandémie, à moins qu'il n'existe des filets de sécurité sociale permettant de répondre aux besoins fondamentaux des individus. Faute de programmes de sécurité sociale, les personnes à faible revenu risquent de faire fi des mesures de confinement ou des quarantaines, dans la mesure où la liberté de déplacement est bien plus importante pour leur bien-être économique et social que l'aplatissement de la courbe de la pandémie, qui présente un avantage intangible.

Par ailleurs, le miroir de la Covid a transformé la perception que les gens ont de la notion de résilience. On peut comprendre que la plupart des gens croient que ce terme ne désigne que la sortie d'une crise ou un retour à la «normale» bien organisé. Cependant, les répercussions de la pandémie toucheront des générations qui ne sont pas encore nées. Il convient donc d'adopter une nouvelle façon de penser pour établir des communautés et des économies résilientes. La résilience post-normale devrait plutôt se traduire par la volonté de s'adapter que par la facilité de se rétablir. Cela est déjà perceptible à travers le monde.

Plus de 9 000 milliards de dollars ont été déversés pour dynamiser l'économie mondiale, les entreprises ont intégré le travail en ligne et les activités polluantes ont été temporairement interrompues en raison de la pandémie stimulant ainsi les initiatives de sensibilisation au changement climatique, ce qui va probablement accélérer la « révolution verte ».

Ces transformations sont déjà saluées comme étant une forme de « capitalisme solidaire ». Les gouvernements, les organisations et les entreprises sont donc invités à se montrer socialement responsables, à rétablir la justice sociale et à combler les écarts dans les niveaux de vie. Ce faisant, les sociétés seront préparées à affronter les menaces ou les perturbations à venir et seront en mesure de fonctionner dans des circonstances changeantes, et peut-être de s'en remettre.

Ce miroir de la Covid est par ailleurs un outil important qui permet de réfléchir à d'autres crises, qu'elles aient ou non un impact sur la santé publique. Pour le Moyen-Orient, les leçons sont surtout utiles quand il s'agit de repenser les manuels de réaction aux crises et pour traiter les menaces imminentes telles que les canicules et les sécheresses provoquées par le changement climatique et l'appauvrissement de la biodiversité.

Aux niveaux national et international, le coronavirus pourrait en effet servir de catalyseur aux transformations cruciales, destinées à renforcer la résistance des pays aux crises et leur capacité d'adaptation avec le moins de perturbations possible. La tâche ne sera toutefois pas simple, et elle n'attendra pas non plus l'intransigeance bureaucratique habituelle de la région. La véritable résilience nécessite un grand intérêt pour la prévoyance et la réflexion systématique, car les crises imminentes ne seront pas abordées au moyen de solutions issues des méthodes opérationnelles obsolètes. Après tout, la future crise mondiale ne nous accordera probablement pas le luxe d’une période d'incubation, et aucun vaccin ne saura la museler.

Hafed al-Ghwell est chercheur associé non résident de l'Institut de politique étrangère de l'École des hautes études internationales de l'université John Hopkins. Il intervient également comme conseiller principal chez Maxwell Stamp, société internationale de conseil économique, et chez Oxford Analytica, société de conseil sur les risques géopolitiques. Membre du groupe international Strategic Advisory Solutions à Washington DC et ancien conseiller du Conseil d'administration de la Banque mondiale.

Twitter : @HafedAlGhwell

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com