Lettre ouverte à Benyamin Netanyahou: cet Israël qui tourne le dos au judaïsme

Minée politiquement de l’intérieur, la société israélienne est au bord d’un désastre moral. (AFP)
Minée politiquement de l’intérieur, la société israélienne est au bord d’un désastre moral. (AFP)
Short Url
Publié le Jeudi 28 décembre 2023

Lettre ouverte à Benyamin Netanyahou: cet Israël qui tourne le dos au judaïsme

Lettre ouverte à Benyamin Netanyahou: cet Israël qui tourne le dos au judaïsme
  • «Maudit soit celui qui déplace les bornes de son prochain! Et tout le peuple dira: Amen!» (Dt. 27.17-19: Discours de conclusion de Moïse)

Monsieur le Premier ministre, 

Le carnage qui se déroule depuis plus de deux mois et sous les yeux des peuples du monde entier, malgré le manque d’images (journalistes empêchés ou victimes «collatérales»), ce carnage n’effacera pas les horreurs du 7 octobre mais sera gravé dans le marbre de l’Histoire. 

Minée politiquement de l’intérieur, la société israélienne est au bord d’un désastre moral. Abraham Burg, ancien président de la Knesset, avait pris date: «Il apparaît que ces deux mille ans de lutte du peuple juif pour sa survie se réduisent à un État de colonies, dirigé par une clique sans morale de hors-la-loi corrompus (…). Un État sans justice ne peut pas survivre (…). Et de conclure: «Le compte à rebours de la société israélienne a commencé.» (1)

S’il est vrai que «Justice est le terme que le judaïsme préfère à des termes évocateurs de sentiment», il faut alors croire qu’Israël a tourné le dos au judaïsme!

- Salah Guemriche

Ce n’est pas l’Algérien qui vous écrit mais le citoyen du monde qui estime que tout peuple a droit à une patrie, sans qu’il ait besoin d’invoquer une Promesse divine. Vos colons, qui continuent de «déplacer les bornes de leur prochain» au mépris des enseignements de la Torah, réaliseront bientôt qu’en fait «de lait et de miel», cette terre ne promettra que plus de plaies et de fiel, tant que l’injustice y règnera. 

Et voilà qu’en dépit des semonces du premier de vos alliés votre gouvernement «a trouvé les moyens de débloquer 135 millions de dollars supplémentaires en faveur des implantations israéliennes en Cisjordanie» (2), tout en élargissant le port d’armes aux nouveaux colons qui continuent d’expulser des familles entières, rasant les villages à coups de bulldozers, pendant que vos missiles bombardent Gaza! 

S’il est vrai que «Justice est le terme que le judaïsme préfère à des termes évocateurs de sentiment» (3), il faut alors croire qu’Israël a tourné le dos au judaïsme!

La communauté internationale: exécutrice de l’Ancien Testament?

Ma conviction, que je tire de l’histoire des guerres d’indépendance, y compris de celle dont vous vous revendiquez et qui, comme toutes les autres, eut ses terroristes (Le Lehi, l’Irgoun): tôt ou tard, vos colons seront rapatriés, et j’espère qu’ils n’auront pas à subir l’injonction («La valise ou le cercueil!») que connurent les plus démunis parmi les Français d’Algérie… Rapatriés, oui, vers cette terre décrétée «sans peuple» que la Communauté

internationale, rongée de culpabilité, avait octroyée au «peuple sans terre», se faisant l’exécutrice universelle de l’Ancien Testament: «Vous prendrez possession de leur sol, je vous en donnerai moi-même la possession, une terre qui ruisselle de lait et de miel.» (Lv.20.23-24). Autant conclure: 

Si Jésus a dit: «Je ne suis pas venu pour abolir mais pour accomplir», l’ONU, ci-devant SDN, serait venue à la fois pour abolir et pour accomplir: abolir les droits d’un peuple, et accomplir les droits d’un autre peuple! 

Les signes d’alertes ne vous ont pas manqué, pourtant: avec le Mouvement des Refuzniks, les colères de l'historien Benny Morris, les avertissements de Gideon Levy, Shlomo Sand, Amira Hass, Nuri Peled, Amos Oz, David Grossman et Yair Golan, chef d’État-major adjoint (dénonçant les méthodes de sa propre armée). Et que n’avez-vous pas écouté la brave Hadas Kalderon, rescapée du Kibboutz Nir Oz, et qui, par bonheur, a retrouvé ses enfants, elle qui avait crié, hurlé même, que «cette guerre n’était pas la leur!»

De l’abominable 7 octobre, l’opinion a conclu que le Hamas (cette créature d’Amalek qui vous aura échappé) n’a fait qu’appliquer «le Coran à la lettre». Mais à Gaza, est-ce qu'Israël n'applique pas la Torah à la lettre (Amos, 1. 1-15): 

«Ainsi parle Yahvé:

Pour trois crimes de Gaza et pour quatre,

(…) J’enverrai le feu dans le rempart de Gaza

Et il dévorera ses palais (…)

Et ce qui reste des Philistins périra…»?

«La Bible n’est ni un cadastre ni un titre de propriété!»

Depuis un quart de siècle, après mon séjour en 1997 à Gaza et en Israël, comme participant à la Conférence internationale sur la paix (Herzliya), j’ai la faiblesse de croire que celle-ci ne s'imposera que de l'intérieur d'Israël. C’est cette conviction qui me fit, le jour de l’inauguration du salon du Livre de Paris (qui accueillait la littérature israélienne), publier dans Le Monde une tribune (4) appelant, au grand dam de mes pairs, à ne pas boycotter des écrivains comme David Grossman et Amos Oz, qui font plus pour la cause palestinienne que tous les auteurs arabes contemporains réunis! 

Et c’est encore cette conviction qui me fait dire aujourd’hui: vous avez beau chasser les Palestiniens de leurs terres, en suivant à la lettre vos Saintes Écritures: «Si vous ne dépossédez pas à votre profit tous les habitants, ceux que vous aurez épargnés vous harcèleront sur le territoire que vous occuperez» (NB, 33.55), un État palestinien sera bel et bien édifié, et plus tôt que ne le redoutent les adeptes du Grand Israël! C’est alors que ces chers «Israéliens de Palestine» (comme on disait «Français d’Algérie»), se souviendront du cri de Rabin, après Oslo: «la Bible n’est ni un cadastre ni un titre de propriété!» (5)

Avec la hargne et l’intransigeance qui vous animent, vous, l’ennemi de tout compromis et, donc, de la paix, vous profitez de l’impunité acquise à coups de chantage à l’antisémitisme pour entretenir l’adversité. Le souci de sécurisation que vous invoquez n’est qu’un argument-écran d’une conduite dont la logique est à chercher dans le traumatisme trois fois millénaire, causé par un ennemi sans âge: Amalek. Un traumatisme «entretenu» machiavéliquement. Et c’est ce pathologique besoin d’adversité, dicté par le fameux impératif catégorique (Zakhor! (6)) qui pousse vos colons à déplacer toujours plus loin les «bornes du prochain». Sauf que, entre la légitimité d’un «Foyer national» et la légitimation d’un «Grand Israël», trop de crimes de guerre ont jalonné les routes de cette «terre promise». Étrange promesse quand on sait, comme vient de le déclarer Hubert Védrine, ancien ministre français des Affaires étrangères, que «Les colons en Cisjordanie se comportent comme les Américains avec les Apaches (…)» (7)!

Massada n’est plus dans Massada!

Tôt ou tard, à moins d’accepter une nouvelle citoyenneté dans le futur État palestinien, vos colons seront invités à rentrer chez eux… Ainsi, les plus pacifistes des Israéliens finiront par admettre que le véritable ennemi d’Israël est à chercher dans Israël! Les autres, les adeptes du Grand Israël, n’auront plus qu’à méditer ce titre à la une du journal Haaretz (19-05-2016): «Pour rester Premier ministre, Netanyahou est prêt à envoyer l’État à Azazel» (8)

Oui, le jour où le peuple israélien réalisera que le fantôme d’Amalek a élu domicile à Beth Agion (siège du Premier ministère), il comprendra enfin que Massada n’est plus dans Massada, mais dans Gaza! Sauf que cette Massada, «Plus jamais ne tombera» (9)!

Le jour où ce concept universaliste intègrera les consciences, forçant Israël (qui se veut «État juif») à accomplir le vœu de James Darmesteter, linguiste français juif du XIXe siècle: «Après la Justice pour les Juifs, les Juifs pour la Justice!», ce jour-là, la mémoire d’Amalek sera effectivement «effacée de dessous les cieux».

Oui, des Juifs pour corriger enfin cette Justice inique nom de laquelle la Communauté internationale s’est portée garante des droits des peuples à disposer d’eux-mêmes, de tous les peuples sauf du peuple palestinien! Comme si un autre titre d’élection était attribué à Israël: seul État au monde à se permettre d’ignorer plus de soixante résolutions ! 

Pour une «Réparation du monde»

Il fut des jours où Levinas se demandait où était passée cette justice lorsque le peuple de Yahvé dut subir ce qu’il appela «la Passion des Passions» (10) (la Shoah). Il fut d’autres jours où André Spire se demandait comment rendre justice « au plus opprimé des peuples, au Christ des nations ? » (11). Or, depuis soixante-quinze ans, Israël vit pleinement sa résurrection, et c’est du peuple palestinien que la Communauté internationale a fait le véritable «Christ des nations»! 

Qu’attend, donc, Israël pour répondre au vœu de James Darmesteter? Et qu’attend le Conseil de sécurité pour forcer Israël à respecter le Droit international? Et vous, qu’attendez-vous pour répondre à ce cri du cœur lancé par Yeshayahou Leibowitz: «Il ne s'agit plus de libérer les territoires occupés, mais de libérer Israël des Territoires occupés !» (12) ? 

Un ancien ministre de l’Éducation nationale, Shulamit Aloni, avait prévenu: «Nous n’avons pas de chambres à gaz ni de fours crématoires, mais il n’y a pas qu’une seule méthode de génocide.» (13)

«Trop, c'est trop!», comme s’écria ce collectif réuni en 2001 autour de Madeleine Rebérioux et Pierre Vidal-Naquet. «Trop, c’est trop!», vous dit encore Amos Oz, déplorant cette «triste ironie: que les victimes d’hier puissent si facilement se métamorphoser en persécuteurs et que les rôles soient si aisément interchangeables!» (14)

Il suffit pourtant qu’Israël renoue avec le magnifique concept du judaïsme: le Tikkoun Olam, la «Réparation du monde»! À moins que le Palestinien ne fasse pas partie du monde? 

Comment s’étonner alors que soixante-quinze ans de négation de l’être palestinien finissent par produire l’impensable: un 7 octobre? Et de ces milliers d’enfants qui n’ont connu de leur vie que destructions et massacres, que croyez-vous que vont devenir ceux parmi eux qui, par miracle, survivront? Cette génération-là est née avec un «Zakhor!» à la bouche, Monsieur le Premier ministre. Un Zakhor contre lequel Israël avec toute sa technologie ne pourra rien: «Souviens-toi de ce que t’a fait Israël, dor va dor!». Oui, «de génération en génération»!

«L'Abomination de la désolation», dont parle le Livre de Daniel, les Palestiniens la vivent depuis trois générations. Ils ont entendu dire: «Que celui qui sera sur le toit ne descende pas pour prendre ce qui est dans sa maison» (15). Combien d’enfants de Gaza, voyant leur toit s’effondrer, ont voulu «prendre ce qui est dans leur maison» et n’en sont pas revenus! 

Monsieur Netanyahou, il n’y a plus qu’une solution, si vous tenez à une postérité honorable, et cette solution, Yeshayahou Leibowitz vous l’a indiquée: «Libérez donc Israël des Territoires occupés.» Et appliquez, sans exclusive, le Tikkoun Olam

 (1) «La société israélienne s’effondre, et ses leaders gardent le silence» (Cf. La Paix maintenant). 
(2) https://www.marianne.net/auteur/julien-lacorie
(3) E. Levinas, Difficile liberté, p. 34. Albin Michel, 1976.
(4) Boycotter Israël ou l’écouter? (Le Monde, 14-3-2008). 
(5) Formule reprise en 1992, à New-York, devant une assemblée de dirigeants juifs.
(6) «Souviens-toi de ce que t’a fait Amalek!».
(7) France-Info, 8-12-23.
(8) Haaretz, 19-05-2016. «Aller à Azazel» peut signifier «aller au diable, d’une façon symbolique, emportant les péchés commis pendant l’année écoulée» (Cf. Lv 16-8-10).
(9) Alain Louyot, «La forteresse du sionisme», dans L’Express, 22-08-2022.
(10) Difficile liberté, op. cit. p. 202. 
(11) Valeurs spirituelles du sionisme, dans Les Juifs, p. 216 (Plon, 1937).
(12) Yechayahou Leibovitz, La mauvaise conscience d’Israël, p. 135, Le Monde Editions, 1994.
(13) Haaretz, 6 mars 2003.
(14) Amos Oz, Conférence à Tübingen, janvier 2012. 
(15) Cf. Matthieu 24:17.  

 

Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).

TWITTER: @SGuemriche

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.