À quel point les enquêtes israéliennes sur la guerre sont-elles efficaces et à qui profitent-elles exactement?

Cette photo prise lors d’une tournée médiatique organisée par l’armée israélienne le 8 janvier 2024, montre des troupes opérant dans la zone d’al-Bureij dans le centre de la bande de Gaza. (AFP)
Cette photo prise lors d’une tournée médiatique organisée par l’armée israélienne le 8 janvier 2024, montre des troupes opérant dans la zone d’al-Bureij dans le centre de la bande de Gaza. (AFP)
Malgré la portée limitée de l’enquête, les organisations humanitaires ont salué la volonté de l’armée de rendre des comptes. (AP)
Malgré la portée limitée de l’enquête, les organisations humanitaires ont salué la volonté de l’armée de rendre des comptes. (AP)
Malgré la portée limitée de l’enquête, les organisations humanitaires ont salué la volonté de l’armée de rendre des comptes. (AP)
Malgré la portée limitée de l’enquête, les organisations humanitaires ont salué la volonté de l’armée de rendre des comptes. (AP)
Malgré la portée limitée de l’enquête, les organisations humanitaires ont salué la volonté de l’armée de rendre des comptes. (AP)
Malgré la portée limitée de l’enquête, les organisations humanitaires ont salué la volonté de l’armée de rendre des comptes. (AP)
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Publié le Dimanche 21 janvier 2024

À quel point les enquêtes israéliennes sur la guerre sont-elles efficaces et à qui profitent-elles exactement?

  • L’enquête menée par l’armée israélienne sur les défaillances des services de renseignement et de sécurité avant le 7 octobre a révélé de profondes divergences au sein de l’élite israélienne
  • Les experts juridiques affirment que de telles enquêtes existent pour blanchir la réputation d’Israël et semblent avoir peu de conséquences

LONDRES: Les tensions entre les dirigeants israéliens ont récemment été mises en évidence lorsque l’armée israélienne aannoncé qu’elles procédait à une enquête sur les défaillances des services de renseignement et de sécurité avant l’attaque du Hamas du 7 octobre.

Cette décision marque une rupture importante avec la position précédemment unifiée des élites politiques et militaires israéliennes, qui affirmaient qu’aucune enquête de ce type n’aurait lieu tant que la guerre à Gaza serait en cours.

Or, l’enquête n’a pas pour but de se pencher sur le nombre de victimes civiles du conflit, mais plutôt de déterminer, selon les termes d’un porte-parole de l’armée, comment «minimiser les pertes pour nos forces».

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Des soldats de l’armée israélienne prennent position lors d’un raid militaire dans le camp de réfugiés d’Askar, près de la ville de Naplouse en Cisjordanie, le 31 décembre 2023. (AP)

Hassan ben Imrane, avocat et membre du conseil d’administration de Law for Palestine, a déclaré qu’il n’était pas surpris que l’enquête de l’armée israélienne ne se concentre pas sur le nombre élevé de morts palestiniens à Gaza, qui a désormais dépassé les 24 000, selon le ministère de la Santé dirigé par le Hamas.

«Je n'ai connaissance d’aucun cas où les victimes palestiniennes d’enquêtes ou de procédures judiciaires israéliennes ont eu à répondre de leurs actes», confie M. Imrane à Arab News. 

Néanmoins, l’ouverture de l'enquête par Herzi Halevi, le chef d’état-major israélien, a créé un schisme entre les ministres et les responsables militaires, les membres de la coalition gouvernementale de Benjamin Netanyahou étant particulièrement vexés que l’armée israélienne mène une enquête sur elle-même.

 

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Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou visite la ligne de front à Gaza pendant les premiers jours de l’offensive de l’armée israélienne sur Gaza, en octobre 2023. (AP)

 

Malgré la portée limitée de l’enquête, les organisationshumanitaires ont salué la volonté de l’armée de rendre des comptes.

«Évidemment, Oxfam soutient tous les efforts visant à enquêter et à traiter toutes les atrocités criminelles de masse et toutes les violations des droits de l’homme, quel qu’en soit l'auteur», affirme un porte-parole de l’ONG à Arab News. 

L’enquête a également obtenu le soutien des rivaux politiques de M. Netanyahou, notamment Benny Gantz, qui fait partie du cabinet de guerre formé après l’attentat du 7 octobre.

M. Gantz, qui a déjà été à la tête de l’armée israélienne, a qualifié les critiques formulées à l’encontre de l’enquête d’«attaque à motivation politique en pleine guerre», ajoutant qu’il n’avait jamais vu une conduite aussi médiocre après que des échauffourées ont éclaté au sujet de l’enquête lors d’une réunion du cabinet de sécurité, le 4 janvier.

Cette enquête est la deuxième menée par l’armée depuis qu’Israël a lancé son opération militaire contre le groupe militant palestinien Hamas à Gaza, à la suite de l’attaque sans précédent menée par le groupe le 7 octobre, qui a fait quelque 1200 morts et 240 otages.

La première enquête portait sur l’assassinat accidentel par l’armée israélienne de trois otages qui avaient échappé à la captivité du Hamas. Ils ont été assassinés malgré le fait qu’ils brandissaient un drapeau blanc portant l’inscription «SOS» en hébreu et qu’ils s’étaient entièrement dévêtus, à l’exception de leurs sous-vêtements, pour montrer qu’ils n’étaient pas armés.

Marco Sassoli, professeur de droit international à l’Université de Genève, a relevé la rapidité avec laquelle l’enquête sur la mort des otages a été ouverte et conclue.

«Lorsque l’armée israélienne a tué les otages israéliens, elle a immédiatement annoncé l’ouverture d’une enquête. Les conclusions de l’enquête ont été publiées avec la même rapidité», raconte M. Sassoli à Arab News. En effet, l’enquête a publié ses conclusions sur les assassinats du 18 décembre moins d’une semaine plus tard, le 21 décembre.

«Mais nous savons que l’armée israélienne a également tué de nombreux Palestiniens, y compris des combattants du Hamas, qui pourraient éventuellement se rendre et qui doivent alors être respectés. De tels meurtres constitueraient une violation des lois de la guerre.»

 

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Les otages Alon Shamriz (à gauche), Samer Al-Talalka (au centre) et Yotam Haim ont été tués par des soldats israéliens alors qu’ils s’étaient fait identifier comme otages. (Photo, AP)

 

Pour Hassan ben Imrane et Marco Sassoli, le caractère limité de la dernière enquête sur les défaillances des services derenseignement reflète la réticence de l’armée, du gouvernement et du système judiciaire israéliens à examiner le comportement de leurs troupes et la conduite de la guerre.

Cette réticence est commune à de nombreux gouvernements, a précisé M. Sassoli, rappelant que les États-Unis, le Royaume-Uni et la Russie n’ont pas enquêté immédiatement sur les allégations de mauvaise conduite de leurs propres troupes en temps de guerre.

«Si l’on se penche sur les guerres d’Israël, on peine à trouver des responsables pour le comportement des troupes, des commandants et des hommes politiques qui ont été à l’origine de violations du droit humanitaire international. De même, si l’on se tourne vers les États-Unis, qu’en est-il de la reddition de comptes concernant Guantanamo Bay ?», a-t-il souligné. 

«En vertu du droit international humanitaire, il existe une obligation d’enquêter sur les crimes de guerre — non pas sur chaque acte de guerre, mais sur les épisodes où il semble qu’un crime de guerre ait pu être commis.»

 

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L’avocat palestinien Hassan ben Imrane a déclaré qu’il n’était pas surpris que l’enquête de l’armée israélienne ne se concentre pas sur le nombre élevé de morts palestiniens à Gaza. (AP)

 

Obligé ou non, Israël semble peu enclin à lancer une telle enquête, du moins dans l’immédiat. Toutefois, rappelant les précédentes enquêtes menées par les Israéliens sur des actes commis à l’encontre de Palestiniens, M. Imrane a assuré qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter.

«Israël a tendance à utiliser son système judiciaire d’une manière qui pourrait être assimilée à l’idée du “bon flic/mauvais flic”», a-t-il expliqué.

«Essentiellement, les tribunaux et les enquêtes existent pour un but et ce but est de  blanchir la mauvaise réputation d’Israël. Il y a une affaire sur laquelle ils se focalisent particulièrement, celle des colons israéliens qui ont tué la famille Dawabsheh et brûlé vif leur fils de 18 mois.»

Dans cette affaire, l’un des auteurs de l’incendie criminel a été condamné à perpétuité et un autre, mineur au moment des faits, à une peine de 42 mois.

Cependant, même dans cette affaire, M. Imrane a indiqué que l’enquête n’était pas «sérieuse», mais qu’il s’agissait plutôt d’une décision politique destinée à rendre le gouvernement israélien plus présentable sur la scène internationale.

«Il existe des exemples plus récents de ce blanchiment de réputation, notamment lorsque la Cour suprême a érigé en infraction pénale l’incitation au génocide», a-t-il ajouté. 

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Le caractère limité de la dernière enquête sur les défaillances des services de renseignement reflète la réticence de l’armée, du gouvernement et du système judiciaire israéliens à examiner le comportement de leurs troupes et la conduite de la guerre, estime Marco Sassoli, professeur de droit international à l’Université de Genève. (Photo, AFP)

 

«Mais cela n’a été réalisé qu’après 95 jours d’actes et de déclarations génocidaires de la part de tous les Israéliens, et après que l’Afrique du Sud a engagé des poursuites contre Israël devant la Cour internationale de justice.»

«Il s’agit de soutenir les revendications que l’équipe de défense du gouvernement présentera à la Cour.»

Alexander Hinton, directeur du Centre d’étude des génocides et des droits de l’homme de l’université Rutgers, dans le New Jersey, comprend le sentiment de résignation que de telles enquêtes peuvent susciter.

«Ces enquêtes sont toujours politiques et semblent parfois n’avoir que peu de conséquences. Toutefois, elles sont importantes car elles peuvent avoir un effet dissuasif, exposer les faits, identifier les coupables et, parfois, aboutir à l’obligation de rendre des comptes, voire à un procès», explique-t-il à Arab News.

«Cette possibilité ne plaît pas à certains membres de droite du gouvernement de Netanyahou.»

M. Sassoli est, lui aussi, moins cynique dans son évaluation des avantages des futures enquêtes sur le conflit.

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Un garçon palestinien assis sur les décombres d’un bâtiment détruit après une frappe israélienne à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 29 décembre 2023. (AP)

Bien qu’il ne les considère pas comme un baume pour les victimes, il estime néanmoins qu’il est important de «ne pas perdre espoir» dans la capacité des enquêtes à apporter des changements à l’avenir, tout en reconnaissant que pour ce faire, il est nécessaire d’élargir leur portée.

«C’est le cas pour les enquêtes militaires en général, mais en ce qui concerne Israël et la Palestine, le contexte est essentiel», a-t-il noté.

«D’un point de vue académique et humanitaire, une véritable enquête aborderait les questions relatives aux blocus, aux colonies et peut-être aussi au manque de perspective accordé à la population israélienne dans son environnement médiatique.»

En l'absence d'une telle portée, M. Sassoli estime que ces enquêtes revêtent quand même une certaine importance et qu’elles exercent une certaine pression sur les dirigeants politiques d’Israël.

Lorsqu’on lui demande si cette pression se traduit par des différences opérationnelles sur le terrain, il admet qu’il est«difficile de répondre à cette question». Si on lui avait posé la question il y a six mois, il aurait été enclin à répondre par l’affirmative.

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Des proches pleurent le corps de Hamza al-Dahdouh, journaliste de la chaîne de télévision Al Jazeera, tué lors d’une frappe aérienne israélienne à Rafah, dans la bande de Gaza, le 7 janvier 2024. Une enquête est en cours sur la conduite de la guerre de l’armée israélienne. (AFP)
 

«Mais aujourd’hui, on assiste à quelque chose qui s’apparente à la réponse des États-Unis à la guerre contre le terrorisme, au cours de laquelle les politiciens ont essentiellement imposé une approche “sans gants”», observe M. Sassoli, faisant référence aux allégations entourant l’utilisation de techniques d’interrogatoire renforcées et de restitutions extraordinaires au cours de la période qui a suivi les attentats du 11 septembre 2001 à Washington et à New York.

«D'une certaine manière, j’estime qu’il est très important de comprendre cela. Si l’on reprend l’exemple des États-Unis, l’armée américaine s’est montrée incroyablement réticente à utiliser la torture préconisée par (l’ancien secrétaire à la défense Donald) Rumsfeld, et ce n’est que sous l’effet d’une pression politique massive que l’armée a accepté de telles techniques.» 

«Je pense que les revendications de Gaza indiquent que les violations du droit international par l’armée israélienne sont le résultat de pressions politiques. Ce sont les hommes politiques et certains avocats militaires qui posent problème.»

Si c’est le cas, un nouveau groupe d’hommes politiques israéliens pourrait être plus ouvert à mener une enquête qui conduirait à des changements tangibles dans le traitement des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie par l’armée.

Un tel changement pourrait être imminent, certaines informations suggérant que M. Gantz s’est lassé des incessantesmanœuvres politiciennes au sein du camp de M. Netanyahou.

 

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Pour Benny Gantz, membre du conseil de guerre israélien et ancien chef de l’armée, la critique de l’enquête est «une attaque à motivation politique en pleine guerre». (Photo, AFP)

Le mépris supposé de M. Gantz pour son partenaire de coalition semble découler de la conviction largement répandue selon laquelle l’objectif principal du Premier ministre sortant est de se décharger de sa responsabilité dans l’attaque du Hamas qui a déclenché la guerre, plutôt que de résoudre le conflit avec les Palestiniens.

Cependant, M. Imrane reste sceptique quant au fait qu’une administration, actuelle ou future, puisse lancer une enquête qui bénéficierait aux Palestiniens.

Le gouvernement israélien ne s’occupe des Palestiniens que«lorsqu’ils constituent un problème, au niveau national ou international», a-t-il constaté.

«Les accords d’Oslo, par exemple, n’ont été conclus qu’après la première Intifada. C’est la raison pour laquelle ils ont ressenti le besoin de négocier. Ils ont besoin de se protéger. Le gouvernement israélien est entièrement centré sur lui-même.»

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com


« La Syrie n’est pas condamnée » : les leçons d’un an de transition, selon Hakim Khaldi

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  • Parmi les scènes les plus marquantes, Khaldi se souvient d’une vieille dame de Homs qui, voyant les portraits d’Assad retirés des bâtiments officiels, murmure : « On peut respirer ? Est-ce que c’est vrai ? »
  • Mais ce soulagement intense laisse rapidement place à une inquiétude plus sourde : celle du vide

PARIS: La Syrie post-Assad, carnets de bord, de Hakim Khaldi, humanitaire chez Médecins sans frontières, publié chez L’Harmattan, n’est pas seulement un récit de témoins, mais une immersion dans la réalité d’un pays brisé mais pas vaincu, où la chute d’un pouvoir omnipotent n’a pas suffi à étouffer l’exigence de dignité.
Ce qu’il raconte, c’est l’envers des discours diplomatiques, la géographie vécue d’une société projetée brutalement hors d’un demi-siècle d’autoritarisme dans un vide politique, économique et moral.

Les premiers jours après la chute du régime de Bachar Al-Assad ressemblent, selon Khaldi, à un moment de bascule irréel.

Dans ses carnets, comme dans ses réponses à Arab News en français, revient une même conviction : la chute d’un régime ne signifie pas la naissance immédiate d’un pays. La Syrie, aujourd’hui, est entre les deux, « en état de transformation ».

Les premiers jours après la chute du régime de Bachar Al-Assad ressemblent, selon Khaldi, à un moment de bascule irréel : « On ne savait pas si c’était la fin d’une époque ou le début d’une autre tragédie », confie-t-il.
Dans les villes « libérées », les scènes oscillent entre euphorie et sidération ; la population découvre, sans y croire encore, la possibilité de parler librement, de respirer autrement.

Il raconte ces familles qui, pendant quarante ans, n’avaient jamais osé prononcer le mot « moukhabarat » (services secrets en arabe), ne serait-ce qu’à voix basse chez elles.
Et brusquement, les voilà qui se mettent à raconter : les disparitions, les tortures, les humiliations, et la peur devenue routine.
Des parents ressortent des photos d’adolescents morts sous la torture, des certificats de décès maquillés, des lettres écrites depuis la prison mais jamais envoyées.

Parmi les scènes les plus marquantes, Khaldi se souvient d’une vieille dame de Homs qui, voyant les portraits d’Assad retirés des bâtiments officiels, murmure : « On peut respirer ? Est-ce que c’est vrai ? »
Ce qui l’a le plus frappé, c’est « ce sentiment presque physique d’un poids qui tombe. C’est ce que j’ai le plus entendu », affirme-t-il.

Mais ce soulagement intense laisse rapidement place à une inquiétude plus sourde : celle du vide. En quelques jours, l’État s’est évaporé : plus de police, plus d’électricité, plus d’école, plus de justice.
Les anciens bourreaux disparaissent dans la nature, mais les réseaux de corruption se reconstituent, et les premières milices locales émergent, prêtes à occuper le terrain déserté par les institutions.

Pourtant, au fil de ses déplacements, Khaldi est frappé par la force de résilience et d’auto-organisation de la population : « Les Syriens n’ont jamais cessé d’exister comme société, même quand l’État les avait réduits au silence », assure-t-il.
Dans les villages, des comités improvisés se forment et organisent la distribution alimentaire, la remise en marche d’une station d’eau, la sécurité ou la scolarisation d’urgence.

Un an après la chute du régime (le 8 décembre 2024), la Syrie tente de se relever lentement, mais elle demeure une mosaïque de composants hybrides.

Cette responsabilité populaire est, pour Khaldi, l’un des rares points lumineux du paysage syrien, la preuve qu’une société peut exister en dehors de l’appareil répressif qui prétendait être l’État.

Un an après la chute du régime (le 8 décembre 2024), la Syrie tente de se relever lentement, mais elle demeure une mosaïque de composants hybrides, de milices rivales, de zones d’influence et d’ingérences étrangères. « Une mosaïque qui ne ressemble plus au pays d’avant », estime Khaldi.
Le territoire est éclaté entre forces locales, groupes armés (notamment les milices druzes à Soueida, au nord-est du pays), gouvernances provisoires ou structures étrangères. Les routes sont coupées, les administrations doublées ou contradictoires.

Avec des infrastructures détruites, une monnaie en chute libre et un secteur productif quasi paralysé, la survie quotidienne est devenue un exercice d’équilibriste.
Les Syriens ne nourrissent plus d’illusions sur l’arrivée immédiate d’un modèle démocratique idéal : il s’agit d’abord de survivre, de reconstruire, de retrouver un minimum de continuité.

Le traumatisme est profond, à cause des disparitions massives, de l’exil et des destructions psychologiques. Pourtant, affirme Khaldi, « jamais je n’ai entendu un Syrien regretter que la dictature soit tombée ».

De ses observations et des témoignages qu’il a collectés en arpentant le pays, Khaldi tire les priorités pour éviter que la Syrie ne devienne ni un conflit gelé ni un espace livré aux milices.
De son point de vue, la reconstruction politique ne peut se réduire à remplacer un gouvernement par un autre : il faut rebâtir les fondations, à savoir une justice indépendante, une police professionnelle et des administrations locales.

Des dizaines de groupes armés contrôlent aujourd’hui une partie du territoire, et une transition politique sérieuse est impensable sans un processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration, soutenu par une autorité légitime et par un cadre international solide.
Au-delà des aides internationales, la Syrie a besoin d’un cadre empêchant la capture des fonds par les anciens réseaux de corruption ou les factions armées.
Elle doit donner la priorité à la relance de l’agriculture, au rétablissement de l’électricité, des réseaux routiers et des petites industries, les seules capables à court terme de soutenir la vie quotidienne.

Le pays porte une blessure immense : celle des prisons secrètes, des fosses communes, des disparitions et des exactions documentées. « Sans justice, il n’y aura pas de paix durable », affirme Khaldi.
Il ne s’agit ni de vengeance ni de tribunaux-spectacle, mais de vérité et de reconnaissance, conditions indispensables à une réconciliation nationale.

De cet entretien se dégage une idée forte : malgré la faim, la peur, les ruines, malgré la fragmentation politique et l’ingérence étrangère, les Syriens n’ont pas renoncé à eux-mêmes.
Ils ouvrent des écoles improvisées, réparent des routes avec des moyens dérisoires, organisent l’entraide, résistent au chaos. « La Syrie n’est plus la Syrie d’avant, mais elle n’est pas condamnée pour autant », affirme Khaldi.
Son témoignage rappelle qu’un pays ne meurt pas quand un régime tombe ; il meurt lorsque plus personne ne croit possible de le reconstruire. Et les Syriens, eux, y croient encore.


Liban: Israël annonce des frappes dans le sud, appelle à des évacuations

L'armée israélienne a annoncé jeudi après-midi des frappes imminentes dans le sud du Liban contre ce qu'elle présente comme des infrastructures du mouvement islamiste Hezbollah, et a appelé à des évacuations dans deux villages de cette région. (AFP)
L'armée israélienne a annoncé jeudi après-midi des frappes imminentes dans le sud du Liban contre ce qu'elle présente comme des infrastructures du mouvement islamiste Hezbollah, et a appelé à des évacuations dans deux villages de cette région. (AFP)
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  • Les forces israéliennes vont "bientôt attaquer des infrastructures terroristes du Hezbollah à travers le sud du Liban afin de contrer ses tentatives illégales de rétablir ses activités dans la région"
  • Dans un "message urgent" en arabe, le colonel Adraee signale, cartes à l'appui, deux bâtiments dans les villages de Jbaa et Mahrouna, dont il appelle les riverains dans un rayon d'au moins 300 mètres à s'écarter

JERUSALEM: L'armée israélienne a annoncé jeudi après-midi des frappes imminentes dans le sud du Liban contre ce qu'elle présente comme des infrastructures du mouvement islamiste Hezbollah, et a appelé à des évacuations dans deux villages de cette région.

Cette annonce survient au lendemain d'une rencontre entre responsables civils libanais et israélien, lors d'une réunion de l'organisme de surveillance du cessez-le-feu entré en vigueur il y a un an, présentée comme de premières discussions directes depuis plus de 40 ans entre les deux pays toujours techniquement en état de guerre.

Les forces israéliennes vont "bientôt attaquer des infrastructures terroristes du Hezbollah à travers le sud du Liban afin de contrer ses tentatives illégales de rétablir ses activités dans la région", a annoncé le colonel Avichay Adraee, porte-parole de l'armée israélienne pour le public arabophone.

Dans un "message urgent" en arabe, le colonel Adraee signale, cartes à l'appui, deux bâtiments dans les villages de Jbaa et Mahrouna, dont il appelle les riverains dans un rayon d'au moins 300 mètres à s'écarter.

Accusant le Hezbollah de se réarmer dans le sud du pays et de violer ainsi les termes de la trêve entrée en vigueur fin novembre 2024, l'armée israélienne a multiplié depuis plusieurs semaines les frappes aériennes dans le sud du Liban mais a marqué une pause dans ses attaques pendant la visite du pape Léon XIV cette semaine.

Israël a même frappé jusque dans la banlieue de Beyrouth le 23 novembre pour y éliminer le chef militaire du Hezbollah, Haitham Ali Tabatabai.

Le Liban dénonce ces attaques comme des violations patentes du cessez-le-feu.

Mais Israël, qui peut compter sur l'aval tacite des Etats-Unis pour ces frappes, affirme qu'il ne fait qu'appliquer la trêve en empêchant le Hezbollah, allié de la République islamique d'Iran, ennemie d'Israël, "de se reconstruire et de se réarmer".

Tout en déclarant que les discussions directes de mercredi avec le Liban s'étaient déroulées dans "une atmosphère positive", le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a rappelé mercredi soir que le désarmement du Hezbollah restait une exigence "incontournable" pour son pays.


Soudan: le chef des droits de l'homme de l'ONU appelle à cesser les combats «immédiatement»

Le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme a appelé jeudi les belligérants à "cesser immédiatement les combats" dans le sud du Soudan, affirmant craindre une nouvelle vague d'atrocités après les massacres d'El-Facher. (AFP)
Le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme a appelé jeudi les belligérants à "cesser immédiatement les combats" dans le sud du Soudan, affirmant craindre une nouvelle vague d'atrocités après les massacres d'El-Facher. (AFP)
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  • Depuis le 25 octobre, date à laquelle les FSR ont pris le contrôle de la ville de Bara, dans le Kordofan-Nord, le Haut-Commissariat a recensé "au moins 269 morts parmi les civils, victimes de frappes aériennes, de tirs d'artillerie et d'exécutions
  • "Il est véritablement choquant de voir l'histoire se répéter au Kordofan si peu de temps après les événements terrifiants d'El-Facher", a déclaré le Haut-Commissaire

GENEVE: Le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme a appelé jeudi les belligérants à "cesser immédiatement les combats" dans le sud du Soudan, affirmant craindre une nouvelle vague d'atrocités après les massacres d'El-Facher.

"Nous ne pouvons rester silencieux face à cette nouvelle catastrophe", a déclaré Volker Türk dans un communiqué. "Ces combats doivent cesser immédiatement et l’aide humanitaire vitale doit parvenir aux personnes menacées de famine".

Les combats se sont intensifiés cette semaine dans la région du Kordofan, dans le sud du Soudan riche en pétrole, l'armée cherchant à repousser les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) loin de l'axe routier vital reliant la capitale Khartoum au Darfour.

Depuis le 25 octobre, date à laquelle les FSR ont pris le contrôle de la ville de Bara, dans le Kordofan-Nord, le Haut-Commissariat a recensé "au moins 269 morts parmi les civils, victimes de frappes aériennes, de tirs d'artillerie et d'exécutions sommaires".

Et il affirme avoir relevé "des cas de représailles, de détentions arbitraires, d'enlèvements, de violences sexuelles et de recrutements forcés, y compris d'enfants".

"Il est véritablement choquant de voir l'histoire se répéter au Kordofan si peu de temps après les événements terrifiants d'El-Facher", a déclaré le Haut-Commissaire, en référence aux exactions commises par les FSR après la prise fin octobre de la dernière grande ville du Darfour (ouest) qui échappait à leur contrôle.

"Nous ne devons pas permettre que le Kordofan devienne un autre El-Facher", a insisté M. Türk.

Dans son communiqué, le Haut-Commissariat rapporte que le 3 novembre dernier, un drone des FSR avait frappé une tente où des personnes en deuil étaient rassemblées à El Obeid, dans le Kordofan du Nord, tuant 45 personnes, principalement des femmes.

Il indique aussi que le 29 novembre, une frappe aérienne des Forces armées soudanaises (SAF) à Kauda, dans le Kordofan du Sud, aurait fait au moins 48 morts, pour la plupart des civils.

Selon l'organisation, "de violents combats se poursuivent depuis dans les trois États du Kordofan". "La situation humanitaire est catastrophique : la famine est confirmée à Kadugli et un risque de famine persiste à Dilling", ajoute le Haut-Commissariat, affirmant que "toutes les parties entravent l’accès et les opérations humanitaires".

"Nous ne pouvons (...) laisser d’autres Soudanais devenir victimes de terribles violations des droits de l’homme. Nous devons agir", a insisté M. Türk.

Depuis avril 2023, les combats ont fait des dizaines de milliers de morts, forcé le déplacement de 12 millions de personnes et plongé le pays dans la plus grande crise humanitaire au monde, selon l'ONU.