Les dirigeants iraniens craignent une faible participation aux élections de mars

L’Iran devrait organiser des élections du Parlement et de l’Assemblée des experts le 1er mars (Photo, AFP).
L’Iran devrait organiser des élections du Parlement et de l’Assemblée des experts le 1er mars (Photo, AFP).
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Publié le Samedi 27 janvier 2024

Les dirigeants iraniens craignent une faible participation aux élections de mars

Les dirigeants iraniens craignent une faible participation aux élections de mars
  • L’un des rôles de l’Assemblée des experts est de nommer un nouveau Guide suprême qui succédera à Ali Khamenei après sa mort
  • Le malheur du peuple iranien est qu’il est désorienté, alors qu’il est témoin des luttes entre les détenteurs du pouvoir dans le pays

L'Iran doit organiser les élections du Parlement et de l'Assemblée des experts le 1er mars. Ce dernier scrutin constituera un test crucial pour le régime politique qui gouverne Téhéran depuis quarante-cinq ans. C'est un vote sur l'impopularité du système violent des ayatollahs.

L’un des rôles de l’Assemblée des experts est de nommer un nouveau Guide suprême qui succédera à Ali Khamenei après sa mort, ou après qu’il sera devenu inapte à exercer ses fonctions. Khamenei, âgé de 84 ans, et d’autres dirigeants iraniens ont exprimé leurs profondes inquiétudes quant au faible taux de participation électorale, qui pourrait constituer la preuve que le peuple iranien délégitimise la République islamique et son régime. Cela pourrait également témoigner d’un fléchissement de l’influence des religieux et laisser présager des problèmes encore plus graves dans un avenir proche pour le gouvernement iranien en place.

La plupart des observateurs politiques s'attendent à une faible participation. Les sondages ont révélé que les Iraniens étaient moins susceptibles de voter cette année que lors des élections législatives de 2020 et de l’élection présidentielle de 2021. Selon une évaluation, un maximum de 10% des personnes inscrites sur les listes électorales pourrait effectivement se rendre aux urnes. C’est là un signe catastrophique pour le régime iranien, qui est en train de perdre son emprise sur le pouvoir. Le taux de participation en 2020 était d’environ 42 %, soit le plus bas depuis la révolution de 1979. L’hypothèse d’une participation plus élevée en 2024 est peu probable.

Une faible participation pourrait laisser présager des problèmes encore plus graves dans un avenir proche pour le gouvernement iranien en place.

Maria Maalouf

Des voix se font entendre au sein des cercles internes du régime iranien pour exprimer de sérieuses inquiétudes quant au risque que les élections parlementaires de mars soient un véritable désastre. À titre d’exemple, Mostafa Pourmohammadi, qui a été ministre de l’Intérieur et ministre de la Justice de l’Iran dans deux administrations différentes, a affirmé l’année dernière au journal Javan: «Les gens eux-mêmes devraient être intéressés par le fait de participer aux élections, et cela dépend de leur niveau de satisfaction. […] Nous devons analyser la situation de manière réaliste. La satisfaction populaire est aujourd’hui en recul et de nombreuses entités gouvernementales en sont responsables.»

La déclaration de Pourmohammadi doit être prise au sérieux. Il connaît les centres de pouvoir de la société et de l’État iraniens. Par conséquent, ce qu’il dit pourrait refléter le véritable sentiment aux plus hauts échelons de l’autorité iranienne. Ils ont tous peur de ce que l’on appelle le «faible taux de satisfaction» du peuple iranien, susceptible de révéler une «passivité des électeurs».

Dans cette même interview, Pourmohammadi a ajouté: «La jeune génération s’est éloignée de nous. Un faible taux de participation constituerait une défaite pour nous tous.» Cependant, il n’a pas attaqué les fondements du système de gouvernement iranien. Il a uniquement dirigé son attaque contre le gouvernement actuel du président Ebrahim Raïssi.

Il existe certainement de véritables raisons pour lesquelles l’électorat iranien connaît de telles inquiétudes vis-à-vis de la direction politique du pays. L’Iran souffre d’un grave ralentissement économique depuis plus de cinq ans. La pauvreté augmente. Le pays a été en proie à des troubles de septembre 2022 jusqu’au début de l’année 2023 en raison de graves manifestations antigouvernementales. Elles ont finalement été vaincues par la répression politique du régime. Au sein du peuple iranien sourd une profonde colère contre le gouvernement, associée à un vaste sentiment de révolte.

Il existe de véritables raisons pour lesquelles l’électorat iranien connaît de telles inquiétudes vis-à-vis de la direction politique du pays.

Maria Maalouf

On estime que plus de cinq cents civils ont été assassinés par les forces de sécurité lors des manifestations. Des centaines de personnes ont été grièvement blessées. De nombreux jeunes ont perdu un œil, voire les deux, lorsque les forces fidèles au gouvernement iranien ont tiré sur eux des balles en caoutchouc ou des billes métalliques. On estime à plus de vingt mille le nombre de personnes arrêtées. Beaucoup d’individus ont été gravement torturés pendant leur interrogatoire. La répression sauvage des manifestations a démontré à la population iranienne le manque de tolérance du régime.

Par ailleurs, le gouvernement iranien tente de mobiliser son noyau dur d’électeurs pour qu’ils se présentent et votent. Il espère que cela pourra motiver d’autres personnes à voter. Les dirigeants iraniens tentent de recruter des partisans du régime par divers moyens. Ainsi, les médias officiels diffusent désormais des émissions de télévision qui permettent des débats très limités et contrôlés sur plusieurs sujets politiques. L’idée est de montrer que le gouvernement iranien accueille favorablement les opinions de personnes de tous horizons politiques. Cela permet également une certaine critique des réalisations du régime.

Cependant, le mouvement de boycott des élections s’amplifie. Il inclut les réformateurs iraniens qui ont appelé le peuple iranien à se tenir à distance. Faezeh Hachemi Rafsandjani, qui a été députée, est la fille de l'ancien président Akbar Hachemi Rafsandjani. Elle purge une peine de cinq ans de prison pour «propagande contre le régime» et participation à des manifestations antigouvernementales. En juillet de l'année dernière, elle a écrit une lettre de la prison d'Evin, dont voici un extrait: «Si nous brisons le sort et que nous ne participons pas aux élections, nous pouvons rendre le chemin des dirigeants difficile en faisant éclater la vérité, les forcer ainsi à changer de politique […] et à reprendre ultimement le pouvoir que nous leur avons donné.»

Contrebalancer ces appels qui exhortent les Iraniens à ne pas voter le 1er mars, c’est ce qu’a signalé le journal réformateur Entekhab News au cours de ce mois. Il cite le colonel Majid Bazrafkan, adjoint aux affaires culturelles et sociales du Corps des Gardiens de la révolution islamique, qui a affirmé: «[La force] Basij est pleinement déterminée à stimuler la participation populaire […] et à combattre les ennemis.» Il a ajouté que «le modèle de résistance de l’Iran s’est manifesté aux yeux du monde entier dans la victoire de la révolution islamique; grâce à la participation populaire aux élections, nous devons servir de modèles de référence aux autres.»

Comme on peut s’en douter, l’intérêt de l’Iranien moyen à participer aux élections législatives sera limité. Le malheur du peuple iranien est qu’il est désorienté, alors qu’il est témoin des luttes entre les détenteurs du pouvoir dans le pays. Les dirigeants tentent de faire face à une opposition croissante qui dénonce leur corruption et leur incapacité à gouverner de manière efficace.

Maria Maalouf est une journaliste, animatrice, éditrice et écrivaine libanaise. 

X: @bilarakib

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com