Les agriculteurs resserrent l'étau sur Paris et Lyon, les tractations se poursuivent

Les agriculteurs du syndicat CR47 (Coordination rurale 47) emballent leurs affaires avant de reprendre leur convoi en direction de Paris après une halte d'une nuit à Pierrefitte-sur-Sauldre, près d'Orléans, le 31 janvier 2024, en route pour bloquer le marché de Rungis. (AFP).
Les agriculteurs du syndicat CR47 (Coordination rurale 47) emballent leurs affaires avant de reprendre leur convoi en direction de Paris après une halte d'une nuit à Pierrefitte-sur-Sauldre, près d'Orléans, le 31 janvier 2024, en route pour bloquer le marché de Rungis. (AFP).
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Publié le Mercredi 31 janvier 2024

Les agriculteurs resserrent l'étau sur Paris et Lyon, les tractations se poursuivent

  • Les agriculteurs se rapprochent mercredi de Paris, de Lyon et du marché de gros de Rungis, malgré les tentatives de l'exécutif pour dissiper le malaise paysan
  • Le président de la Coordination rurale du Lot-et-Garonne, Serge Bousquet-Cassagne, a rejoint ce convoi déterminé à rejoindre Rungis malgré gendarmes et policiers

PARIS: Les agriculteurs se rapprochent mercredi de Paris, de Lyon et du marché de gros de Rungis, malgré les tentatives de l'exécutif pour dissiper le malaise paysan et convaincre les manifestants de cesser leur mobilisation.

Mercredi matin, autour de Lyon, les tracteurs continuent leur progression pour encercler la troisième ville de France: après le blocage mardi soir d'une partie de l'autoroute à l'ouest, l'A89, des portions des autoroutes dans les autres directions (A46, A42 et A47) vont aussi être "rapidement" coupées en début de matinée, a affirmé à l'AFP le patron régional de la FNSEA Michel Joux.

Plus au nord, le convoi d’agriculteurs en colère partis du Sud-Ouest à l’appel de la Coordination rurale s’est remis en marche un peu avant 8H00 en direction de Rungis, l'énorme marché de gros alimentaire qui alimente Paris, a constaté l'AFP. Les agriculteurs, à bord de quelque 200 à 300 tracteurs, ont passé la nuit dans une exploitation agricole du Loir-et-Cher entre Vierzon et Orléans.

Le président de la Coordination rurale du Lot-et-Garonne, Serge Bousquet-Cassagne, a rejoint ce convoi déterminé à rejoindre Rungis malgré gendarmes et policiers. "Je suis très fier de vous! Vous allez mener ce combat parce que si on ne mène pas ce combat, on est morts. Demain, il va falloir être sérieux et disciplinés", avait-il lancé mardi à ses troupes.

Après avoir été bloqué à plusieurs reprises par les forces de l'ordre, le convoi reste surveillé de près. Des blindés sont sur l'A6.

Il y a en France mercredi "plus de 100 points de blocage" et 10.000 manifestants, selon Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur, sur France 2.  "Ils ne s’en prennent pas aux forces de l'ordre, ils n’entrent pas dans Rungis, ils n’entrent pas dans les aéroports parisiens, pas dans Paris. Mais si jamais ils devaient le faire, évidemment je le répète, nous ne laisserions pas faire", a-t-il dit.

A Toulouse, la Confédération paysanne a essayé d’installer un barrage filtrant devant le marché d’intérêt national (MIN, marché de gros) mais les agriculteurs ont été délogés par la police et se sont rabattus sur une centrale d’achat de Carrefour dans la banlieue toulousaine, où ils ont mis en place un barrage filtrant.

Le Premier ministre Gabriel Attal a assuré mardi qu'il devait y "avoir une exception agricole française" et promis que le gouvernement serait "au rendez-vous, sans aucune ambiguïté" pour répondre à la crise agricole actuelle, dans son discours de politique générale devant l'Assemblée nationale.

Malgré ces déclarations, assorties de quelques nouvelles mesures, et des esquisses de concessions à Bruxelles, la mobilisation ne faiblit pas, notamment sur la question des jachères.

Dans le petit carré «  convivial » des agriculteurs qui bloquent l'autoroute A15

La bière n'a plus de bulles mais la sono tourne toujours aux sons des tubes des années 1980: sur leur barrage d'Argenteuil, en banlieue parisienne, les agriculteurs occupant l'autoroute A15, passent leur deuxième nuit entre ciel et chaussée.

Il est 19h mardi, la nuit est tombée sur l'autoroute. Des cuistots préparent une tartiflette (plat traditionnel de pommes de terre, lardons, oignons et fromage fondu) en vue du dîner. Des jeunes débitent à la tronçonneuse des palettes pour alimenter des braseros qui offrent un répit bienvenu face au froid de l'hiver.

Depuis l'installation de ce convoi de 47 tracteurs à cet emplacement lundi après-midi, soit "le cortège le plus proche de Paris" comme le revendiquent fièrement ses participants, une petite place de village a poussé sur l'autoroute au pied d'une grande bâche annonçant "Notre fin sera votre faim".

"On a voulu faire un petit carré un peu base vie, convivial, où on peut se retrouver tous ensemble", confie à l'AFP Fabrice Mauger, qui s'apprête à passer la nuit sur place à l'arrière d'une fourgonnette.

Avec ces occupations d'axes routiers autour de Paris, ce céréalier de la région parisienne espère surtout obtenir la suppression de l'obligation de 4% des terres en jachère. "Sur ces 4% je continue à payer un loyer au propriétaire, à payer des charges et je n'en tire rien", regrette-t-il.

L'atmosphère est bon enfant. Axelle Red ou Jean-Jacques Goldman ronronnent en fond sonore. On refait le plein à la tireuse à bière, on s'allume une cigarette, on taille le bout de gras pour passer le temps qu'on trouve quand même un peu long. "On est bien sur l'A15, non ?", s'enthousiasme un jeune agriculteur qui n'en revient toujours pas.

Pour ménager l'opinion publique locale, les protestataires n'occupent qu'une portion limitée de l'autoroute. A dessein, une sortie permet de contourner facilement leur dispositif. Le trafic est donc seulement ralenti et non bloqué.

L'autoroute n'est pas non plus coupée dans l'autre sens, contrairement à ce qui se fait ailleurs. Les coups de klaxons de soutien sont nombreux dans le flot des usagers passant sur la voie en face.

Rotations d'équipes

Traversant le Val-d'Oise, au nord de Paris, l'A15 constitue la colonne vertébrale du département. Elle est empruntée chaque jour par des dizaines de milliers d'automobilistes pour aller travailler dans la capitale ou ses environs. Conscients de la sensibilité de cet axe, les agriculteurs manifestant relativisent la rhétorique guerrière du "siège" de Paris.

"Pour l'instant, on n'a pas l'impression d'être mal perçus. Mais c'est une inconnue. C'est sûr qu'au bout d'un moment les gens en auront assez, nous c'est pas le but de nous éterniser", concède Denis, un cultivateur de 55 ans, casquette de l'équipe F1 Renault sur le crâne.

Pour économiser les hommes et les forces, les syndicats ont organisé deux rotations d'équipes par jour. Des voitures assurent la navette entre le campement et les fermes de la région. Vingt-cinq personnes restent sur place chaque nuit, contre une cinquantaine présentes en journée.

À 21H45, un cri retentit: "A table !". Les copieuses rations de tartiflette dégagent une vapeur chaude dans l'air froid, les groupes s'installent aux tables installées sous des barnums.

Habitante d'Enghien-les-Bains, près de Paris, Laetitia a bataillé avec son fils au milieu des ronces derrière la glissière de l'autoroute pour rejoindre en pleine nuit à pied le campement.

Par solidarité pour les agriculteurs, cette experte immobilier arrive les bras chargés de monceaux de crêpes, confitures, gâteaux au chocolat. Et même une petite fleur jaune pour la déco.

"Vous êtes la genèse, vous êtes la vie. Si vous ne nous nourrissez pas, on meurt !", lance cette dynamique femme grisonnante qui avait aussi amené des chouquettes dans les casernes et commissariats pendant les émeutes de juin.

Les agapes de la première nuit du blocage, couplées à une nuit inconfortable dans le tracteur, ont laissé des petits yeux à certains.

Pendant que l'équipe du 13H-22H monte en voiture pour retrouver son lit, les volontaires de la nuit se glissent dans les tentes ou gonflent leurs matelas. Jusqu'à la relève, à l'aube, à l'heure où blanchit la campagne.

18 personnes interpellées près de Rungis

Dix-huit personnes ont été interpellées pour "entrave à la circulation" mercredi matin près du marché de gros de Rungis que les agriculteurs en colère, réunis en convoi, menacent d'investir, a-t-on appris de sources policières.

Il y a en France mercredi "plus de 100 points de blocage" et 10.000 manifestants, a chiffré le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin tôt mercredi matin. "Ils ne s’en prennent pas aux forces de l'ordre, ils n’entrent pas dans Rungis (...) Mais si jamais ils devaient le faire, évidemment je le répète, nous ne laisserions pas faire", a-t-il ajouté.

« Aucune perspective de long terme »

Le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau est attendu mercredi après-midi à Bruxelles "pour une série d'entretiens visant à accélérer le traitement des urgences européennes", selon son cabinet mardi.

Rappelant que la crise agricole ne serait pas réglée "en quelques jours", M. Attal s'est dit prêt à "aller plus loin", promettant par exemple que les aides européennes de la Politique agricole commune (PAC) seraient versées "d'ici le 15 mars" et des aides fiscales supplémentaires pour les éleveurs.

Des déclarations qui ont laissé sceptiques les manifestants, comme Johanna Trau, céréalière et éleveuse à Ebersheim (Bas-Rhin), à propos du versement en mars des aides PAC.

"Déjà que certaines mesures mettent trois ou quatre ans à être appliquées... Là je demande à voir!", a-t-elle déclaré mardi dans un convoi de centaines de tracteurs bloquant l'A35, l'autoroute qui longe Strasbourg.

"On veut pas forcément être bercés aux aides, on veut surtout des prix rémunérateurs", a ajouté l'agricultrice, comme en écho à la Confédération paysanne.

Le 3e syndicat agricole, classé à gauche, a appelé "à bloquer les centrales d'achat" de la grande distribution.

Le président Emmanuel Macron, lors d'une visite d'Etat en Suède, s'est de son côté engagé à défendre plusieurs revendications des agriculteurs français à Bruxelles, sur l'Ukraine, les jachères et l'accord commercial avec les pays latino-américains du Mercosur.

Le mouvement de colère s'étend en tout cas sur le continent: après des manifestations en Allemagne, en Pologne, en Roumanie, en Belgique ou en Italie ces dernières semaines, les grands syndicats agricoles espagnols ont annoncé des "mobilisations" au cours des "prochaines semaines".

Les associations environnementales se sont également montrées critiques, Greenpeace estimant notamment que l'exécutif "privilégie l'agro-industrie au détriment des agriculteurs et des écosystèmes dont ils dépendent".

Le ministre de l'Agriculture annonce 80 millions d'euros d'aides pour les viticulteurs

Le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau a annoncé mercredi que le gouvernement mettait sur la table 80 millions d'euros supplémentaires pour soutenir "l'ensemble des régions viticoles qui sont en crise".

En pleine crise agricole, le ministre a expliqué sur Sud Radio que l'Etat prendrait en charge "les intérêts d'emprunt sur l'année 2024" pour soulager la trésorerie des vignerons en difficulté.

L'enveloppe de 80 millions d'euros doit permettre "de couvrir les aléas qu'ont rencontrés un certain nombre de régions (...) ça couvre l'ensemble des régions viticoles qui sont en crise, évidemment", a expliqué le ministre.

Il a notamment évoqué la prise en charge des pertes de production liées à la maladie du mildiou, qui a particulièrement sévi dans le Bordelais en 2023. Les viticulteurs reprochaient aux assureurs de ne pas prendre en charge ce genre d'aléas.

Le gouvernement s'était par ailleurs dit à l'automne prêt à financer une campagne d'arrachage temporaire de vignes pour résorber la surproduction le temps que la consommation reparte.

Marc Fesneau a indiqué que le financement de cette campagne pourrait s'élever à 150 millions d'euros destinés à subventionner les viticulteurs qui arrachent leurs vignes. Cette mesure sera soumise à l'aval de la Commission européenne.

Cela pourrait concerner "jusqu'à 100.000 hectares" (sur près de 800.000 hectares de vignes en 2020), selon lui.

Le président de la FNSEA appelle «  au calme et à la raison  »

Le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, auditionné au Sénat, a affirmé mercredi qu'il essayait "d'appeler au calme et à la raison" face à la colère des agriculteurs, estimant que beaucoup de "sujets européens" ne se "règlent pas en trois jours".

Alors que des blocages se poursuivent dans toute la France, M. Rousseau a reconnu que "l'attente est énorme" face au "cumul de normes et de règles". Mais "il y a aussi beaucoup de sujets européens qui ne sont pas des sujets qui se règlent en trois jours. Donc j'essaie d'appeler au calme et à la raison", a-t-il dit devant la Commission des Affaires économiques de la chambre haute.

"On a aujourd'hui un certain nombre de propositions qui ont été adressées au Premier ministre (Gabriel Attal) et sur lesquelles on travaille. Le Premier ministre souhaite aller le plus vite possible", a poursuivi le président de la FNSEA lors de son propos introductif, alors que les syndicats, dont la FNSEA, ont été reçues mardi soir à Matignon pendant près de trois heures.

Le Premimer ministre a de nouveau reçu reçu mercredi matin la Confédération paysanne et la Coordination rurale.

Sans évoquer dans le détail la teneur des échanges, M. Rousseau est néanmoins revenu sur le déplacement de Gabriel Attal sur un blocage autoroutier vendredi, "une belle opération de communication qui s'est finalement traduite par une forme de suragacement", selon lui.

"Beaucoup de gens, en ce moment, critiquent la FNSEA mais je pense que le gouvernement est bien content de nous trouver en ce moment pour savoir avec qui négocier", a-t-il ajouté.

"Je m'honore qu'il n'y ait pas de policiers ou gendarmes blessés", a-t-il encore dit alors que l'étau se resserrait mercredi à Paris ou à Lyon, avec des interpellations près de Rungis. "On essaie de faire en sorte qu'il n'y ait pas de débordements, en tenant une ligne de responsabilité".


Lecornu recevra les socialistes mercredi, annonce Olivier Faure

Le nouveau Premier ministre Sébastien Lecornu recevra mercredi matin les responsables du Parti socialiste, avec qui il devra négocier à l'automne un accord sur le budget 2026 pour éviter une censure, a annoncé leur Premier secrétaire Olivier Faure. (AFP)
Le nouveau Premier ministre Sébastien Lecornu recevra mercredi matin les responsables du Parti socialiste, avec qui il devra négocier à l'automne un accord sur le budget 2026 pour éviter une censure, a annoncé leur Premier secrétaire Olivier Faure. (AFP)
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  • Depuis sa nomination mardi, Sébastien Lecornu a commencé ses consultations avec d'abord les partis de son "socle commun" (bloc central et LR), puis les syndicats et organisations patronales avec qui il a des entretiens encore lundi et mardi
  • Mais le rendez-vous le plus attendu est celui avec les socialistes. Déjà menacé de censure par LFI et le RN, c'est eux qui peuvent éviter à M. Lecornu de connaître le même sort que ses prédécesseurs

PARIS: Le nouveau Premier ministre Sébastien Lecornu recevra mercredi matin les responsables du Parti socialiste, avec qui il devra négocier à l'automne un accord sur le budget 2026 pour éviter une censure, a annoncé leur Premier secrétaire Olivier Faure.

"On a rendez-vous mercredi matin et donc nous le verrons pour la première fois", a déclaré M. Faure lundi sur France 2. Les Ecologistes de Marine Tondelier et le Parti communiste de Fabien Roussel ont également indiqué à l'AFP être reçus mercredi, respectivement à 14H et 18H.

Depuis sa nomination mardi, Sébastien Lecornu a commencé ses consultations avec d'abord les partis de son "socle commun" (bloc central et LR), puis les syndicats et organisations patronales avec qui il a des entretiens encore lundi et mardi.

Mais le rendez-vous le plus attendu est celui avec les socialistes. Déjà menacé de censure par LFI et le RN, c'est eux qui peuvent éviter à M. Lecornu de connaître le même sort que ses prédécesseurs.

Au coeur de ce rendez-vous le projet de budget 2026 que le nouveau gouvernement devra présenter avant la mi-octobre au Parlement.

Les socialistes posent notamment comme conditions un moindre effort d'économies l'année prochaine que ce qu'envisageait François Bayrou et une fiscalité plus forte des plus riches, à travers la taxe sur les très hauts patrimoines élaborée par l'économiste Gabriel Zucman (2% sur les patrimoines de plus de 100 millions d'euros).

Mais Sébastien Lecornu, s'il s'est dit prêt samedi à "travailler sans idéologie" sur les questions "de justice fiscale" et de "répartition de l'effort", a déjà fait comprendre son hostilité à cette taxe Zucman, et notamment au fait de taxer le patrimoine professionnel "car c'est ce qui permet de créer des emplois".

"Quand on parle patrimoine professionnel, vous pensez à la machine outil ou aux tracteurs mais pas du tout. On parle d'actions, la fortune des ultrariches, elle est essentiellement en actions", lui a répondu M. Faure.

"Si vous dites que, dans la base imposable, on retire ce qui est l'essentiel de leur richesse, en réalité, vous n'avez rien à imposer", a-t-il argumenté.

"C'était déjà le problème avec l'Impôt sur la fortune (ISF, supprimé par Emmanuel Macron) qui touchait les +petits riches+ et épargnaient les +ultrariches+ parce que les +ultrariches+ placent leur argent dans des holdings", a-t-il reconnu.

 


Pour Sébastien Lecornu, un premier déplacement consacré à la santé

Sébastien Lecornu assiste à la présentation du supercalculateur Asgard au Mont Valérien à Suresnes, près de Paris, le 4 septembre 2025. (AFP)
Sébastien Lecornu assiste à la présentation du supercalculateur Asgard au Mont Valérien à Suresnes, près de Paris, le 4 septembre 2025. (AFP)
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  • Déplacement symbolique à Mâcon : Pour son premier déplacement, Sébastien Lecornu met l'accent sur l'accès aux soins et le quotidien des Français
  • Conscient de l'absence de majorité, il consulte partis et syndicats, cherchant des terrains d'entente sur le budget, tout en laissant la porte ouverte à une fiscalité plus juste

PARIS: Sébastien Lecornu se rend samedi en province, à Mâcon, pour son premier déplacement en tant que Premier ministre consacré à la santé et à "la vie quotidienne" des Français, délaissant pendant quelques heures les concertations qu'il mène activement à Paris avant de former un gouvernement.

Quatre jours à peine après sa nomination, le nouveau et jeune (39 ans) locataire de Matignon va à la rencontre des Français, pour qui il reste encore un inconnu. Il échangera notamment avec des salariés d'un centre de santé de Saône-et-Loire dont le but est d'améliorer l'accès aux soins.

Lui-même élu local de l'Eure, où il a été maire, président de département et sénateur, ce fils d'une secrétaire médicale et d'un technicien de l'aéronautique avait assuré dès le soir de sa nomination "mesurer les attentes" de ses concitoyens et "les difficultés" qu'ils rencontraient.

Celles-ci sont souvent "insupportables" pour accéder à un médecin ou à un professionnel de santé, parfois "source d'angoisse", souligne son entourage. Le Premier ministre entend dans ce contexte "témoigner de la reconnaissance de la Nation à l’égard des personnels soignants" et "réaffirmer la volonté du gouvernement de faciliter l’accès aux soins".

Il s'agit aussi pour Sébastien Lecornu de convaincre l'opinion, autant que les forces politiques, du bien-fondé de sa méthode: trouver des terrains d'entente, en particulier sur le budget, permettant de gouverner sans majorité.

Sébastien Lecornu est très proche d'Emmanuel Macron, avec qui il a encore longuement déjeuné vendredi à l'Elysée.

- Mouvements sociaux -

Sa nomination coïncide avec plusieurs mouvements sociaux. Le jour de sa prise de fonction, une mobilisation lancée sur les réseaux sociaux pour "bloquer" le pays a réuni 200.000 manifestants, et une autre journée de manifestations à l'appel des syndicats est prévue jeudi.

"Il y a une grande colère" chez les salariés, a rapporté Marylise Léon, la secrétaire générale de la CFDT, premier syndicat de France, à l'issue d'une entrevue vendredi avec le nouveau Premier ministre, qui lui a dit travailler sur une "contribution des plus hauts revenus" dans le budget 2026.

C'est sur le budget que ses deux prédécesseurs, François Bayrou et Michel Barnier, sont tombés. Et Sébastien Lecornu cherche en priorité une forme d'entente avec les socialistes.

Mais il lui faut dans le même temps réduire les déficits, alors que l'agence de notation Fitch a dégradé vendredi soir la note de la dette française.

Le centre et la droite de la coalition gouvernementale se disent prêts à taxer plus fortement les ultra-riches sans pour autant aller jusqu'à l'instauration de la taxe Zucman sur les plus hauts patrimoines, mesure phare brandie par les socialistes et dont LR ne veut pas.

Une telle mesure marquerait en tout cas une des "ruptures" au fond prônées par Sébastien Lecornu à son arrivée, puisqu'elle briserait le tabou des hausses d'impôts de la macronie.

- Méthode -

Sébastien Lecornu veut aussi des changements de méthode.

Il a d'abord réuni jeudi --pour la première fois depuis longtemps-- les dirigeants des partis du "socle commun", Renaissance, Horizons, MoDem et Les Républicains, afin qu'ils s'entendent sur quelques priorités communes.

Un format "présidents de parti" qui "permet de travailler en confiance, de façon plus directe, pour échanger sur les idées politiques, sur les arbitrages", salue un participant.

Avant les oppositions et à quelques jours d'une deuxième journée de manifestations, il a consulté les partenaires sociaux, recevant vendredi la CFDT et Medef, avant la CGT lundi.

En quête d'un compromis pour faire passer le budget, le chef de gouvernement pourrait repartir du plan de son prédécesseur François Bayrou délesté de ses mesures les plus controversées. A l'instar de la suppression de deux jours fériés.

L'hypothèse d'une remise sur les rails du conclave sur les retraites semble aussi abandonnée. Les partenaires sociaux refusent de toute façon de le rouvrir.

Des gestes sont attendus à l'égard des socialistes alors qu'à l'Elysée, on estime que le Rassemblement national, premier groupe à l'Assemblée nationale, se range désormais comme la France insoumise du côté du "dégagisme".

Cultivant une parole sobre voire rare, Sébastien Lecornu ne s'exprimera qu'à l'issue de ces consultations "devant les Français", avant la traditionnelle déclaration de politique générale, devant le Parlement.


Lecornu joue le contraste avec Bayrou sans dévoiler son jeu

Le nouveau Premier ministre français et ancien ministre des Armées Sébastien Lecornu (à droite) est accueilli par le Premier ministre sortant François Bayrou lors de la cérémonie de passation des pouvoirs à l'hôtel Matignon à Paris, le 10 septembre 2025. (AFP)
Le nouveau Premier ministre français et ancien ministre des Armées Sébastien Lecornu (à droite) est accueilli par le Premier ministre sortant François Bayrou lors de la cérémonie de passation des pouvoirs à l'hôtel Matignon à Paris, le 10 septembre 2025. (AFP)
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  • Le nouveau Premier ministre Sébastien Lecornu adopte un style sobre et minimaliste, contrastant avec François Bayrou, afin de gagner du temps et préparer en coulisses une majorité fragile
  • Chargé de former un gouvernement dans un climat parlementaire explosif, il consulte à tout-va, mais les lignes de fracture gauche-droite rendent difficile l’émergence d’un accord stable

PARIS: Le nouveau Premier ministre Sébastien Lecornu joue le contraste de styles avec François Bayrou, plaidant pour la "sobriété" face à un prédécesseur volontiers prolixe, ce qui lui permet de ne pas s'avancer sur le fond du compromis qu'il doit bâtir.

A son arrivée mercredi à Matignon, l'ex-ministre des Armées a posé d'emblée les bases de cette approche minimaliste.

"Je ne vais pas faire de grand discours, puisque cette instabilité et la crise politique et parlementaire que nous connaissons commandent à l'humilité, la sobriété", a-t-il dit dans un discours particulièrement bref, deux minutes à peine.

La passation de pouvoirs avait un petit parfum de vengeance devant François Bayrou, qui l'avait doublé à ce poste en décembre, en imposant sa nomination à Emmanuel Macron.

Le leader centriste de 74 ans ne s'est jamais montré tendre à l'égard de son cadet, pas encore quadragénaire, qu'il qualifie en privé de "courtisan" pour sa proximité discrète avec le chef de l'Etat.

Sa courte prise de parole rompt avec l'exercice du pouvoir de son prédécesseur, qui ne rechigne pas aux longues explications pédagogiques sur la dette ou la situation internationale, et apprécie de parler en direct avec les journalistes. Les dernières semaines de François Bayrou à Matignon ont été marquées par de nombreuses interventions dans les médias pour défendre le vote de confiance qui l'a au final fait tomber.

Le centriste dramatisait l'urgence à résorber la dette, un "piège mortel". Sébastien Lecornu assure qu'"il n'y a pas de chemin impossible".

- "Rassurer" -

Sans "nier les difficultés", il ne faut "pas jouer sur les peurs", "il faut rassurer les gens et leur donner un message d'espoir", explique son entourage, dans un contexte de rupture entre l'opinion et les politiques.

Sébastien Lecornu a pointé le "décalage" entre la vie politique et la vie "réelle" des Français, mais aussi entre la politique "intérieure" et la "géopolitique mondiale".

Homme de droite rallié au macronisme en 2017, il a incarné cette prudence et cette discrétion lors de son passage au ministère des Armées depuis 2022. Malgré la guerre qui sévit de nouveau en Europe avec le conflit ukrainien, il est resté très peu disert dans les médias, au point de demeurer un quasi inconnu pour le grand public.

Devra-t-il se faire violence dans ses nouvelles fonctions? "C'est vrai qu'il va devoir s'ouvrir plus", observe un de ses soutiens. Il ne s'exprime que lorsqu'il a "quelque chose à dire", ajoute-t-il.

Avant d'expliquer ses projets aux Français, le chef du gouvernement entend mener de larges concertations.

"Il va falloir changer" en étant "plus créatif, parfois plus technique, plus sérieux dans la manière de travailler avec nos oppositions", a-t-il aussi grincé devant François Bayrou.

Prônant "des ruptures" sur la forme comme sur le fond, il refuse de s'exprimer sur les objets ou les concessions qu'il pourrait faire afin d'aboutir à un compromis qui lui permettrait de former un gouvernement, conformément à la feuille de route d'Emmanuel Macron.

- "Sortir du bois" -

Sébastien Lecornu a réuni jeudi matin les dirigeants du "socle commun", partis du centre et de droite qui constituent sa coalition naturelle. Il s'est ensuite rendu à l'Assemblée nationale et au Sénat, pour y rencontrer les présidents des deux chambres, la macroniste Yaël Braun-Pivet et le LR Gérard Larcher.

Il a aussi été reçu dans les bureaux de Nicolas Sarkozy qui lui a "témoigné son soutien", d'après l'entourage de l'ex-chef de l'Etat.

Vendredi et lundi, il doit recevoir les partenaires sociaux (syndicats et patronat).

Le nouveau locataire de Matignon a notamment avancé l'idée devant ses interlocuteurs des Républicains "de se mettre d'accord, outre le budget, sur deux ou trois textes majeurs et forts" qui répondraient aux priorités des uns et des autres.

Ses soutiens louent ses qualités de "négociateur" comme sur la loi de programmation militaire, mais cette fois il va devoir "sortir du bois sur certains sujets". Travailler avec les socialistes "sans déplaire" à la droite, analyse un proche.

Ainsi Gérard Larcher s'est dit opposé à la mise en place d'une taxe sur les très hauts patrimoines, alors que pour la gauche c'est "la base de tout accord" de non censure, selon l'eurodéputé Raphaël Glucksmann.

Peu d'espoir également de trouver un terrain d'entente avec le RN qui entend lui demander de "rompre avec le macronisme". Ce sera "la rupture ou la censure", a prévenu Marine Le Pen jeudi soir sur TF1.

Rien à espérer non plus du côté de La France insoumise: "Nous avons proposé un programme et nous sommes élus pour l'appliquer, pas pour faire des combines et chercher des places", a tranché Jean-Luc Mélenchon sur France 2.