Pour la plupart des Américains, le terrorisme se définit par la physionomie de son auteur

Attentat à Nashville, USA (fournie)
Attentat à Nashville, USA (fournie)
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Publié le Samedi 02 janvier 2021

Pour la plupart des Américains, le terrorisme se définit par la physionomie de son auteur

Pour la plupart des Américains, le terrorisme se définit par la physionomie de son auteur
  • "Je peux affirmer que les autorités et les médias n'hésitent pas à qualifier de terroriste tout acte de violence commis aux États-Unis lorsque le suspect est arabe ou musulman"
  • "Pour bon nombre d'Américains, le terrorisme constitue une culture plutôt qu'une forme politique de violence"

Dans une importante région touristique de Nashville (dans le Tennessee), un véhicule de loisirs garé dans une rue a explosé le jour de Noël. Les policiers ont hésité à qualifier cette explosion d'acte de terrorisme.

La bombe massive était installée dans un camping-car utilisé pour les excursions en voiture. Elle a explosé aux premières heures du matin. L'explosion a fait trois blessés et 41 entreprises ont été atteintes, dont un bâtiment qui s'est complètement effondré.

La police a indiqué que le véhicule était stationné depuis plusieurs heures à l'endroit où l'explosion s'est produite. Peu de temps avant l'explosion, un message en anglais a averti les gens d'évacuer la région, accompagné de la chanson de Petula Clark Downtown datant de 1964.

En outre, la police cherche encore à déterminer le motif précis de l'attaque. Les indices recueillis sur les lieux de l'attentat comprennent l'ADN prélevé sur les restes d'une personne qui était à bord du véhicule. La police soupçonne que les restes sont ceux de l'homme qui a posé la bombe et que celui-ci voulait se tuer dans l'explosion.

 

Très vite, toutes sortes de théories de conspiration ont déferlé sur les médias sociaux. Ainsi, le poseur de bombe visait un immeuble de transmission AT&T tout proche, par exemple, incité notamment par les réseaux 5G qui serviraient à manipuler l'esprit des gens. On est allé jusqu'à dire que des preuves concernant le vol de bulletins de vote lors de l'élection présidentielle américaine étaient stockées dans la région.

Que serait donc cette attaque sinon un acte de terrorisme ? Et pourtant, le FBI et la police de Nashville ont refusé d'utiliser ce terme, expliquant qu'ils enquêtaient sur les motifs et qu'ils devaient d'abord établir un lien avec une « idéologie » avant de pouvoir affirmer la nature terroriste de l'acte.

En effet, je peux affirmer que les autorités et les médias n'hésitent pas à qualifier de terroriste tout acte de violence commis aux États-Unis lorsque le suspect est arabe ou musulman.

Pour bon nombre d'Américains, le terrorisme constitue une culture plutôt qu'une forme politique de violence qui vise à atteindre un objectif précis. Toutefois, je ne conçois pas, pour être honnête, qu'un acte de violence puisse viser un objectif non destructeur et non préjudiciable, sauf en cas de violence accidentelle.

Cette réticence à considérer l'attentat de Nashville comme un acte de terrorisme soulève d'importantes questions concernant la stéréotypie, le racisme et même la haine exercés par les Américains pour étiqueter ceux qu'ils n'aiment pas - et les Arabes et les musulmans n'ont jamais été populaires aux États-Unis.

Je le sais d'expérience. En effet, j'ai honorablement servi dans l'armée américaine pendant la guerre du Vietnam au début des années 70, et j'ai passé douze autres années dans la Garde nationale aérienne. J'ai ainsi rejoint des milliers d'autres Américains d'origine arabe qui ont servi ce pays avec un grand sens du patriotisme.

Mais cela n'était pas suffisant aux yeux du FBI et des autorités à l'époque. Pendant deux ans, le FBI a enquêté sur moi en raison d'une lettre que j'ai écrite en faveur des droits du peuple palestinien et qui a été publiée dans deux magazines de renom, Time et Newsweek.

J'ai fait l’objet d’une enquête simplement parce que je suis Arabe - et puisque la plupart des Américains ne comprennent pas la différence entre les musulmans arabes et les chrétiens arabes, ils soupçonnaient que j'étais un « terroriste musulman ».

Cette réticence à considérer l'attentat de Nashville comme un acte de terrorisme soulève d'importantes questions concernant la stéréotypie, le racisme et même la haine exercés par les Américains pour étiqueter ceux qu'ils n'aiment pas - et les Arabes et les musulmans n'ont jamais été populaires aux États-Unis.

Ray Hanania

En effet, ma première réaction en tant qu'Arabe palestinien chrétien, quand un acte de violence est commis, est de me préoccuper et d'espérer que son auteur n'est pas un Arabe. Cela éviterait la réaction brutale et immédiate qui en découlera forcément.

Il est évident pour moi - comme pour la majorité des Arabes et des musulmans, j'en suis sûr - que si le suspect de Nashville avait été identifié comme étant arabe ou musulman, l'armée américaine serait déjà en état d'alerte pour contrer une éventuelle nouvelle attaque.

Les discussions porteraient sur la « menace » arabe et musulmane plutôt que sur des théories de conspiration sur la fraude électorale ou l'effet de technologies sur nos esprits, telles que la 5G. Les articles des médias regorgeraient de craintes au sujet de la violence des Arabes et des musulmans, et l'attentat de Nashville serait vite éclipsé pour céder la place à des attaques contre des innocents qui ont un « look arabe » ou un « look musulman ».

Dans le sillage des attentats terroristes du 11 septembre 2001, des dizaines d'Arabes et de musulmans aux États-Unis, ainsi qu'un grand nombre de leurs entreprises, ont été victimes d'attaques de vengeance. Plusieurs personnes ont péri simplement parce qu'elles avaient un  « look » arabe ou musulman. Néanmoins, on compte parmi les morts plusieurs personnes non Arabes, dont des Pakistanais et des sikhs. Ceux-ci ne figurent pas sur la liste des victimes de l’attentat du 11 septembre, pourtant ils en sont bien des victimes.

Le refus d'admettre que leurs souffrances sont liées aux attentats s'explique par une logique simple : comment des personnes qui sont perçues, même à tort, comme étant des « terroristes » peuvent-elles être également victimes du terrorisme ?

De telles logiques continuent à prévaloir dans la société américaine vis-à-vis des violences perpétrées par les autorités israéliennes à l'encontre des citoyens arabes ou musulmans. En effet, les soldats israéliens arrêtent, battent ou tuent des Palestiniens tous les jours. Ainsi, le 21 décembre, ils ont tué à coups de feu le jeune Palestinien de 17 ans Mahmoud Omar Kameel, dans la ville occupée de Jérusalem. La presse israélienne a prétendu qu'il avait ouvert le feu sur les soldats.

Peu de médias importants ont évoqué ce meurtre, qui a été principalement couvert dans quelques blogs « pro-arabes ». Par conséquent, les allégations israéliennes selon lesquelles Kameel était armé ont été reconnues comme vraies. Il a donc été qualifié de « terroriste » par les Israéliens. Et pourquoi pas ? Il était arabe et musulman, après tout.

Cette étiquette de « terroriste » définit la perception qu'a le public des actes de violence et détermine le niveau de colère qui y répond - tout en alimentant la vengeance. Elle détermine le niveau de réaction.

En Amérique, on ne détruira pas la maison de la famille du suspect de l'attentat de Nashville, identifié comme étant Anthony Quinn Warner. Mais les Israéliens, eux, détruiront certainement la maison de la famille de Mahmoud Omar Kameel, cet Arabe musulman. On n’entendra pas parler de ces représailles avant des semaines, voire des mois, dans la mesure où elles ne sont que rarement rapportées.

Nous, Arabes et Musulmans, pouvons être inquiets. Nous devons nous inquiéter de voir que l'Occident nous considère comme coupables jusqu'à preuve du contraire lorsque nous sommes accusés de crimes. Nous devons nous inquiéter des normes différentes qui sont appliquées à notre égard dans le cas d'actes terroristes violents : Les Arabes et les musulmans sont immédiatement jugés coupables. Même si le suspect n'est pas immédiatement identifié, on soupçonne souvent l'implication d'Arabes ou de Musulmans dans des actes de terrorisme de manière délibérée et prononcée.

Il est plus facile de marginaliser les préoccupations, les droits et l'humanité des personnes appartenant à un groupe lorsque celui-ci est automatiquement perçu comme « coupable » de terrorisme.

Voilà pourquoi les Occidentaux peuvent si facilement condamner et tuer des Arabes et des musulmans en réponse à des actes de violence. Cependant, ils délibèrent longuement sur les mêmes actes de violence quand ils sont commis par des non-Arabes et des non-Musulmans.

Ray Hanania est un éditorialiste et ancien journaliste politique primé auprès de l’hôtel de ville de Chicago. Il peut être joint sur son site Web personnel à l'adresse www.Hanania.com. Twitter :@RayHanania

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Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com