Israël a saboté sa propre réputation

Les partisans de la campagne qui soutiennent le vote «non engagé» organisent un rassemblement dans le Michigan en soutien aux Palestiniens de Gaza (Photo, Reuters).
Les partisans de la campagne qui soutiennent le vote «non engagé» organisent un rassemblement dans le Michigan en soutien aux Palestiniens de Gaza (Photo, Reuters).
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Publié le Mercredi 28 février 2024

Israël a saboté sa propre réputation

Israël a saboté sa propre réputation
  • Cet effondrement total de la réputation internationale d’Israël a exposé sérieusement ses plus grands défenseurs internationaux – en particulier les États-Unis
  • Les communautés arabes américaines exercent une très grande influence, notamment dans le Michigan, où la colère antiguerre risque de faire basculer l’élection présidentielle contre Joe Biden

Les dernières audiences à la Cour internationale de justice (CIJ) portent un coup fatal à la réputation internationale d’Israël. Plus de 50 pays soumettent des preuves qui remettent en question la légalité de «l’occupation, de la colonisation et de l’annexion» des territoires palestiniens par Israël. Cela se déroule parallèlement à des audiences, au sein du même tribunal, pour déterminer si les actions d’Israël à Gaza constituent un génocide.

Le représentant de l’Afrique du Sud a dénoncé la politique «fondamentalement illégale» d’Israël, la qualifiant de «forme extrême d’apartheid». L’Arabie saoudite a critiqué la «déshumanisation» des Palestiniens par Israël, qui les considère comme des «objets sans importance». L’Égypte a déclaré: «Israël ne peut pas invoquer la légitime défense pour maintenir une situation créée par sa propre conduite illégale.» Le Belize a condamné «l’apartheid raciste» d’Israël et «le recours excessif à la force, aux assassinats arbitraires et à l’incarcération massive». Sans surprise, Israël a refusé de participer, mais il aurait cherché à amadouer les îles Fidji pour qu’elles parlent en son nom – une décision vivement dénoncée par les citoyens fidjiens. Le président brésilien a accusé Israël de génocide et a comparé son offensive à Gaza à l’Holocauste nazi.

Nous sommes témoins de la situation en Israël et de la diminution du nombre de ses partisans qui s’alignent contre la quasi-totalité du monde civilisé. Les dirigeants israéliens se sont orgueilleusement attiré cette réaction mondiale en lançant une campagne militaire effrontément disproportionnée à Gaza, au cours de laquelle les deux tiers des 30 000 morts officiels sont des femmes et des enfants, sans compter les centaines de milliers d’autres mutilés, orphelins ou individus ayant subi d’autres pertes terribles. Toute une population déplacée est au bord de la famine.

Cet effondrement total de la réputation internationale d’Israël a donc exposé sérieusement ses plus grands défenseurs internationaux – en particulier les États-Unis. Parmi d’autres groupes démographiques jeunes et cosmopolites antiguerre, les communautés arabes américaines exercent une influence comme jamais auparavant, notamment dans le Michigan, où la colère antiguerre risque de faire basculer l’élection présidentielle contre Joe Biden.

Cela a donné naissance à un mélange de politiques incohérentes. Bien que l’administration Biden ait affirmé la semaine dernière que la construction de colonies était illégale, elle a complètement sapé ce revirement de situation en exhortant simultanément le tribunal à s’opposer à un mandat légal pour mettre fin à l’occupation, affirmant que le contrôle de la Cisjordanie était justifié par les «besoins réels en matière de sécurité» d’Israël. La Grande-Bretagne a eu recours à la logique tortueuse qui consiste à reconnaître que l’occupation était «illégale» tout en affirmant qu’il s’agissait d’un différend bilatéral et donc hors de la compétence de la Cour.

De telles envolées lyriques ne parviendront guère à apaiser l’opinion publique mondiale, horrifiée par le fait que la campagne génocidaire d’Israël continue d’être alimentée par les armes, le financement et la couverture diplomatique américains. Un militant palestino-américain a accusé Biden d’avoir financé le génocide et a affirmé que sa politique était «comme répondre à une alarme d’incendie avec une tasse d’eau tout en donnant de l’essence à l’incendiaire». L’envoyé chinois au Conseil de sécurité de l’ONU, habituellement discret, a qualifié le veto américain au cessez-le-feu de «feu vert à la poursuite du massacre».

Alors que les pays européens sont assiégés par des pressions similaires, un réseau croissant d’États a cherché à orienter l’Union européenne (UE) dans une direction nettement moins pro-israélienne. Les Premiers ministres espagnol et belge ont dénoncé conjointement les «meurtres aveugles de civils innocents». L’Irlande cherche à parvenir à un consensus en faveur de la reconnaissance d’un État palestinien. Même les gouvernements qui, par réflexe, sont pro-israéliens, comme en Allemagne et en Grande-Bretagne, ont été contraints de repenser leurs propos et leurs actions afin de ne pas perdre complètement le lien avec des millions de citoyens indignés par le carnage. Les bastions conservateurs pro-israéliens des médias occidentaux n’ont pas hésité à faire part à leur public des événements tragiques à Gaza.

Les experts de l’ONU affirment avoir vu d’“allégations crédibles” selon lesquelles des femmes et de jeunes filles palestiniennes auraient été victimes d’agressions sexuelles et de viols lors de leur détention par Israël.

Baria Alamuddin

The Wall Street Journal met en lumière les conclusions des services de renseignement américains selon lesquelles «les préjugés israéliens servent à dénaturer une grande partie de leurs évaluations sur l’Unrwa, ce qui a entraîné des distorsions». Cela soulève des questions sur les États qui se sont empressés de réduire l’aide vitale à l’Office de secours et de travaux des nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, malgré l’incapacité d’Israël à produire des preuves à l’appui de ses allégations contre un petit nombre de membres du personnel.

Rien n’indique plus clairement l’isolement international croissant d’Israël que les attaques contre-productives contre les institutions de l’ONU et son secrétaire général, Antonio Guterres, qui a lui-même averti que le «rejet clair et répété d’Israël de la solution à deux États» était inacceptable et prolongerait le conflit à Gaza.

Depuis le premier jour de ce conflit, le régime de Benjamin Netanyahou a saisi toutes les occasions possibles pour couper toute aide humanitaire. La semaine dernière, le bureau humanitaire de l’ONU a décrit Gaza comme «un nid pour les épidémies et un désastre en termes de santé publique» en raison de l’effondrement de son système de santé. L’hôpital Nasser de Khan Younès étant hors service, tous les principaux hôpitaux de Gaza le sont désormais aussi, nombre d’entre eux ayant fait l’objet de bombardements et d’invasion.

Il est juste d’enquêter sur les allégations de viol qui découlent des atrocités commises par le Hamas le 7 octobre. Cependant, les experts de l’ONU affirment avoir vu des «allégations crédibles» selon lesquelles des femmes et de jeunes filles palestiniennes auraient été victimes d’agressions sexuelles et de viols lors de leur détention par Israël. Le rapporteur spécial de l’ONU a constaté que «la violence et la déshumanisation des femmes, des enfants et des civils palestiniens sont devenues normales». Un panel des droits de l’homme de l’ONU a souligné «l’exécution extrajudiciaire de femmes et d’enfants palestiniens dans les endroits où ils cherchaient refuge, ou pendant qu’ils tentaient de s’enfuir. Ils agitaient des morceaux de tissu blanc lorsqu’ils ont été tués».

Le conflit a entraîné un déferlement de fausses nouvelles des deux côtés. Au moment où Israël voit l’opinion mondiale se retourner inlassablement contre lui, il recourt de plus en plus à la transmission d’informations démenties. Cela va des allégations incessantes selon lesquelles les Palestiniens blessés et morts sont des «acteurs de crise» jusqu’aux déclarations mensongères du président israélien à un journal allemand selon lesquelles un binational allemand avait été décapité le 7 octobre. Les deux parties ont exploité d’anciennes images du conflit syrien pour étayer leurs récits de manière hypocrite.

Dans l’ensemble du monde démocratique, Israël devrait, à juste titre, craindre ce qu’il adviendra de sa position internationale, en voie de désintégration, alors que les partis politiques du monde entier luttent pour se réaligner sur l’opinion publique afin d’éviter de perdre les élections. De même, le Hamas – déjà largement qualifié d’organisation terroriste – devrait réfléchir aux répercussions de ses propres atrocités contre les civils sur la réputation de la cause palestinienne dans son ensemble et envisager des mesures concrètes comme la libération des otages.

L’État hébreu, vindicatif, n’a pas encore ressenti toutes les conséquences de ses actions sur sa légitimité mondiale et sa propre sécurité régionale. Israël n’est pas l’exception qu’il croit être: la coexistence pacifique avec ses voisins ne peut se faire qu’en respectant les règles, en traitant tous ses citoyens sur un pied d’égalité et en recherchant consciencieusement un règlement juste pour un État palestinien.

Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice qui a reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d’État.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com