PARIS: Face à la fuite en avant d'Israël à Gaza, l'élan suscité par la France en faveur d'une reconnaissance d'un Etat palestinien est un succès diplomatique, mais des défis majeurs demeurent pour l'imposer concrètement.
Le président français Emmanuel Macron a choisi une chaîne israélienne pour tenter de convaincre que cette reconnaissance, qui sera officialisée lundi à New York à l'assemblée générale des Nations unies, fait partie d'un vaste plan de paix qui doit à la fois mettre fin au désastre humanitaire à Gaza et assurer la sécurité d'Israël en isolant le groupe islamiste Hamas, auteur des attaques du 7 octobre 2023.
Pour les diplomates français, la dimension politique de la reconnaissance a pour l'heure "éclipsé" d'autres éléments de la feuille de route portée par la France et l'Arabie saoudite à l'ONU et endossée par une centaine de pays et d'organisations internationales, dont la Ligue arabe, mais pas par les Etats-Unis.
Outre la reconnaissance - point sur lequel la France doit être suivie par le Royaume-Uni -, ce projet comprend en effet la libération des otages encore aux mains du Hamas et la démilitarisation du groupe islamiste, deux conditions posées par le gouvernement israélien lui-même pour arrêter le conflit.
Mais le moyen d'y parvenir reste flou.
L'ambassadeur des Etats-Unis en France Charles Kushner a ainsi ouvertement questionné l'initiative française jeudi. "Ouvrez un navigateur et recherchez des images d''armes du Hamas'. La France accordera-t-elle d'abord la reconnaissance, puis attendra-t-elle le désarmement du Hamas?", a-t-il lancé sur X.
Sanctions?
Reconnaître un Etat palestinien "est la meilleure manière d'isoler le Hamas", a défendu jeudi Emmanuel Macron sur la chaîne israélienne 12, disant vouloir "travailler" avec le Premier ministre israélien Benjanmin Netanyahu.
Cette initiative n'est pas un simple événement, c'est "un processus de maturation progressive associant les pays occidentaux et les pays arabes au sein de groupes de travail qui vont faire converger les visions des uns et des autres pour nourrir cette déclaration", a expliqué son ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot à des journalistes.
"Qu'Emmanuel Macron entraîne d'autres pays dans son sillage, c'est formidable. Mais si cette déclaration n'est pas accompagnée de sanctions immédiates à l'égard d'Israël, pour avoir un impact sur le terrain, c'est +Kalam fadi+, +des mots pour rien+ comme on dit en arabe", estime Agnès Levallois, maîtresse de conférence à la Fondation pour la recherche stratégique à Paris.
Il n'y a plus de temps à perdre alors que "le carnage continue à Gaza", souligne cette spécialiste du Moyen-Orient, en référence aux dizaines de milliers de morts et la catastrophe humanitaire dans le petit territoire en proie à la famine, selon l'ONU.
Pour la représentante de la Palestine en France, Hala Abou Hassira, la conférence de lundi est "un moment important qui porte l'espoir" de concrétiser la solution à deux Etats.
Mais elle prône aussi "des sanctions concrètes, telles qu'un embargo sur les armes à Israël, une rupture des relations avec Israël qui inclut l'arrêt total de l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël".
Jusqu'à présent, les propositions de sanctions européennes, ciblant notamment les importations agricoles israéliennes, se sont heurtées à la réticence de certains Etats membres comme la Hongrie.
L'atout saoudien
"Si on regarde l'ensemble, la reconnaissance est la seule chose qu'on puisse faire", estime Gérard Araud, ancien ambassadeur de France en Israël et aux Etats-Unis. Il prédit néanmoins un échec de l'initiative car le Premier ministre israélien, pour l'heure soutenu par le président américain Donald Trump, ne veut pas d'un État palestinien.
La feuille de route franco-saoudienne prévoit en outre que le futur Etat palestinien soit gouverné par une Autorité Palestinienne modernisée et réformée.
Pour David Khalfa, cofondateur du centre de recherches Atlantic Middle East Forum, si l'initiative est "pleine de bonnes intentions", "elle se heurte à un double obstacle: la réalité d'un système politique palestinien verrouillé de l'intérieur par la corruption et la concentration des pouvoirs entre les mains d'un dirigeant affaibli qui refuse de céder la place, mais aussi le rejet israélien massif, partagé par la coalition au pouvoir comme par l'opposition".
A court terme, rien ne va bouger sur le terrain, concède Bertrand Besancenot, ancien ambassadeur de France au Qatar et en Arabie saoudite.
Mais il reste convaincu que le choix de la France "de travailler main dans la main avec l'Arabie saoudite" va payer à long terme.
Car c'est "aujourd'hui le seul pays qui peut inciter le président Trump à exercer les pressions nécessaires sur Netanyahu pour que soit prise en compte la revendication légitime du peuple palestinien", dit-il.