PARIS: Presque plébiscité par le Conseil exécutif de l’UNESCO, Khaled El Enany est la première personnalité arabe à prendre la tête de l’organisation, succédant à l’actuelle directrice générale, la Française Audrey Azoulay.
Cet ancien ministre égyptien du Tourisme devient, à 54 ans, le premier Arabe appelé à diriger l’organisation internationale basée à Paris.
Soutenu par la Ligue arabe, l’Union africaine, la France et plusieurs autres pays, cet ancien ministre du Tourisme a obtenu une majorité écrasante de 55 voix contre seulement 2 pour son concurrent congolais Firmin Matoko.
Son élection doit encore être formellement entérinée lors de la Conférence générale prévue le 6 novembre à Samarcande (Ouzbékistan). Il prendra ses fonctions le 14 novembre pour un mandat de quatre ans.
El Enany, parfait francophone, est professeur d’égyptologie à l’Université de Hélouan, où il enseigne depuis plus de trente ans.
Vice-doyen de la faculté du Tourisme et de l’Hôtellerie, directeur du Centre d’apprentissage ouvert et chef du département des guides touristiques, il est également titulaire d’un doctorat en égyptologie de l’Université Paul-Valéry de Montpellier, où il a été professeur invité à plusieurs reprises.
Homme de terrain autant qu’universitaire, El Enany a dirigé le Musée national de la civilisation égyptienne ainsi que le célèbre musée du Caire. Son engagement pour la préservation du patrimoine l’a conduit à occuper les fonctions de ministre des Antiquités, puis de ministre du Tourisme et des Antiquités entre 2016 et 2022.
En novembre 2024, il a été nommé ambassadeur spécial pour le tourisme culturel par l’Organisation mondiale du tourisme, avant d’être désigné parrain du Fonds africain pour le patrimoine mondial.
Sa nomination à la tête de l’UNESCO a été saluée par le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi comme « une réussite historique pour l’Égypte ».
Devant le Conseil exécutif, El Enany a promis de travailler « main dans la main avec tous les États membres pour bâtir ensemble une feuille de route afin de moderniser l’UNESCO et la projeter vers l’avenir ».
Dès 2023, sa campagne s’était distinguée par une promesse de renouvellement, dans le but d’apporter un « regard nouveau » et une expertise issue de décennies passées « sur le terrain », pour donner « plus de visibilité et plus d’impact » à l’organisation.
Son passage au ministère du Tourisme a été largement salué : dans une période marquée par les attentats meurtriers de 2017 et 2018 revendiqués par l’État islamique, puis par la pandémie de Covid-19 en 2020, il a su maintenir à flot un secteur vital pour l’économie égyptienne.
Ce sens de la gestion en temps de crise pourrait s’avérer précieux à l’heure où l’UNESCO traverse elle-même une période de fortes turbulences. El Enany hérite en effet d’une institution où s’accumulent de nombreux problèmes.
L’UNESCO est accusée d’être devenue une arène politique. Après le départ d’Israël en 2017, l’organisation a enregistré cette année celui du Nicaragua, en mai dernier, à la suite de l’attribution d’un prix à un journal d’opposition, et surtout celui des États-Unis.
En juillet, l’administration américaine a officialisé son retrait, accusant l’organisation de « parti pris anti-israélien », de promouvoir « des causes sociales et culturelles clivantes » et de suivre une « feuille de route idéologique et mondialiste » en contradiction avec la politique America First.
Ce retrait a des conséquences majeures : Washington assurait environ 8 % du budget total de l’UNESCO, et sa sortie prive donc l’organisation d’une part importante de ses ressources financières.
Comme Audrey Azoulay, qui avait réussi en 2023 à convaincre Washington de réintégrer temporairement l’organisation, El Enany devra tenter de ramener les États-Unis dans le giron multilatéral.
Il devra aussi composer avec la frilosité croissante de certains États européens, davantage concentrés sur leurs dépenses militaires et de défense dans un contexte international tendu.
Pour pallier ces difficultés, le futur directeur général entend développer les financements volontaires et diversifier les sources de revenus. Il mise notamment sur les échanges de dette entre gouvernements et sur un recours accru au secteur privé, à travers les fondations, les mécènes et les entreprises.
« Ces contributions représentaient 8 % du budget en 2024. Il y a de la marge pour les augmenter », expliquait-il durant sa campagne.
Son ambition est de démontrer que l’UNESCO a « un impact tangible sur la vie des gens », au-delà du seul patrimoine culturel. Il cite notamment l’éducation dans les zones d’urgence, la liberté de la presse et la place des femmes dans les sciences.
Au-delà des questions budgétaires, le nouveau directeur général devra faire preuve d’une grande habileté diplomatique, car l’organisation traverse aussi une phase de remise en question du multilatéralisme.
Égyptologue respecté, francophone et fin connaisseur des rouages des institutions culturelles et diplomatiques, Khaled El Enany coche de nombreuses cases. Cependant, il lui faudra conjuguer rigueur académique et sens politique pour faire de l’UNESCO une organisation plus lisible, plus efficace et à nouveau universelle.
Sur le plan personnel, ceux qui l’ont côtoyé décrivent un homme d’« une grande courtoisie, d’une vaste culture », qui se distingue « par l’humilité des gens cultivés, tout en étant accessible et chaleureux ».