Les relations entre l'Égypte et l'Iran connaissent une transformation notable après des décennies de tension et d'éloignement. Les pressions régionales et internationales poussent les deux pays à réévaluer leurs priorités politiques et stratégiques. Les visites répétées du ministre iranien des affaires étrangères, Abbas Araghchi, au Caire - la dernière en début de semaine - signalent l'émergence d'une nouvelle phase dans les relations, allant au-delà du gel diplomatique de longue date et vers un remodelage potentiel de la dynamique d'influence dans la région.
Depuis la rupture des liens diplomatiques en 1979 à la suite du traité de paix entre l'Égypte et Israël, Le Caire et Téhéran se sont retrouvés dans des camps opposés sur la plupart des questions régionales. Mais ces dernières années, des changements majeurs se sont produits. L'accord négocié par la Chine entre l'Iran et l'Arabie saoudite, la normalisation des liens entre l'Iran et les Émirats arabes unis et l'ouverture accrue de la Turquie à l'égard de Téhéran ont atténué la résistance traditionnelle de la région à s'engager avec l'Iran. Par conséquent, l'une des principales contraintes pesant sur la politique iranienne de l'Égypte s'est largement dissipée.
L'Égypte est confrontée à des défis intérieurs et extérieurs qui se chevauchent : une crise économique qui s'aggrave, des menaces croissantes pour la sécurité dans la mer Rouge et un rôle régional décroissant dans des conflits clés comme le Yémen, la Syrie et la Palestine. L'Iran, quant à lui, subit d'intenses pressions occidentales concernant son programme nucléaire, tandis que son influence en Syrie et au Liban s'érode lentement. Il cherche activement de nouvelles voies pour se repositionner dans l'ordre régional. Ces dynamiques convergentes ont rendu le rapprochement non seulement possible, mais nécessaire - un ajustement stratégique plus qu'un changement idéologique.
Un engagement direct avec Téhéran pourrait être la clé de la stabilisation de l'une des artères économiques les plus vitales de l'Égypte.
Abdellatif El-Menawy
Lors de sa dernière visite au Caire, M. Araghchi a rencontré le président Abdel Fattah El-Sisi et le ministre des affaires étrangères Badr Abdelatty, ainsi que le directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique lors d'une réunion tripartite. Cette visite a clairement dépassé le cadre de la diplomatie symbolique en abordant des sujets sensibles tels que la sécurité régionale, les négociations nucléaires et l'avenir de la bande de Gaza.
La dimension culturelle de la visite était tout aussi importante. M. Araghchi a visité le quartier historique de Khan El-Khalili, au Caire, ainsi que la mosquée Imam Hussein, qu'il avait déjà fréquentée lors de voyages précédents. Ces gestes reflètent le désir plus large de l'Iran de jeter des ponts non seulement diplomatiques, mais aussi religieux et culturels avec l'Égypte, en recadrant la relation non pas comme une relation entre deux États rivaux, mais comme une relation entre deux civilisations centrales dans le monde islamique.
La sécurité est au premier plan des motivations de ce rapprochement. L'Égypte a subi des pertes financières en raison des attaques des Houthis contre le transport maritime international dans la mer Rouge, ce qui a entraîné une forte baisse des recettes du canal de Suez. Compte tenu de l'influence de l'Iran sur les Houthis, un engagement direct avec Téhéran pourrait être la clé de la stabilisation de l'une des artères économiques les plus vitales de l'Égypte.
Les préoccupations économiques jouent également un rôle central. Sous le coup des sanctions occidentales, l'Iran est à la recherche de nouveaux partenaires commerciaux. L'Égypte, en proie à ses propres difficultés économiques, pourrait bénéficier de l'énergie iranienne (transférée via l'Irak) et d'un commerce élargi, à condition que les restrictions imposées à l'Iran soient assouplies.
D'un point de vue stratégique, l'Égypte cherche à réaffirmer son rôle de médiateur régional, notamment en raison de son influence réduite dans les dossiers syrien et yéménite. S'engager avec l'Iran offre l'occasion de réaffirmer l'indépendance de la politique étrangère du Caire et de rétablir une présence stratégique dans l'ordre régional en évolution. Le conflit de Gaza accroît encore la nécessité d'un alignement entre les puissances régionales. L'Iran entretient des liens avec les principales factions palestiniennes, tandis que l'Égypte joue le rôle principal dans la médiation. La coordination entre les deux devient de plus en plus vitale.
Ce rapprochement n'est pas une évolution soudaine, mais une réponse calculée à un paysage géopolitique en mutation.
Abdellatif El-Menawy
Malgré cet élan, l'Égypte reste prudente. Le rétablissement de relations diplomatiques complètes n'a pas été annoncé et les deux pays continuent d'opérer par le biais de sections d'intérêts. Le Caire adopte une approche progressive. Cette prudence découle de multiples considérations. Les relations étroites de l'Égypte avec les États-Unis, Israël et le Golfe exigent un équilibre délicat. Un rapprochement trop rapide avec l'Iran pourrait compromettre ces alliances stratégiques. L'opinion publique arabe reste méfiante à l'égard des actions de l'Iran en Syrie, au Liban et au Yémen. L'Égypte s'inquiète également de la possibilité pour l'Iran d'exporter son idéologie par l'intermédiaire d'acteurs non étatiques, en particulier dans les États arabes fragiles.
Pour l'avenir, les perspectives sont positives mais conditionnelles. Les deux parties ont exprimé leur intérêt pour le lancement d'un dialogue politique structuré et le développement de la coopération dans des domaines tels que le commerce, l'énergie et le tourisme. Si les négociations nucléaires aboutissent à la levée des sanctions contre l'Iran, l'Égypte pourrait bénéficier du pétrole iranien via l'Irak et renforcer le rôle du canal de Suez en tant que principale voie d'exportation de l'énergie. L'Iran, pour sa part, estime qu'il est utile de cultiver un partenaire non aligné comme l'Égypte, capable d'équilibrer les relations de Téhéran avec le Golfe, la Turquie et Israël.
Ce rapprochement n'est pas une évolution soudaine, mais une réponse calculée à un paysage géopolitique en mutation. L'Iran ne peut plus se permettre d'ignorer l'Égypte dans ses calculs régionaux et l'Égypte ne peut pas reconstruire son poids régional sans impliquer tous les acteurs concernés, y compris Téhéran. Alors que les alliances traditionnelles vacillent et que de nouvelles structures de pouvoir émergent, Le Caire et Téhéran semblent se préparer prudemment à ouvrir un nouveau chapitre. Leurs relations seront façonnées par le pragmatisme et guidées par l'intérêt mutuel. Si aucune perturbation majeure ne survient, ce partenariat en évolution pourrait remodeler l'équilibre politique du Moyen-Orient pour les années à venir.
Abdellatif El-Menawy a couvert les conflits dans le monde entier.
X : @ALMenawy
NDLR: Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section leur sont propres et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.