Rafah : l’Égypte s’oppose au projet israélien de « sortie à sens unique »

Des personnes se tiennent devant le côté palestinien du poste-frontière de Rafah. (AFP)
Des personnes se tiennent devant le côté palestinien du poste-frontière de Rafah. (AFP)
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Publié le Samedi 06 décembre 2025

Rafah : l’Égypte s’oppose au projet israélien de « sortie à sens unique »

Rafah : l’Égypte s’oppose au projet israélien de « sortie à sens unique »
  • Le Caire considère l’ouverture unilatérale de Rafah comme une tentative de déplacement déguisé, contraire au droit international et au cessez-le-feu
  • Pour l’Égypte, Rafah doit rester un passage humanitaire à double sens, non un mécanisme de dépeuplement de Gaza

Depuis que le Coordinateur israélien des activités gouvernementales dans les territoires a annoncé que le passage de Rafah serait ouvert « dans les prochains jours exclusivement pour la sortie des habitants de Gaza vers l’Égypte », une confrontation politique et juridique s’est déclenchée entre Le Caire et Tel-Aviv. Le différend dépasse largement une simple question technique sur le fonctionnement d’un poste-frontière ; il est devenu une bataille autour du sens même de l’accord international de cessez-le-feu — et autour de l’essence même de la question palestinienne. L’objectif est-il d’alléger les souffrances de la population de Gaza, ou de vider Gaza de ses habitants ?

Deux récits profondément contradictoires encadrent le débat autour de Rafah.

Le récit israélien est direct et assumé : une ouverture unilatérale, à sens unique, permettant aux Gazaouis de partir vers l’Égypte sous prétexte de leur offrir « une chance de partir ». Des responsables israéliens ont même déclaré : « Si les Égyptiens ne veulent pas les recevoir, c’est leur problème. »

Dans cette logique, Israël tente de transférer le fardeau moral et politique sur Le Caire : soit vous ouvrez votre territoire pour que les Palestiniens partent, soit vous êtes accusés d’entraver leur “fuite”.

La position de l’Égypte, au contraire, est sans équivoque : pas de déplacement depuis Gaza, ni massif ni déguisé, et pas d’ouverture du passage sauf dans les deux sens, entrée et sortie, comme stipulé dans le plan du président Donald Trump et dans la résolution de cessez-le-feu du Conseil de sécurité de l’ONU.

Deux récits contradictoires encadrent le débat. 

                                            Dr. Abdellatif El-Menawy

Les responsables égyptiens ont fermement démenti toute coordination visant à ouvrir Rafah uniquement pour les sorties, soulignant que tout futur arrangement « doit permettre la circulation dans les deux directions ». L’Égypte, disent-ils, continuera à accueillir les blessés, les malades et les cas humanitaires, et permettra aux personnes déjà en Égypte de retourner à Gaza, mais elle ne servira pas de porte ouverte à un transfert de population.

L’interprétation égyptienne et palestinienne de la proposition israélienne est claire : une ouverture à sens unique n’est pas une mesure humanitaire mais un « piège du déplacement ».

Des responsables palestiniens ont décrit l’idée comme une tentative de pousser les Palestiniens à partir de force et d’empêcher leur retour, affirmant que « l’Autorité palestinienne et l’Égypte ne permettront pas qu’un tel plan passe ».

Dans ce sens, la notion de « sortie » cesse d’être un droit humanitaire protégé et devient la première étape d’un parcours de « départ sans retour », une version réinventée de la Nakba, facilitée par une pression humanitaire insoutenable et un unique « passage sûr » vers le Sinaï. C’est un déplacement masqué sous le couvert de la compassion.

Ainsi, Palestiniens et Égyptiens s’en tiennent à une équation différente : corridors humanitaires, oui ; élimination démographique, non.

Ouvrir Rafah pour accueillir les blessés, livrer l’aide et permettre des départs temporaires est légitime et nécessaire. Mais le transformer en conduit démographique à sens unique constitue une ligne rouge égyptienne, palestinienne et arabe.

Une ironie frappante est que l’Égypte fonde sa position sur les mêmes documents que cite Israël. Le plan Trump, qui constitue le cadre du cessez-le-feu actuel, interdit clairement de forcer les Palestiniens à quitter leur terre, y compris la population de Gaza. Il stipule également que Rafah doit fonctionner dans les deux sens sous des arrangements convenus, et non par décision unilatérale d’Israël.

Les responsables égyptiens ont publiquement rappelé à Israël que l’article 12 du plan n’autorise pas l’ouverture du passage d’un seul côté. Toute tentative d’imposer une « sortie sans retour » violerait donc à la fois la lettre et l’esprit de l’accord.

Le Caire utilise donc le plan Trump comme un bouclier juridique et politique contre les manœuvres israéliennes. Si Israël accorde de la valeur à l’accord, il doit le respecter intégralement, et non sélectivement.

Lorsque qu’un responsable israélien affirme : « Si l’Égypte refuse de recevoir les habitants de Gaza, c’est son problème », ce n’est pas une remarque anodine. C’est une tentative délibérée de remodeler le récit : Israël apparaît comme la partie qui « ouvre la porte », tandis que l’Égypte apparaît comme celle qui « bloque le salut ».

L’Égypte, cependant, voit une réalité très différente. Elle estime que Tel-Aviv fuit ses obligations : ouvrir ses propres passages, admettre l’aide humanitaire et faciliter la restauration progressive de la vie à Gaza.

Israël transfère le fardeau sur Le Caire, espérant faire de la frontière Égypte–Gaza le centre de la crise, au lieu de l’occupation israélienne et de ses politiques. Il diffuse également le discours selon lequel « Gaza est inhabitable » et que la « solution naturelle » serait que les Palestiniens partent, plutôt que de mettre fin à l’occupation et reconstruire le territoire.

Ainsi, les responsables égyptiens répètent : le problème de Gaza n’est pas un « dilemme de poste-frontière », mais une crise d’occupation et d’agression.

Toute solution réelle doit commencer par le respect par Israël du cessez-le-feu, l’ouverture de tous les passages dans les deux sens, et l’arrêt de sa politique de punition collective.

Le refus égyptien d’une ouverture à sens unique n’est pas seulement une question de solidarité avec les Palestiniens, mais aussi un acte d’autoprotection nationale. L’histoire récente du Sinaï a montré que des changements démographiques soudains et incontrôlés entraînent des risques sécuritaires, sociaux et économiques majeurs.

Le déplacement massif de centaines de milliers de personnes, voire davantage, de Gaza vers l’Égypte transformerait la cause palestinienne d’une lutte pour la terre en une crise de réfugiés à l’intérieur d’un État voisin, imposant un fardeau immense à l’Égypte et ravivant des scénarios contre lesquels Le Caire a longtemps mis en garde : la liquidation de la cause palestinienne aux dépens du Sinaï.

Sur le plan international, l’Égypte s’appuie sur un principe fondateur du droit international : l’interdiction du déplacement forcé, qu’il soit effectué par la violence ou par la création de conditions qui rendent le maintien sur place impossible.

C’est un déplacement masqué sous le couvert de la compassion. 

                                      Dr. Abdellatif El-Menawy

En insistant pour que Rafah ne s’ouvre que dans les deux sens et dans le cadre d’un cessez-le-feu et d’une reconstruction intégrés, l’Égypte rappelle au monde que la solution ne réside pas dans le fait d’arracher les Palestiniens à leur terre mais dans la possibilité de vivre dessus.

Le différend autour de Rafah n’est donc pas un simple désaccord technique sur la logistique frontalière, mais une confrontation politique profonde : Gaza doit-elle rester une partie de la carte palestinienne, ou doit-elle être vidée progressivement de sa population sous des prétextes humanitaires ?

Pour l’Égypte, tout dispositif qui institutionnalise une « ouverture à sens unique » constitue une étape vers un déplacement déguisé, quelle que soit la rhétorique humanitaire utilisée pour le présenter.

Pour Israël, maintenir cette option vivante permet de maintenir la pression sur Le Caire et offre à Tel-Aviv une carte de négociation pour l’avenir.

Entre ces deux visions, Le Caire continue d’énoncer ses principes clairement : pas de déplacement, pas de transfert de responsabilité vers les États arabes, et pas d’arrangements partiels qui exonèrent l’occupation de ses obligations fondamentales : mettre fin à l’agression et appliquer pleinement les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU.

Rafah n’est pas seulement un poste-frontière. C’est un symbole dans la lutte sur le sens même : le Palestinien le traverse-t-il pour se rendre à l’hôpital, puis rentrer chez lui, ou pour partir vers un exil permanent ?

La réponse de l’Égypte, jusqu’à présent, est sans ambiguïté : un passage humanitaire, oui. Une nouvelle Nakba, non.

Abdellatif El-Menawy a couvert les conflits dans le monde entier.

X : @ALMenawy

NDLR: Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section leur sont propres et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com