Pourquoi un accord Liban-Israël est peu probable

Joseph Aoun rencontre l'ambassadeur américain en Turquie et envoyé spécial pour la Syrie Tom Barrack, Beyrouth, 7 juillet 2025. (AP Photo)
Joseph Aoun rencontre l'ambassadeur américain en Turquie et envoyé spécial pour la Syrie Tom Barrack, Beyrouth, 7 juillet 2025. (AP Photo)
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Publié le Vendredi 24 octobre 2025

Pourquoi un accord Liban-Israël est peu probable

Pourquoi un accord Liban-Israël est peu probable
  • Le Liban, divisé et affaibli, n’a ni les moyens de désarmer le Hezbollah ni la capacité de négocier avec Israël, tandis que la population reste majoritairement hostile à toute normalisation
  • Israël renforce sa présence militaire et rejette toute reconstruction au Sud-Liban, rendant tout accord de paix ou de normalisation hautement improbable

Après le sommet de la semaine dernière à Charm el-Cheikh sur un accord de cessez-le-feu à Gaza, l’ambassadeur américain en Turquie et envoyé spécial pour la Syrie, Tom Barrack — également chargé du dossier libanais — a déclaré que les seules pièces manquantes au puzzle de la paix étaient désormais le Liban et la Syrie. Il a laissé entendre qu’un accord de paix ou de normalisation entre le Liban et Israël pourrait être possible. Cependant, un tel accord semble improbable pour de nombreuses raisons.

Malgré la ferveur américaine autour des Accords d’Abraham, la question de la normalisation reste controversée et source de divisions internes. Un sondage réalisé en avril par An-Nahar, le principal quotidien libanais, et Information International, a révélé que 75 % des Libanais considèrent Israël comme le principal ennemi du pays. Pourtant, malgré cette perception massivement négative, les opinions sur la normalisation divergent.

Les chrétiens apparaissent comme la communauté la plus ouverte à l’idée d’une normalisation. Joe Eissa Khoury, ministre de l’Industrie nommé par les Forces libanaises au sein du gouvernement de Nawaf Salam, a déclaré que la région s’orientait vers la paix. Ses propos, selon lesquels les Libanais « doivent être prêts », ont été interprétés comme une ouverture à la normalisation.

De même, Marcel Ghanem, animateur sur la chaîne MTV, qui reflète les positions des factions chrétiennes de droite, a laissé entendre dans une de ses émissions qu’il était temps pour le Liban de monter dans le train de la normalisation. Selon lui, parler de paix avec Israël est une nécessité et non plus une simple opinion. Les partis chrétiens, rappelons-le, ont moins d’affinités avec la cause palestinienne que d’autres factions libanaises, en raison de leur passé sanglant avec l’Organisation de libération de la Palestine durant la guerre civile.

La normalisation est également perçue comme un moyen de rendre le Hezbollah obsolète, puisque la raison d’être du groupe reste la résistance contre Israël.

Le courant sunnite, quant à lui, demeure plus proche de la cause palestinienne, surtout face au génocide en cours. Pour beaucoup, toute forme de normalisation serait une trahison envers la Palestine.

Le groupe le plus farouchement opposé à la normalisation reste le courant chiite, toujours représenté par le Hezbollah et son allié Amal. Les chiites sont ceux qui ont le plus souffert des agressions israéliennes. Les frappes menées par Israël contre les positions du Hezbollah sont perçues comme une attaque contre toute la communauté. La normalisation est donc vue comme un complot visant à les déposséder.

Israël maintient cinq avant-postes dans le sud du Liban, empêchant le retour des civils dans leurs foyers. Ces positions, notamment celle du Mont Hermon, servent également de soutien stratégique à la présence israélienne en Syrie. Ainsi, la présence d’Israël au Liban n’est pas seulement liée au désarmement du Hezbollah, mais aussi à la question syrienne — ce qui complique toute perspective de retrait. En réalité, Israël renforce sa présence au Liban tout en intensifiant ses attaques.

Ces dernières semaines, Israël a mené de violents raids dans le sud du pays, ciblant des infrastructures civiles et des engins lourds comme des bulldozers. Le message est clair : Israël ne veut aucune reconstruction dans le Sud-Liban. Il souhaite en faire une zone tampon, une terre brûlée.

Barrack a averti que si l’État libanais ne désarmait pas le Hezbollah, Israël agirait unilatéralement, évoquant la menace d’une nouvelle guerre. Il a ajouté que cela représentait une opportunité de « renouveau » pour le Liban. Mais l’État libanais n’a ni la capacité de désarmer le Hezbollah, ni les moyens de pousser Israël à se retirer.

L’État libanais essaie simplement de marcher entre les mines. Il cherche à plaire aux États-Unis sans fâcher le Hezbollah. Cette peur d’un affrontement interne qui briserait l’armée — comme pendant la guerre civile — paralyse toute action. Beyrouth se retrouve dans une situation intenable, affaiblie à la fois sur le plan intérieur et face à Israël. Le gouvernement reste spectateur pendant qu’Israël bombarde des dépôts d’armes présumés et mène des assassinats ciblés contre des cadres du Hezbollah.

Contrairement à la Syrie, qui bénéficie du soutien diplomatique de la Turquie et de l’Arabie saoudite, le Liban ne figure sur la liste des priorités d’aucune puissance régionale. Le gouvernement reste dans une posture attentiste, espérant s’insérer dans de futurs arrangements régionaux. Pour l’heure, il n’a aucune marge de manœuvre. Même le ministre des Affaires étrangères a reconnu lors d’un séminaire que le Liban n’avait « aucun levier pour peser diplomatiquement » — ajoutant que le pays « ne peut qu’aller pleurer auprès des Américains ». Cette déclaration illustre l’impuissance totale de l’État libanais.

L’État libanais essaie simplement de marcher entre les mines. Il cherche à plaire aux États-Unis sans fâcher le Hezbollah. 

                                        Dr. Dania Koleilat Khatib

Le président libanais Joseph Aoun a déclaré la semaine dernière que le Liban et Israël devaient négocier les différends qui les opposent. Cependant, le gouvernement n’a aucun levier pour engager de telles négociations. Il ne peut ni forcer le Hezbollah à désarmer, ni lui offrir des garanties pour l’y inciter. Il ne dispose d’aucun appui pour demander des contreparties à Israël.

Toute paix aujourd’hui reviendrait à une soumission totale du Liban à Israël. Barrack a affirmé que Beyrouth avait refusé une offre américaine prévoyant le désarmement du Hezbollah, en raison de l’influence du mouvement au sein du gouvernement. L’accord aurait transformé le Hezbollah en parti purement politique. Barrack n’a pas précisé quelles garanties étaient offertes au Liban — probablement parce qu’il n’y en avait pas.

Le Liban est seul. Il n’a aucun soutien s’il souhaite négocier avec Israël. L’État libanais n’est pas en position de désarmer le Hezbollah, et la population reste profondément divisée sur la question de la normalisation. Par conséquent, toute discussion de paix ou de normalisation est vouée à l’échec.
 

Dania Koleilat Khatib est spécialiste des relations américano-arabes et plus particulièrement du lobbying.

Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la construction de la paix, une organisation non gouvernementale libanaise axée sur la Voie II.

NDLR: Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section leur sont propres et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com