Le Houthis classés «organisation terroriste»: «un pas vers la paix au Yémen»

Le parlement yéménite: «La milice houthie a détruit l’homme comme la terre au Yémen. Elle constitue une réelle menace à la paix et la sécurité dans le monde» (Photo, AFP/Archives).
Le parlement yéménite: «La milice houthie a détruit l’homme comme la terre au Yémen. Elle constitue une réelle menace à la paix et la sécurité dans le monde» (Photo, AFP/Archives).
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Publié le Mercredi 13 janvier 2021

Le Houthis classés «organisation terroriste»: «un pas vers la paix au Yémen»

  • Le gouvernement yéménite affirme que les crimes des Houthis et leur continuelle violation des droits de l'homme ne sont pas sans rappeler d'autres organisations terroristes, à savoir Daech et Al-Qaïda
  • «Depuis 2014, les Houthis pillent l'aide humanitaire et l'utilisent pour soutenir leurs efforts de guerre, tout en refusant d'appliquer les moindres principes humanitaires. La décision les forcera arrêter ces pratiques»

AL-MUKALLA: La décision des États-Unis de désigner les Houthis, soutenus par l’Iran, comme une organisation terroriste est certainement un pas vers la paix au Yémen, estiment des responsables gouvernementaux et des analystes.

Cette classification de la milice, qui doit entrer en vigueur la veille du départ de l’administration du président américain Donald Trump, va sans doute freiner les violations houthies des droits de l’homme commis et modérer l’opposition du groupe aux efforts de paix. Elle assène aussi un coup aux sources financières qui alimentent la guerre dans le pays, expliquent-ils.

Mais des critiques notent parallèlement que cette décision pourrait aggraver la crise humanitaire, intensifier la violence, et renforcer les liens de la milice avec l'Iran.

Le parlement du Yémen exhorte pour sa part les législateurs américains à ratifier la décision afin de punir les Houthis pour leurs crimes contre le peuple. La chambre est persuadée de surcroit que cette décision forcerait certainement les Houthis à enfin respecter les termes des accords de paix précédents, ainsi que les efforts de paix actuels, révèle l'agence de presse officielle SABA.

«La milice houthie a détruit l’homme comme la terre au Yémen. Elle constitue une réelle menace à la paix et la sécurité dans le monde», affirme le parlement dans un communiqué.

Ahmed Obeid ben Daghr, ancien premier ministre du Yémen et principal conseiller du président, voit dans la désignation américaine une «description précise et réaliste» du groupe Houthi. Il ajoute que cette mesure rapproche le gouvernement yéménite et de la coalition arabe de la reprise des institutions officielle usurpées des Houthis.

Dans un tweet, Daghr a déclaré: «Avec une telle décision historique, les Américains ont clairement exprimé leur désir de parvenir à la paix, la souveraineté et l'unité au Yémen, et de sauver définitivement le pays de l'ingérence iranienne».

Malgré un ressac considérable émanant des travailleurs humanitaires ainsi que de nombreux experts yéménites, le gouvernement du Yémen internationalement reconnu a intensifié ses efforts diplomatiques pour que la milice houthie soit désignée organisation terroriste à la suite de l’attaque au missile du mois dernier contre l’aéroport d’Aden. L’attaque a tué et blessé plus de 130 personnes.

Le gouvernement yéménite affirme que les crimes des Houthis et leur continuelle violation des droits de l'homme ne sont pas sans rappeler d'autres organisations terroristes, à savoir Daech et Al-Qaïda.

D’autres analystes ont souligné par contre que la décision américaine pourrait aggraver la crise humanitaire au Yémen, la pire au monde, en limitant les mouvements des organisations caritatives internationales qui offrent une aide vitale à des millions de Yéménites affamés. Elle pourrait également pousser les Houthis à intensifier leurs opérations militaires dans tout le pays.

Ahmed Awad bin Moubarak, ministre des Affaires étrangères du Yémen, s’est voulu rassurant, et expliqué à Arab News que la décision n’aurait aucun impact sur les livraisons humanitaires à l’intérieur des zones contrôlées par les Houthis, car elle exclut les travailleurs humanitaires qui œuvrent auprès de la milice.

«Jamais nous ne pourrions tolérer que notre peuple dans les zones contrôlées par les milices en paie le prix. La décision comprend des exceptions qui permettent aux organisations humanitaires de maintenir leurs activités habituelles», a affirmé le ministre.

 Les responsables yéménites dans le secteur humanitaire ont aussi applaudi la décision américaine. Ils ont de plus accusé les Houthis d’aggraver la situation en bloquant la distribution des aides vitales dans les zones sous leur contrôle.

De par son expérience avec les Houthis, le président du haut comité de l’aide humanitaire au Yémen ancien ministre yéménite de l'Administration locale et, Abdel Raqeeb Fateh, assure que la désignation aurait des effets positifs sur la distribution de cette aide humanitaire précieuse car elle mettrait fin au pillage des produits essentiels.

«Depuis 2014, les Houthis pillent l'aide humanitaire et l'utilisent pour soutenir leurs efforts de guerre, tout en refusant d'appliquer les moindres principes humanitaires. La décision les forcera arrêter ces pratiques», a ajouté Fateh dans un tweet.

Abdu Abdullah Majili, un porte-parole de l'armée, confie à Arab News que les troupes sont prêtes à affronter toute action militaire des Houthis en réponse à l'annonce américaine. «L'armée nationale est prête à infliger une défaite cuisante à la milice. Les Houthis ont commis des crimes odieux contre les Yéménites depuis le 21 septembre 2014».

Les experts militaires et politiques yéménites notent que les actions agressives des Houthis ne feraient que consolider les motifs de la classification de cette milice comme une organisation terroriste et inciteraient nécessairement d’autres pays à soutenir la décision américaine.

«Les Houthis n'ont pas d'autre choix que de se rallier aux efforts de paix. Ils sont responsables de l’écroulement du plus grand processus politique au Yémen, soutenu par tous les pays du monde», a déclaré à Arab News, Najeeb Ghallab, sous-secrétaire au ministère de l'Information du Yémen et analyste politique, faisant référence au coup d'État des Houthis.

Nadwa Dawsari, une experte du conflit yéménite, estime que seule une opération militaire mettrait fin à la menace Houthi et inciterait le groupe à accepter des initiatives de paix.

Dans un tweet, elle dit que: «Ni les négociations politiques avec les Houthis, ni leur classification comme une organisation terroriste peuvent à elles seules contrôler leur menace et celle de l’Iran. Seule une action militaire bien planifiée au sol les affaiblira et neutralisera leur menace et rapprochera ainsi le Yémen de la paix».

La nouvelle de la désignation a eu un impact négatif sur les marchés des changes du pays, entraînant à nouveau la chute de la monnaie locale. Des bureaux de change locaux ont déclaré à Arab News que le riyal yéménite s’échangeait à 780 contre le dollar mardi, contre 715 dimanche. Le riyal a retrouvé 20% de sa valeur le mois dernier suite à la formation d'un nouveau gouvernement et son retour à Aden dans le cadre de l'Accord de Riyad.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com


«Le sang coulait encore»: le calvaire des réfugiés d’El-Facher arrivés au Tchad

Les FSR, en guerre contre l’armée régulière depuis avril 2023, ont pris le contrôle le 26 octobre de cette ville du Darfour, une région de l'ouest du Soudan déjà ensanglantée dans les années 2000. (AFP)
Les FSR, en guerre contre l’armée régulière depuis avril 2023, ont pris le contrôle le 26 octobre de cette ville du Darfour, une région de l'ouest du Soudan déjà ensanglantée dans les années 2000. (AFP)
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  • "Ils ont appelé sept infirmiers et les ont réunis dans une pièce. Nous avons entendu des coups de feu et j’ai vu le sang couler sous la porte", raconte avec émotion à l’AFP l'adolescent de 16 ans
  • La vidéo, comme de nombreuses autres filmées par les FSR lors de leur entrée dans la ville, a été partagée sur les réseaux sociaux

TINE: Après 11 jours de trajet, Mounir Abderahmane atteint enfin le camp de Tiné, dans la province du Wadi Fira au Tchad, après avoir fui El-Facher, au Soudan, le 25 octobre.

Lorsque des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) ont envahi la ville, il veillait son père, militaire dans l'armée régulière blessé quelques jours plus tôt, à l'hôpital saoudien.

"Ils ont appelé sept infirmiers et les ont réunis dans une pièce. Nous avons entendu des coups de feu et j’ai vu le sang couler sous la porte", raconte avec émotion à l’AFP l'adolescent de 16 ans.

La vidéo, comme de nombreuses autres filmées par les FSR lors de leur entrée dans la ville, a été partagée sur les réseaux sociaux. Mounir quitte aussitôt la ville avec son père, qui mourra quelques jours plus tard sur la route qui devait le mener au Tchad.

Les FSR, en guerre contre l’armée régulière depuis avril 2023, ont pris le contrôle le 26 octobre de cette ville du Darfour, une région de l'ouest du Soudan déjà ensanglantée dans les années 2000.

Deux semaines après la prise de la ville, les réfugiés atteignent le Tchad, à plus de 300 km de là. Une poignée d’entre eux, accueillis dans le camp de transit de Tiné, livrent leurs témoignages à l’AFP.

"Coques d'arachides" 

Après 18 mois de siège, tous évoquent une intensification des bombardements à partir du 24 octobre, précédant l’entrée des paramilitaires.

Terrés dans des abris de fortune, des dizaines de personnes s’y entassent pour échapper aux drones. Ils n’ont pour seule nourriture "que des coques d’arachides", raconte Hamid Souleymane Chogar, 53 ans. Le 26 octobre, il s’échappe de sa cachette, "chaque fois que je montais prendre l’air, je voyais dans la rue de nouveaux cadavres, souvent des habitants du quartier que je connaissais", confie-t-il.

Il profite d’une accalmie nocturne pour fuir. Estropié en 2011 lors d'une précédente guerre "à cause des Janjawids" - des milices arabes ayant longtemps persécuté les tribus non arabes du Darfour –, il est hissé sur une charrette qui zigzague dans la ville entre les débris et les cadavres. Leur progression se fait sans parole ni lumière, pour ne pas alerter les paramilitaires.

Alors que les phares d’un véhicule des FSR balayent la nuit, Mahamat Ahmat Abdelkerim, 53 ans, se précipite dans une maison avec sa femme et ses six enfants. Le septième a été tué deux jours plus tôt dans une attaque de drone. "Il y avait une dizaine de cadavres, tous des civils. Leur sang coulait encore", explique-t-il derrière ses lunettes noires, qui cachent un œil gauche perdu quelques mois plus tôt lors d’un bombardement.

Mouna Mahamat Oumour, 42 ans, fuit avec ses trois enfants lorsqu’un obus frappe le groupe. "Quand je me suis retournée, j’ai vu le corps de ma tante déchiquetée. On l’a couverte d’un pagne et on a continué", raconte-t-elle en larmes. "Nous avons marché sans jamais nous retourner", ajoute-t-elle.

Arrivés au sud de la ville, au niveau de la tranchée construite par les paramilitaires pour l'encercler, les cadavres s’accumulent. "Ils remplissent la moitié de ce fossé de deux mètres de large et de trois mètres de haut", détaille Hamid Souleymane Chogar.

Des dizaines ? Des centaines ? Impossible d’estimer leur nombre en pleine nuit, dans cet espace qui s’étend à perte de vue.

Des analyses faites par le laboratoire de l'université américaine de Yale à partir d’images satellites croisées avec des vidéos postées par les FSR, évoquent la présence de nombreux corps dans cette tranchées et sur le talus voisin.

Samira Abdallah Bachir, 29 ans, a emprunté un autre passage, elle a dû descendre dans la tranchée, sa fille de deux ans dans les bras, ses deux autres enfants, âgés de 7 et 11 ans, marchant derrière elle. "On devait éviter les corps pour ne pas marcher dessus", décrit-elle.

Un système de racket 

Une fois sortis de la ville, les réfugiés subissent un nouveau calvaire. A chaque check-point sur les deux principales routes permettant de quitter la ville, les témoignages évoquent de nouvelles violences, viols et vols contre les populations civiles.

Après s'être fait voler son téléphone et son argent, Mahamat Ahmat Abdelkerim doit payer à chaque nouveau check point. "Les FSR ont des téléphones qu’ils mettent sur haut-parleur pour que nous contactions nos proches pour qu’ils nous envoient de l’argent", décrit-il.

Les sommes payées à chaque barrage varient entre 500.000 et un million de livres soudanaises selon les témoignages, soit entre 700 et 1.400 euros.

D’autres témoignages évoquent les ciblages ethniques des FSR. Ils disent "Vous êtes des noirs, des esclaves" raconte un réfugié tout juste arrivé à Tiné. "Ils mettent certains hommes de côté, les dépouillent et tirent au hasard sur eux."

Difficile de savoir combien de Soudanais réussiront à se réfugier au Tchad dans les prochaines semaines. Environ 90.000 personnes ont déjà fui la ville d’El-Facher depuis sa conquête par les paramilitaires, selon les derniers chiffres de l’ONU

Le HCR évoque de son côté "90.000 arrivées dans les trois prochains mois" alors que les violences se poursuivent au Darfour et que les affrontements entre l’armée et les paramilitaires poussent la population à fuir dans la région du Kordofan.

"Des relocalisations sont en cours pour permettre de désengorger le camp de transit de Tiné et accueillir de nouveaux réfugiés", précise Ameni Rahmani, 42 ans, responsable de projet de Médecins Sans Frontières (MSF) à Tiné.

"Les arrivées augmentent encore faiblement mais nous sommes prêts à intensifier notre réponse et à renforcer nos équipes sur place."

Côté soudanais, après s’être retiré du Darfour-Nord suite à des attaques de drones sur des structures médicales depuis deux semaines, MSF prévoit d’y redéployer ces prochains jours ses équipes.

Le conflit au Soudan a fait des dizaines de milliers de morts, en a déplacé près de 12 millions d'autres et provoqué, selon l'ONU, la pire crise humanitaire au monde.

 


Soudan: des sources d'information cruciales emportées par la guerre

En septembre, le reporter de l'AFP avait déjà appris la mort de trois autres de ses sources locales, des hommes toujours prêts à répondre à "ses questions macabres" quand les communications le permettaient. Et toujours sous couvert d'anonymat pour des raisons de sécurité. (AFP)
En septembre, le reporter de l'AFP avait déjà appris la mort de trois autres de ses sources locales, des hommes toujours prêts à répondre à "ses questions macabres" quand les communications le permettaient. Et toujours sous couvert d'anonymat pour des raisons de sécurité. (AFP)
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  • Pendant des mois, le Dr Omar Selik, le Dr Adam Ibrahim Ismaïl, le cheikh Moussa et l'activiste Mohamed Issa ont transmis des informations à l'AFP sur cette ville inaccessible à toute aide extérieure
  • Le correspondant de l'AFP au Soudan, Abdelmoneim Abu Idris Ali, lui-même déplacé de la capitale Khartoum à Port-Soudan, les appelait souvent pour couvrir à distance la guerre sanglante entre l'armée du général Abdel Fattah Al-Burhane et les FSR

PORT-SOUDAN: "Les bombes se rapprochent", "ils tirent sur ceux qui tentent de fuir", "il y a seize morts"... Les informations sur les combats meurtriers et les exactions commises à El-Facher parviennent au monde grâce à de simples citoyens soudanais, restés sur place au péril de leur vie, sources cruciales pour l'AFP.

Cette grande ville de la région du Darfour (ouest) a été assiégée pendant 18 mois avant de tomber le 26 octobre dernier aux mains des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdane Daglo.

Pendant des mois, le Dr Omar Selik, le Dr Adam Ibrahim Ismaïl, le cheikh Moussa et l'activiste Mohamed Issa ont transmis des informations à l'AFP sur cette ville inaccessible à toute aide extérieure, ensanglantée par des affrontements meurtriers, puis par des massacres commis par les paramilitaires.

Le correspondant de l'AFP au Soudan, Abdelmoneim Abu Idris Ali, lui-même déplacé de la capitale Khartoum à Port-Soudan, les appelait souvent pour couvrir à distance la guerre sanglante entre l'armée du général Abdel Fattah Al-Burhane et les FSR.

Ses quatre sources ont joué un rôle crucial et anonyme. Jusqu'à leur décès...

Adam Ibrahim Ismaïl a été arrêté par les FSR le 26 octobre, le jour de la prise d'El-Facher qu'il tentait de fuir. Il a été abattu le lendemain.

Jusqu'au bout, ce jeune médecin a "soigné les blessés et les malades" de l'hôpital saoudien, le dernier fonctionnel de la ville, selon un communiqué du syndicat des médecins soudanais.

C'est par ce communiqué qu'Abdelmoneim Abu Idris Ali a appris son décès.

Il lui avait parlé quelques jours plus tôt pour faire le point sur les bombardements du jour: "il avait une voix épuisée", se souvient-il. "Chaque fois que nous terminions un appel, il disait au revoir comme si c'était peut-être la dernière fois".

"Questions macabres" 

En septembre, le reporter de l'AFP avait déjà appris la mort de trois autres de ses sources locales, des hommes toujours prêts à répondre à "ses questions macabres" quand les communications le permettaient. Et toujours sous couvert d'anonymat pour des raisons de sécurité.

Les trois ont été tués dans une frappe de drone sur une mosquée d'El-Facher qui a fait au moins 75 morts le 19 septembre.

"Beaucoup de ces 75 personnes avaient fui pour sauver leur vie quelques jours auparavant, mais le drone des FSR les a rattrapées", a précisé Abdelmoneim Abu Idris Ali.

Les voix des sources "me permettaient de dépeindre El-Facher", dit-il. "À travers eux, j'entendais les gémissements des blessés, les peines des endeuillés, la douleur de ceux que broie la machine de guerre", raconte-t-il depuis Port-Soudan.

Avant que la guerre n'éclate, les journalistes pouvaient parcourir le troisième plus grand pays d'Afrique jusque dans ses régions les plus reculées, comme le Darfour.

C'est ainsi que le reporter aguerri de l'AFP a rencontré le cheikh Moussa qui lui a ouvert la porte de son modeste logement en 2006, prélude à deux décennies d'amitié. Il connaissait bien moins les trois autres, faute de temps pour échanger dans une région soumise aux coupures de communication fréquentes.

"Cacher" sa tristesse 

Egalement disparu, le Dr Omar Selik, qui a été loué par de nombreux journalistes internationaux, a vu le système de santé d'El-Facher s'effondrer au fil des mois. Après avoir évacué sa famille dans une zone moins dangereuse, ce médecin continuait de sauver des vies, jusqu'à son propre décès.

"Il me parlait comme s'il s'adressait à la famille d'un patient, annonçant la mort d'un être cher et essayait toujours de cacher la pointe de tristesse dans sa voix lorsqu'il me donnait un bilan des victimes", se souvient Abdelmoneim Abu Idris Ali.

Mohamed Issa, lui, est mort à 28 ans, après des mois à traverser les lignes de front pour apporter nourriture, eau, médicaments aux familles piégées à El-Facher.

"Chaque fois que je lui demandais ce qui se passait, sa voix résonnait joyeusement: +rien de grave inch'Allah, je suis un peu loin, mais je vais aller voir pour toi!+ On ne pouvait pas l'arrêter".

Mohamed Issa se précipitait sur les lieux des frappes, chargeant les blessés sur des charrettes pour les emmener à l'hôpital ou dans n'importe quel lieu susceptible de prodiguer des soins d'urgence, explique le correspondant.

Chassé de son village 

Le cheikh Moussa avait, lui, été chassé de son village il y a 22 ans, au tout début de la guerre du Darfour, par les milices arabes Janjawid, dont les FSR sont les héritières. Il a ensuite vécu dans différents lieux accueillant les réfugiés ballottés au gré des attaques des paramilitaires.

"La violence éclatait encore et encore devant sa porte, mais son rire ne s'est jamais éteint", dit le journaliste de l'AFP.

Quand les bombes ont commencé à pleuvoir sur El-Facher, "il parlait sans fin de la douleur que son peuple subissait, mais si vous lui demandiez comment lui allait, il répondait juste: +alhamdulillah, grâce à Dieu+".

À chaque appel téléphonique, "je l'imaginais assis en tailleur à l'ombre devant sa porte, vêtu d'une djellaba d'un blanc éclatant et d'une calotte assortie, toujours souriant malgré les horreurs qui l'entouraient", se remémore le journaliste de l'AFP.

"Chaque mort est une tragédie que nous sommes habitués à rapporter, mais c'est une autre forme de chagrin lorsqu'il s'agit de quelqu'un avec qui vous avez partagé un repas, quelqu'un dont vous entendiez la voix chaque jour".

 


Trump reçoit le président syrien, une rencontre historique et discrète

Le président américain Donald Trump (à gauche) serre la main du président syrien Ahmed al-Chareh à la Maison Blanche à Washington DC. (AFP)
Le président américain Donald Trump (à gauche) serre la main du président syrien Ahmed al-Chareh à la Maison Blanche à Washington DC. (AFP)
Pas de drapeaux ni de caméras, mais une visite néanmoins historique: Donald Trump a reçu lundi Ahmad al-Chareh, une première pour un chef d'Etat syrien et une consécration pour l'ancien jihadiste. (AFP)
Pas de drapeaux ni de caméras, mais une visite néanmoins historique: Donald Trump a reçu lundi Ahmad al-Chareh, une première pour un chef d'Etat syrien et une consécration pour l'ancien jihadiste. (AFP)
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  • Le président syrien est arrivé à 11h37 locale (16h37 GMT), a annoncé la Maison Blanche, sans passer par le portail principal et sans le protocole habituellement réservé aux chefs d'Etat et de gouvernement étrangers
  • Les journalistes n'ont pas non plus été conviés dans le Bureau ovale au début de l'entretien, comme c'est généralement le cas lors de visites officielles

WASHINGTON: Pas de drapeaux ni de caméras, mais une visite néanmoins historique: Donald Trump a reçu lundi Ahmad al-Chareh, une première pour un chef d'Etat syrien et une consécration pour l'ancien jihadiste.

Le président syrien est arrivé à 11h37 locale (16h37 GMT), a annoncé la Maison Blanche, sans passer par le portail principal et sans le protocole habituellement réservé aux chefs d'Etat et de gouvernement étrangers, que le président américain vient presque toujours accueillir en personne sur le perron.

Les journalistes n'ont pas non plus été conviés dans le Bureau ovale au début de l'entretien, comme c'est généralement le cas lors de visites officielles.

"Très bon travail" 

Jeudi dernier Donald Trump, qui se voit en grand pacificateur du Moyen-Orient, avait estimé que son invité faisait "un très bon travail" en Syrie. "C'est un gars dur. Mais je me suis très bien entendu avec lui" lors d'une entrevue en Arabie saoudite en mai, avait-il ajouté.

A l'époque, le milliardaire de 79 ans avait jugé son homologue de 43 ans "fort" et "séduisant".

Le président intérimaire syrien, dont la coalition islamiste a renversé le dirigeant de longue date Bachar al-Assad en décembre 2024, était arrivé à Washington samedi.

Lors de cette visite historique, Damas devrait signer un accord pour rejoindre la coalition internationale antijihadiste menée par les Etats-Unis, selon l'émissaire américain pour la Syrie, Tom Barrack.

Les Etats-Unis, eux, prévoient d'établir une base militaire près de Damas, "pour coordonner l'aide humanitaire et observer les développements entre la Syrie et Israël", selon une autre source diplomatique en Syrie.

"Nouveau chapitre" 

Le ministre syrien des Affaires étrangères, Assaad al-Chaibani, qui accompagne le président à Washington, a mis en ligne samedi une vidéo tournée avant le voyage illustrant le réchauffement des relations avec les Etats-Unis.

On y voit les deux hommes jouant au basket-ball avec le commandant des forces américaines au Moyen-Orient, Brad Cooper, ainsi qu'avec le chef de la coalition internationale antijihadistes, Kevin Lambert.

La rencontre de lundi "ouvre un nouveau chapitre dans la politique américaine au Moyen-Orient", estime l'analyste Nick Heras, du New Lines Institute for Strategy and Policy.

Vendredi, les Etats-Unis ont retiré le dirigeant syrien de la liste noire des terroristes. Depuis 2017 et jusqu'à décembre dernier, le FBI offrait une récompense de 10 millions de dollars pour toute information menant à l'arrestation du leader de l'ancienne branche locale d'Al-Qaïda, le groupe Hayat Tahrir al-Sham (HTS).

Jeudi, le Conseil de sécurité de l'ONU avait aussi levé les sanctions contre Ahmad al-Chareh, à l'initiative des Etats-Unis.

Israël 

Dès sa prise de pouvoir, le dirigeant syrien a rompu avec son passé, multipliant les ouvertures vers l'Occident et les Etats de la région, dont Israël avec lequel son pays est théoriquement en guerre.

Il a toutefois aussi promis de "redéfinir" la relation de son pays avec la Russie de Vladimir Poutine, allié-clé de Bachar al-Assad, qu'il a rencontré à Moscou il y a moins d'un mois.

"Trump amène Chareh à la Maison Blanche pour dire qu'il n'est plus un terroriste (...) mais un dirigeant pragmatique et, surtout, flexible qui, sous la direction américaine et saoudienne, fera de la Syrie un pilier régional stratégique", explique Nick Heras.

Les présidents américain et syrien devraient également évoquer les négociations entamées par les autorités syriennes avec Israël pour un accord de sécurité en vertu duquel l'Etat hébreu se retirerait des zones du sud du pays occupées après la chute de Bachar al-Assad.

En mai, Donald Trump avait pressé son homologue syrien de rejoindre les accords d'Abraham, qui ont vu plusieurs pays arabes reconnaître Israël en 2020.