L’explosion de la colère sociale fait craindre le pire pour le régime en Iran

Les partisans du Conseil national de la résistance iranienne (CNRI) portant le portrait du chef de l'organisation Massoud Radjavi manifestent contre le gouvernement iranien à Whitehall, Downing Street à Londres le 13 janvier 2020. (Adrian Dennis/AFP)
Les partisans du Conseil national de la résistance iranienne (CNRI) portant le portrait du chef de l'organisation Massoud Radjavi manifestent contre le gouvernement iranien à Whitehall, Downing Street à Londres le 13 janvier 2020. (Adrian Dennis/AFP)
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Publié le Samedi 06 février 2021

L’explosion de la colère sociale fait craindre le pire pour le régime en Iran

L’explosion de la colère sociale fait craindre le pire pour le régime en Iran
  • Les paniers des Iraniens sont vides et le ressentiment d'une grande partie de la société iranienne grandit de jour en jour
  • Un phénomène terrible a fait son apparition en Iran à cause de la pauvreté : la vente de nourrissons, de fétus et d'organes

Le fossé qui sépare la population iranienne et ses dirigeants s’élargit dangereusement. Les détournements de fonds, la corruption, le chômage, l'inflation effrénée, les frasques nauséabondes d’une minorité de privilégiées, et surtout, la disparition de la classe moyenne fondue dans la classe pauvre de la société, n'ont fait que renforcer le mur de méfiance entre la population et un régime moribond.

Le pays fait face à de multiples défis internes. Les paniers des Iraniens sont vides et le ressentiment d'une grande partie de la société iranienne grandit de jour en jour. Les dernières statistiques officielles indiquent que sept citoyens sur dix vivent en dessous du seuil de pauvreté.

Un phénomène terrible a fait son apparition en Iran à cause de la pauvreté : la vente de nourrissons. On observe aussi une prévente de nourrissons sur commande et la vente de fœtus. Les nourrissons proviennent de relations entre toxicomanes et victimes de l’extrême pauvreté.

La vente d'organes, tels que les reins ou des parties du foie a elle aussi augmenté. Pour constater ce douloureux phénomène, il suffit de visiter les hôpitaux spécialisés à Téhéran et dans d'autres grandes villes. Par exemple, sur la célèbre place Vanak de Téhéran, tout ce que vous avez à faire est de vous rendre à l'hôpital Hasheminejad pour constater que toutes les ruelles, parkings, feux de circulation et panneaux de signalisation sont remplis d'annonces de vente de reins pour différents groupes sanguins.

Selon Steve Hank, professeur d'économie appliquée à l'Université Johns Hopkins, les problèmes économiques s'aggravent en Iran, où le taux d'inflation annuel serait d'environ 99%. Le parlement iranien a identifié environ 60 millions de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté et ayant besoin d'aide à la subsistance.

La classe moyenne s’est depuis longtemps résorbée dans la classe pauvre en raison d’une pression économique croissante. N'oublions pas que lors des protestations de novembre 2020, nous avons assisté à une illustration marquante du rapprochement entre ces deux classes sociales dans leur aversion pour le régime. Pour les observateurs, à présent, ces deux classes n’en font qu'une.

La corruption économique institutionnelle dans le pays a augmenté la richesse d’une minorité et creusé l’écart entre les riches et les pauvres. Dans le désastre économique actuel, la seule chose qui importe aux couches populaires est de survivre. Ajoutez à tout cela les souffrances causées par le coronavirus, et vous pourrez comprendre l’ampleur de la tragédie à laquelle est confronté le peuple iranien. Et ce, alors que le bilan de Téhéran est très contesté dans la gestion de la crise du virus mortel, entaché de graves négligences dans les mesures à prendre pour protéger la population.

La corruption et le pillage sont la principale cause de la pauvreté

Le guide suprême iranien contrôle un immense empire financier fondé sur des saisies de biens. Selon une étude de Reuters, Ali Khamenei aurait le contrôle d’un empire financier de plusieurs centaines de milliards de dollars. Toutes les institutions financières affiliées à Khamenei sont exonérées d'impôt.

Masih Mohajeri, rédacteur en chef du journal Jomhuri Eslami, a déclaré le 11 avril 2020 : « Il y a de puissantes institutions financières, dont le Siège Exécutif de l'Imam Khomeini, la Fondation pour les Opprimés et la Fondation Astan Quds Razavi, qui bénéficient d’immense ressources financières. Si celles-ci sont mises au service des populations affectées par le coronavirus, cela pourrait permettre de résoudre de nombreux problèmes dans les plus brefs délais et de manière assez satisfaisante. Le quotidien Kar-va-kargar a écrit pour sa part (le 27 décembre 2020) : « Le budget de l'année prochaine qui a été soumis aux députés sera presque entièrement consacré aux 1% les plus riches ; tandis que la part de 99% des Iraniens restera très faible. Ainsi, le un pour cent s'enrichit de jour en jour et son accumulation de capital augmente de façon astronomique.»

Un membre de la commission parlementaire de la Santé a déclaré que l'augmentation des prix des produits de base n'a rien à voir avec les sanctions économiques. « On a entendu dire que l'envoi de 81000 tonnes de maïs a été dédouané sans l'autorisation du ministère de l'Agriculture. On ne sait pas à qui revient le bénéfice de la vente de ce maïs sur le marché noir, évalué à plus de 1 600 milliards de tomans », a-t-il déploré.

Selon la Banque centrale d’Iran, le pays a engrangé 180 milliards de dollars des exportations, mais l'utilisation qui a été faite de l’argent provenant de ces exportations reste obscure. Selon des études, avec le même montant il aurait été possible de fournir des biens et des produits de base à la population pour une durée de trois ans.

Le secrétaire général de la Société iranienne des Experts-Comptables a déclaré : « Environs 12 000 personnes physiques et morales dans 13 000 unités économiques du pays, ont consommé près de 110 milliards de devises étrangères. Or, celles-ci n'ont pas du tout été surveillées et n’ont pas été tenues de rendre des comptes. » (Le journal Bazaar, le 6 décembre 2020). Ce ne sont là que quelques exemples des détournements de fonds qui sont monnaie courante en Iran.

L’essor des unités de résistance

Selon les experts iraniens, si les autorités ne s'attaquent pas rapidement aux maux du pays et si des mesures efficaces ne sont pas prises pour remédier à la crise économique, un avenir dangereux attend le régime du guide suprême, tant au cours de la pandémie que dans l'ère post- coronavirus. « Il faut craindre le jour où le volcan des affamés ne pourra plus être contenu », mettent-ils en garde.

 Au cours des derniers mois, des centaines de centres affiliés aux gardiens de la révolution et aux cercles de répression et du Renseignement du régime iranien ont été attaqués par des jeunes qui s’organisent de plus en plus pour renverser le statu quo. Les tribunaux qui prononcent des condamnations à mort, ou ordonnent la démolition des habitations dans les bidonvilles, font partie des centres attaqués par les unités de résistance. Les symboles du régime théocratique, notamment les portraits de Khomeini et Khamenei (l’ancien et l’actuel guide suprême) sont incendiés dans la capitale et en province. Alors que les actes de résistance prennent de l’essor en Iran, les unités de résistance sont accueillies par la population assoiffée de changement. Ces résistants de l’intérieur sont désormais devenus un cauchemar pour le régime, qui craint leur rôle déterminant dans une éventuelle explosion de la colère populaire, dont personne ne doute du caractère inéluctable.

 

Hamid Enayat (@h_enayat) est un expert de l'Iran et un écrivain basé à Paris, où il a fréquemment écrit sur les questions iraniennes et régionales au cours des trente dernières années.

NDLR : Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.