Le régime iranien et Al-Qaïda: une convergence d’intérêts

En ce qui concerne les liens profonds qui unissent l'Iran et Al-Qaïda, les médias, les politiciens et les chercheurs n'ont malheureusement accordé que peu de considération à ce sujet.
En ce qui concerne les liens profonds qui unissent l'Iran et Al-Qaïda, les médias, les politiciens et les chercheurs n'ont malheureusement accordé que peu de considération à ce sujet.
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Publié le Vendredi 15 janvier 2021

Le régime iranien et Al-Qaïda: une convergence d’intérêts

Le régime iranien et Al-Qaïda: une convergence d’intérêts
  • À quelques semaines du terme de son mandat, l'administration Trump a ouvertement accusé le régime iranien d’entretenir des relations avec le groupe terroriste Al-Qaïda
  • Au-delà de sa volonté de mettre au jour les relations que l'Iran entretient avec Al-Qaïda, l'administration Trump entend également entraver la volonté du président élu, Joe Biden

À quelques semaines du terme de son mandat, l'administration Trump a ouvertement accusé le régime iranien d’entretenir des relations avec le groupe terroriste Al-Qaïda. Lors d'un discours prononcé mardi au National Press Club à Washington, le secrétaire d'État américain Mike Pompeo a dévoilé cette liaison en se basant sur des renseignements qui ont été récemment déclassifiés.

C'est la première fois qu'un secrétaire d'État américain fournit des preuves qui établissent des liens entre le régime de Téhéran et Al-Qaïda. Ces renseignements comprennent des informations sur l'assassinat du numéro deux d'Al-Qaïda, également connu sous le nom d'Abou Mohammed Al-Masri, mort à Téhéran le 7 août dernier.

Al-Masri, qui a probablement succédé au chef actuel d'Al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri, a été accusé de participer aux attentats à la bombe perpétrés en 1998 contre deux ambassades des États-Unis en Afrique.

Au départ, les autorités iraniennes ont cherché à dissimuler sa mort, apparemment parce qu'elles préféraient dissimuler leurs rapports avec Al-Qaïda. Néanmoins, l'establishment théocratique iranien peut très bien avoir fourni à Al-Masri les ressources nécessaires pour mener à bien ses activités contre les États-Unis. 

Au-delà de sa volonté de mettre au jour les relations que l'Iran entretient avec Al-Qaïda, l'administration Trump entend également entraver la volonté du président élu, Joe Biden, qui voudrait que les États-Unis fassent à nouveau partie de l'accord sur le nucléaire iranien. Elle cherche ainsi à rendre plus difficiles encore la poursuite de politiques de conciliation et la normalisation des relations avec Téhéran envisagées par l’administration du président élu.

Les liens entre le régime iranien et Al-Qaïda: bref historique

- Entre 1992 et 1996: l'émissaire de l'Iran, Cheikh Nomani, se serait entretenu avec la direction d'Al-Qaïda, située à Khartoum et placée sous l'égide du Front national islamique soudanais.

- Entre 1996 et 2000: un accord confidentiel entre Oussama Ben Laden et Téhéran aurait permis aux dirigeants d'Al-Qaïda de se rendre plus facilement en Afghanistan via l'Iran.

- En 1998: au mois d'août, Al-Qaïda se sert de la tactique Iran/Hezbollah dans le but de bombarder les ambassades américaines du Kenya et de la Tanzanie, faisant deux cent vingt-trois morts et des milliers de blessés.

- En 2000: un juge fédéral américain accuse l'Iran et le Soudan d'être à l’origine du bombardement de l’USS Cole au Yémen au mois d’octobre. Ce verdict a été rendu quatre ans après la mort de dix-sept marins dans cette attaque.

- En 2001: des allégations circulent concernant le transit de membres d'Al-Qaïda à destination et en provenance d'Afghanistan, via l'Iran, dans la période qui a précédé les attentats terroristes du 11-Septembre. Ces allégations sont étayées par des preuves solides, apportées lors d'un procès qui s’est tenu ultérieurement aux États-Unis.

- Entre 2001 et 2004: selon certaines informations, les dirigeants d'Al-Qaïda auraient trouvé refuge en Iran après avoir fui Tora Bora ainsi que d'autres cachettes situées en Afghanistan sous le feu des forces américaines, au mois d’octobre 2001.

- Entre 2001 et 2010: des agents d'Al-Qaïda, dont Saif al-Adel, Saad ben Laden, Abdallah Ahmed Abdallah et Abou Moussab al-Zarqaoui, s’établissent en Iran, prétendument en «résidence surveillée».

- 2011: les États-Unis accusent officiellement l'Iran d'avoir conclu un pacte qui autorise Al-Qaïda à acheminer de l'argent, des armes et des combattants vers ses bases du Pakistan et d’Afghanistan.

- 2015: l'Iran libère cinq membres chevronnés d'Al-Qaïda dans le cadre d'un échange de prisonniers avec la branche du groupe au Yémen, qui détenait un diplomate iranien.

- Entre 2015 et 2016: le bureau du directeur du renseignement national américain publie une série de documents déclassifiés qui mettent en lumière les relations entre Al-Qaïda et l'Iran.

- En 2018: un groupe de spécialistes des Nations unies laisse entendre que les dirigeants d'Al-Qaïda qui se trouvent en Iran sont devenus plus influents.

- En 2020: le 7 août, Abdallah Ahmed Abdallah aurait été tué avec sa fille à Téhéran par des agents israéliens travaillant pour le compte des États-Unis.

- En 2021: Le secrétaire d'État américain Mike Pompeo lance une récompense de 7 millions de dollars (5,75 millions d’euros) contre des informations sur Mohammed Abbatay, alias Abd al-Rahman al-Maghrebi, considéré comme le chef d'Al-Qaïda établi en Iran.

Biden a fait savoir que son administration avait l’intention de rejoindre l’accord sur le nucléaire et de lever les sanctions contre l’Iran.

Par ailleurs, l'administration Trump a investi un capital politique considérable au cours des quatre dernières années en imposant des sanctions à la République islamique. Cela a affaibli considérablement le régime et son économie, et a entraîné une baisse importante de ses exportations de pétrole. 

En ce qui concerne les liens profonds qui unissent l'Iran et Al-Qaïda, les médias, les politiciens et les chercheurs n'ont malheureusement accordé que peu de considération à ce sujet.

Certains ont peut-être souscrit à la version mensongère – étayée par le régime de Téhéran, ses agents et certains médias – selon laquelle Al-Qaïda et Téhéran seraient des ennemis, le premier étant sunnite et le second chiite. Cependant, j'estime qu'il faut accorder une plus grande attention aux relations qui existent depuis trois décennies entre Al-Qaïda et le régime iranien.

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Des secouristes s’affairent au milieu des décombres après le bombardement de l'ambassade américaine à Nairobi, au Kenya, le 7 août 1998. (AFP)

Ces relations remontent au début des années 1990. À l'époque, le régime iranien percevait Al-Qaïda à travers un prisme d'opportunisme idéologique et politique. Du point de vue des dirigeants iraniens, Al-Qaïda était un précieux groupe terroriste non étatique qui pouvait contribuer à la réalisation des trois grands objectifs révolutionnaires de l'Iran: lutter contre l'anti-américanisme, saper les intérêts de l'Arabie saoudite dans la région et déstabiliser le Moyen-Orient de telle sorte que Téhéran arrive à tirer profit du chaos et de l'instabilité.

La division sunnite-chiite n'a jamais été un sujet de préoccupation pour le régime iranien tant que le groupe terroriste pouvait l'aider à concrétiser ses objectifs révolutionnaires. 

Au début des années 1990, Al-Qaïda avait désespérément besoin de fonds, mais surtout d'une formation poussée en termes de tactique et de technique et d’entraînement pour ses milices, afin que ces dernières puissent perpétrer des attaques terroristes massives. Le mandataire de l'Iran, en l'occurrence le Hezbollah, avait mené par le passé des attaques contre les forces américaines, comme l'attentat à la bombe de 1983 contre les casernes des Marines à la périphérie de Beyrouth, qui avait causé la mort de 241 Américains. C'est à cette époque que le mariage de convenance entre l'Iran et Al-Qaïda a débuté.

En effet, la convergence des intérêts des deux partis a favorisé le développement de leurs relations et le renforcement du pouvoir d'Al-Qaïda. L'Iran a conclu un accord avec Al-Qaïda et a fait appel au Hezbollah afin de lui fournir des fonds, des armes et des explosifs. Peu après, une rencontre au Soudan a rassemblé Oussama ben Laden, le dirigeant d'Al-Qaïda, et Imad Moughniyah, chef de la sécurité du Hezbollah. 

Ben Laden a donc invité ses partisans à vénérer le régime iranien et a écrit que l'Iran était «la principale artère permettant l'acheminement des fonds, du personnel et de l’information» pour Al-Qaïda. Trois institutions iraniennes ont joué un rôle clé dans l'aide apportée à Al-Qaïda et au Hezbollah: le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI), son unité d'élite Al-Qods, et le ministère du Renseignement.

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Sur cette photo publiée le 5 janvier 2001, des agents de sécurité de l'US Navy et du corps des marines des États-Unis patrouillent, le 18 octobre 2000, devant le destroyer USS Cole de l'US Navy, détruit à la suite de l'attentat terroriste à la bombe contre ce navire à Aden, au Yémen, le 12 octobre 2000. (AFP/fichier photo)

Même si l'Iran a tenté de dissimuler ses liens avec Al-Qaïda, des informations faisant état de ces relations ont commencé à apparaître au milieu des années 1990.

Selon les premières incriminations fédérales prononcées contre Al-Qaïda sous l'administration Clinton, «l'accusé, Oussama ben Laden, et Al-Qaïda ont également forgé des alliances avec le Front national islamique au Soudan, avec des représentants du gouvernement iranien, ainsi qu'avec son groupe terroriste affilié, le Hezbollah, dans le but de combattre conjointement leurs ennemis communs en Occident, en particulier les États-Unis».

La formation avancée des agents d’Al-Qaïda assurée par l'Iran et le Hezbollah a par ailleurs joué un rôle important.

C'est au mois de décembre 1992 qu'Al-Qaïda a perpétré sa première attaque terroriste notoire: l'attentat à la bombe de l'hôtel Gold Mohur à Aden, au Yémen. L'année qui a suivi, Al-Qaïda détruisait le World Trade Center de New York. Le modus operandi de ce groupe a été intégralement conçu par le régime iranien. Il concerne les voitures piégées, les attentats suicides et les attaques simultanées et multidimensionnelles visant plusieurs cibles.

Après avoir acquis une expertise tactique et technique et après être passé maître dans le domaine du bombardement, Al-Qaïda réalise sa deuxième attaque à grande échelle au mois d’août 1998: les attentats au camion piégé contre les ambassades des États-Unis à Nairobi, au Kenya, et à Dar es Salaam, en Tanzanie. Ils ont coûté la vie à plus de deux cents personnes.

Une cour fédérale américaine a conclu qu'avant qu'Al-Qaïda ne soit formée par l'Iran et le Hezbollah, elle «ne disposait pas de l'expertise technique nécessaire pour réaliser des attentats à la bombe contre les ambassades». En réalité, ces attentats étaient les reproductions des attaques menées par le Hezbollah en 1983. Autrement dit, le régime iranien était le responsable de ces attentats. 

Al-Qaïda a certes soutenu l'Iran dans ses actions contre les forces occidentales en Syrie et en Irak. Toutefois, l’organisation a également fourni au Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) un prétexte pour renforcer son influence dans les villes de Bagdad, Damas et Sanaa.

Dr Majid Rafizadeh

Par la suite, le régime iranien a autorisé les membres d'Al-Qaïda à traverser le pays sans visa ni passeport, à la veille des attentats du 11 septembre. Des preuves solides, dont une décision rendue par un tribunal fédéral, ont permis d’établir que «l'Iran a fourni du matériel et un soutien direct aux terroristes du 11 septembre».

Au moins huit des pirates de l'air sont passés par l'Iran pour se diriger ensuite vers les États-Unis. L'Iran a également fourni des fonds, un soutien logistique et des munitions aux dirigeants d'Al-Qaïda, et a hébergé nombre d'entre eux. En contrepartie, le groupe terroriste devait cibler des intérêts américains.

Le régime iranien a également apporté son soutien à Al-Qaïda en Irak, en Syrie et dans d'autres pays afin de chasser les forces rivales de Téhéran.

En effet, le régime iranien a envoyé des membres d'Al-Qaïda en Syrie pendant la guerre civile dans le but de semer la terreur parmi la population, de combattre les forces occidentales, de justifier l'influence du Corps des gardiens de la révolution islamique dans le pays et d’appuyer les arguments de Bachar Al-Assad et de Téhéran, qui affirment que le gouvernement syrien se bat contre des «groupes terroristes» et non contre des groupes d'opposition légitimes.

En 2017, une série de 470 000 documents divulgués par la CIA a révélé les relations étroites entre Ben Laden, Al-Qaïda et le régime iranien. Ces pièces confirment ce que plusieurs agences de renseignement, tribunaux et experts savaient depuis bien longtemps : selon ces dossiers, l'Iran a fourni aux combattants d'Al-Qaïda «des fonds, des armes et tout ce dont ils ont besoin, et les a formés dans les camps du Hezbollah au Liban. En échange, Al-Qaïda ciblerait des intérêts américains en Arabie saoudite».

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Le 13 mai 2003, à Riyad, des Saoudiens et des expatriés se rassemblent autour du complexe résidentiel dévasté d'Al-Hamra, cible d’un attentat suicide à la voiture piégée lors de la nuit précédente attribué au réseau terroriste d'Al-Qaïda. (AFP/fichier photo)

L'ancien général du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI), Saeed Ghasemi, a fait en 2019une révélation surprenante. Il affirme que le gouvernement iranien a déployé des agents en Bosnie dans les années 1990 afin de former les membres d'Al-Qaïda. Ces agents ont dissimulé leur identité et ont prétendu faire partie de la Société du Croissant-Rouge iranien.

Ce récit a été corroboré par un autre responsable iranien, Hossein Allahkaram. Ce dernier explique qu’«il existe différents grades au sein d'Al-Qaïda. Le grade qui se trouvait en Bosnie était en quelque sorte lié à nous. Parfois, pour une raison ou une autre, certains d'entre eux quittaient cet endroit et venaient nous rejoindre, après s’être entraînés dans les bases d'Al-Qaïda et avoir reçu leurs armes».

Al-Qaïda a ainsi soutenu l'Iran dans sa guerre contre les forces occidentales en Syrie et en Irak. Il a fourni au Corps des gardiens de la révolution islamique un prétexte pour accroître son influence dans les villes de Bagdad, Damas et Sanaa. Leur alliance permet probablement de comprendre les raisons pour lesquelles ce groupe terroriste n'a jamais attaqué le régime iranien.

L'Iran est le parrain de plusieurs groupes terroristes dans la région, y compris Al-Qaïda. Les relations de longue date qui unissent le régime à cette milice méritent une plus grande attention. Compte tenu de toutes ces évidences, il appartient à la communauté internationale – et notamment à la prochaine administration américaine – de faire assumer au régime iranien la responsabilité du financement, de l'armement et du renforcement d’un groupe terroriste qui compte parmi les plus redoutables du monde.


Le Dr Majid Rafizadeh est un politologue irano-américain diplômé de Harvard. Twitter : @Dr_Rafizadeh.

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com