Des partis rivaux font valoir leurs droits tandis que Biden planche sur la politique syrienne

Des milices kurdes à bord de véhicules militaires célèbrent la victoire sur Daech à Raqqa, en Syrie, le 17 octobre 2017 (Reuters)
Des milices kurdes à bord de véhicules militaires célèbrent la victoire sur Daech à Raqqa, en Syrie, le 17 octobre 2017 (Reuters)
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Publié le Vendredi 12 février 2021

Des partis rivaux font valoir leurs droits tandis que Biden planche sur la politique syrienne

Des partis rivaux font valoir leurs droits tandis que Biden planche sur la politique syrienne
  • Les gens doivent continuer à suivre toutes les mesures de précaution, notamment parce que certains pays européens ont été témoins d’une troisième vague de contaminations
  • Diverses forces en Syrie poursuivent des politiques d’affrontement et de collaboration pour consolider leurs intérêts

Lorsque Donald Trump a quitté la Maison-Blanche, la politique américaine en Syrie était en déliquescence: les États-Unis ont trahi les Kurdes en permettant à la Turquie d’envoyer ses troupes pour déstabiliser leur territoire à la frontière syro-turque. Malgré les attaques aériennes israéliennes répétées, l’Iran est toujours un allié solide du gouvernement Assad; et Moscou est devenue la capitale incontournable de tous les dirigeants régionaux pour répondre à leurs préoccupations en matière de sécurité. Seul un petit détachement de 500 soldats américains est resté dans l’est de la Syrie pour empêcher le gouvernement de contrôler les champs pétrolifères.

Compte tenu de l’appui dont bénéficie Assad de la part de la Russie et de l’Iran, lui-même soutenu par des milices chiites d’autres pays voisins, le régime a les mains libres.

Biden signale qu’il n’a pas l’intention de se retirer du pays, mais aucun autre détail sur la politique de son administration n’a jusqu’à présent filtré. Cependant, diverses forces en Syrie poursuivent des politiques d’affrontement et de collaboration pour consolider leurs intérêts et s’assurer qu’elles ne seront pas affectées par de nouvelles options américaines.

Les Kurdes syriens ont pris simultanément deux mesures: affronter les forces gouvernementales turques et syriennes et renforcer l’unité au sein de leurs rangs. Ainsi, à la fin du mois de janvier, des attentats à la bombe ont été perpétrés contre des cibles gouvernementales dans la province de Hasakah dans le Nord-Est. Seule une intervention vigoureuse de la Russie a permis de maîtriser la situation. Les Kurdes ont également attaqué les forces turques dans le Nord-Ouest, à Afrin et à Azaz. Ces enclaves étaient sous contrôle kurde jusqu’en 2018, lorsqu’elles ont été prises d’assaut par les Turcs.

Compte tenu de l’appui dont bénéficie Assad de la part de la Russie et de l’Iran, lui-même soutenu par des milices chiites d’autres pays voisins, le régime a les mains libres.

Ces attaques kurdes ont pour objectif de montrer aux responsables américains que leurs aspirations devraient être la principale préoccupation de Washington. Mais les attaques ont également fait naître involontairement un intérêt commun entre Ankara et Damas, qui partagent leurs inquiétudes quant au fait que les Kurdes élargissent le territoire sous leur contrôle et qui, en même temps, discutent tranquillement de la manière de coordonner leurs politiques de sécurité pour déjouer les aspirations kurdes.

Même si un rapprochement des intérêts syriens et turcs est à écarter dans l’immédiat, il n’en demeure pas moins qu’ils bénéficient d’une marge de manœuvre considérable pour coopérer sur des questions spécifiques de préoccupation immédiate, telles que la pression militaire sur les Kurdes dans le Nord-Est. En plus de freiner les aspirations kurdes, la Russie, la Turquie et la Syrie espèrent également encourager les États-Unis à retirer leurs troupes toujours en place dans la région, de crainte que, avec les conflits en cours, ces dernières subissent des pertes.

Dans ce contexte, les Kurdes cherchent à réaliser l’unité dans leurs propres rangs. À la fin du mois de janvier, le Parti de l’unité démocratique, l’aile politique de la milice des Forces démocratiques kurdes syriennes, a rencontré des groupes d’opposition rassemblés sous l’égide du Conseil national kurde, lié à la Turquie. Compte tenu des affiliations concurrentes des groupes kurdes, l’unité reste difficile à envisager.

C’est Israël qui a pris la principale mesure pour réduire la capacité militaire de l’Iran. Après avoir subi de nombreuses attaques aériennes israéliennes contre ses installations près de Damas, l’Iran a déplacé ses armements, ses munitions et son personnel vers la frontière irakienne. Mais même ici, les attaques israéliennes ont été implacables, avec quatre assauts aériens jusqu’en janvier qui ont contraint les Iraniens à entreposer leur équipement dans des souterrains à proximité des zones résidentielles.

Acteur improbable, le militant extrémiste vétéran Abou Mohammed al-Julani, chef du Front Al-Nosra, affilié à Al-Qaïda, qu’il a rebaptisé «Hayat Tahrir al-Cham» en 2016 et qui contrôle actuellement Idlib, cherche à se donner une meilleure image auprès de l’administration américaine. En janvier, il s’est promené dans les camps de réfugiés autour d’Idlib et s’est dit préoccupé par les conditions de vie des résidents.

Al-Julani a accompagné ces interactions publiques d’une interview sur trois jours pour un journaliste américain, au cours de laquelle il est photographié non dans des vêtements traditionnels mais dans un costume de style occidental, jouant ainsi la carte de la modération politique. Son intention est de se projeter comme chef d’un parti politique soutenu par une force militaire puissante et qui bénéficie du soutien populaire. Il doit donc être considéré comme un acteur légitime sur la scène politique syrienne.

Alors que le nouveau président américain cherche à développer sa politique syrienne, il est rattrapé par certaines réalités.

Alors que Biden cherche à développer une nouvelle politique syrienne, il est rattrapé par certaines réalités. La Russie, l’Iran et la Turquie, partenaires du processus de paix d’Astana, travaillent ensemble depuis quatre ans. Bien que leurs intérêts ne convergent pas, ils ont appris à s’accommoder les uns des autres et à trouver des solutions aux défis immédiats. Chacun d’eux a construit de solides alliances locales qui leur fournissent des bases solides de soutien et étayent leurs intérêts. Ils ont des enjeux stratégiques importants en Syrie et ne seront pas facilement délogés. Leur alliance tripartite est, en fait, suffisamment solide pour résister à toute pression que les États-Unis ou Israël pourraient exercer sur elle.

Étant donné que l’approche coercitive des États-Unis n’a pratiquement engendré aucun résultat tangible, la meilleure politique que Biden puisse envisager est de s’engager, avec le régime de Damas et les partenaires du processus d’Astana, à collaborer sur des intérêts communs: maintenir l’unité de la Syrie, garantir la sécurité intérieure, promouvoir le processus politique et œuvrer pour la réhabilitation et la reconstruction. C’est le seul moyen d’inverser la courbe des exactions du régime et de ses voisins qui perdurent en Syrie depuis dix ans.

Talmiz Ahmad est auteur et ancien ambassadeur indien en Arabie saoudite, à Oman et aux Émirats arabes unis. Il est titulaire de la Chaire Ram Sathe.

NDLR: les opinions exprimées par les rédacteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com