Le monde a-t-il encore besoin des Jeux olympiques ?

Ce n’est pas la première fois que, durant les mois précédents l’ouverture d’une Coupe du monde de football, d’une Exposition universelle ou des Jeux olympiques, journalistes et politiques se perdent en conjectures sur le bien-fondé de la tenue dudit méga-événement (photo AFP).
Ce n’est pas la première fois que, durant les mois précédents l’ouverture d’une Coupe du monde de football, d’une Exposition universelle ou des Jeux olympiques, journalistes et politiques se perdent en conjectures sur le bien-fondé de la tenue dudit méga-événement (photo AFP).
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Publié le Mardi 09 mars 2021

Le monde a-t-il encore besoin des Jeux olympiques ?

Le monde a-t-il encore besoin des Jeux olympiques ?
  • Pour cette prochaine édition des Jeux de Tokyo, la perspective est aujourd’hui plus sombre
  • Les compétitions commencent et la puissance dramaturgique du sport se libère : moments de bonheur et d’émotions, déceptions, aspirations. Actes héroïques et coups du sort

Oui, la réponse est oui. N’attendons donc pas la fin de cette tribune pour connaître ma position. 

Et pourtant, alors que la Fifa et le comité d’organisation Qatar 2022 font preuve d’une efficace discrétion et avancent dans la préparation de la prochaine Coupe du monde de football, le Comité international olympique (CIO) et le comité d’organisation des Jeux de Tokyo sont régulièrement sous les feux de la rampe. Ils ne se passent pas un jour sans que la question de la tenue des Jeux, ou leur pertinence, ne soit posée: sondages sur la position du peuple japonais, avis d’experts, débats contradictoires. Même le président américain a été interpellé. Le mois dernier, il a déclaré que  la décision ou non de participer serait basée sur des données scientifiques» (Westwood One Sports, 7 février 2021). Position technique, symboliquement bien loin d’une vision politique.

Ce n’est pas la première fois que, durant les mois précédents l’ouverture d’une Coupe du monde de football, d’une Exposition universelle ou des Jeux olympiques, journalistes et politiques se perdent en conjectures sur le bien-fondé de la tenue dudit méga-événement. Avant la rencontre, il y a légitimement peu à dire et l’espace médiatique fleurit de questions périphériques, philosophiques, politiques ou éthiques. Les détracteurs s’en donnent à cœur joie. Ainsi que ceux qui profitent de la visibilité de l’événement pour faire parler d’eux (cf. précédente tribune sur l’Ambush marketing, Arabnews.fr 26 janvier 2021). Il faut en général attendre la fin de la cérémonie d’ouverture pour que l’on puisse enfin aborder le vif du sujet. Les compétitions commencent alors et la puissance dramaturgique du sport se libère: moments de bonheur et d’émotions, déceptions, aspirations. Actes héroïques et coups du sort.

Mais pour cette prochaine édition des Jeux de Tokyo, la perspective est aujourd’hui plus sombre. Derrière la restriction de circulation pour les athlètes hors des espaces olympiques, les contraintes de participation des membres de la Famille olympique, les doutes pour la venue des spectateurs étrangers, la question de l’ouverture aux spectateurs, le débat semble concerner l’essence même des Jeux.

Le but de l’olympisme est de mettre partout «le sport au service du développement harmonieux de l’homme, en vue d’encourager l’établissement d’une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine»

Philippe Blanchard

Cette crise existentielle est plus profonde que la seule crise sanitaire. Malheureusement… Cette dernière n’a fait que catalyser le désintérêt de la jeunesse et une perte de lisibilité. Est-ce liée à une ligne de communication obscurcie par le politiquement correct, ou aux tentatives de récupération de multiples parties prenantes, ou encore à la complexité juridique? Malgré les efforts de son président, de ses membres et de son administration, l’arène olympique est devenue un espace d’opposition. Et les Jeux sont devenus synonymes d’une liste de contraintes et d'une litanie de complaintes.

Lors de sa déclaration à la Sorbonne en juin 1894, le baron Pierre de Coubertin nous donna une définition simple de sa vision des Jeux olympiques modernes: ils sont la fête de la jeunesse. Pacifique convaincu, Coubertin considérait que le meilleur moyen de promouvoir la paix dans le monde était de célébrer «la fête quadriennale de la jeunesse universelle, du printemps humain... Ils (les Jeux) constituent une manifestation pédagogique, une école de noblesse et de pureté…»

Le but de l’olympisme est de mettre partout «le sport au service du développement harmonieux de l’homme, en vue d’encourager l’établissement d’une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine» (principe fondamental 3). Cet idéalisme fut moderne et visionnaire. Et il le reste: «Les sports se sont développés au sein d’une société que la passion de l’argent menace de pourrir jusqu’à la moelle (1925).» «Le temple durera et la foire passera. Foire ou temple, les sportifs devront choisir, ils ne peuvent à la fois fréquenter l’un et l’autre… Qu’ils choisissent!» (1925)

Société pacifique. Dignité humaine. Développement harmonieux de l’homme. Comment ne pas être sensible aux côtés actuel et nécessaire de cette vision. Les détracteurs des Jeux olympiques ne mettent d’ailleurs jamais en cause ces aspirations. Certains évoquent les modalités de leur mise en œuvre, la complexité du projet, sa dimension géopolitique. Mais jamais l’objectif. Leurs critiques peuvent être entendues, mais elles ne doivent pas justifier une remise en cause totale des Jeux, ni de l’olympisme car ce sont justement ces dimensions complexes et géopolitiques qui font, elles aussi, la beauté des Jeux et leur efficacité dans l’avènement d’une «société pacifique», forte de «dignité humaine et d’un développement harmonieux de l’homme». Ces enjeux et ces potentialités sont bien compris par les dirigeants des territoires qui accueilleront les prochains Jeux olympiques et paralympiques, leurs déclinaisons régionales (Jeux continentaux), comme les versions Doha 2030 et Riyad 2034 des Jeux asiatiques. Dans le film post-apocalyptique Mad Max, Tina Turner chanta We don’t need another hero, «nous n’avons pas besoin d'un nouveau héros». Je pense que, plus que jamais, nous avons au contraire besoin de ce nouvelles figures héroïques, nous avons besoin de rêver et de contribuer au développement harmonieux de l’homme. C’est pourquoi nous avons besoin de l’olympisme et de ses valeurs. Et nous avons tous besoin des Jeux.

 

Philippe Blanchard a été directeur au Comité international olympique puis en charge du dossier technique de Dubai Expo 2020. Passionné par les méga-événements, les enjeux de société et la technologie, il dirige maintenant Futurous, les Jeux de l’Innovation et des sports du Futur.

Twitter: @Blanchard100

 

NDLR: Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.