Malgré dix ans d’une guerre sanglante, « politique habituelle » en Syrie

Sur les 20 millions de personnes que compte le pays, plus de la moitié ont été déplacées. (AFP)
Sur les 20 millions de personnes que compte le pays, plus de la moitié ont été déplacées. (AFP)
Short Url
Publié le Dimanche 14 mars 2021

Malgré dix ans d’une guerre sanglante, « politique habituelle » en Syrie

Malgré dix ans d’une guerre sanglante, « politique habituelle » en Syrie
  • À la fin du mois de février, Moscou a joué le rôle de médiateur dans un accord entre la Syrie et Israël
  • Les Forces démocratiques syriennes (FDS) savent désormais que pour préserver leurs intérêts, elles doivent passer par la Russie

Dix ans se sont écoulés depuis qu'un graffiti innocent griffonné par des enfants sur les murs de Deraa a déclenché des affrontements sanglants à travers la Syrie. Les chiffres qui documentent les morts et les ravages sont ahurissants : à ce jour, près d'un demi-million de Syriens ont péri.

Parmi les morts, on compte 12 000 enfants. Sur six Syriens, un a vu l'un de ses parents tué ou blessé.

Par ailleurs, sur les 20 millions de personnes que compte le pays, plus de la moitié ont été déplacées, dont la moitié sont des réfugiés. Dans le nord de la Syrie, un million de personnes déplacées vivent dans près de 1 300 camps dénués d'infrastructures de base : routes, approvisionnement en eau ou installations sanitaires. La pauvreté frappe plus de 80 % de la population, dont 12,4 millions sont victimes d'insécurité alimentaire, 15 millions n'ont pas accès à l'eau potable et 2,5 millions d'enfants n'ont pas accès à l'éducation.

En dépit de cette situation épouvantable, le pays affiche aujourd'hui une attitude de « politique habituelle ». Au début du mois de février, les forces du gouvernement se sont installées dans la campagne entourant Deraa, à la suite d'un accord conclu entre les groupes d'opposition et le régime de Damas, sous médiation de la Russie. En effet, cette évolution consacre la consolidation des forces officielles dans le sud de la Syrie, soutenues par des militants commandités par l'Iran, à l'approche des élections présidentielles prévues au cours des deux prochains mois.

Idlib constitue une autre zone de conflit en Syrie. Cette ville abrite 3 millions de civils mais aussi 10 000 militants armés, la plupart appartenant à Hay’at Tahrir Al-Sham (NDRL : ou l’Organisation de Libération du Levant en français HTS). En février, le HTS a pu peaufiner son profil « modéré » en arrêtant plusieurs dirigeants du groupe radical Hurras Ad-Din (Gardiens de la religion), affilié à Al-Qaïda. Compte tenu de ses anciens rapports avec Al-Qaïda, plusieurs observateurs se montrent sceptiques quant aux tendances modérées de l'HTS.

De son côté, la Turquie poursuit ses efforts pour inciter le HTS à rejoindre ses forces, fortes de 12 000 hommes, dans le nord de la Syrie. Cela lui permettrait de renforcer sa capacité de combat contre les Forces démocratiques syriennes (FDS) composées de Kurdes. Celles-ci sont soutenues par une force américaine composée de quelques centaines de soldats et contrôlent environ un quart de la superficie de la Syrie et 80 % de ses ressources, tant pétrolières qu'agricoles.

Deux incertitudes se présentent ici: La première concerne la stratégie adoptée par l'administration du président américain Joe Biden à l’égard de la Syrie, y compris l'étendue de l'engagement militaire américain ainsi que le maintien des sanctions imposées par la loi César. La seconde incertitude porte sur les relations que les États-Unis entretiendront avec la Turquie à l'avenir, dans le contexte des rapports militaires de la Turquie avec la Russie ou de son hostilité à l'égard les aspirations des Kurdes en Syrie.

Sur les 20 millions de personnes que compte le pays, plus de la moitié ont été déplacées, dont la moitié sont des réfugiés.

Talmiz Ahmad

 

Alors que les Américains méditent sur ces questions, les Forces démocratiques syriennes (FDS) savent désormais que pour préserver leurs intérêts, elles doivent passer par  la Russie.  Elles ont pris conscience de cette réalité en février, lorsque les troupes russes se sont temporairement retirées de deux villes du nord-est de la Syrie –Ain Issa, dans le nord de Raqqa, et Tel Tamr, dans la campagne de Hasaka – . Ainsi, les Kurdes ont dû affronter seuls les forces turques.

Selon les observateurs locaux, il s'agissait là d'un geste calculé de la part de la Russie pour rappeler aux Kurdes que leur sécurité dépend de leur coopération avec Moscou. En effet, la Russie n'est pas favorable à une « patrie » kurde autonome. Elle souhaite plutôt que les Kurdes soient partie intégrante d'une Syrie unie et souveraine, tout en bénéficiant d'une certaine autonomie.

Pour sa part, l'Iran a rétabli sa présence dans la province orientale de Deir Ez-zor au cours du mois écoulé, à la suite des attaques aériennes massives menées par Israël le 13 janvier. Il a en outre recruté de jeunes membres des tribus arabes locales dans une toute nouvelle milice, baptisée « les Hachémites ». En effet, l'Iran accorde une importance considérable à sa présence à Boukamal, dans la province de Deir Ez-zor, vu que cette ville se trouve à la frontière entre l'Irak et la Syrie et sur la route du Liban. Elle offre donc à l'Iran un corridor routier menant à la Méditerranée.

C'est à Sotchi que les trois signataires de l'accord de paix d'Astana - en l'occurrence la Russie, la Turquie et l'Iran - se sont rencontrés les 16 et 17 février. Bien que les intérêts des trois parties divergent, voire s'opposent, en Syrie, l'accord a perduré pendant plus de quatre ans durant lesquels les trois pays ont veillé à maintenir le cessez-le-feu et à faciliter l'échange de prisonniers. Grâce aux efforts des trois partenaires, aucun combat de grande envergure ne s'est produit depuis plus d'un an, même si leurs désaccords continuent à exacerber les tensions.

Lors du sommet de Sotchi, les partenaires ont affiché une position discrète au sujet de la situation à Idlib, même si, en dehors de la conférence, le diplomate russe a plaidé en faveur du retrait de HTS (Hay’at Tahrir Al-Sham ) de cette province. Les trois parties ont critiqué les États-Unis pour soutenir les FDS et se sont fermement opposées aux plans sécessionnistes de ce groupe. Enfin, ils ont exhorté le Comité constitutionnel à élaborer de toute urgence une nouvelle constitution, mission difficile, compte tenu des réticences du gouvernement Assad.

Aujourd'hui, tandis que les États-Unis tâtonnent pour déterminer leur politique, c'est la Russie qui se trouve au cœur de la diplomatie régionale. À la fin du mois de février, Moscou a joué le rôle de médiateur dans un accord entre la Syrie et Israël qui a permis à une Israélienne de retourner dans son pays et à deux bergers de rentrer en Syrie. Pour couronner cet accord, Israël a consenti à accorder à la Syrie un million de dollars pour couvrir le coût des vaccins russes contre le coronavirus (Covid-19).

 

Talmiz Ahmad est un auteur et ancien ambassadeur de l’Inde en Arabie saoudite, à Oman et aux Émirats arabes unis. Il est titulaire de la Chaire Ram Sathe d'études internationales de l’université internationale Symbiosis, Pune, Inde.

 

 Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News

 

 Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com