Même au fond du gouffre, le Liban peut renaître de ses cendres

Un manifestant à Beyrouth rend une bombe lacrymogène aux forces de l’ordre à l’aide d’une raquette (Photo, AFP).
Un manifestant à Beyrouth rend une bombe lacrymogène aux forces de l’ordre à l’aide d’une raquette (Photo, AFP).
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Publié le Samedi 15 août 2020

Même au fond du gouffre, le Liban peut renaître de ses cendres

Même au fond du gouffre, le Liban peut renaître de ses cendres
  • Le Liban doit mettre fin à sa corruption endémique. Il pourrait obtenir l’aide de la Banque mondiale et des organes de l’ONU qui ont développé des méthodes efficaces pour améliorer la bonne gouvernance
  • Le Liban a fait preuve de résilience par le passé et a été capable de se relever à plusieurs reprises

La semaine qui a suivi l’explosion au port de Beyrouth a mis en lumière tous les maux dont souffrait le Liban bien avant que cette catastrophe ne révèle l’incompétence et l’indifférence du gouvernement face aux souffrances de son propre peuple. Le déroulement des événements depuis mardi dernier ne fait que souligner la manière dont le gouvernement libanais a géré les catastrophes sécuritaires, politiques, économiques et humanitaires qui couvent depuis longtemps dans le pays. Dirigé par le Hezbollah et ses alliés, le gouvernement a donné la priorité à la promotion des intérêts politiques du groupe et de l'Iran, au détriment des Libanais ordinaires. 
La réaction des Libanais a démontré le fossé qui existait entre le gouvernement et son peuple. Ils ont affirmé que le président français Emmanuel Macron s’était rendu à leur chevet, sur les lieux les plus touchés par l’explosion,  alors même qu’aucun dirigeant libanais ne l’avait fait.  
Le 3 août, un jour avant l’explosion, le ministre des Affaires étrangères Nassif Hitti a démissionné, justifiant sa décision par l’échec du gouvernement à faire face aux crises qui menaçaient de faire du Liban un Etat failli. D’autres ministres ont fait de même après l’explosion et, lundi dernier, le Premier ministre Hassan Diab lui-même a annoncé la démission de son gouvernement, déclarant qu’il avait voulu lutter contre la corruption, mais qu’il s’était heurté à une « corruption plus forte que l’Etat ».
La conférence des donateurs dimanche dernier à l’initiative de la France a confirmé l’isolement du Liban au plan mondial et le manque de confiance de la part de la communauté internationale. Tout en manifestant une grande sympathie pour les victimes de l’explosion, les donateurs ont exprimé leur frustration face au manque de progrès du pays dans la lutte contre la corruption et à l’absence des réformes économiques requises par les institutions financières internationales. 
Les participants à la conférence pour le Liban ont contribué de manière relativement modique - débloquant un peu plus de 250 millions d’euros — une goutte d’eau dans l’océan par rapport aux précédentes conférences de donateurs qui avaient permis de mobiliser des milliards d’euros pour le Liban. Ceux qui ont apporté leur aide ont insisté pour qu’elle soit versée directement à la population affectée, via des organisations humanitaires internationales et non par le biais du gouvernement libanais. Ils ont renouvelé leurs promesses de futures aides en cas de mise en œuvre de réformes économiques et d’une politique de bonne gouvernance. Beaucoup ont réclamé une enquête indépendante sur la catastrophe et la participation d’enquêteurs internationaux, mais les représentants du gouvernement libanais ont ignoré ces demandes, rejetant l’idée d’une enquête internationale.
La résilience du peuple libanais
Les protestations anti-gouvernementales qui ont débuté l’année dernière, se sont intensifiées depuis l’explosion. Il est triste de constater que certains Libanais ont renoncé à la possibilité de réformes et se sont résignés à l’exil. Nombreux sont ceux qui ont exprimé leurs craintes d’un retour à une guerre civile désastreuse.
Bien qu’il soit clair que le Liban se trouve dans une situation très mauvaise, il n’est cependant pas impossible de le reconstruire. Le Liban a fait preuve de résilience par le passé et a été capable de se relever à plusieurs reprises. Je me souviens toujours de ma visite au Liban en 1990, peu après la conclusion de l’Accord de Taëf en octobre 1989. Beaucoup avaient perdu espoir après 15 ans de guerre civile au Liban, mais cet accord a redonné au pays un nouveau souffle. Toutefois, lorsque René Moawad, premier président choisi après cet accord a été assassiné après seulement quelques semaines en fonction, le désespoir a refait une brève apparition. Mais les Libanais ont persévéré : ils ont élu un nouveau président et le processus de reconstruction a commencé.
Depuis, une série d’erreurs désastreuses ont conduit à la situation actuelle : la situation humanitaire semble désespérée, l'économie est en ruine et le système politique se trouve dans l'impasse. Déballer ce gâchis, et surtout le résoudre, ne sera pas facile. Les leçons tirées de l’histoire du Liban donnent quelques pistes de réflexion, aussi difficiles et incertaines soient-elles.
Des pistes pour entrevoir un meilleur avenir
Premièrement, l’aide humanitaire doit se poursuivre et s’intensifier, indépendamment de ce que nous pensons de la classe dirigeante actuelle du Liban. Les pays membres du Conseil de coopération du Golfe étaient parmi les premiers à fournir de l’aide au pays malgré leurs réserves quant au gouvernement. Cette aide doit aller directement aux personnes affectées à travers des organisations humanitaires indépendantes. Beaucoup observent avec attention comment le gouvernement va gérer la reconstruction des régions touchées pour juger son sérieux dans sa volonté de résoudre la crise. 
Deuxièmement, il est impératif d'ouvrir une enquête internationale indépendante sur les causes de l'explosion. Le fait de charger les responsables de la catastrophe d'enquêter sur le drame ou de confier cette tâche à un organe politisé fera douter de ses résultats. Une enquête transparente et indépendante aidera à restaurer une certaine crédibilité pour le gouvernement.

Troisièmement, le Liban doit s'engager sérieusement avec le Fonds monétaire international, afin de réformer son économie, stabiliser sa devise et restaurer sa solvabilité, après avoir été en défaut de paiement pour la première fois de son histoire en mai dernier. S’il ne redresse pas l’activité économique, de plus en plus de ménages rejoindront le cortège des 50% de Libanais qui sont tombés en dessous du seuil de pauvreté.  
Quatrièmement, le Liban doit mettre fin à sa corruption endémique. Il pourrait obtenir l’aide de la Banque mondiale et des organes de l’ONU qui ont développé des méthodes efficaces pour améliorer la bonne gouvernance.
Cinquièmement, il faut mettre fin à l’impasse politique en organisant des élections anticipées, car le Liban ne peut pas se permettre d’être encore paralysé pendant des mois, alors que les différentes factions politiques marchandent déjà pour former un nouveau gouvernement. Il y a eu des récriminations concernant les dernières élections de 2018, entachées par un découpage  par circonscriptions confessionnelles, suite à une loi électorale tronquée. Le confessionnalisme politique était censé prendre fin il y a longtemps, selon l'Accord de Taëf. Les manifestations populaires qui durent depuis des mois ont réclamé un nouveau système politique basé sur le mérite et non plus sur l’appartenance confessionnelle, avec emplois dans les institutions gouvernementales et autres primes d’Etat distribués par les chefs des communautés religieuses, comme c’est actuellement le cas. 
Sixièmement, le système judiciaire doit être réformé. Le Liban a connu un nombre démesuré d’assassinats politiques : meurtres de présidents, de premiers ministres, de chefs religieux, de journalistes et d’intellectuels. Il a également été témoin de fusillades de masse aux motifs politiques, et de détentions à grande échelle. Dans la plupart de ces cas, les tribunaux libanais n'ont pas agi. Cet échec est l’une des raisons de la création du Tribunal spécial pour le Liban à La Haye. Une première étape devrait être de coopérer avec ce tribunal lorsqu'il rendra son verdict sur l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri, désormais prévu pour le 18 août. Le fait de ne pas coopérer enverrait un mauvais message à la communauté internationale et pourrait affecter sa coopération dans d’autres domaines.

Abdel Aziz Aluwausheg est secrétaire général adjoint du Conseil de coopération du Golfe pour les affaires politiques et la négociation, et chroniqueur pour Arab News. Twitter : @abuhamad1
L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français ou du GCC

Ce texte est la traduction d'un article paru sur www.arabnews.com