L’entrepreneuriat comme clé de la féminisation de l’Arabie saoudite

Hanan et ses fleurs. (Photo fournie)
Hanan et ses fleurs. (Photo fournie)
Wejdan en Aramco. (Photo fournie)
Wejdan en Aramco. (Photo fournie)
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Publié le Vendredi 23 avril 2021

L’entrepreneuriat comme clé de la féminisation de l’Arabie saoudite

L’entrepreneuriat comme clé de la féminisation de l’Arabie saoudite
  • Si beaucoup de managers hommes ont à la fois un emploi salarié public ou privé et développent en parallèle un « business », c’est aussi le cas de plus en plus de femmes
  • Créer son entreprise, quand on est une femme est un facteur d’émancipation, et la relative facilité pour se lancer y est pour beaucoup

Ce qui paraît souvent évident pour les Saoudiens l’est beaucoup moins pour ceux qui observent la société évoluer: la création d’entreprise, le fait de posséder son business ou de prendre le risque de développer une activité comptent parmi les valeurs clés des sociétés arabes du Golfe, et l’Arabie saoudite ne fait pas exception.

Si beaucoup de managers masculins ont à la fois un emploi salarié public ou privé et développent en parallèle un «business», c’est également le cas de plus en plus de femmes. Les récentes évolutions législatives y sont pour beaucoup: il est assez simple pour une femme de créer une entreprise, un commerce qui lui permette d’être sa propre patronne.

Ces activités sont non seulement devenues monnaie courante mais, souvent, l’emploi salarié passe au second plan lorsque l’on interroge ces femmes, tant l’aventure de la création d’entreprises est mise en avant. Ainsi, Khulood, fonctionnaire dans un ministère saoudien, ne se présente que comme «gérante de pressing». Elle a investi dans plusieurs magasins de nettoyage dans lesquels ses employés dégraissent les costumes, abayas et thowb à longueur de journée. Il m’a fallu presque une heure pour me rendre compte qu’elle avait, en parallèle, une activité salariée dans le secteur public!

Si beaucoup de managers masculins ont à la fois un emploi salarié public ou privé et développent en parallèle un «business», c’est également le cas de plus en plus de femmes.

Arnaud Lacheret

Créer son entreprise quand on est une femme est un facteur d’émancipation, et le fait qu’il soit relativement facile de se lancer dans cette aventure explique cet engouement. Cela permet aussi, comme le souligne Hanan al-Nashmi, de prendre exemple sur des jeunes hommes et femmes saoudiens qui ont réussi et font rêver.

Elle mentionne volontiers Abdalla Elyas, le fondateur de Careem, Adwa al-Dakheel, PDG du Falak investment Club, Muzon Ashgar, fondatrice de MZN Bodycare, Deena al-Faris, cofondatrice de Saudi Ambitious Women Fashion, ou encore Roaa Saber, fondatrice des chocolats Miss Feionkah. Ces exemples d’entrepreneurs à succès saoudiens, qui sont pour elle autant de modèles, ont une caractéristique en commun: ils sont très jeunes – âgés de moins de 35 ans pour la plupart – et connaissent bien la société et leur marché.

Ainsi, Hanan al-Nashmi a créé Avanen Flowers, une entreprise spécialisée dans la composition florale pour les commerces, hôtels, restaurants et salles de réception, car elle connaît parfaitement la culture locale. «Oui, je vais bientôt avoir un MBA [maîtrise en administration des affaires] et je dirige une société de fleurs parce que, ici, il y a un marché: culturellement, la composition florale a un rôle très important en Arabie saoudite, et les gens sont prêts à payer pour cela.»

Cet engagement a également permis à Hanan de s’engager dans la société civile. Elle est membre d’Al-Sharqia Young Business Women Club ainsi que de nombreuses autres entités qui lui ont permis de rencontrer des personnalités de la sphère politique et du monde des affaires de premier plan à Riyad. Elle a ainsi pu élargir considérablement son réseau.

Wejdan al-Sahli, jeune trentenaire, travaille chez Aramco. «Je pourrais me contenter de mon job, qui est passionnant et qui devrait me permettre de gravir les échelons, mais j’ai préféré créer ma société, baptisée tout simplement “Wejdan”. Et puis, quelque part, mon côté entrepreneuse est très apprécié chez Aramco. Je pense qu’ils aiment ce que cette aventure m’apporte au quotidien, cette façon de voir les choses un peu différemment.»

Hyperactive, Wejdan a créé une société de design graphique, un peu en sommeil depuis l’épidémie, en 2004. Elle a conçu des dizaines de logos, de chartes graphiques, accompagnant ses clients dans leur démarche de marketing pour que, à leur tour, ils puissent se développer. «En fait, j’ai envie de m’inscrire dans la dynamique de mon pays. Dans la plaquette que j’ai réalisée en 2017, j’ai d’ailleurs fait figurer le plan stratégique Vision 2030 ainsi qu’une citation du prince héritier, parce que je vois bien que cet élan est celui d’une jeunesse à laquelle je m’identifie pleinement.»

Le boom des créations d’entreprise n’est pas seulement un effet de mode: il s’agit de quelque chose de culturel, et surtout d’un véritable outil qui permet aux jeunes femmes de décoller en intégrant du même coup les sphères socioéconomiques de la société saoudiennes. Derrière les chiffres et les noms, il y a donc autant d’aventures individuelles qui permettent aussi de s’inscrire pleinement dans une société saoudienne qu’elles contribuent à construire.

 

Arnaud Lacheret est Docteur en science politique, Associate Professor à l’Arabian Gulf University de Bahreïn où il dirige la French Arabian Business School, partenaire de l’Essec dans le Golfe. Il est l’auteur de « La femme est l’avenir du Golfe » paru aux éditions Le Bord de l’Eau.

 

Twitter: @LacheretArnaud

 

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.