N'espérez pas un accord sur la question chypriote

Cette photographie montre la zone de Varosha, bouclée par l'armée turque, vue depuis le poste de contrôle de Derynia, à Chypre. (Reuters)
Cette photographie montre la zone de Varosha, bouclée par l'armée turque, vue depuis le poste de contrôle de Derynia, à Chypre. (Reuters)
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Publié le Mardi 27 avril 2021

N'espérez pas un accord sur la question chypriote

N'espérez pas un accord sur la question chypriote
  • Cette semaine est prévue à Genève une réunion informelle pour évoquer une éventuelle solution au problème de Chypre
  • En 2004, l'ancien secrétaire général des Nations unies Kofi Annan avait élaboré un plan visant à résoudre la question chypriote

Cette semaine est prévue à Genève une réunion informelle pour évoquer une éventuelle solution au problème de Chypre. La rencontre, qui se tiendra de mardi à jeudi sur la base de 5+1, réunira les Chypriotes turcs et les Chypriotes grecs en tant que principales parties prenantes, ainsi que les trois pays garants – la Turquie, le Royaume-Uni et la Grèce – et le secrétaire général des Nations unies.

La délégation chypriote turque se rendra à Genève avec le solide soutien du président turc, Recep Tayyip Erdogan. En effet, les positions des Chypriotes turcs et de la Turquie se sont sensiblement rapprochées après l'élection d'Ersin Tatar, l'année dernière, à la présidence de la partie nord de Chypre.

En 2004, l'ancien secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, avait élaboré un plan visant à résoudre la question chypriote. Il s'agit du plan le plus exhaustif qui ait été élaboré à ce jour. Il compte environ 9 000 pages ainsi que des annexes, des pièces jointes, des cartes et des documents de référence. Par ailleurs, l'Union européenne a invité Erdogan à peser de tout son poids sur les Chypriotes turcs pour qu'ils votent en faveur du plan d'Annan. Ce plan était contesté par les partis d'opposition en Turquie, qui considéraient qu’il privilégiait les Chypriotes grecs. Néanmoins, Erdogan est resté sourd à ces critiques et a décidé de persuader les Chypriotes turcs de le soutenir.

Au terme de nombreuses négociations, c'est le 24 mars 2004 que les dernières modifications ont été introduites à cette proposition, à Bürgenstock, en Suisse. Le mois suivant, le plan a fait l'objet de référendums menés simultanément dans les deux parties de Chypre. À la veille du référendum, le président de la partie grecque de Chypre, Tassos Papadopoulos, a imploré son électorat de ne pas voter pour le plan qu'il avait approuvé auparavant à Bürgenstock. La partie grecque de l'île a donc rejeté le plan avec 76% de voix défavorables, tandis que la partie nord l'a approuvé à 64%.

Paradoxalement, l'Union européenne a consenti à l'adhésion de Chypre comme membre à part entière à peine quelques jours plus tard. Elle a cependant exclu les Chypriotes turcs qui avaient voté conformément aux souhaits de l'Union européenne. Cet événement a marqué un tournant dans l'attitude d'Erdogan à l'égard de l'Union européenne; il s'est senti dupé.

Deux volets de la question chypriote pourraient faire la une à Genève. En effet, selon les accords de Londres et de Zurich de 1960, qui ont abouti à la création de la République de Chypre, la constitution considère les Chypriotes turcs et grecs comme deux partenaires politiquement égaux. Or les Chypriotes grecs souhaitent aujourd'hui créer une République fédérale bicommunautaire et bizonale et réduire ainsi la communauté turque à une simple minorité.

La principale pomme de discorde concernera probablement la question des deux États, par opposition à la création d’un État fédéral.

Yasar Yakis

Le président Tatar s'oppose à cette idée et bénéficie du soutien d'Erdogan. Ils sont tous deux favorables à une solution à deux États. La principale pomme de discorde concernera probablement la question des deux États, par opposition à la création d’un État fédéral. Nombreux sont les exemples de deux États qui coexistent harmonieusement sur la même île; certains de ces pays pratiquent la même religion, ce qui n’est pas le cas des deux communautés chypriotes.

En outre, la réunion de Genève revêt un caractère informel: aucune négociation de fond n’est donc prévue. Il s'agira probablement d'un bilan visant à évaluer la direction que prendront les négociations. Une chose paraît cependant certaine: dans la mesure où la coopération Tatar-Erdogan se poursuivra, la partie turque essaiera de repousser la solution de la République fédérale de Chypre et de privilégier, autant que possible, la solution à deux États. Cela doit être perçu comme un important changement de paradigme au niveau des négociations sur Chypre.

Le second point sensible qui pourrait être évoqué à Genève concerne Varosha. Cette station balnéaire, qui fut par le passé la destination touristique la plus attrayante de Chypre, s’est transformée en ville fantôme depuis quelle a été classée zone militaire par les autorités chypriotes turques en 1974. Le Conseil de sécurité des Nations unies a émis une résolution qui juge inadmissible toute tentative de colonisation de cette région par des gens qui ne font pas partie des derniers habitants chypriotes grecs.

À l'époque où il était Premier ministre, Tatar a affirmé qu'il allait ouvrir la plage de cette région au public et Erdogan a fait savoir que la Turquie appuyait sans réserve cette décision. Au cas où cette question figurerait à l'ordre du jour de la réunion de Genève, il est possible que les Chypriotes turcs réitèrent leur position, à savoir que Varosha se trouve sous la souveraineté des Chypriotes turcs, que les biens immobiliers appartiennent à une fondation religieuse ottomane et que Chypre peut les louer si elle le souhaite.

Dans un contexte où le soutien au gouvernement d'Erdogan diminue, il semble difficile d'accepter une solution au problème chypriote si l'électorat de la Turquie continentale y perçoit une défaite.

La réunion de Genève sera également obscurcie par l'atmosphère peu cordiale qui régnait lors de la conférence de presse qui a suivi la réunion des ministres des Affaires étrangères turc et grec la semaine dernière à Ankara.

Dans ce contexte, il est bien peu probable qu’un miracle survienne cette semaine durant la réunion de Genève.

Yasar Yakis est ancien ministre des Affaires étrangères en Turquie, et membre fondateur du parti AK au pouvoir.

Twitter: @yakis_yasar

NDLR: les opinions exprimées par les rédacteurs de cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com