La saga Médecins sans frontières, cinquante ans d'urgences, de révoltes et de rêves

Dans cette photo d'archives prise le 19 janvier 2006, un agent de Médecins Sans Frontières (Médecins Sans Frontières) s'occupe de certains patients, à Dubie, au Katanga. LIONEL HEALING / AFP
Dans cette photo d'archives prise le 19 janvier 2006, un agent de Médecins Sans Frontières (Médecins Sans Frontières) s'occupe de certains patients, à Dubie, au Katanga. LIONEL HEALING / AFP
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Publié le Lundi 07 juin 2021

La saga Médecins sans frontières, cinquante ans d'urgences, de révoltes et de rêves

  • Ils avaient 30 ans, des rêves plein la tête et l'ambition de soigner le monde
  • Leur épopée s'écrit depuis au gré des tremblements de terre, des famines, des épidémies ou des conflits qui défigurent la planète

PARIS: Ils avaient 30 ans, des rêves plein la tête et l'ambition de soigner le monde. Dans le tourbillon qui suit le mouvement étudiant de mai 1968 en France, une petite bande de médecins tout juste sortis de leur fac découvre les horreurs de la guerre civile au Biafra.

"Ce fut un choc", raconte Bernard Kouchner. "Les blessés arrivaient le soir dans notre hôpital quand s'arrêtaient les bombardements. On opérait à la chaîne la nuit, en faisant le tri entre ceux que l'on pouvait sauver et ceux qui allaient mourir. Je n'ai jamais oublié..."

MSF
Dans cette photo d'archive prise le 2 décembre 1981, le Dr Bernard Kouchner, co-fondateur de l'organisation humanitaire française Médecins sans frontières, MSF, s'entretient avec un patient dans un hôpital de MSF à N'Djamena, au Tchad. DOMINIQUE FAGET / AFP

Médecins sans frontières (MSF) naît en 1971 de cette épreuve et de la volonté d'une poignée de jeunes idéalistes comme lui, qui décident de se porter au secours des populations vulnérables partout sur la planète. Ils inventent l'urgence humanitaire.

Leur épopée s'écrit depuis au gré des tremblements de terre, des famines, des épidémies ou des conflits qui défigurent la planète.

Cinquante ans de missions et de révoltes, récompensés d'un prix Nobel en 1999 et scandés de ruptures et de polémiques qui font aujourd'hui de MSF une institution aussi inclassable qu'incontournable. Et une fantastique aventure humaine.

"D'un rêve, nous avons fait une épopée", s'émerveille encore à 83 ans Xavier Emmanuelli, un des grands anciens de l'ONG. "J'ai vu se transformer un tout petit groupe de types qui se la pétaient un peu mais géniaux en quelque chose de reconnu dans le monde entier."

Chaos biafrais

Le rêve a débuté par un cauchemar.

En 1968, les combats font rage au Biafra entre les rebelles sécessionnistes de cette province nigériane et l'armée gouvernementale. Les bombes tuent les civils, le blocus des autorités les affame.

A Paris, quelques médecins ont répondu à un appel à l'aide du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Parmi eux Bernard Kouchner, ancien chef de l'Union des étudiants communistes, et Max Récamier, un catholique tiers-mondiste.

Sur place, ils sont plongés dans l'enfer des combats et d'une famine qui tue hommes, femmes et enfants par centaines de milliers.

"Les enfants mouraient en masse parce que l'armée bloquait tout ravitaillement", se souvient le Dr Kouchner, 81 ans. "Dénoncer cette situation était de notre devoir de médecins."

msf
Dans cette photo d'archives prise le 1er décembre 1981, des médecins français de MSF s'occupent d'un enfant dans leur hôpital de N'Djamena.
DOMINIQUE FAGET / AFP

Avec son confrère Récamier, l'ancien ministre décide de déchirer le contrat de silence signé avec le CICR et d'exposer la réalité du conflit. "Biafra: deux médecins témoignent", titre le quotidien français le Monde en novembre 1968. La presse internationale se mobilise et les images d'enfants noirs mourant de faim envahissent les petits écrans.

Soigner et témoigner: l'humanitaire moderne est né.

"Bricoler"

MSF est créée trois ans plus tard, en décembre 1971. "On a trouvé le nom un soir de création où on fumait et on picolait", se souvient Xavier Emmanuelli, alors médecin dans la marine marchande. "J'ai dit +il faut absolument Médecins dedans+. Et puis on a ajouté sans frontières. Parce qu'on était des saute-frontières."

Les débuts de l'association sont difficiles.

Faute de moyens, la jeune ONG sert d'abord de réservoir de bonnes volontés. Une campagne de pub en 1977 installe son nom. "On a grandi avec les médias et la télévision", résume Xavier Emmanuelli. Mais sur le terrain, les premières missions riment avec galères.

Lorsqu'il débarque plein d'enthousiasme en 1975 en Thaïlande dans les camps des victimes du régime cambodgien des Khmers rouges, le jeune Dr Claude Malhuret déchante vite.

"C'était terrible. On n'avait rien". Il lui faut se débrouiller pour tout. Pour récupérer du matériel, pour installer le camp, pour avoir des médicaments, même pour manger.

"Quand je suis rentré à Paris, j'ai vidé mon sac. Je les ai traités d'assassins, nous envoyer en mission comme ça, sans rien...", raconte le sénateur de 71 ans. "C'était excessif, mais ça a secoué tout le monde. On ne pouvait pas continuer à bricoler." 

"Schisme"

Le torchon brûle au sommet de MSF depuis un peu de temps déjà. Les "Biafrais" souhaitent rester une petite équipe de copains sur le mode "commando" et s'accrochent aux "nouveaux", déterminés à grandir.

Le "bateau pour le Vietnam", en 1979, va les fâcher à vie. Alors président de MSF, Bernard Kouchner mobilise le tout-Paris intellectuel - les philosophes Raymond Aron et Jean-Paul Sartre en tête - pour affréter un bateau chargé de récupérer en mer de Chine les réfugiés qui fuient la dictature communiste de Hanoï.

Les "nouveaux" de MSF s'agacent de cet activisme mondain et, lors d'une AG, le mettent en minorité. Bernard Kouchner claque la porte et s'en va créer Médecins du monde (MDM).

Quatre décennies après, les cicatrices du "schisme" saignent toujours.

"Une triste querelle de pouvoir", fulmine encore l'ex-ministre des Affaires étrangères (2007-2010). "Je leur en ai beaucoup voulu." 

"Il avait tous les culots et surtout envie de devenir quelqu'un", le griffe Xavier Emmanuelli, ex-secrétaire d'Etat à l'action humanitaire. "Il nous a servi, au début. Le petit prince des médias. Mais MSF façon Kouchner, c'était devenu du baratin."

"Eux, les anciens, partaient sur place pour sonner l'alerte en espérant que les autres allaient suivre", note aussi Rony Brauman, à l'époque jeune médecin tendance "Mao" de l'ONG. "Nous, la jeune génération, nous voulions une action sérieuse, des moyens et des résultats."

MSF entre alors dans l'ère de la professionnalisation.

"Pour grandir, il nous fallait de l'argent. Je suis parti aux Etats-Unis apprendre le +fundraising+", se souvient Claude Malhuret. "Comme on était les premiers à le faire en France, on a raflé la mise."

"French Doctors"

Riche de l'indépendance que lui offre ce financement privé, MSF n'hésite plus à témoigner.

"Leur modèle s'est développé contre le principe de respect de la souveraineté des Etats défendu par le CICR", analyse l'avocat Philippe Ryfman, spécialiste de l'humanitaire, "ils prennent la parole pour mobiliser l'opinion publique et dénoncer les exactions".

Au nom des droits de l'Homme, les "gauchos" repentis de MSF dénoncent les exactions des régimes communistes au Cambodge.

Leurs missions clandestines auprès des populations d'Afghanistan et des rebelles en guerre contre l'occupant soviétique font une réputation mondiale aux "French Doctors".

"Nous étions les seuls à voir les effets de la guerre", plaide Juliette Fournot, la grande ordonnatrice des missions afghanes de l'ONG jusqu'en 1989. Tous les jours ils amputent les enfants, soignent les agriculteurs brûlés au napalm. "Témoigner a été très important, aujourd'hui encore, les Afghans se souviennent de nous."

En 1985, c'est en Ethiopie que l'ONG jette un pavé dans la mare. "Nos centres de distribution alimentaire étaient devenus un piège", se rappelle le Dr Brigitte Vasset, "ils servaient aux autorités à fixer les réfugiés pour les transférer de force vers le sud et dépeupler les zones rebelles".

Fallait-il se taire ou parler ? Devant la presse, Rony Brauman décide de dénoncer le gouvernement d'Addis Abeba. MSF est expulsée.

"L'aide était devenue un instrument entre les mains d'un régime criminel dont nous ne voulions pas être complices", justifie-t-il aujourd'hui. "Mais dire que l'argent qu'on envoyait aux affamés servait à les tuer (...) nous a valu énormément de critiques."

Droit d'ingérence

Au risque de paraître arrogant, MSF continue à faire entendre sa voix et à pointer du doigt toutes les récupérations de l'humanitaire.

Après la première guerre du Golfe, les Kurdes d'Irak sont écrasés par le régime de Saddam Hussein. MSF leur vient en aide et crie au massacre. En 1991, le Conseil de sécurité de l'ONU autorise une opération militaire occidentale pour venir en aide aux déplacés et les protéger de leur gouvernement. Une première.

Alors secrétaire d'Etat, Bernard Kouchner salue les débuts d'un "droit d'ingérence humanitaire". MSF se distingue en critiquant le mélange des genres entre humanitaires et militaires.

La controverse se prolonge un an plus tard en Somalie, en proie à la guerre civile et la famine. Sous mandat de l'ONU, les troupes américaines et les Casques bleus débarquent à Mogadiscio pour assurer la sécurité des distributions alimentaires.

Bernard Kouchner y participe, sac de riz sur l'épaule. Rony Brauman le raille et souligne alors le "piège" d'une opération où des soldats "tuent sous la bannière de l'humanitaire".

Parfois pourtant, MSF en appelle aux armes. En 1992 pour mettre fin aux exactions des miliciens serbes de Bosnie. Et deux ans plus tard, pour faire cesser le génocide des Tutsi au Rwanda.

Quand il arrive à Kigali en avril 1994, Jean-Hervé Bradol est vite débordé par l'ampleur des massacres.

"J'accompagnais les convois de la Croix-Rouge rwandaise qui ramenaient les blessés (...) Les Tutsi étaient achevés aux barrages des miliciens. On arrivait à négocier pour faire passer des femmes et des enfants, à condition de partir très tôt le matin quand les miliciens étaient encore endormis et défoncés."

"Tout s'est joué très vite à Kigali", poursuit-il. "On a fini par acheter un espace publicitaire dans le Monde pour dire qu'on n'arrête pas un génocide avec des médecins et qu'il faut une intervention militaire internationale. On n'avait jamais fait ça."

La dénonciation de la situation dans les camps de réfugiés rwandais au Zaïre voisin puis des exactions des nouveaux maîtres de Kigali vaudront jusqu'en 1997 à MSF les critiques de l'ONU et d'autres ONG.

Prix Nobel

La consécration vient avec le prix Nobel de la Paix, en 1999, qui récompense "une ONG (qui) tend la main à travers les frontières, les conflits et le chaos politique". Son prix sert à financer une campagne d'accès aux traitements des maladies tropicales ou du sida, un de ses nouveaux champs d'action.

MSF
Dans cette photo d'archives prise le 10 décembre 1999, Marie-Eve Raguenaud pose après avoir reçu la médaille du prix Nobel de la paix pour l'organisation humanitaire MSF. THOMAS COEX / AFP

Aujourd'hui, la petite association est devenu un géant. Sous le chapeau de MSF-International, les 25 sections nationales emploient 61.000 personnes, dont 41.000 déployées sur le terrain d'une centaine d'opérations dans près de 75 pays. 

Avec un budget annuel mondial de 1,6 milliard d'euros - à 99% issu de dons privés - MSF agit sur tous les fronts.

De la lutte contre le virus Ebola en Afrique à l'aide aux déplacés par la guerre civile au Yémen, en passant par le sauvetage des migrants en Méditerranée et la lutte contre le sida en Malaisie.

"Bien qu'organisation privée, MSF est devenu le numéro 1 incontesté de l'urgence médicale dans le monde", constate Philippe Ryfman.

La parole de l'ONG détonne encore. Comme en 2004, où MSF refuse de se joindre à une campagne internationale qui dénonce, selon elle de façon outrancière, le "génocide" des populations de la province soudanaise du Darfour déplacées par la guerre civile.

Ou en 2005, quand elle suspend rapidement sa collecte de dons pour les rescapés du tsunami qui a lessivé l'Asie du Sud-Est, estimant que l'urgence est passée.

"Ils ont réagi en urgentistes. Mais il y avait encore plein de choses à faire sur place, le grand public ne les a pas compris", écorche Benoît Miribel, ex-directeur d'Action contre la faim (ACF).

Crise de croissance

La croissance de l'ONG suscite pourtant des inquiétudes, jusque dans ses propres rangs.

"On est devenu une grosse machine bureaucratique, avec des départements de soutien qui mettent la pression sur les gens de terrain pour avoir des rapports et des tableaux Excel", regrette le président de la section France, Mego Terzian.

Le Franco-Libanais ne cache pas regretter la rusticité de ses premières missions. "On savait ce qu'on avait plus ou moins dans le budget et on se débrouillait. Aujourd'hui, la moindre demande de cash doit être signée dans le monde entier..."

La mondialisation du mouvement, justement, pèse aussi. "Je ne me reconnais pas dans le côté international de MSF", grommelle Rony Brauman, analyste et toujours membre de l'ONG à presque 71 ans. Nostalgique du "côté village d'Astérix" de sa section France, il regrette "son poids qui diminue".

"MSF France n'est plus entièrement maître de ses décisions", abonde Brigitte Vasset, "mais c'est un mal nécessaire car ça nous a donné des moyens énormes".

"MSF a beaucoup innové mais elle s'est institutionnalisée et vit un peu repliée sur elle-même", épingle Jean-Christophe Rufin, qui en fut un vice-président.

La flamme MSF

"Grâce à ses fonds propres, l'ONG sort du lot quand les autres sont devenues des bureaux de reporting pour l'Union européenne qui les finance", analyse l'écrivain-médecin. Mais "l'époque a changé. Les priorités aussi. L'humanitaire est dominé aujourd'hui par les urgences intérieures, le terrorisme, les migrants, la pauvreté..."

Alors, quel avenir pour MSF, qui tient du 10 au 13 juin l'assemblée générale de ses 50 ans ? A l'heure de cet anniversaire, les pratiques humanitaires changent.

La demande d'aide continue à croître mais les accès aux populations continuent à se négocier de haute lutte avec les autorités et la sécurité des personnels devient primordiale à l'heure du terrorisme jihadiste.

"De plus en plus de pays sont capables d'organiser des secours de grande ampleur en cas de catastrophe naturelle", note Mego Terzian. "MSF restera-t-il utile ? Peut-être va-t-on évoluer en une fondation qui soutiendra des organisations autochtones…"

MSF
Une travailleuse médicale de Médecins Sans Frontières (MSF) International regarde dans une unité de soins intensifs (USI) de l'hôpital public de Dura dans le village de Dura, à l'ouest d'Hébron en Cisjordanie occupée, le 16 mars 2021.
HAZEM BADER / AFP

Sur le terrain en tout cas, la flamme des vocations brûle toujours.

Son internat à peine bouclé, Fanny Taudière, 29 ans, a débarqué en mars dans le sud de Madagascar en proie à une famine dantesque.

"Ici, je me sens utile", confie la jeune médecin depuis son camp d'Amboasary. "Ça donne un sens, une intensité à la vie. Il y a des rencontres incroyables, une aventure chaque jour, même si certains jours rien n'est simple."

Rejoindre MSF s'est imposée pour elle comme une évidence. "Ils vont là où les autres ne vont pas, ils restent quand tout le monde part. Et puis ils sont libres de leurs actes et de leurs paroles."

Cinquante ans après, un seul constat réunit les frères ennemis de Médecins sans frontières: celui de sa réussite.

"C'était une belle invention et elle n'a pas trop mal marché", plastronne Bernard Kouchner. "MSF a un peu esquinté sa poésie mais continue à faire rêver", le rejoint Xavier Emmanuelli, "c'est le plus important".


Pour Sébastien Lecornu, un premier déplacement consacré à la santé

Sébastien Lecornu assiste à la présentation du supercalculateur Asgard au Mont Valérien à Suresnes, près de Paris, le 4 septembre 2025. (AFP)
Sébastien Lecornu assiste à la présentation du supercalculateur Asgard au Mont Valérien à Suresnes, près de Paris, le 4 septembre 2025. (AFP)
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  • Déplacement symbolique à Mâcon : Pour son premier déplacement, Sébastien Lecornu met l'accent sur l'accès aux soins et le quotidien des Français
  • Conscient de l'absence de majorité, il consulte partis et syndicats, cherchant des terrains d'entente sur le budget, tout en laissant la porte ouverte à une fiscalité plus juste

PARIS: Sébastien Lecornu se rend samedi en province, à Mâcon, pour son premier déplacement en tant que Premier ministre consacré à la santé et à "la vie quotidienne" des Français, délaissant pendant quelques heures les concertations qu'il mène activement à Paris avant de former un gouvernement.

Quatre jours à peine après sa nomination, le nouveau et jeune (39 ans) locataire de Matignon va à la rencontre des Français, pour qui il reste encore un inconnu. Il échangera notamment avec des salariés d'un centre de santé de Saône-et-Loire dont le but est d'améliorer l'accès aux soins.

Lui-même élu local de l'Eure, où il a été maire, président de département et sénateur, ce fils d'une secrétaire médicale et d'un technicien de l'aéronautique avait assuré dès le soir de sa nomination "mesurer les attentes" de ses concitoyens et "les difficultés" qu'ils rencontraient.

Celles-ci sont souvent "insupportables" pour accéder à un médecin ou à un professionnel de santé, parfois "source d'angoisse", souligne son entourage. Le Premier ministre entend dans ce contexte "témoigner de la reconnaissance de la Nation à l’égard des personnels soignants" et "réaffirmer la volonté du gouvernement de faciliter l’accès aux soins".

Il s'agit aussi pour Sébastien Lecornu de convaincre l'opinion, autant que les forces politiques, du bien-fondé de sa méthode: trouver des terrains d'entente, en particulier sur le budget, permettant de gouverner sans majorité.

Sébastien Lecornu est très proche d'Emmanuel Macron, avec qui il a encore longuement déjeuné vendredi à l'Elysée.

- Mouvements sociaux -

Sa nomination coïncide avec plusieurs mouvements sociaux. Le jour de sa prise de fonction, une mobilisation lancée sur les réseaux sociaux pour "bloquer" le pays a réuni 200.000 manifestants, et une autre journée de manifestations à l'appel des syndicats est prévue jeudi.

"Il y a une grande colère" chez les salariés, a rapporté Marylise Léon, la secrétaire générale de la CFDT, premier syndicat de France, à l'issue d'une entrevue vendredi avec le nouveau Premier ministre, qui lui a dit travailler sur une "contribution des plus hauts revenus" dans le budget 2026.

C'est sur le budget que ses deux prédécesseurs, François Bayrou et Michel Barnier, sont tombés. Et Sébastien Lecornu cherche en priorité une forme d'entente avec les socialistes.

Mais il lui faut dans le même temps réduire les déficits, alors que l'agence de notation Fitch a dégradé vendredi soir la note de la dette française.

Le centre et la droite de la coalition gouvernementale se disent prêts à taxer plus fortement les ultra-riches sans pour autant aller jusqu'à l'instauration de la taxe Zucman sur les plus hauts patrimoines, mesure phare brandie par les socialistes et dont LR ne veut pas.

Une telle mesure marquerait en tout cas une des "ruptures" au fond prônées par Sébastien Lecornu à son arrivée, puisqu'elle briserait le tabou des hausses d'impôts de la macronie.

- Méthode -

Sébastien Lecornu veut aussi des changements de méthode.

Il a d'abord réuni jeudi --pour la première fois depuis longtemps-- les dirigeants des partis du "socle commun", Renaissance, Horizons, MoDem et Les Républicains, afin qu'ils s'entendent sur quelques priorités communes.

Un format "présidents de parti" qui "permet de travailler en confiance, de façon plus directe, pour échanger sur les idées politiques, sur les arbitrages", salue un participant.

Avant les oppositions et à quelques jours d'une deuxième journée de manifestations, il a consulté les partenaires sociaux, recevant vendredi la CFDT et Medef, avant la CGT lundi.

En quête d'un compromis pour faire passer le budget, le chef de gouvernement pourrait repartir du plan de son prédécesseur François Bayrou délesté de ses mesures les plus controversées. A l'instar de la suppression de deux jours fériés.

L'hypothèse d'une remise sur les rails du conclave sur les retraites semble aussi abandonnée. Les partenaires sociaux refusent de toute façon de le rouvrir.

Des gestes sont attendus à l'égard des socialistes alors qu'à l'Elysée, on estime que le Rassemblement national, premier groupe à l'Assemblée nationale, se range désormais comme la France insoumise du côté du "dégagisme".

Cultivant une parole sobre voire rare, Sébastien Lecornu ne s'exprimera qu'à l'issue de ces consultations "devant les Français", avant la traditionnelle déclaration de politique générale, devant le Parlement.


Lecornu joue le contraste avec Bayrou sans dévoiler son jeu

Le nouveau Premier ministre français et ancien ministre des Armées Sébastien Lecornu (à droite) est accueilli par le Premier ministre sortant François Bayrou lors de la cérémonie de passation des pouvoirs à l'hôtel Matignon à Paris, le 10 septembre 2025. (AFP)
Le nouveau Premier ministre français et ancien ministre des Armées Sébastien Lecornu (à droite) est accueilli par le Premier ministre sortant François Bayrou lors de la cérémonie de passation des pouvoirs à l'hôtel Matignon à Paris, le 10 septembre 2025. (AFP)
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  • Le nouveau Premier ministre Sébastien Lecornu adopte un style sobre et minimaliste, contrastant avec François Bayrou, afin de gagner du temps et préparer en coulisses une majorité fragile
  • Chargé de former un gouvernement dans un climat parlementaire explosif, il consulte à tout-va, mais les lignes de fracture gauche-droite rendent difficile l’émergence d’un accord stable

PARIS: Le nouveau Premier ministre Sébastien Lecornu joue le contraste de styles avec François Bayrou, plaidant pour la "sobriété" face à un prédécesseur volontiers prolixe, ce qui lui permet de ne pas s'avancer sur le fond du compromis qu'il doit bâtir.

A son arrivée mercredi à Matignon, l'ex-ministre des Armées a posé d'emblée les bases de cette approche minimaliste.

"Je ne vais pas faire de grand discours, puisque cette instabilité et la crise politique et parlementaire que nous connaissons commandent à l'humilité, la sobriété", a-t-il dit dans un discours particulièrement bref, deux minutes à peine.

La passation de pouvoirs avait un petit parfum de vengeance devant François Bayrou, qui l'avait doublé à ce poste en décembre, en imposant sa nomination à Emmanuel Macron.

Le leader centriste de 74 ans ne s'est jamais montré tendre à l'égard de son cadet, pas encore quadragénaire, qu'il qualifie en privé de "courtisan" pour sa proximité discrète avec le chef de l'Etat.

Sa courte prise de parole rompt avec l'exercice du pouvoir de son prédécesseur, qui ne rechigne pas aux longues explications pédagogiques sur la dette ou la situation internationale, et apprécie de parler en direct avec les journalistes. Les dernières semaines de François Bayrou à Matignon ont été marquées par de nombreuses interventions dans les médias pour défendre le vote de confiance qui l'a au final fait tomber.

Le centriste dramatisait l'urgence à résorber la dette, un "piège mortel". Sébastien Lecornu assure qu'"il n'y a pas de chemin impossible".

- "Rassurer" -

Sans "nier les difficultés", il ne faut "pas jouer sur les peurs", "il faut rassurer les gens et leur donner un message d'espoir", explique son entourage, dans un contexte de rupture entre l'opinion et les politiques.

Sébastien Lecornu a pointé le "décalage" entre la vie politique et la vie "réelle" des Français, mais aussi entre la politique "intérieure" et la "géopolitique mondiale".

Homme de droite rallié au macronisme en 2017, il a incarné cette prudence et cette discrétion lors de son passage au ministère des Armées depuis 2022. Malgré la guerre qui sévit de nouveau en Europe avec le conflit ukrainien, il est resté très peu disert dans les médias, au point de demeurer un quasi inconnu pour le grand public.

Devra-t-il se faire violence dans ses nouvelles fonctions? "C'est vrai qu'il va devoir s'ouvrir plus", observe un de ses soutiens. Il ne s'exprime que lorsqu'il a "quelque chose à dire", ajoute-t-il.

Avant d'expliquer ses projets aux Français, le chef du gouvernement entend mener de larges concertations.

"Il va falloir changer" en étant "plus créatif, parfois plus technique, plus sérieux dans la manière de travailler avec nos oppositions", a-t-il aussi grincé devant François Bayrou.

Prônant "des ruptures" sur la forme comme sur le fond, il refuse de s'exprimer sur les objets ou les concessions qu'il pourrait faire afin d'aboutir à un compromis qui lui permettrait de former un gouvernement, conformément à la feuille de route d'Emmanuel Macron.

- "Sortir du bois" -

Sébastien Lecornu a réuni jeudi matin les dirigeants du "socle commun", partis du centre et de droite qui constituent sa coalition naturelle. Il s'est ensuite rendu à l'Assemblée nationale et au Sénat, pour y rencontrer les présidents des deux chambres, la macroniste Yaël Braun-Pivet et le LR Gérard Larcher.

Il a aussi été reçu dans les bureaux de Nicolas Sarkozy qui lui a "témoigné son soutien", d'après l'entourage de l'ex-chef de l'Etat.

Vendredi et lundi, il doit recevoir les partenaires sociaux (syndicats et patronat).

Le nouveau locataire de Matignon a notamment avancé l'idée devant ses interlocuteurs des Républicains "de se mettre d'accord, outre le budget, sur deux ou trois textes majeurs et forts" qui répondraient aux priorités des uns et des autres.

Ses soutiens louent ses qualités de "négociateur" comme sur la loi de programmation militaire, mais cette fois il va devoir "sortir du bois sur certains sujets". Travailler avec les socialistes "sans déplaire" à la droite, analyse un proche.

Ainsi Gérard Larcher s'est dit opposé à la mise en place d'une taxe sur les très hauts patrimoines, alors que pour la gauche c'est "la base de tout accord" de non censure, selon l'eurodéputé Raphaël Glucksmann.

Peu d'espoir également de trouver un terrain d'entente avec le RN qui entend lui demander de "rompre avec le macronisme". Ce sera "la rupture ou la censure", a prévenu Marine Le Pen jeudi soir sur TF1.

Rien à espérer non plus du côté de La France insoumise: "Nous avons proposé un programme et nous sommes élus pour l'appliquer, pas pour faire des combines et chercher des places", a tranché Jean-Luc Mélenchon sur France 2.


France: une commission préconise à son tour d'interdire les réseaux sociaux aux moins de 15 ans

Un rapport du Parlement français sur TikTok dévoilé jeudi préconise l'interdiction des réseaux sociaux aux moins de 15 ans et la mise en place d'un "couvre-feu numérique" pour les 15-18 ans, pour tenter d'endiguer le "piège algorithmique" qui peut affecter la santé des plus jeunes. (AFP)
Un rapport du Parlement français sur TikTok dévoilé jeudi préconise l'interdiction des réseaux sociaux aux moins de 15 ans et la mise en place d'un "couvre-feu numérique" pour les 15-18 ans, pour tenter d'endiguer le "piège algorithmique" qui peut affecter la santé des plus jeunes. (AFP)
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  • Lancée en mars, la commission a auditionné des familles de victimes, responsables de réseaux sociaux et influenceurs pour décortiquer l'algorithme de TikTok, application ultrapopulaire chez les jeunes"
  • Elle a été créée dans la foulée de l'assignation en justice en France de TikTok, fin 2024, par un collectif de sept familles l'accusant d'avoir exposé leurs enfants à des contenus pouvant les pousser au suicide

PARIS: Un rapport du Parlement français sur TikTok dévoilé jeudi préconise l'interdiction des réseaux sociaux aux moins de 15 ans et la mise en place d'un "couvre-feu numérique" pour les 15-18 ans, pour tenter d'endiguer le "piège algorithmique" qui peut affecter la santé des plus jeunes.

Une telle interdiction permettrait "de donner un signal à la fois aux enfants et aux parents qu'avant 15 ans", les réseaux sociaux, "ce n'est pas anodin", résume auprès de l'AFP la députée du parti présidentiel Laure Miller (EPR), rapporteure de cette commission d'enquête parlementaire.

Lancée en mars, la commission a auditionné des familles de victimes, responsables de réseaux sociaux et influenceurs pour décortiquer l'algorithme de TikTok, application ultrapopulaire chez les jeunes dont le design "a été copié par d'autres réseaux sociaux", rappelle Mme Miller.

Elle a été créée dans la foulée de l'assignation en justice en France de TikTok, fin 2024, par un collectif de sept familles l'accusant d'avoir exposé leurs enfants à des contenus pouvant les pousser au suicide.

"C'est compliqué pour nous, parents, de modérer tout ça", explique à l'AFP Géraldine, 52 ans, qui fait partie des plaignants et souhaite rester anonyme. En février 2024, cette mère de famille a perdu sa fille, Pénélope, qui s'est suicidée à l'âge de 18 ans.

Après son décès, elle avait découvert les vidéos de scarification que sa fille publiait et consultait sur TikTok.

"Ce n'est pas TikTok qui a tué notre fille, parce que de toute façon, elle n'allait pas bien", explique Géraldine. Mais pour cette mère qui dénonce aujourd'hui le manque de modération en ligne, le réseau a "enfoncé" sa fille dans un mal-être.

TikTok assure régulièrement faire de la sécurité des jeunes "sa priorité absolue".

Le rapport recommande d'aller jusqu'à une interdiction avant 18 ans si, d'ici trois ans, "les réseaux sociaux ne respectent pas de façon satisfaisante leurs obligations juridiques", notamment vis-à-vis du règlement européen sur les services numériques (DSA).

Plusieurs pays de l'UE, dont la France, l'Espagne et la Grèce, ont récemment appelé Bruxelles à davantage encadrer l'utilisation des plateformes en ligne par les enfants, face aux inquiétudes concernant leur caractère addictif mais aussi les dangers liés au cyberharcèlement ou à la prolifération des discours de haine.

Bulles nocives 

Devant la commission parlementaire, les responsables de TikTok, propriété du groupe chinois ByteDance, ont mis en avant une modération dopée à l'intelligence artificielle qui lui aurait permis de retirer proactivement 98% des contenus enfreignant ses conditions d'utilisation en France l'an dernier.

Mais pour les députés, ces efforts sont insuffisants voire "défaillants", avec des règles "très faciles à contourner".

Entre septembre 2023 et décembre 2024, le nombre de modérateurs francophones de TikTok a baissé de 26%, selon des données issues de ses rapports de transparence.

Les contenus néfastes continuent ainsi à pulluler, couplés à des algorithmes de recommandations particulièrement puissants qui peuvent enfermer les jeunes dans des bulles nocives, relève la commission d'enquête.

D'autres impacts négatifs du réseau sur les mineurs incluent, selon Mme Miller, perte de l'attention et de la concentration, perturbation du sommeil ou problèmes d'estime de soi.

"Couvre-feu numérique" 

S'agissant des 15-18 ans, le rapport propose l'instauration d'un "couvre-feu numérique" rendant les réseaux sociaux inaccessibles de 22H00 à 08H00.

Il préconise aussi une vaste campagne d'information sur leurs risques, suivie de la création d'un "délit de négligence numérique" pour "les parents irresponsables".

De récentes lignes directrices de la Commission européenne ont "ouvert la porte à une réglementation nationale", dont "la clé est la mise en place d'un dispositif de vérification de l'âge à l'inscription", selon Laure Miller.

De telles mesures butent toutefois sur les réticences des plateformes, des limites techniques et un risque d'atteinte aux libertés individuelles.