Le G7 fait ressortir la vision trop simpliste du monde de Biden

Le Premier ministre japonais Yoshihide Suga se rend à une réception en compagnie d'autres dirigeants du G7 en marge du sommet organisé en Cornouailles, au Royaume-Uni (Reuters)
Le Premier ministre japonais Yoshihide Suga se rend à une réception en compagnie d'autres dirigeants du G7 en marge du sommet organisé en Cornouailles, au Royaume-Uni (Reuters)
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Publié le Mardi 22 juin 2021

Le G7 fait ressortir la vision trop simpliste du monde de Biden

Le G7 fait ressortir la vision trop simpliste du monde de Biden
  • Biden ne doute pas un instant que le monde assiste à une nouvelle division stratégique fondamentale. C'est sur ce point-là que la vision du monde de Biden dérape de la simplicité au simplisme
  • Le président partisan du wilsonisme suppose que si les pays démocratiques défendent les mêmes valeurs, leurs intérêts doivent forcément converger

Albert Einstein a bien cerné la notion de risque politique. Voici ce qu'il en a dit : « Rendez les choses aussi simples que possible, mais pas plus simples ». Les meilleurs analystes sont conscients qu'il est indispensable de décrire avec des termes précis et pertinents ce monde infiniment complexe, pour mieux cerner l'essence des événements qui s'y produisent. Cependant, en recherchant cette élégante simplicité, on court le risque de déboucher sur une caricature superficielle du monde, une caricature qui pourrait induire en erreur.

Lors de la réunion du G7 organisée la semaine dernière en Cornouailles, il s’est avéré que la théorie du monde défendue par le président américain Joe Biden laissait à désirer, dans la mesure où elle simplifiait à l'extrême une situation des plus complexes. Face à une nouvelle ère marquée par la coexistence de deux superpuissances (les États-Unis et la Chine), le nouveau président sait, à juste titre, que la clé du succès dans cette concurrence bipolaire consiste à déterminer laquelle des deux superpuissances conclura de véritables alliances avec les grandes puissances qui la suivent par ordre d'importance (en l'occurrence les pays anglo-saxons, l'Union européenne, le Japon, l'Inde et la Russie).

En effet, M. Biden condamne, non sans raison, l'administration sortante de M. Trump pour n'avoir pas déployé suffisamment d'efforts pour obtenir les bonnes grâces de ces grandes puissances, qui disposent désormais d'une grande autonomie pour définir la trajectoire de leurs politiques étrangères respectives, contrairement au paysage de la guerre froide américano-soviétique. Le président américain actuel y voit une ouverture géostratégique reposant sur l'idéologie. Il fait observer à juste titre que les grandes puissances démocratiques sont toutes plutôt pro-américaines que pro-chinoises, contrairement à la Russie qui est plus proche de la Chine. Ainsi, M. Biden ne doute pas un instant que le monde assiste à une nouvelle division stratégique fondamentale.

C'est sur ce point-là que la vision du monde de Biden dérape de la simplicité au simplisme. Il va sans dire que ce dernier espère que cette opposition entre démocratie et autocratie aura une portée intellectuelle (certains chroniqueurs américains flatteurs sont allés jusqu'à baptiser cette nouvelle approche « la doctrine Biden ») puisqu'elle sied à la position géostratégique de l'Amérique. Grâce au monde anglo-saxon, à l'Inde, au Japon et à l'Union européenne, qui se rangent résolument du côté de l'Amérique (la Russie étant le seul pays à soutenir la Chine), cette approche permettra sans doute à l'Amérique de conserver son rôle prépondérant dans le monde au cours de la nouvelle époque.

Par ailleurs, la réunion du G7 a fait office de prototype expérimental idéal pour étayer la thèse de M. Biden : ses membres regroupent en effet la majorité des grandes puissances en cause : L'Union européenne (Allemagne, France et Italie), le Japon et les pays anglo-saxons (Royaume-Uni et Canada). Tous ces pays démocratiques alliés étaient-ils capables de se réunir facilement autour d'une position commune afin de contrebalancer la puissance de la Chine ?

Bien sûr que non. Outre les nombreuses tergiversations qui ont marqué la réunion – dont l'initiative la plus importante, celle d’établir un plancher mondial commun pour la taxation des multinationales (Amazon, Google, Facebook, etc.), a été mise au point bien avant les photos prises en Cornouailles –, aucun accord de fond n'a été conclu sur la façon de composer avec la Chine, une problématique qui demeure, sans conteste, à la tête des principaux défis de politique étrangère à relever par le groupement démocratique.

Certes, les pays du G7 ont autorisé une nouvelle enquête que mènera l'Organisation mondiale de la santé (OMS) sur les origines de la pandémie. Toutefois, au vu des résultats déplorables obtenus récemment par l'OMS sur cette question, je ne m'attends guère à grand-chose. Les dirigeants européens neutres que sont ceux de l'Allemagne et de l'Italie (ainsi que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le président du Conseil européen, Charles Michel) - qui perçoivent la Chine comme une opportunité commerciale mais aussi comme une menace géopolitique existentielle - ont empêché les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada et la France de critiquer le bilan de Pékin en matière de droits de l'homme.

 

Outre les nombreuses tergiversations qui ont marqué la réunion, aucun accord de fond n'a été conclu, ou presque.

Dr. John C. Hulsman

Malheureusement, la version finale du communiqué ne fait aucune référence explicite aux violations des droits de l'homme et ne mentionne que de manière vague et superficielle le fléau que représente le travail forcé dans le monde. Il est révélateur que le désaccord du G7 au sujet de Pékin fût si prononcé que la Chine elle-même n'a pas été évoquée dans le communiqué final du groupe, bien qu'elle ait dominé les discussions des dirigeants.

L'échec diplomatique du G7 dans le monde réel vient contredire sur le plan intellectuel la doctrine présumée de M. Biden. En effet, dans sa simplification excessive du monde, le président partisan du wilsonisme suppose que si les pays démocratiques défendent les mêmes valeurs, leurs intérêts doivent forcément converger. Par son inutilité, la réunion du G7 a fait ressortir cette simplification excessive. À l'heure actuelle, comme en atteste la réunion, le Japon, l'Inde et les pays anglo-saxons se rangent nettement dans la ligne des Américains quant à la nécessité de faire contrepoids à la Chine. Cependant, la Russie (certes favorable à Pékin) et l'Union européenne (favorable à Washington) luttent pour maintenir une position plus neutre et indépendante des deux superpuissances.

Par peur de se retrouver dans une position de subordination dans toute alliance sino-russe, le Kremlin, avec son régime bâti sur le nationalisme de la Grande Russie, craint d'être avalé tout cru par la baleine qu'est la Chine. De son côté, l'Union européenne, qui pâtit depuis des décennies de la domination des États-Unis et qui est tentée par les richesses apparentes du marché chinois, risque de renoncer à s'engager à fond dans le camp américain.

En faisant fi de la complexité de la situation, où les grandes puissances peuvent maintenir leur neutralisme indépendant tout en se ralliant à l'une ou l'autre superpuissance, M. Biden a naïvement cru que l’ensemble des grandes puissances démocratiques se rallieraient à lui ; pourtant c'est le contraire que le G7 a prouvé, et de manière décisive. Pour triompher dans la grande confrontation entre la Chine et les États-Unis, il convient de ne pas tomber dans de telles simplifications intellectuelles, coûte que coûte. Sinon, il faut s'attendre à une interminable succession de réunions du G7 qui ne mèneront à rien.

 

Dr. John C. Hulsman est président et associé directeur de John C. Hulsman Enterprises, une importante société de conseil en risque politique mondial. Il est également chroniqueur principal pour City AM, le journal de la ville de Londres. Il peut être contacté via chartwellspeakers.com

 

L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com