PARIS : Pour son premier film comme réalisateur, Samir Guesmi, le talentueux acteur et comédien, était présent avec son équipe, lors de la projection en avant-première du film Ibrahim, mardi 22 juin, à l’UGC Cité à Paris. Une avant-première qui a fait salle comble.
Samir Guesmi est loin d’être un inconnu: il a participé à de nombreux très bons films français, dont ceux de Claude Miller, Nicole Garcia, Noémie Lvovsky, Arnaud Desplechin (Un conte de Noël, Les fantômes d’Ismaël), Rachid Bouchareb, Solveig Anspach, ou encore Bruno Podalydès (Bancs publics, Adieu Berthe). En 2008, dans Andalucia, d’Alain Gomis, il interprète un personnage en quête de son identité. La critique est salutaire, et Samir Guesmi marque de son empreinte le cinéma français. En 2013, il est nommé au César du meilleur acteur pour son second rôle dans Camille Redouble, de Noémie Lvovsky.
Interprété par Adel Bendaher (Ibrahim), Samir Guesmi (Ahmed, le père), Rabah Naït Ouffela (Achille, l’ami d’enfance), Florence Loiret-Caille et Philippe Robbot, Ibrahim relate l’histoire bouleversante et attachante d’un père et son fils qui ont du mal à communiquer. Le long-métrage respire la dignité, la sincérité et l’humanité.
Le fils, Ibrahim, est un jeune lycéen qui apprivoise la dureté de la vie, et se rêve en champion de foot. Il partage sa vie entre son père, Ahmed, écailler à la brasserie du Royal Opéra, un homme sérieux, réservé et silencieux, qui ambitionne de devenir garçon de salle pour améliorer son quotidien et celui de son fils, et son ami d’enfance Achille, qui l’embarque sur un terrain dangereux et tumultueux. L’adolescent finit par commettre une faute qui met en danger sa relation avec son père, et dont les conséquences briseront, entre autres, le rêve d’Ahmed. Confronté aux aléas de la vie, Ibrahim décide de prendre des risques pour réparer sa faute. Cette tentative permettra-t-elle de briser la glace, et au père et à son fils de se parler, enfin, à cœur ouvert?

Interrogé par Arab News en français, Samir Guesmi révèle qu’il souhaitait raconter, avec ce premier film, la difficulté de communiquer, et l’incapacité à mettre des mots sur des émotions entre un père et son fils. «Ce film est l’histoire d’une tentative de réconciliation entre un père et son fils, d’une déclaration d’amour sans effusion», explique-t-il. «Ahmed (le père) possède une énorme violence en lui, il manque de mots, ne sait pas comment réagir, et préfère se retenir, car il ne sait comment faire sortir cette colère, cette déception que son fils a suscité. Le père est tiraillé entre amour et déception.»
Un film social raconté avec pudeur
Ibrahim et Ahmed vivent dans des conditions modestes, et semblent souffrir de l’absence de la mère, de l’épouse, présente dans le film en filigrane à travers des objets comme une photo, ou encore le tee-shirt «I love NY» qu’Ibrahim porte en permanence, sans parvenir à s’en défaire.

Ibrahim est un récit autobiographique et social raconté avec beaucoup de pudeur. Les personnages, dignes et humains, sont attachants, et même dans les moments de colère, la tendresse des regards reste palpable, l’empathie et l’amour se lisent sur les visages.
Samir Guesmi considère que le cinéma français a plus représenté la classe aisée que le prolétariat. «Ces Français avec leur gueule d’ailleurs, qui se lèvent très tôt pour aller bosser, et dont on parle si peu, j’avais envie de rentrer chez eux, de raconter leur intimité», raconte le réalisateur. «C’est ce type de personnages qui m’a fait aimer le cinéma italien d’après-guerre, et celui de Chaplin.»
«Raconter, malgré l’origine sociale pauvre de mes personnages, leur dignité, leur grandeur et leur beauté allait de soi», confie le réalisateur. «Ahmed est l’incarnation de la pudeur, et dernière le roc, se cache un cœur énorme qui se dévoile au fur et à mesure du récit. Lorsque je voulais raconter cette histoire, je me suis dit que le moment le plus fort de mon film, l’énorme révélation, serait la caresse sur la joue.»

Interrogé sur l’écriture du film, Samir Guesmi explique que ce sont «les personnages et les situations qui guident l’auteur. Si vous êtes à l’écoute de vos personnages, ils vous conduisent au bon endroit».
Paris filmé autrement
Le tournage a eu lieu dans une cité en briques rouge ocre de cheminots située dans le XXe arrondissement de Paris. Pour la mise en scène, réalisée avec tendresse et pudeur, Samir Guesmi a adapté le style au caractère des personnages: les deux personnages parlent peu, mais se disent des choses avec les yeux. La caméra de Céline Bozon s’immisce dans leur intimité, interprète leur langage par le silence, leurs gestes, leurs apparitions et disparitions, lentes ou furtives, qui en disent long sur leurs attentes respectives. La douleur se lit dans le regard.
«La mise en scène naît aussi des contingences des décors, dont la solution est la simplicité, surtout lorsqu’il s’agit de raconter les rapports humains entre deux personnages qui ont du mal à se dire l’essentiel, à savoir qu’ils sont là l’un pour l’autre. Dans certaines séquences, comme celle entre Jean (Philippe Rebbot), et Ibrahim, j’imaginais une danse gracieuse dans la forme, alors que dans le fond, elle raconte l’horrible», explique-t-il.
Pour mémoire, Samir Guesmi s’est illustré au théâtre, notamment dans des pièces mises en scène par Frédéric Bélier-Garcia (Une nuit arabe, de Roland Schimmelpfennig, La Ronde d’Arthur Schnitzler, Perplexe, de Marius von Mayenburg, ou encore Othello, de Shakespeare par Éric Vigner, au Théâtre de l’Odéon).
Il a également participé à des films grand public: La mentale, de Manuel Boursinhac, Banlieue 13, de Pierre Morel, Ze Film, de Guy Jacques, Ne le dis à personne, de Guillaume Canet, Leur morale…et la nôtre, de Florence Quentin. Plus récemment, Samir Guesmi a tourné dans La mélodie, de Rachid Tami, Tu mérites un amour, de Hafsia Herzi, ou encore Notre Dame, de Valérie Donzelli. Il a aussi joué des rôles dans deux séries de télévision à succès: Engrenages et Revenants.
Ibrahim a fait partie de la sélection officielle du Festival de Cannes 2020, et a remporté quatre prix au dernier Festival du film d’Angoulême: le Valois de diamant, le Valois de la musique, le Valois de la mise en scène, et celui du scénario.