Lorenzo Vidino : « Les gouvernements européens doivent comprendre que les Frères Musulmans sont une entité problématique »

Affrontement entre partisans et opposants des Frères Musulmans en Egypte, où le groupe est actuellement interdit. (AFP)
Affrontement entre partisans et opposants des Frères Musulmans en Egypte, où le groupe est actuellement interdit. (AFP)
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Publié le Mardi 01 septembre 2020

Lorenzo Vidino : « Les gouvernements européens doivent comprendre que les Frères Musulmans sont une entité problématique »

  • Le nouveau livre du Dr Lorenzo Vidino, « Le Cercle Fermé », fait la lumière sur une organisation secrète qui « nie jusqu’à sa propre existence »
  • Dans une interview exclusive, il affirme que les gouvernements européens ne devraient pas considérer le groupe comme représentant les musulmans

ROME: Les gouvernements européens ne doivent pas tomber dans le piège des Frères Musulmans qui tentent d’être considérés comme les représentants des musulmans, explique le Dr Lorenzo Vidino, expert de l’islamisme en Occident. Pour lui, ils constituent «une entité problématique au sein de la communauté musulmane » dont l'influence est « dangereuse. »

Définir l’importance de la confrérie en Europe est « très difficile » car « contrairement au Moyen-Orient… il n'y a dans aucun pays européen de groupes ou d'individus qui se reconnaissent ouvertement membres de la confrérie » précise l’expert, directeur du Programme sur l’extrémisme à l’Université George-Washington, et auteur du récent ouvrage The Closed Circle : Joining and Leaving the Muslim Brotherhood in the West (Le Cercle Fermé : rejoindre et quitter les Frères Musulmans en Occident).

L’adaptation en Europe

Les Frères Musulmans ont été fondés en Égypte en 1928 par Hassan al-Banna et ont cherché à établir un califat islamique mondial. Ils ont influencé les mouvements islamistes dans le monde avec leur modèle de militantisme politique associé à des œuvres caritatives. On estime qu’à la fin des années 40, le groupe comptait 500 000 membres en Égypte, et que ses idées s'étaient répandues dans le monde arabe.

Selon Lorenzo Vidino, à partir des années 1960, des individus et des organisations ayant des liens avec la confrérie dans le monde arabe se sont déplacés vers l'Occident et « ont créé dans toute l’Europe des réseaux qui sont maintenant assez indépendants du Moyen-Orient.

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Dr. Lorenzo Vidino.(Photo Fournie)

Ils adoptent l'idéologie de la confrérie, mais sont pour la plupart libres de choisir leurs tactiques et leurs stratégies » affirme Vidino, dont les recherches se sont concentrées sur la dynamique de mobilisation des réseaux djihadistes en Occident, et sur les activités des organisations issues des Frères Musulmans.

Ces réseaux ont pu exercer une influence bien supérieure à leur petit nombre, selon le chercheur, pour lequel ils sont « particulièrement problématiques » en raison de leur impact sur la cohésion sociale et l'intégration en Europe. « Le message qu'ils font passer, au moins en interne au sein de la communauté musulmane, est très polarisant. Il crée un état d’esprit de ‘nous’ et ’eux’, avec un processus de victimisation constante, qui met en avant l’idée que l’Occident en veut aux musulmans et qu’il est contre l’Islam. Cela crée évidemment une société conflictuelle, qui empêche le processus d'intégration, et empoisonne les relations entre les communautés », explique à Arab News Lorenzo Vidino, qui a occupé diverses fonctions au Belfer Center for Science and International Affairs de la Harvard University, à la Kennedy School of Government, à l’US Institute of Peace, ainsi qu’à la RAND Corp. et au Center for Security Studies à Zurich.

Les opposants aux Frères Musulmans affirment qu'ils sont devenus un terreau fertile pour les terroristes. A titre d’exemple, Ayman Al-Zawahiri, le dirigeant d'Al-Qaïda, a rejoint la confrérie dans les années 60, alors qu'il avait quatorze ans. Dans un entretien à Arab News l'année dernière, le Dr Hamdan Al-Shehri, analyste politique saoudien, avait affirmé qu’il « faut se rappeler que des organisations terroristes comme Al-Qaïda et Daech se sont inspirées des idéologues des Frères Musulmans. »

Les réseaux soutenus par le Qatar

Dans un article de 2015 intitulé « Les Frères Musulmans au Royaume-Uni », le Dr Vidino avait nommé trois catégories d'individus et d'organisations opérant à l’intérieur du Royaume-Uni, pouvant être considérés comme appartenant à la mouvance des Frères Musulmans. « Ils opèrent à différents degrés décroissants: il y a les Frères eux-mêmes, ceux qui leur sont affiliés et les organisations influencées par les Frères Musulmans. »

Le Dr Vidino ajoute qu’une « attention particulière est portée aux activités des membres de la branche égyptienne de la confrérie vivant à Londres. Ce petit groupe d'une poignée de hauts dirigeants et de jeunes militants est actif dans les médias déploie des efforts au niveau légal ainsi qu’auprès des groupes de pression afin de contester le régime égyptien actuel. »

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Le gouvernement égyptien a déclaré les Frères Musulmans groupe terroriste en décembre 2013, après les avoir accusés d'avoir mené une série d'attentats à la bombe au Caire. Le groupe étant contraint à la clandestinité en Égypte et dans un certain nombre d'autres pays arabes, nombre de ses membres et de ses partisans ont trouvé refuge en Turquie et au Qatar.

Un livre publié l'année dernière par deux journalistes d'investigation français, Georges Malbrunot et Christian Chesnot, a révélé les détails de généreux versements effectués par le Qatar aux organisations des Frères Musulmans à travers l'Europe. Intitulé « Qatar Papers - Comment l’État finance l’Islam en France et en Europe », l’ouvrage serait basé sur des documents officiels et des témoignages qui mettent en lumière le vaste financement de Doha pour promouvoir l’idéologie des Frères Musulmans sur le continent. Le livre fait état de preuves de chèques et de transferts d'argent du Qatar ayant été utilisés pour financer des projets liés à la confrérie à travers l'Europe.

Vidino, qui a témoigné devant le Congrès Américain et d'autres Parlements à travers le monde et a conseillé aux responsables du monde entier d’appliquer la loi, affirme que les Frères Musulmans en Occident sont « une organisation tellement secrète qu’elle nie jusqu’à sa propre existence. C'est pourquoi j'ai pensé que l'un des meilleurs moyens d'obtenir des informations sur elle et sa structure, sur ce qu'elle pense et veut, était d'interroger des personnes qui font partie de cette organisation en Occident », affirme t-il à Arab News.

Le chercheur a rencontré des « expériences différentes » lors des interviews qu’il a réalisées pour son livre, mais assure que « tous ont été recrutés après un très long processus. Ils sont devenus une partie de ce qu'ils ont décrit comme étant un mécanisme très sophistiqué dans chaque pays. Ils avaient tous quelque chose en commun: ils ont tous constaté une corruption au sein de l'organisation et un manque de démocratie interne. Ils en sont tous arrivés à voir la confrérie comme trompeuse. Ils y ont vu beaucoup d'hypocrisie, et une utilisation de la religion à des fins purement politiques. »

L’ombre de la Turquie

Les personnes qui quittent le groupe sont « ostracisées ». Elles perdent une grande partie de leurs relations, « parce qu'être membre de la confrérie est une expérience très absorbante. Il est évidemment difficile pour toute personne qui y a consacré dix ou vingt ans de sa vie de se dire qu’elle a eu tort, et que l’organisation et l’idéologie auxquelles elle a consacré sa vie étaient fausses. Cela demande beaucoup de courage intellectuel. »

Certains ont manifestement le courage intellectuel nécessaire. A titre d’exemple, un récent compte-rendu dans les médias allemands faisait mention de la divulgation de documents confidentiels qui font la lumière sur l'utilisation par le Qatar de sa richesse et de ses œuvres caritatives pour financer et infiltrer des mosquées, activer les réseaux des Frères Musulmans et accroître son influence dans toute l'Allemagne.

Les documents révèlent que la Qatar Charity a puisé dans ses fonds pour financer au moins 140 mosquées et centres Islamiques à travers l'Allemagne depuis le début de sa campagne - pour un coût estimé à 72 millions d'euros. Rien qu'en 2016, l'association caritative a dépensé environ cinq millions d'euros pour divers projets de construction dans les grandes villes allemandes, notamment Berlin et Munich.

Non loin derrière le Qatar se trouve la Turquie, qui a soutenu sous diverses formes les Frères Musulmans, notamment en accordant l'asile politique aux membres recherchés de la confrérie, et en les équipant de chaînes de télévision et de radio satellitaires. Dans un article récent intitulé « L'influence d'Erdogan en Europe: une étude de cas suédoise » dans le Fikra Forum du Washington Institute For Near East Policy, Magnus Norell, chercheur, écrit que « le leadership politique de la Turquie semble profondément investi dans un certain nombre de petits partis européens qui s'alignent sur la propre vision politique d'Erdogan mise en œuvre en Turquie. »

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Le gouvernement du président turc Recep Tayyip Erdogan a grandement soutenu les Frères Musulmans. (AFP)

Norell explique qu'Erdogan avait clairement explicité sa politique à la télévision albanaise en juin 2017, déclarant qu'il n'y avait rien de mal à soutenir des partis politiques dans les Balkans et d'autres pays européens partageant une idéologie similaire à celle de son AKP islamiste, et que « personne ne devrait être dérangé par cette démarche. »

Faisant référence à leur présence en Europe, Vidino décrit les Frères Musulmans comme « un groupe élitiste. Pour eux, l’important n’est pas le nombre. On n’en fait pas facilement partie. Ils sont très sélectifs dans leurs choix, confie t-il à Arab News. Nous ne parlons pas de très grands nombres de personnes. Nous parlons peut-être de quelques centaines de personnes dans un pays comme l'Italie, peut-être de 1 000 dans des pays comme la France ou l'Allemagne. Leur pouvoir réside dans leur capacité à mobiliser d'autres personnes, à influencer la communauté musulmane, à influer sur l'élaboration des politiques en Occident… Ils ont une grande capacité d’adaptation à leur environnement. »

Les membres des Frères Musulmans veulent être considérés par « le pouvoir, les gouvernements et les médias occidentaux comme les représentants des communautés musulmanes et, en fait, devenir ceux qui façonnent l'Islam en Italie, en Allemagne, en Suède, en Belgique et dans d’autres pays. »

En conclusion, l’expert déclare qu’il « est du ressort des gouvernements européens de comprendre que les Frères Musulmans ne sont pas les représentants de la communauté musulmane, et qu'ils sont, le cas échéant, une entité problématique au sein de la communauté musulmane, qui est la preuve du danger qu’ils représenteront. »

Ce texte est la traduction d'un article paru sur ArabNews.com

 


Israël frappe à nouveau le sud du Liban, un an après le cessez-le-feu

L'armée israélienne a déclaré avoir mené jeudi une série de frappes contre le Hezbollah dans le sud du Liban, la dernière en date malgré le cessez-le-feu conclu il y a un an avec le groupe militant. (X/@fadwa_aliahmad)
L'armée israélienne a déclaré avoir mené jeudi une série de frappes contre le Hezbollah dans le sud du Liban, la dernière en date malgré le cessez-le-feu conclu il y a un an avec le groupe militant. (X/@fadwa_aliahmad)
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  • L’armée israélienne a mené de nouvelles frappes dans le sud du Liban, ciblant des infrastructures et des sites d’armes du Hezbollah, malgré un cessez-le-feu en vigueur depuis un an
  • Le gouvernement libanais est accusé par Israël et les États-Unis de tarder à démanteler la présence militaire du Hezbollah dans la zone frontalière, tandis que Beyrouth dément toute faute et rejette les accusations israéliennes

JERUSALEM: L'armée israélienne a annoncé jeudi avoir mené de nouvelles frappes contre le Hezbollah dans le sud du Liban, au moment où elle intensifie ses attaques sur le territoire libanais malgré un cessez-le-feu avec le mouvement pro-iranien qu'elle accuse de chercher à se réarmer.

"Il y a peu, l'armée israélienne a frappé et démantelé des infrastructures terroristes du Hezbollah dans plusieurs zones dans le sud du Liban", écrit l'armée dans un communiqué.

"Dans le cadre de ces frappes, l'armée a visé plusieurs sites de lancement où des armes du Hezbollah étaient stockées", ajoute le communiqué, qui précise que les frappes ont également touché des "postes militaires utilisés par des membres du Hezbollah pour mener des attaques terroristes".

L'agence de presse d'Etat libanaise ANI a annoncé une série de "raids aériens israéliens sur Al-Mahmoudiya et Al-Jarmak dans la région de Jezzine."

En vertu de l'accord de cessez-le-feu, signé il y a un an jour pour jour, l'armée libanaise doit démanteler la présence militaire du Hezbollah sur une bande d'une trentaine de kilomètres entre la frontière avec Israël et le fleuve Litani, plus au nord.

L'armée a soumis un plan au gouvernement, dans lequel elle s'engage à accomplir cette tâche titanesque, avant de procéder par étapes sur le reste du territoire libanais. Mais les Etats-Unis et Israël accusent les autorités libanaises de tarder, face à la ferme opposition du Hezbollah.

Mercredi, le ministre israélien de la Défense Israël Katz avait averti qu'il n'y aura "pas de calme" au Liban sans sécurité pour son pays.

"Nous ne permettrons aucune menace contre les habitants du nord, et une pression maximale continuera à être exercée et même s'intensifiera", a déclaré M. Katz lors d'une intervention devant le parlement israélien, avançant pour preuve "l'élimination" dimanche à Beyrouth du chef militaire du Hezbollah.

La Présidence libanaise a publié mercredi une déclaration du président Joseph Aoun qui "a rejeté les allégations israéliennes qui portent atteinte au rôle de l'armée et remettent en question son travail sur le terrain, notant que ces allégations ne reposent sur aucune preuve tangible."


Un an après le cessez-le-feu au Liban, la paix reste fragile alors que les violations israéliennes se multiplient

Cette frappe est la cinquième opération israélienne visant la banlieue sud depuis le 27 novembre 2024, et la deuxième à avoir lieu sans avertissement préalable. (Photo d'archive: AFP)
Cette frappe est la cinquième opération israélienne visant la banlieue sud depuis le 27 novembre 2024, et la deuxième à avoir lieu sans avertissement préalable. (Photo d'archive: AFP)
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  • Le cessez-le-feu demeure extrêmement fragile : plus de 5 000 violations israéliennes, une frappe majeure à Beyrouth et un risque réel d’escalade malgré les appels internationaux à la retenue
  • Le Sud-Liban vit une crise humanitaire profonde, avec des villages détruits, jusqu’à 70 000 déplacés et une population abandonnée entre l’État libanais et le Hezbollah

BEYROUTH : Alors que le cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah s'apprête à entrer dans sa deuxième année vendredi, les signaux d'alarme retentissent plus fort que jamais quant au risque d’une reprise du conflit au Liban.

L’assassinat dimanche dernier de Haytham Ali Tabatabai, chef militaire du Hezbollah et deuxième figure la plus puissante du mouvement après le secrétaire général Naim Qassem, lors d’une attaque audacieuse dans la banlieue sud de Beyrouth, a brisé les espoirs d’une stabilité durable.

La réponse du Hezbollah — qu’elle prenne la forme d’une action militaire ou d’un simple blâme diplomatique, comme certains cadres l’ont laissé entendre — pourrait déterminer si le cessez-le-feu survivra.

Cette frappe représente la cinquième opération israélienne visant la banlieue sud depuis le 27 novembre 2024, et la deuxième menée sans avertissement préalable.

Les registres officiels font état de 5 350 violations israéliennes du cessez-le-feu en douze mois. Ces violations ont coûté la vie à plus de 340 personnes — principalement des combattants et commandants du Hezbollah, mais aussi des civils, dont des enfants et des femmes — et ont blessé plus de 650 autres.

Dans une escalade notable, les forces israéliennes ont frappé pour la première fois Aïn Al-Héloué, un camp de réfugiés palestiniens.

Les violations répertoriées comprennent 2 198 incursions terrestres, 2 983 opérations aériennes et 169 violations maritimes.

Les forces de maintien de la paix de l’ONU dressent un tableau encore plus sombre, rapportant plus de 7 500 violations aériennes et environ 2 500 violations terrestres au nord de la Ligne bleue depuis l’accord de l’an dernier, ainsi que la découverte et la saisie de plus de 360 caches d’armes abandonnées, remises à l’armée libanaise.

La stratégie d’Israël s’apparente à une campagne d’usure progressive contre le Hezbollah, visant à réduire systématiquement ses capacités tandis que l’armée libanaise s’emploie à désarmer le groupe au sud du fleuve Litani.

L’armée affirme avoir rempli plus de 80 % de ce mandat, avec une échéance fixée à la fin de l’année avant que les opérations ne s’étendent vers le nord — une zone dans laquelle le Hezbollah refuse catégoriquement de rendre ses armes, estimant que la décision revient aux dirigeants politiques libanais.

Le conflit lui-même a porté de lourds coups au Hezbollah, décimant ses rangs et infligeant des pertes catastrophiques à ses stocks d’armement. Mais le plus inquiétant est peut-être l’empiètement physique d’Israël sur le territoire libanais.

Les observateurs de l’ONU ont documenté la construction par l’armée israélienne de murs en T en béton près de la Ligne bleue. Des relevés confirment que ces barrières s’enfoncent dans le territoire libanais au sud-ouest de Yaroun, isolant plus de 4 000 m² de terres libanaises. Des constructions similaires sont apparues au sud-est de la même ville ces dernières semaines.

Plus largement, les forces israéliennes contrôlent cinq positions réparties sur 135 km de territoire libanais — des Fermes de Chebaa à Ras Al-Naqoura — situées 500 à 1 000 mètres au-delà de la Ligne bleue.

L’ONU a exigé des enquêtes rapides et impartiales sur les opérations militaires israéliennes, en particulier la frappe contre le camp de réfugiés palestiniens, évoquant des violations potentielles du droit international humanitaire et appelant à la reddition de comptes.

Vingt ressortissants libanais croupissent dans les prisons israéliennes, principalement à Ofer, parmi lesquels dix membres du Hezbollah capturés lors de combats près d’Aïta Al-Chaab, un officier de marine enlevé lors d’un raid commando, et neuf civils. Leurs familles n’ont reçu aucune information officielle du Comité international de la Croix-Rouge sur leurs conditions ou leur état de santé.

Une source officielle libanaise a estimé que « la libération des détenus fait partie des termes de l’accord de cessez-le-feu, tout comme le retrait des territoires occupés, et le Liban ne détient aucun prisonnier israélien en échange. »

La politique de la terre brûlée menée par Israël dans les villages frontaliers s’est poursuivie, les attaques visant toute tentative de reconstruction. La Banque mondiale estime le coût des travaux à environ 11 milliards de dollars.

« Entre 10 et 15 villages ont été complètement rayés de la carte », affirme Tarek Mazraani, ingénieur à Houla et coordinateur du « Rassemblement des villages frontaliers du Sud ».

Mazraani estime que 65 000 à 70 000 personnes restent déplacées de leurs maisons et de leurs villages détruits.

« Ceux qui sont revenus sont ceux qui ne peuvent littéralement aller nulle part ailleurs, principalement des personnes âgées vivant au milieu des décombres, exposées quotidiennement à l’horreur des bombardements et aux couvre-feux, sans aucun hôpital pour les soigner », a-t-il déclaré à Arab News.

Toute personne souhaitant enterrer un proche doit obtenir l’autorisation de la FINUL, qui informe ensuite Israël pour permettre l’inhumation.

« Malgré cela, l’armée israélienne bombarde à chaque fois les abords du cortège funéraire », ajoute Mazraani.

Il précise que les déplacés ont loué des logements à Nabatiyé, Tyr, Saïda, Iqlim Al-Kharroub, dans la banlieue sud de Beyrouth et au Mont-Liban. La plupart sont agriculteurs, mais on compte aussi des enseignants, des ingénieurs, des travailleurs indépendants et des membres des forces de sécurité.

« Depuis la fin de la guerre, ces gens sont laissés sans aucun soutien officiel ou partisan. L’un des habitants les plus riches de la région, qui a tout perdu, travaille désormais comme livreur », dit-il.

Les personnes déplacées sont prises entre l'État parallèle du Hezbollah et l'État libanais : « Tout le monde exploite leur tragédie, même au sein de notre propre communauté du sud. Les loyers sont extrêmement élevés et nous ne nous sentons jamais chez nous. »

L’un d’eux, qui souhaite rester anonyme, explique : « Ceux qui ne sont affiliés à aucun parti sont loin de la politique. Notre seule préoccupation est d’assurer notre subsistance et une couverture financière en cas d’hospitalisation. Nous nous sentons orphelins et abandonnés, surtout quand une institution du Hezbollah nous dit qu’elle n’a plus d’argent. »

Il ajoute : « Les habitants des zones détruites paient le prix fort. Certains en veulent au Hezbollah pour la guerre et les milliers de morts qu’elle a entraînés, tandis que d’autres craignent que l’autre camp se réjouisse de notre malheur sans jamais nous rassurer. »

Les attentes libanaises face aux menaces israéliennes de relancer la guerre — sapant l’accord de cessez-le-feu négocié par la France et les États-Unis et dont les termes ressemblent fortement aux points principaux de la résolution 1701 — restent contradictoires.

Certains observateurs politiques jugent ces menaces « exagérées », tandis que d’autres estiment qu’« une frappe est inévitable mais n’aboutira pas à une guerre totale ; elle vise à pousser le Liban à négocier ».

Plus tôt ce mois-ci, le président libanais Joseph Aoun a déclaré : « Le Liban n’a pas d’autre choix que de négocier, et le langage de la négociation est plus important que celui de la guerre. »

Le Premier ministre Nawaf Salam l’a confirmé, exprimant son espoir d’un « soutien américain à une solution diplomatique ».

Pour l’heure, cependant, des négociations directes entre le Liban et Israël restent totalement exclues.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com


Israël: le ministre de la Défense avertit qu'il n'y aura "pas de calme" au Liban sans sécurité pour son pays

Un an après le cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah, l'armée israélienne maintient toujours cinq positions dans le sud du Liban, avec des fortifications et des voies d'accès élargies, selon des images satellites analysées par l'AFP. (AFP)
Un an après le cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah, l'armée israélienne maintient toujours cinq positions dans le sud du Liban, avec des fortifications et des voies d'accès élargies, selon des images satellites analysées par l'AFP. (AFP)
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  • Israël avertit qu’aucun calme ne reviendra au Liban tant que sa propre sécurité ne sera pas garantie, intensifiant ses frappes malgré la trêve et affirmant vouloir désarmer le Hezbollah
  • L’Égypte tente de désamorcer les tensions, tandis que l’application du cessez-le-feu reste bloquée : l’armée libanaise dit vouloir démanteler les positions du Hezbollah, mais Israël et les États-Unis accusent Beyrouth de traîner

JERUSALEM: Le ministre de la Défense israélien a averti mercredi qu'il n'y aura "pas de calme" au Liban sans sécurité pour son pays, alors qu'Israël a intensifié ses opérations militaires au Liban ces dernières semaines, en dépit d'un accord de cessez-le-feu.

"Nous ne permettrons aucune menace contre les habitants du nord, et une pression maximale continuera à être exercée et même s'intensifiera", a déclaré Israël Katz lors d'une intervention devant le parlement israélien, avançant pour preuve "l'élimination" dimanche à Beyrouth du chef militaire du Hezbollah.

"Il n'y aura pas de calme à Beyrouth ni d'ordre et de stabilité au Liban tant que la sécurité de l'Etat d'Israël ne sera pas garantie", a ajouté M. Katz en affirmant que son pays allait désarmer le Hezbollah.

Le ministre égyptien des Affaires étrangères a déclaré mercredi que son pays oeuvrait à la désescalade des tensions entre Israël et le mouvement armé libanais soutenu par l'Iran.

"Nous craignons toute escalade et nous sommes inquiets pour la sécurité et la stabilité du Liban", a déclaré ce ministre, Badr Abdel Ati, après sa rencontre avec le président libanais Joseph Aoun à Beyrouth mercredi.

"Nous engageons des efforts considérables pour épargner au Liban tout risque, ou toute atteinte, concernant sa sécurité", a-t-il ajouté.

Israël a frappé le Liban à plusieurs reprises malgré la trêve, affirmant régulièrement cibler les membres et les infrastructures du Hezbollah pour empêcher le groupe de se réarmer, ce qu'il nie être en train de faire.

En vertu de l'accord de cessez-le-feu, l'armée libanaise doit démanteler la présence militaire du Hezbollah sur une bande d'une trentaine de kilomètres entre la frontière avec Israël et le fleuve Litani, plus au nord.

L'armée a soumis un plan au gouvernement, dans lequel elle s'engage à accomplir cette tâche titanesque, avant de procéder par étapes sur le reste du territoire libanais. Mais les Etats-Unis et Israël accusent les autorités libanaises de tarder, face à la ferme opposition du Hezbollah.

Ce dernier invoque notamment le maintien par Israël de cinq postes dans le sud du Liban, dont l'accord de cessez-le-feu stipule pourtant que l'armée israélienne doit se retirer.