Élisabeth Moreno: « Je crois à la détermination pour combattre le déterminisme»

Élisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l'Égalité des chances, est entrée dans le gouvernement de Jean Castex le 6 juillet 2020. (crédit photo agence REA)
Élisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l'Égalité des chances, est entrée dans le gouvernement de Jean Castex le 6 juillet 2020. (crédit photo agence REA)
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Publié le Mardi 06 juillet 2021

Élisabeth Moreno: « Je crois à la détermination pour combattre le déterminisme»

  • En tant que femme, noire, issue d’un milieu populaire, les échelons que j’ai pu gravir sont le fruit à la fois de combats que j’ai menés, mais aussi de rencontres, de hasards et des opportunités que la République m’a offertes
  • Les discriminations sont une réalité dans notre pays. Une réalité dont nous pouvons tous être victimes ou témoins au cours de notre vie et face à laquelle nous ne pouvons détourner le regard

PARIS: Élisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l'Égalité des chances, a été nommée présidente de Hewlett-Packard Afrique en janvier 2019, avant d’entrer dans le gouvernement de Jean Castex le 6 juillet 2020. Sollicitée par Arab News en français, la ministre répond à nos questions.

Vous êtes en charge de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances. Comment votre parcours vous a-t-il préparée à votre ministère?

J’ai l’habitude de dire que ce ministère était fait pour moi. Je suis née en Afrique, plus précisément au Cap-Vert, durant la colonisation portugaise, puis je suis arrivée en France enfant et j’ai grandi dans une cité de l’Essonne, dans une famille modeste. Une famille qui était également très patriarcale et j’ai mis du temps à m’extraire des carcans dans lesquels mes parents voulaient m’enfermer pour conquérir in fine ma liberté. Comme de très nombreuses femmes de par le monde, j’ai donc dû me battre pour briser les chaînes qui entouraient ma condition de fille et de femme.

Par ailleurs, en tant que femme, noire, issue d’un milieu populaire, les échelons que j’ai pu gravir sont le fruit à la fois de combats que j’ai menés, mais aussi de rencontres, de hasards et des opportunités que la République m’a offertes. Autrement dit, les valeurs que mon ministère véhicule et les causes qu’il défend sont celles qui m’habitent depuis toujours et qui se confondent avec mon parcours: le combat pour la condition des femmes et la double quête de liberté et d’égalité qu’il revêt, la promotion de la diversité ainsi qu’en toile de fond la lutte contre les discriminations et le combat pour l’égalité des chances sur tous nos territoires ; en zones rurales, dans nos quartiers prioritaires ainsi que dans les territoires ultramarins. Ce sont autant d’enjeux auxquels j’ai été confrontée, autant d’obstacles que j’ai dû franchir ou de causes pour lesquelles je me suis engagée de longue date.

 

«Nous devons absolument donner plus de chances à ceux qui en ont le moins. Et, en parallèle, lutter contre toutes les formes de discrimination.»

Élisabeth Moreno

Quels sont vos axes de travail et vos grandes priorités d’ici à la fin du quinquennat?

Le président de la République, Emmanuel Macron, a érigé l’égalité entre les femmes et les hommes en Grande cause du quinquennat. Dans ce contexte, je souhaite approfondir l’action conduite depuis 2017. Approfondir l’action conduite en veillant, notamment, à l’exécution rigoureuse de l’ensemble des 46 mesures issues du Grenelle des violences conjugales qui a jeté la lumière sur un sujet, jusqu’ici, trop longtemps resté dans l’ombre.

Aujourd’hui, 100% de ces mesures sont engagées et 32 d’entre elles sont mises en œuvre. Elles s’appuient sur un effort budgétaire sans précédent. Le budget dévolu à mon ministère a ainsi progressé de 40% en 2021; il s’agit d’une hausse historique, signe que le combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes constitue une priorité du gouvernement.

Par ailleurs, parce qu’il ne peut subsister, dans notre pays, d’égalité à plusieurs vitesses, l’égalité des chances doit enfin trouver sa traduction concrète et effective. Pour cela, nous devons absolument donner plus de chances à ceux qui en ont le moins. Et, en parallèle, lutter contre toutes les formes de discrimination. En luttant contre les discriminations, nous agissons pour bâtir une France plus égalitaire, où chacun puisse trouver sa place par-delà ses origines, sa couleur de peau, son lieu de résidence ou de naissance, son orientation sexuelle ou son identité de genre. Depuis 2017, le gouvernement a beaucoup agi. Mais du chemin reste à parcourir. C’est le sens du discours et des annonces du président de la République à Clermont-Ferrand le 8 septembre 2020.

L’égalité est donc au cœur de mon ministère. Elle en est l’alpha et l’oméga.

Comment s’articule votre action avec celle du Défenseur des droits?

Le Défenseur des droits est une autorité administrative indépendante et constitue ainsi l’un des piliers de l’architecture de notre État de droit. Ses missions visent à favoriser l’égalité de toutes et tous dans l’accès aux droits et défendre celles et ceux dont les droits ne sont pas respectés. À travers ses équipes juridiques notamment ainsi que son réseau territorial de délégués dans l’Hexagone et en Outre-mer, il est un acteur essentiel dans le combat que je mène contre les discriminations.

Je travaille donc en parfaite confiance avec Claire Hédon et, c’est pourquoi, le gouvernement a confié la plate-forme de lutte contre les discriminations que nous avons lancée le 12 février dernier au Défenseur des droits.

Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste la consultation citoyenne sur les discriminations et quels sont ses objectifs?

Les discriminations sont une réalité dans notre pays. Une réalité dont nous pouvons tous être victimes ou témoins au cours de notre vie et face auxquelles nous ne pouvons détourner le regard. En plus d’être des injustices individuelles qui blessent toujours et qui, parfois, peuvent briser des destins, ces discriminations minent notre cohésion sociale et constituent des entorses à nos valeurs républicaines.

 

«Pour le secteur de l’emploi privé, les discriminations en raison de l’origine sont majoritaires. À l’inverse, dans le domaine de l’emploi public, le handicap est le critère le plus invoqué.»

Élisabeth Moreno

Ignorant les frontières géographiques, culturelles ou sociales, les discriminations se manifestent dans toutes les sphères de notre société – de manière insidieuse ou visible. À l’école, dans l’emploi, dans l’accès au logement, au financement bancaire… Au total, il existe 25 critères de discriminations prohibés par la loi qui concernent par exemple le handicap, le sexe, l’origine, la nationalité, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, les croyances ou encore l’âge et l’engagement syndical.

Dans ce contexte, si notre pays s’est d’ores et déjà doté d’un arsenal juridique solide en la matière, force est de constater que nous devons encore aller plus loin pour enrayer ce fléau. À la suite de l’engagement pris par le président de la République le 4 décembre 2020, le gouvernement a dès lors créé le 12 février dernier une plate-forme de lutte contre les discriminations, confiée au Défenseur des droits, et accessible via le numéro de téléphone 39 28 et la plate-forme www.antidiscriminations.fr.

Avec cette plate-forme et cette ligne d’écoute, toute personne victime ou témoin d’une discrimination, quels qu’en soient le motif et le domaine, peut désormais contacter directement et en toute confidentialité les équipes juridiques du Défenseur des droits. Elle pourra aussi être orientée vers l’association la plus proche de son domicile.

Par ailleurs, deuxième mesure annoncée par Emmanuel Macron, nous avons lancé le 8 avril dernier une consultation citoyenne sur les discriminations qui s’est achevée le 31 mai. Ouverte à tous les citoyens ainsi qu’aux associations, entreprises ou collectivités locales, cette consultation visait à donner la parole à nos concitoyens afin qu’ils puissent évaluer les dispositifs existants et proposer des solutions concrètes pour éradiquer les discriminations.

Il s’agissait d’un exercice totalement inédit sur cet enjeu et il n’y avait aucun sujet tabou. Toutes les situations de discrimination ont été mises sur la table, et ce dans tous les domaines de la vie quotidienne: l’emploi, la sécurité, l’accès aux soins, les transports, le logement… Je me réjouis que cette consultation ait rencontré un réel engouement. Nous allons désormais voir quelles propositions pourront être concrétisées.

La plate-forme antidiscriminations est destinée aux personnes victimes ou témoins de discriminations, quel qu’en soit le motif, origine, handicap, genre… Quels sont les problématiques les plus prégnantes remontées par cette plate-forme?

À ce jour, nous pouvons relever que plus de 10 000 internautes se sont rendus sur le site de la plate-forme, près de 3 000 personnes ont contacté le 39 28, près de 800 tchats ont été passés, 20% des utilisateurs ont ensuite saisi le Défenseur des droits.

Le domaine dans lequel est le plus souvent invoquée une discrimination demeure l’emploi puis vient ensuite le logement. Les problématiques de discrimination dans l’emploi concernent des refus d’embauche mais également des absences d’évolution de carrière, des écarts de rémunérations et des licenciements injustifiés.

Ces statistiques témoignent, je le crois, de l’utilité de cette plate-forme. Une plate-forme qui vient lutter contre une certaine forme de banalisation des discriminations qui nous conduit inconsciemment à accepter l’inacceptable.

 

«Parler d’égalité des choix, cela suppose que tous les jeunes, d’où qu’ils viennent et où qu’ils vivent, ne rencontrent pas de freins à la réalisation de leurs rêves. Or, on naît égaux en droits, mais on ne naît pas égaux en chances.»

Élisabeth Moreno

La nature des discriminations varie-t-elle selon les origines des personnes qui les subissent?

Je rappelle que, malheureusement, nous pouvons tous être un jour exposés aux discriminations ; en tant que victime, témoin voire auteur. C’est la raison pour laquelle nous nous devons de lutter collectivement contre ce fléau.

Les indicateurs d’activité du Défenseur des droits nous enseignent que des critères prohibés de discrimination sont plus invoqués que d’autres dans certains domaines. Par exemple, pour le secteur de l’emploi privé, les discriminations en raison de l’origine sont majoritaires. À l’inverse, dans le domaine de l’emploi public, le handicap est le critère le plus invoqué.

Le confinement a, semble-t-il, augmenté sensiblement les chiffres de la violence faite aux femmes? Comment lutter efficacement contre ce fléau? Vous avez lancé un appel à projets pour favoriser l'entrepreneuriat au féminin. Sous quelle forme se présente-t-il et qu’en attendez-vous concrètement?

La crise sanitaire et a fortiori les confinements ont aggravé le risque d’exposition aux violences pour les femmes. Dans ce contexte, le gouvernement a mis en place des mesures exceptionnelles. Qu’il s’agisse du dispositif «alerte-pharmacie», permettant aux femmes victimes de violences ou à leur entourage de pouvoir se signaler en officines, du dispositif de signalements par SMS via le 114, de la mise en place de points d’accueil et d’accompagnement dans les supermarchés, etc. Ces mesures, qui venaient s’ajouter aux dispositifs existants, ont toutes été pérennisées.

Par ailleurs, d’une manière générale, plusieurs dispositifs ont été fortement renforcés depuis 2017. Ainsi, en 2020, 3 254 ordonnances de protection ont été délivrées, contre 1 388 en 2017. Le déploiement des téléphones, grave danger, s’accélère lui aussi puisque leur nombre a triplé depuis 2017. Un plan d’actions pour renforcer l’utilisation des bracelets antirapprochement, mis à disposition des juridictions depuis septembre dernier, a été engagé par Éric Dupond-Moretti.

De surcroît, afin de mettre à l’abri les femmes victimes de violences, le gouvernement a ouvert 1 000 places d’hébergement dédiées en 2020 et en crée 1 000 supplémentaires en 2021 avec une revalorisation du coût pour permettre un meilleur accompagnement. Le nombre de places d’hébergement dédiées aura ainsi augmenté de 60% depuis 2017. C’est un engagement fort que nous portons avec Emmanuelle Wargon. Enfin, parce que protéger la victime nécessite aussi de prendre en charge les auteurs, 18 centres de prise en charge des auteurs de violences sur tout le territoire ont vu le jour en 2020 dans l’Hexagone et en Outre-mer pour lutter contre la récidive ou prévenir le passage à l’acte. Et 12 supplémentaires seront créés cette année. Aussi, depuis le 28 juin, le 3919, la plate-forme téléphonique d’écoute et d’orientation des victimes de violences, a étendu ses horaires 24h/24 du lundi au vendredi et passera d’ici à fin août à 7j/7. Elle sera également accessible aux personnes sourdes et aphasiques. Il s’agissait d’une attente forte des associations et d’un engagement du Grenelle des violences conjugales que nous concrétisons enfin.

 

«Les inégalités prennent racine lorsque l’on n’a pas accès à l’éducation, à la culture, à l’information, à la formation, à l’emploi…»

Élisabeth Moreno

Enfin, j’ai lancé le 22 avril dernier un appel à projets afin de valoriser des actions innovantes en matière d’autonomie et d’insertion économiques des femmes. En tant qu’ancienne cheffe d’entreprise, j’ai pu observer combien la mixité des équipes et la diversité des talents sont des facteurs de performance. Un enjeu qui revêt une dimension redoublée dans la triple crise sanitaire, économique et sociale que nous traversons où les femmes ont été et demeurent en première ligne. À travers cet appel à projets, nous nous engageons collectivement pour l’égalité en y associant les acteurs publics, les partenaires sociaux, les fondations et les associations.

Arab News et l’institut de sondage YouGov ont mené une enquête sur la perception des Français d’origine arabe et de la vie en France. Dans ce document, les personnes interrogées affirment que c’est l’origine ethnique de leur nom qui a eu l’impact négatif le plus important (36%) sur leurs perspectives de carrière (la proportion la plus élevée concerne les 35-44 ans, à 41%). Selon vous, dans le domaine de l’égalité des chances et de la diversité, quels sont les principaux combats qui restent à mener pour les Français d’origine arabe?

L’égalité est au cœur du pacte républicain, elle en est la sève. C’est à la fois un idéal et une promesse. Et c’est l’une des missions essentielles de mon ministère. Néanmoins, comme l’a rappelé le président de la République lors de son allocution pour les 150 ans de la République au Panthéon, elle n’est pas encore «concrète et effective» pour tous les Français. Et c’est aussi ce que révèle votre sondage.

Parler d’égalité des choix, cela suppose que tous les jeunes, d’où qu’ils viennent et où qu’ils vivent, ne rencontrent pas de freins à la réalisation de leurs rêves. Or, on naît égaux en droits, mais on ne naît pas égaux en chances. Le rôle de l’État – et des pouvoirs publics en général – est de créer les conditions de cette réussite, qui peut prendre de multiples formes, pour toutes et tous. Nous devons faire en sorte que tous les jeunes aient conscience du champ des possibles.

Les inégalités prennent racine lorsque l’on n’a pas accès à l’éducation, à la culture, à l’information, à la formation, à l’emploi… Mais il n’y a pas de fatalité à cela. L’égalité des chances n’est pas un concept talisman, ni un slogan. Elle doit être du concret, du pragmatisme.

C’est, par exemple, l’objectif de la stratégie de lutte contre la pauvreté qui s’attaque aux inégalités dès la petite enfance; du dédoublement des classes en CP-CE1 et en grandes sections de maternelle dans les réseaux d’éducation prioritaire qu’a mis en place Jean-Michel Blanquer. C’est un investissement sans précédent dans la formation professionnelle avec le Plan d’investissement dans les compétences et la réforme de l’apprentissage ou encore le soutien massif à l’emploi des jeunes avec le plan «1 jeune, 1 solution» ou les mesures concrètes de l’Agenda rural porté par Joël Giraud.  Car je tiens à aborder l’égalité des chances sous l’angle de l’équité entre les territoires. Il faut que ces politiques se déploient partout: dans les zones rurales, dans les quartiers urbains défavorisés, dans les Outre-mer…

 

«Lutter contre les discriminations et promouvoir la diversité, c’est au bout du compte réconcilier l’idéal républicain avec la pluralité de notre société contemporaine.»

Élisabeth Moreno

Enfin, je souhaite créer un Index de la diversité dans le monde professionnel. En prenant une photographie du niveau d’inclusion et de diversité d’une organisation publique ou privée, cet outil aidera les dirigeants et les DRH à engager ensuite des mesures correctives pour, au final, que leur organisation soit un meilleur reflet de notre société. Bien entendu, cet Index se fera à droit constant et sera basé sur le volontariat à la fois des entreprises et des organisations publiques ainsi que des salariés. Par ailleurs, il sera sécurisé juridiquement en respectant les conditions d’anonymat et de confidentialité posées par la CNIL.

Vous avez déclaré: «La différence peut être une richesse et elle peut porter loin.» Voulez-vous nous expliquer votre sentiment sur ce sujet?

Je considère que la diversité n’est pas un fardeau mais une richesse, qu’elle n’est pas un danger mais un atout. Et j’ai l’intime conviction que le talent et la compétence transcendent les origines, le sexe, la couleur de peau, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, le lieu de résidence ou les croyances.

Lutter contre les discriminations et promouvoir la diversité, c’est au bout du compte réconcilier l’idéal républicain avec la pluralité de notre société contemporaine. Et je crois à la détermination pour combattre le déterminisme.


La "loi spéciale" au Parlement, rendez-vous en janvier pour reparler budget

Le Premier ministre français Sébastien Lecornu et le ministre français de l'Économie et des Finances Roland Lescure quittent l'Élysée après la réunion hebdomadaire du Conseil des ministres, à Paris, le 10 décembre 2025. (AFP)
Le Premier ministre français Sébastien Lecornu et le ministre français de l'Économie et des Finances Roland Lescure quittent l'Élysée après la réunion hebdomadaire du Conseil des ministres, à Paris, le 10 décembre 2025. (AFP)
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  • Faute d’accord sur le budget de l’État, le Parlement vote une loi spéciale pour reconduire provisoirement le budget 2025 et assurer le fonctionnement de l’État
  • Les débats budgétaires reprendront en janvier, sur fond de déficit élevé, de tensions politiques et de discussions autour d’un possible recours au 49.3

PARIS: Le Parlement pose une rustine sur ses désaccords budgétaires. L'Assemblée nationale et le Sénat devraient voter tour à tour mardi la "loi spéciale" présentée par le gouvernement pour continuer de financer provisoirement l'État et les administrations.

Les votes des deux assemblées ponctuent deux mois et demi de débats budgétaires qui se soldent par un échec partiel pour le Premier ministre Sébastien Lecornu.

Le dialogue privilégié engagé par le Premier ministre avec le Parti socialiste a permis l'adoption du budget de la Sécurité sociale pour 2026, au prix de concessions sur les retraites et le financement de la Sécurité sociale.

Mais les profondes divergences entre l'Assemblée nationale et le Sénat, tenu par des partis de droite et du centre hostiles à tout prélèvement supplémentaire, ont empêché l'approbation du second texte budgétaire, celui sur le financement de l'État.

Les parlementaires se retrouveront donc en début d'année pour de nouvelles joutes sur ce texte, alors que la France est confrontée à un endettement croissant et que les discussions budgétaires n'ont pas permis de dessiner une trajectoire de réduction des déficits.

"Nous devrons au plus vite, en janvier, donner un budget à la nation" qui "devra tenir l'objectif de 5% de déficit et financer nos priorités", a déclaré Emmanuel Macron lundi soir lors du Conseil des ministres, selon la porte-parole du gouvernement Maud Bregeon.

"L'Élysée commence à s'impatienter", glissait lundi un cadre du camp gouvernemental.

Rentré d'Abou Dhabi où il était allé célébrer Noël avec les troupes françaises, Emmanuel Macron a présidé lundi soir un Conseil des ministres de crise pour la présentation de la loi spéciale.

- Pas de dépense nouvelle -

Le texte reconduit temporairement le budget de 2025, il permet de lever l'impôt et de payer les fonctionnaires. Mais il ne comprend pas de dépenses nouvelles, y compris sur la défense, érigée en priorité face à la menace russe.

Ce projet de loi spéciale devrait être voté mardi en toute fin d'après-midi par l'Assemblée nationale, puis dans la soirée par le Sénat. A l'unanimité ou presque. Avant d'être promulgué dans les jours suivants par le chef de l'État.

Déjà l'an dernier, l'exécutif avait dû y avoir recours après la chute du gouvernement de Michel Barnier, renversé par une motion de censure sur le budget de la Sécurité sociale. Les deux textes budgétaires 2025 avaient finalement été approuvés au mois de février, quelques semaines après l'arrivée de François Bayrou à Matignon.

Anticipant la reprise des débats en janvier, Sébastien Lecornu a reçu dimanche et lundi les forces politiques, à l'exception de la France insoumise et du Rassemblement national. Un ballet devenu habituel de responsables politiques exprimant leurs exigences et lignes rouges rue de Varenne, à l'issue de ces entretiens.

Le premier secrétaire du PS Olivier Faure a appelé à un budget qui ne fasse pas "peser les efforts sur les plus modestes" et préserve les investissements en matière d'écologie.

Quant à la cheffe des députés écologistes Cyrielle Châtelain, elle s'est inquiétée d'une copie budgétaire trop calquée sur les positions du Sénat. En cas de 49.3, les Ecologistes choisiront "la censure", a-t-elle prévenu.

Car on reparle de plus en plus de cet outil constitutionnel permettant de faire adopter un texte sans vote, sauf motion de censure.

Écarté par le Premier ministre à la demande des socialistes, qui le jugent brutal, il est évoqué avec insistance par des responsables de droite et du bloc central qui lui demandent de revenir sur son engagement.

Il faudrait alors pour le gouvernement trouver avec les socialistes des conditions de non-censure. Pour espérer enfin tourner la page du débat budgétaire.

Mais pour l'heure, Sébastien Lecornu s'y refuse, jugeant le projet de budget "encore votable sans intervention du gouvernement", selon Mme Bregeon.


France: Conseil des ministres spécial pour tenter de sortir de l'impasse budgétaire

Le Premier ministre français Sébastien Lecornu (au centre) s'exprime lors d'une déclaration gouvernementale sur la stratégie de défense nationale à l'Assemblée nationale, à Paris, le 10 décembre 2025. (AFP)
Le Premier ministre français Sébastien Lecornu (au centre) s'exprime lors d'une déclaration gouvernementale sur la stratégie de défense nationale à l'Assemblée nationale, à Paris, le 10 décembre 2025. (AFP)
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  • Emmanuel Macron convoque un conseil des ministres extraordinaire pour présenter une loi spéciale afin d’assurer le financement de l’État face à l’impasse budgétaire
  • Les discussions sur un budget 2026 reprendront rapidement : le gouvernement vise une adoption d’ici fin janvier, dans un contexte de fortes divergences

PARIS: Le président français Emmanuel Macron préside lundi un conseil des ministres extraordinaire qui devrait conduire à l'adoption rapide par le Parlement d'une loi spéciale, destinée à financer l'Etat et ses administrations malgré l'impasse budgétaire.

Le Premier ministre Sébastien Lecornu doit poursuivre dans la journée de lundi ses consultations des différentes formations politiques "pour trouver les conditions d'une solution".

Une commission de sénateurs et députés a échoué vendredi à trouver un accord sur le projet de loi de finances pour l'année à venir.

A l'issue de ces discussions, un conseil des ministres de crise destiné à présenter le projet de loi spéciale est prévu en fin de journée, au retour du président Emmanuel Macron d'Abou Dhabi, où le chef d'État a annoncé devant des militaires français le coup d'envoi de la construction du futur porte-avions destiné à remplacer le Charles De Gaulle.

Dans la foulée, les commissions des Finances de l'Assemblée nationale et du Sénat auditionneront lundi soir et mardi le ministre de l'Économie Roland Lescure et la ministre des Comptes publics Amélie de Montchalin, sur ce projet de loi. L'objectif est que ce texte spécial puisse être voté mardi par les deux chambres.

Mais il faudra dès la rentrée reprendre les discussions pour tenter de trouver un budget 2026, car la loi spéciale "c'est un service minimum", a martelé Amélie de Montchalin.

La ministre a indiqué dimanche soir sur la chaîne BFMTV que l'objectif est d'adopter une véritable loi de finance 2026 avant "la fin janvier", y compris avec "quelques hausses d'impôts", une des demandes notamment du Parti socialiste - partenaire privilégié de Sébastien Lecornu lors de l'examen du budget de la Sécurité sociale, et à qui il a concédé notamment la suspension de la réforme des retraites.

Reste qu'après deux mois de discussions qui n'ont pas permis d'aboutir, le doute subsiste sur la capacité du Premier ministre à obtenir ce compromis, entre une droite sénatoriale attachée aux économies et aux baisses d'impôts et une Assemblée où la gauche réclame plus de recettes et moins de coupes budgétaires.


Macron donne le coup d'envoi du futur porte-avions lors du Noël avec les troupes

Le président français Emmanuel Macron s'adresse aux troupes françaises lors d'une cérémonie à la base du 5e régiment de cuirassiers à Zayed Military City, près d'Abou Dhabi, le 21 décembre 2025. (AFP)
Le président français Emmanuel Macron s'adresse aux troupes françaises lors d'une cérémonie à la base du 5e régiment de cuirassiers à Zayed Military City, près d'Abou Dhabi, le 21 décembre 2025. (AFP)
Le président français Emmanuel Macron s'adresse aux troupes françaises lors d'une cérémonie à la base du 5e régiment de cuirassiers à Zayed Military City, près d'Abou Dhabi, le 21 décembre 2025. (AFP)
Le président français Emmanuel Macron s'adresse aux troupes françaises lors d'une cérémonie à la base du 5e régiment de cuirassiers à Zayed Military City, près d'Abou Dhabi, le 21 décembre 2025. (AFP)
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  • Plus grand et plus puissant, ce bâtiment symbolise l’ambition stratégique et industrielle de la France, malgré les contraintes budgétaires et les débats sur l’évolution des menaces

ABOU DHABI: Emmanuel Macron a donné dimanche le coup d'envoi de la construction du futur porte-avions français destiné à remplacer le Charles De Gaulle et qui doit entrer en service en 2038.

"Ce nouveau porte-avions sera l'illustration de la puissance de notre nation, puissance de l'industrie, de la technique, puissance au service de la liberté sur les mers et dans les remous du temps", a-t-il assuré.

L'annonce du lancement officiel de la construction était très attendue malgré l'impasse budgétaire dans laquelle se trouve le gouvernement, alors que le mur d'investissements nécessaires et l'évolution des menaces mettent le projet sous pression.

"Conformément aux deux dernières lois de programmation militaire, et après un examen complet et minutieux, j'ai décidé de doter la France d'un nouveau porte-avions", a annoncé le chef de l'Etat français lors du Noël avec les troupes à Abou Dhabi.

"La décision de lancer en réalisation ce très grand programme a été prise cette semaine", a-t-il ajouté.

Lui aussi à propulsion nucléaire, le nouveau porte-avions sera beaucoup plus massif que l'actuel. Il fera près de 80.000 tonnes pour environ 310 mètres de long, contre 42.000 tonnes pour 261 mètres pour le Charles De Gaulle. Avec un équipage de 2.000 marins, il pourra embarquer 30 avions de combat.

Le risque d'un "choc dans trois, quatre ans" face à la Russie évoqué par les armées fait craindre que les budgets ne filent vers des priorités plus pressantes.

De récents propos du chef d'état-major des armées, le général Fabien Mandon, jugeant qu'on "ne peut pas se contenter de reproduire un outil qui a été conçu à la moitié du siècle dernier", semblent mettre aussi en question le concept du porte-avions.

Le général a notamment souligné le "besoin de permanence à la mer" du bâtiment et sa capacité d'emport de "drones de tous types".

Un seul bâtiment, en l'occurence le Charles De Gaulle, est disponible 65% du temps, selon la Marine. Un décalage de la construction et donc de l'entrée en service de son successeur laisserait la Marine sans porte-avions.

Une étude menée à l'occasion du prochain arrêt technique majeur du Charles De Gaulle permettra de dire en 2029 si le bâtiment peut être prolongé de quelques années au-delà de 2038, en fonction de l'état de ses chaufferies nucléaires et de sa structure.

Le président français Emmanuel Macron a fait cette annonce lors d'une visite aux Emirats arabes unis, allié militaire avec lequel Paris souhaite renforcer son "partenariat stratégique" et dont il espère plus de coopération dans sa lutte contre le narcotrafic.