Le moment n'est pas propice à un retrait complet des troupes afghanes

Des soldats allemands débarquent d’un avion de transport militaire Airbus A400M après leur retour d'Afghanistan, à Wunstorf, en Allemagne, le 30 juin 2021. (Reuters)
Des soldats allemands débarquent d’un avion de transport militaire Airbus A400M après leur retour d'Afghanistan, à Wunstorf, en Allemagne, le 30 juin 2021. (Reuters)
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Publié le Mercredi 14 juillet 2021

Le moment n'est pas propice à un retrait complet des troupes afghanes

Le moment n'est pas propice à un retrait complet des troupes afghanes
  • Les questions les plus difficiles concernent les décideurs. Qu'est-ce qui a été réalisé? Pourquoi partons-nous maintenant?
  • Allons-nous pouvoir, dans cinq ans, croiser le regard des femmes d’Afghanistan?

Comme les États-Unis et d'autres partenaires de l'Otan, le Royaume-Uni examine cette semaine son rôle en Afghanistan alors que les troupes se retirent et qu'une nouvelle phase de notre engagement avec ce pays commence.

Le coup de projecteur est plutôt rude. Comme c’est le cas pour tout conflit, les médias ont nourri beaucoup de sympathie vis-à-vis de nos forces qui étaient engagées là-bas, pour ceux qui sont revenus avec des blessures qui ont changé leur vie et pour les familles qui ont perdu des êtres chers.

Les questions les plus difficiles concernent les décideurs. Qu'est-ce qui a été réalisé? Pourquoi partons-nous maintenant? Et, surtout, que va-t-il se passer ensuite, notamment pour les Afghans, dont la vie est liée à notre engagement et qui doivent faire face à un avenir que notre implication même a dicté?

En tant que ministre de l'Asie du Sud entre 2010 et 2012, j'ai effectué des visites en Afghanistan. Mes notes me rappellent l'optimisme prudent d’une époque où tout ne tournait pas autour de l'armée. Je me suis rendu au collège agricole de Helmand et à l'université de Mazar-e Sharif; j'ai rencontré le Comité olympique afghan. J’ai parlé à ceux qui construisent leur pays au cœur du conflit.

J'ai vu le Royaume-Uni former ceux qui devaient assumer les responsabilités de l'application de la loi civile, ce qui requiert un courage personnel immense. En particulier, je me souviens d'avoir rencontré et d’avoir été inspiré par des femmes qui se forgeaient un nouvel avenir – celles qui s'entraînaient au sein de la police civile, qui travaillaient pour des organisations non gouvernementales sur divers projets visant à faire progresser les droits des femmes, ainsi que des femmes parlementaires qui savaient qu’il ne pourrait y avoir de paix durable ou d'avenir stable pour le pays tant que les femmes n’avaient pas de rôles plus importants dans la société et qu’elles ne bravaient pas l'hostilité et les menaces pour mener à bien leurs actions.

Mon exposé était clair: la seule chose que je répétais constamment était l'engagement «à long terme» du Royaume-Uni envers l'Afghanistan et son peuple. Nous savions tacitement, d'une manière ou d'une autre, que nous allions partir un jour, et que la communauté internationale abandonnerait l'Afghanistan après le retrait des troupes internationales. Cela s'était déjà produit dans l'histoire récente du pays, et les conséquences du départ étaient aussi importantes que les conséquences de l'intervention initiale.

Nous sommes à ce stade de l’épreuve. L'espoir a toujours résidé dans le fait que le travail qui était fait pour bâtir des institutions et encourager le développement d'un gouvernement plus fort et plus inclusif, basé sur les besoins afghans et non sur les principes de l'Occident, prendrait racine. Nous voulions qu’il garantisse que les pourparlers de paix internes à venir donneraient à ceux qui voulaient un tel avenir pour l'Afghanistan un poids suffisant pour vaincre le camp qui s’y oppose. Nous souhaitions également qu'une armée et une force de police civile entraînées, équipées et dévouées soient suffisamment fortes pour résister à ceux qui avaient l'intention d'arrêter le développement d'un tel État dans son élan.

Je crains que nous n’en soyons plus là. L'«accord de paix» américain avec les talibans semble fragile et de plus en plus unilatéral, à l’heure où les talibans gagnent du territoire et que les femmes disparaissent des rues. Éteindre les lumières au moment où les forces américaines quittaient la base aérienne de Bagram, la semaine dernière, a ainsi facilité la tâche des pillards, ce qui laisse présager un avenir des plus sombres.

Éteindre les lumières au moment où les forces américaines quittaient la base aérienne de Bagram, la semaine dernière, a ainsi facilité la tâche des pillards, ce qui laisse présager un avenir des plus sombres.

Alistair Burt

Le Royaume-Uni a, à juste titre, pris des dispositions pour que ceux qui ont activement aidé nos forces dans leurs efforts pour rétablir et sauvegarder la paix, tels que les interprètes, bénéficient d’une nouvelle vie à l'étranger. C’est une chose juste. Mais qu'en est-il des autres? Qu'en est-il de ceux dont le travail dans la construction de leur Afghanistan reposait sur la conviction qu'ils disposeraient d'un soutien extérieur suffisant assez longtemps pour leur permettre de réussir? Eux aussi ont placé leur avenir entre nos mains par leur attachement aux valeurs qu'ils ont partagées avec nous et à l’«engagement à long terme» dont des personnes comme moi ont fait l’apologie. Que va-t-il leur arriver?

Certes, je conçois la difficulté politique et pratique que pose un conflit «sans fin». J'ai rendu visite à suffisamment de nos forces pour apprécier le travail extraordinaire qu'elles accomplissent; j’ai pu observer la manière dont elles ont mis fin à la menace d'attaquants terroristes en utilisant l'Afghanistan comme un espace non gouverné pour s’y installer. Et je partage le sentiment que, comme dans toute opération, il doit y avoir un moment pour rentrer à la maison. Je pense à ceux qui doivent aujourd’hui prendre des décisions politiques difficiles et qui entendent les mots «ramenez les troupes à la maison».

Mais, alors même que les troupes partent, les nations se sont-elles assurées que l'engagement à long terme en l’absence de nos forces subsistera et que les promesses continues de soutien au développement pourront être tenues de manière réaliste? Allons-nous pouvoir, dans cinq ans, croiser le regard des femmes d’Afghanistan?

Je ne suis pas d'accord pour dire que le moment est propice. On cite souvent comme un avertissement avant une action militaire la phrase de l’ancien général américain David Petraeus: «Dis-moi comment cela se termine.» Elle est encore une fois pertinente, et requiert une réponse avant la conclusion de l'engagement.

Alistair Burt est un ancien député britannique qui a occupé à deux reprises des postes au ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth en tant que sous-secrétaire d'État parlementaire de 2010 à 2013 et en tant que ministre d'État pour le Moyen-Orient de 2017 à 2019.

Twitter : @AlistairBurtUK

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com