La stratégie d'Eisenhower peut sortir les États-Unis de l’impasse

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Publié le Dimanche 25 juillet 2021

La stratégie d'Eisenhower peut sortir les États-Unis de l’impasse

La stratégie d'Eisenhower peut sortir les États-Unis de l’impasse
  • C’est Eisenhower qui a fait passer les dernières dépenses colossales consacrées aux infrastructures des États-Unis dans les années 1950
  • La voie tracée par Eisenhower – qui consiste à appréhender la nécessité de dépenser sagement et de savoir dire «non» – est justement ce qui fait défaut dans le débat actuel

La phrase qui suscite le plus souvent l’hilarité des participants à mes séances sur le risque politique est celle-ci: «Je suis le dernier républicain partisan d'Eisenhower au monde; on devrait donc m'empailler et m'exposer dans un musée comme le dernier de mon espèce.» À l'instar de bien des blagues, celle-ci est drôle parce qu'elle recèle une bonne part de vérité. Ceci est certes regrettable, dans la mesure où la philosophie du grand homme, centriste, modérée et bipartisane, apparaît comme l’une des valeurs qui manquent cruellement à Washington et auxquelles aspire le pays.

Je suis en train de lire la biographie captivante que Jean Edward Smith a consacrée à «Ike» (NDRL: surnom de Eisenhower): Eisenhower In War and Peace (Eisenhower dans la guerre comme dans la paix). Je dois avouer que je suis de plus en plus nostalgique de son style de leadership et de sa présidence sous-estimée, qui constitue pour moi, comme pour l’auteur de l’ouvrage, le deuxième modèle de gouvernance le plus important du XXe siècle, qui a abouti à huit années de paix et de prospérité, que seul Franklin Roosevelt a pu surpasser. En effet, les États-Unis ont tout intérêt à redécouvrir la pensée du président Eisenhower, comme en témoignent certains de ses nombreux aphorismes: «Les idéologues sont des personnes qui descendent dans les bas-fonds de la politique, que ce soit à droite ou à gauche, et qui balancent des pierres sur ceux qui se tiennent au centre», ou encore «Ceux qui campent sur des positions extrêmes dans la politique et l'économie des États-Unis ont toujours tort.»

Tout cela m'amène à l'impasse dans laquelle se trouve actuellement le Congrès en ce qui concerne les deux projets de loi sur les dépenses colossales que propose le président Joe Biden. Les républicains aussi bien que les démocrates adoptent des positions maximalistes qu'Eisenhower dédaignait de façon si admirable. Ainsi, les républicains se comportent comme si l'infrastructure des États-Unis n'avait pas besoin d'être modernisée. Les démocrates, quant à eux, agissent comme s'ils avaient le feu vert pour appliquer toutes les législations dont ils ont rêvé, sans se soucier du prix à payer. On peut imaginer M. Eisenhower chassant les deux partis de son bureau en un clin d'œil; nonobstant son fameux sourire et son charme naturel, tout laisse à penser que le président avait un tempérament agressif.

Si Eisenhower revêt une grande importance dans le contexte actuel, c'est parce qu’il a compris les motivations des deux camps. En effet, c’est Eisenhower qui a fait passer les dernières dépenses colossales consacrées aux infrastructures des États-Unis dans les années 1950 et qui ont permis la construction du réseau des autoroutes inter-États et de la Voie maritime du Saint-Laurent.

Économe de réputation, Ike a cependant été le dernier président à contrebalancer le budget fédéral de manière régulière. Cette voie médiane tracée par Eisenhower – qui consiste à appréhender la nécessité de dépenser sagement et de savoir dire «non» – est justement ce qui fait défaut dans le débat actuel, et c’est ce dont nous avons besoin.

Les républicains tout comme les démocrates adoptent des positions maximalistes qu'Eisenhower dédaignait de façon si admirable.

Dr. John C. Hulsman

Les deux nouveaux projets de loi proposés par M. Biden entraîneraient la plus forte augmentation des dépenses fédérales en temps de paix par rapport au produit intérieur brut (PIB) des États-Unis depuis la période Eisenhower. Selon le Comité pour un budget fédéral responsable, les dépenses fédérales ont représenté en moyenne 21% de la production économique du pays au cours du demi-siècle écoulé, pour passer à 24% au terme de la crise financière survenue en 2008 et à 32% pendant la pandémie actuelle. Contrairement aux souhaits enflammés que les démocrates progressistes du pays entier expriment, il convient de limiter le taux global des dépenses fédérales pour réaliser les objectifs suivants: empêcher que les activités plus rentables du secteur privé ne soient évincées, éviter la sclérose économique observée en Europe et prônée par les démocrates-sociaux, prévenir une nouvelle flambée de l'inflation (le taux de 5,4% enregistré en juin était le plus élevé des treize dernières années) et maîtriser la dette fédérale.

Ainsi, Eisenhower s'opposerait certainement au projet de loi que proposent actuellement les démocrates: il s'agit d'une initiative colossale de 3,5 billions de dollars soutenue par Biden et le parti démocrate, et conçue par le sénateur Bernie Sanders, un social-démocrate avoué et président du Comité du budget au Sénat. Si ce projet est adopté, les États-Unis se transformeront en un autre pays européen exagérément riche et sous-productif, où la prestation fiscale pour enfants et les allocations de soins de santé seront considérablement majorées, un nouveau programme de congés familiaux payés sera mis en place et les allocations de l'assurance-maladie seront étendues.

Fait révélateur, la source de financement de cette liste de souhaits de la gauche n’a pas encore été dévoilée. Mais l’augmentation des impôts sera certes nécessaire, ce qui, sur le long terme, nuira à la croissance (les individus étant en général plus productifs que les technocrates du gouvernement) bien plus que les nouveaux programmes ne l’aideront. Pour tous ces bons motifs inspirés d'Eisenhower, ce projet de loi sur le budget doit être rejeté.

Mais notre 34e président se retournerait aussi contre les républicains inertes, qui sont peu disposés à faire passer les dépenses fédérales avisées qui serviront le pays. Si les dépenses fédérales exprimées en pourcentage du PIB sont restées inchangées au cours des cinquante dernières années, elles ont connu une transformation radicale au niveau de leur composition. En 1969, les investissements publics équivalaient à un tiers des dépenses fédérales; en 2019, ce pourcentage était tombé à 13% seulement, alors que les programmes d'allocations comme Medicare, Medicaid et la sécurité sociale étaient passés au niveau inquiétant de 70%.

Biden propose un second projet de loi bipartisan qui prévoit de consacrer près de 600 milliards de dollars d'argent frais à l'infrastructure lourde (routes, ponts, canalisations d'eau, réseau électrique et Internet à haut débit). Cela correspond à une amélioration indispensable, comme en témoigne toute personne qui s'est déplacée récemment dans le pays. Ike soutiendrait ce projet de loi qui permettrait à l'Amérique de mieux affronter cette nouvelle ère.

Cependant, si les démocrates parviennent à leurs fins et si ces deux projets de loi sont adoptés, plus de 4 100 milliards de dollars viendront s'ajouter aux dépenses fédérales, sans compter la loi sur la lutte contre la Covid-19 qui a été adoptée en mars à hauteur de 1 900 milliards de dollars. À l’heure où la dette fédérale avoisine les 100% du PIB et où le monstre de l’inflation se déchaîne, nous avons plus que jamais besoin du bon sens modéré d'Eisenhower.

Dr. John C. Hulsman est président et associé directeur de John C. Hulsman Enterprises, une importante société de conseil en risque politique mondial. Il est également chroniqueur principal pour City AM, le journal de la ville de Londres. Il est joignable via chartwellspeakers.com

NDRL: L’opinion exprimée dans cette page n’engage que son auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com