L’absence de politique stratégique des États-Unis laisse un vide dangereux

Des soldats de Fort Drum, 10e division de montagne de New York, après leur retour d’Afghanistan le 10 décembre 2020. (Image Getty)
Des soldats de Fort Drum, 10e division de montagne de New York, après leur retour d’Afghanistan le 10 décembre 2020. (Image Getty)
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Publié le Vendredi 27 août 2021

L’absence de politique stratégique des États-Unis laisse un vide dangereux

L’absence de politique stratégique des États-Unis laisse un vide dangereux
  • Les décisions sont prises dans l’espoir de voir apparaître des solutions immédiates ou des pseudo-solutions, indépendamment de leurs effets sur le long terme
  • Le slogan de Biden est «L’Amérique est de retour», mais l’Amérique est plus absente que jamais

Si les observateurs s’attendaient, pour la plupart, à un effondrement à la suite du retrait des troupes américaines d’Afghanistan, il n’en demeure pas moins que le monde est consterné par la vitesse à laquelle leurs prévisions sont devenues réalité.

Certains disent qu’il s’agit d’une erreur; à vrai dire, lorsque cela se reproduit plus d’une fois, ce n’est plus une erreur, mais une mauvaise décision. Le processus décisionnel américain est extrêmement défaillant parce qu’il n’est pas doté d’un cadre stratégique. Même lorsque les États-Unis remportent une victoire, cette dernière est limitée et de courte durée.

Les politiques sont élaborées de manière fortuite et découlent de l’esprit partisan. Barack Obama voulait mettre fin à la guerre déclenchée par son prédécesseur. Sa décision était motivée par une lassitude généralisée face aux combats plutôt que par les conseils de ses généraux sur le terrain. De plus, il voulait tenir sa promesse électorale. Obama a bien ressenti l’humeur générale. Les Américains étaient las d’envoyer leurs jeunes femmes et hommes en Irak. Ils étaient de plus en plus affectés par la détérioration de l’image des États-Unis aux yeux du monde, surtout qu’il n’y avait pas d’armes de destruction massive – la raison principale de la guerre.

Ce ras-le-bol a porté ses fruits. On assiste à des réconciliations et à un déclin de la violence. L’ordre a été rétabli et des travaux de reconstruction ont été entamés, financés par le pétrole irakien. Cependant, Obama a répondu aux préférences du public américain moyen plutôt qu’à l’intérêt national global. Le retrait américain, effectué de manière hâtive et sans qu’une structure de sécurité appropriée ne soit mise en place pour consolider les acquis de cet élan général, a contribué à la montée en puissance de Daech.

Donald Trump, quant à lui, a surfé sur la vague anti-Obama. Il voulait défaire tout ce que son prédécesseur avait fait et, à son tour, Joe Biden œuvre à démanteler toutes les politiques de Trump. On pourrait dire qu’une «réinitialisation» tous les quatre à huit ans est une bonne chose qui permet une réévaluation périodique des politiques. Cependant, cette dernière découle rarement – voire jamais – de considérations stratégiques. Elle est plutôt basée sur le populisme comme la décision d’Obama de se retirer prématurément d’Irak, ou le fruit de rancunes personnelles, comme les décisions de Biden ou de Trump de défaire les politiques de leur prédécesseur.

C’est pour cette raison que toutes les politiques manquent de cohérence. Les décisions sont prises dans l’espoir de voir apparaître des solutions immédiates ou des pseudo-solutions, indépendamment de leurs effets sur le long terme. Pendant la guerre froide, les différents présidents avaient moins d’influence sur les politiques puisqu’un cadre stratégique faisant l’objet d’un consensus populaire et politique limitait leur intervention: celui de l’endiguement du communisme. Une stratégie globale guidait la politique américaine et il y avait donc une certaine cohérence. Les États-Unis voulaient que leurs alliés ou soi-disant alliés soient stables et prospères en vue d’éviter la propagation du communisme. L’édification des nations était une nécessité stratégique. Le plan Marshall élaboré après la Seconde Guerre mondiale n’est pas sorti de nulle part. Il était basé sur une stratégie globale de lutte contre le communisme.

Le monde bipolaire était bien mieux organisé que le monde unipolaire d’aujourd’hui. Depuis la fin de la guerre froide, les États-Unis n’ont pas trouvé d’ennemi qui pourrait servir de cadre stratégique à leurs politiques. La Chine, la Russie et l’Iran ne remplacent en aucun cas l’Union soviétique.

La Chine pourrait tenir plus tard ce rôle, si elle adopte une politique étrangère plus audacieuse. Cependant, jusqu’à présent, le pays semble vouloir protéger ses intérêts économiques à travers le monde plutôt qu’exporter son modèle communiste.

L’Iran adopte une idéologie antiaméricaine mais sa portée se limite au Moyen-Orient, contrairement à l’Union soviétique qui a soutenu des régimes communistes à travers le monde entier. La Russie, quant à elle, a surestimé ses capacités et n’a pu imposer sa puissance qu’en comblant le vide que les États-Unis ont volontairement laissé.

Il n’existe donc pas de véritable menace existentielle qui sert de base à la politique étrangère des États-Unis. Pendant la guerre froide, l’Américain moyen voyait dans l’expansion du communisme en Afrique ou en Asie un danger direct pour sa ville natale du Midwest. Aujourd’hui, il n’a pas la même vision du monde. Il n’existe pas de menace existentielle qui oriente les intérêts nationaux. Les attaques du 11 Septembre ont créé une menace existentielle lorsque le terrorisme s’est infiltré sur le territoire américain. Les affaires mondiales sont alors devenues d’une importance primordiale.

Cependant, le sentiment créé par les frappes terroristes ne peut être comparé à la perception générale du communisme. D’abord, le terrorisme est un concept fluide. Oussama ben Laden n’est qu’un homme, et le mouvement Al-Qaïda une organisation clandestine, contrairement à l’Union soviétique qui était un pays bien défini avec des objectifs clairs, une armée régulière puissante et un arsenal nucléaire.

L’absence de menace existentielle signifie qu’il y a moins d’intérêt et d’engagement dans les affaires mondiales, et la politique étrangère des États-Unis est réduite à une certaine perception des choses.

La stabilité mondiale s’en trouve gravement affectée. Malgré les critiques auxquelles Biden fait face après sa décision de retirer ses troupes d’Afghanistan, il faut savoir que les États-Unis sont amenés à commettre de telles erreurs parce que le processus décisionnel n’a aucun fondement stratégique. Chaque président veut prendre des décisions pour améliorer sa cote de popularité dans le but de remporter un mandat successif.

Cependant, la politique s’arrête là. Elle n’est ni profondément enracinée ni véritablement consistante. Le slogan de Biden est «L’Amérique est de retour», mais l’Amérique est plus absente que jamais. Malgré les efforts de l’ancien chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo de restaurer la confiance américaine, la politique de Trump était plus isolationniste que tous ses prédécesseurs, et la tendance va sans doute se poursuivre.

«Certains disent qu’il s’agit d’une erreur; à vrai dire, lorsque cela se reproduit plus d’une fois, ce n’est plus une erreur, mais une mauvaise décision.» - Dr Dania Koleilat Khatib

À mesure que les États-Unis se désintéressent des affaires mondiales, des décisions similaires au retrait des troupes d’Afghanistan sont susceptibles d’être prises. Au mieux, les États-Unis s’efforceront d’en atténuer les effets. Les politiques continueront cependant d’être élaborées de façon fragmentaire sans vraie stratégie pour les étayer. Ce processus décisionnel défaillant donnera lieu à plus de chaos au moment où les États-Unis se retirent de la scène mondiale sans mettre en place de solution de rechange viable pour combler le vide qu’ils laissent derrière eux.

À moins qu’un événement majeur ne change radicalement les tendances actuelles en matière de politique étrangère, d’autres restrictions sont inévitables. Les États-Unis peinent à préserver leur image de grande puissance.  

Le Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, en particulier du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise. Elle est également chercheuse affiliée à l’Institut Issam-Fares pour les politiques publiques et les affaires internationales de l’université américaine de Beyrouth.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com