Lors de sa visite en Arabie saoudite, mardi, Donald Trump, président américain iconoclaste, a annoncé la levée des sanctions américaines contre la Syrie. Sous la pression du prince héritier Mohammed ben Salmane, il a ainsi pris une décision majeure pour Damas.
« Il y a un nouveau gouvernement qui, espérons-le, s’efforcera de garantir la stabilisation du pays et le retour à la paix. C’est ce que nous espérons pour la Syrie », a-t-il déclaré mardi. Par ces mots simples et directs, le président américain a exprimé ce que de nombreux experts répètent depuis la chute de Bachar al-Assad, survenue en décembre dernier. Les sanctions avaient pour cible le régime d’al-Assad ; désormais qu’il n’est plus au pouvoir, elles semblent en vain. Ces sanctions ont paralysé l’économie syrienne, entraînant une instabilité pour le pays et ses voisins. Le maintien des sanctions aurait poussé la Syrie à chercher le soutien de puissances hostiles aux États-Unis, telles que l’Iran, la Russie et la Chine.
La levée des sanctions représente une grande victoire pour la diplomatie saoudienne. Le Royaume a une fois de plus prouvé qu’il est le centre de gravité de la région. Le fait que le prince héritier ait utilisé son influence politique auprès du président américain pour faire pression en faveur d'un allègement des sanctions contre la Syrie témoigne de l'importance de ce pays pour l'Arabie saoudite et la stabilité régionale. Cela montre aussi à quel point le soutien saoudien est devenu indispensable à la renaissance syrienne.
Mais que signifie concrètement la levée des sanctions américaines pour la Syrie ? Avant tout, elle offre aux pays prêts à aider la Syrie la possibilité de le faire sans risquer d’encourir des sanctions. Cette levée ouvre la voie à la reconstruction du pays dévasté.
Le président Ahmad al-Charaa, qui a rencontré Trump à Riyad, a invité les entreprises américaines à investir dans le pétrole et le gaz syriens. La reconstruction post-guerre en Syrie ouvrira la voie à un boom économique, favorisant ainsi le retour des réfugiés. Elle incitera également les différentes factions du pays à s’unir pour construire un avenir meilleur pour leurs enfants. En créant des emplois, elle offrira une réponse directe aux menaces terroristes, en empêchant les organisations extrémistes de recruter des jeunes vulnérables. La levée des sanctions constitue ainsi un point de départ décisif pour faire de la Syrie un pays stable et prospère.
La levée des sanctions offre aux pays prêts à aider la Syrie la possibilité de le faire sans risquer d’encourir des sanctions.
Dr Dania Koleilat Khatib
C'est ce que Trump souhaite. Il l'a affirmé lors de son discours au Forum d'investissement américano-saoudien. Il a déclaré ne pas vouloir exporter un modèle occidental dans la région. Il estime, à juste titre, que les peuples de la région savent mieux se gouverner eux-mêmes et construire leurs propres nations. Il souhaite un Moyen-Orient prospère et stable, où les entreprises américaines peuvent exercer leurs activités et gagner de l'argent. Trump a critiqué les néoconservateurs qui ont mené la guerre dans la région, coûtant argent et sang aux États-Unis sans rien apporter d'autre que destruction et violence.
Mais, cette vision ne trouve pas écho auprès du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou. Il a une tout autre conception de la région et de la Syrie. Il préfère une Syrie divisée et affaiblie. Une Syrie violente et instable lui est favorable, car elle lui offre la liberté d’agir à sa guise. Elle lui permet également de jouer sur l’insécurité entre les différentes factions, en les manipulant et en les opposant les unes aux autres ainsi qu’à l'État central. Pour Netanyahou, une Syrie en crise est un terrain propice à l’expansion de son influence et à l’acquisition de nouveaux territoires. Cette stratégie lui permet non seulement de satisfaire sa base d’extrême droite, mais aussi de consolider son pouvoir, tout en évitant la prison.
La levée des sanctions américaines contre la Syrie constitue également une excellente nouvelle pour le Liban. En effet, le pays lutte pour supporter le fardeau des réfugiés syriens, qui ont envahi ses infrastructures déjà fragiles et son réseau de services en ruine. Même après la chute de Bachar al-Assad, les réfugiés n’ont pas regagné leur pays en raison de la situation économique désastreuse. Toutefois, avec la levée des sanctions et le début de la reconstruction en Syrie, les Syriens seront sans doute plus enclins à rentrer chez eux. Ce retour contribuera à apaiser les tensions historiques entre le Liban et la Syrie, le sort des réfugiés étant un point de discorde majeur entre les deux pays. Par ailleurs, un renouveau économique en Syrie entraînera des retombées positives pour le Liban.
En levant les sanctions contre la Syrie, l'administration Trump a montré qu'elle était prête à dire non à Israël.
Dr Dania Koleilat Khatib
Toutefois, la levée des sanctions ne constitue qu’un premier pas. La Syrie est toujours confrontée quotidiennement à l'agression israélienne. Il ne peut y avoir de véritable reconstruction ni de stabilité tant qu'Israël occupera des parties de la Syrie, bombardera continuellement le territoire syrien et tiendra des négociations avec des factions et des minorités pour créer des troubles.
En levant les sanctions contre la Syrie, l'administration Trump a montré qu'elle était prête à dire non à Israël. Cela signifie que la Maison Blanche privilégie la stabilité plutôt que de satisfaire les caprices du gouvernement israélien de droite. C'est un grand pas en avant pour la Syrie. Cependant, les États-Unis devraient faire pression sur Israël pour qu'il laisse la Syrie tranquille et revienne à l'accord de désengagement de 1974.
Les Émirats arabes unis auraient mis en place un canal de dialogue informel entre le gouvernement syrien et Israël. Damas souhaite revenir à l'accord de désengagement, contrairement à Tel-Aviv. Selon une source syrienne, Israël affirme que la partie avec laquelle il a conclu l'accord, à savoir le régime d'al-Assad, n'existe plus et considère donc l'accord comme nul et non avenu. C’est à ce stade que la pression américaine devient cruciale. La diplomatie gagne en efficacité lorsqu’elle s’exerce avec autorité. Le fait que Donald Trump ait écouté ses partenaires arabes en décidant de lever les sanctions laisse penser qu’il pourrait également prêter l’oreille à leurs appels en faveur d’une pression sur Israël, afin qu’il mette un terme à ses agressions contre la Syrie.
La levée des sanctions revêt plusieurs significations. D'un point de vue géopolitique, cette mesure signifie que l'Arabie saoudite constitue un acteur incontournable de la stabilité au Moyen-Orient. Elle est le principal acteur diplomatique et politique dans la région. Elle signifie également qu'Israël, Netanyahou et son équipe du Likoud ne sont pas aussi importants pour l'administration Trump qu'on le pensait. Et, surtout, elle signifie que les Syriens ont désormais l'opportunité de construire l'État stable, prospère et démocratique dont ils ont toujours rêvé.
La Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et plus particulièrement du lobbying. Elle est présidente du Centre de recherche pour la coopération et la construction de la paix, une organisation non gouvernementale libanaise axée sur la voie II.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com