HAPCHEON, COREE DU SUD : Victime du bombardement de Hiroshima à l'âge de cinq ans, la Coréenne Bae Kyung-mi a vécu dans le secret une grande partie de sa vie : à ses stigmates physiques s'est ajoutée une stigmatisation sociale telle qu'elle a caché son statut de survivante à ses proches.
Le 6 août 1945, alors qu'elle jouait chez elle, elle se rappelle avoir entendu des avions au-dessus de sa tête. Quelques minutes plus tard, elle s'est retrouvée ensevelie sous les décombres.
« J'ai dit à ma mère en japonais : “Maman, il y a des avions !” Il y a des avions ! » raconte la désormais octogénaire à l'AFP.
Son oncle et sa tante n'ont pas survécu à l'effondrement de leur immeuble.
« Je n'ai jamais dit à mon mari que j'étais à Hiroshima et que j'avais été victime du bombardement », confie Mme Bae.
« À l'époque, les gens disaient souvent que vous aviez épousé la mauvaise personne si elle avait survécu à un bombardement atomique. »
Ses deux fils n'ont appris qu'elle avait été à Hiroshima que lorsqu'elle s'est inscrite dans un centre pour les victimes, dans sa ville de Hapcheon, en Corée du Sud.
Les radiations dont elle a été victime l'ont obligée à subir une ablation des ovaires et d'un sein, en raison du risque élevé de cancer.
Quelque 740 000 personnes ont été tuées ou blessées lors des bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki.
Selon les données disponibles, plus de 10 % des victimes étaient coréennes.
- Discrimination -
Kim Hwa-ja avait quatre ans le 6 août 1945. Elle se souvient avoir été contrainte de fuir Hiroshima dans une charrette tirée par des chevaux.
La fumée emplissait l'air et la ville brûlait, raconte-t-elle. Sa mère lui criait de se réfugier sous une couverture et de ne pas regarder.
Des organisations estiment qu'entre 30 000 et 50 000 Coréens se trouvaient dans la ville ce jour-là, dont des dizaines de milliers d'ouvriers forcés sur les sites militaires.
Mais les documents sont peu précis.
« Le bâtiment municipal a été tellement dévasté qu'il n'a pas été possible de retrouver des documents clairs », a déclaré un fonctionnaire territorial à l'AFP.
La politique coloniale japonaise interdisait l'utilisation de noms coréens, ce qui complique encore la recherche dans les registres.
Les rescapés qui sont restés au Japon ont subi une double discrimination : d'une part, en tant que survivants, ou « hibakusha » en japonais, et d'autre part, en tant que Coréens.
Les victimes coréennes n'ont été reconnues qu'à la fin des années 1990, lorsqu'un monument funéraire a été érigé dans le parc du Mémorial de la paix de Hiroshima.
Quant aux dizaines de milliers de survivants coréens qui sont retournés dans leur pays nouvellement indépendant, ils ont également été confrontés à la stigmatisation.
- Reconnaissance minimale -
« À l'époque, des rumeurs infondées circulaient selon lesquelles l'exposition aux radiations pouvait être contagieuse », explique Jeong Soo-won, directeur du Centre des victimes de la bombe atomique, qui organise une cérémonie de commémoration le 6 août à Hapcheon.
Selon M. Jeong, il resterait environ 1 600 survivants sud-coréens en vie à l'échelle nationale, dont 82 résident au centre.
Séoul a promulgué une loi spéciale en 2016 pour aider les survivants, leur accordant notamment une allocation mensuelle d'environ 62 euros, mais cette loi ne prévoit aucune assistance pour leurs descendants.
Beaucoup d'entre eux ont pourtant « été touchés par les bombardements » et « souffrent de maladies congénitales », selon M. Jeong.
Il assure néanmoins qu'une disposition visant à les soutenir « doit être prévue » à l'avenir.
L'année dernière, un groupe de survivants japonais a reçu le prix Nobel de la paix.
Mais, 80 ans après les attaques, beaucoup d'entre eux, tant au Japon qu'en Corée, affirment que le monde n'a toujours pas tiré les leçons de ces horreurs.
Le président américain Donald Trump a récemment comparé ses frappes sur les installations nucléaires iraniennes aux bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki.