Soixante ans plus tard, l’OPEP a accompli sa mission

(Amer HILABI/AFP)
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Publié le Lundi 14 septembre 2020

Soixante ans plus tard, l’OPEP a accompli sa mission

Soixante ans plus tard, l’OPEP a accompli sa mission
  • L’événement le plus marquant de l’histoire de l’OPEP s’est produit cette année, quand les trois grands producteurs de pétrole au monde – l’Arabie saoudite, la Russie et les Etats-Unis – ont conclu une alliance
  • Dans le futur, les prix du brut resteront au dessous de 50 dollars le baril, et cela de manière durable

Le 14 Septembre 1960, Abdullah al Tariki, le premier ministre du pétrole saoudien, Juan Pablo Perez Alfonso, diplomate vénézuélien, Talaat Al Shaibani, ministre irakien, l’Iranien Fouad Rouhani et Ahmed Sayed Omar, le chef de la délégation koweitienne, se réunissaient à Bagdad, au palais Al Shaab, pour donner naissance à l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). Soixante ans après sa création, l’organisation compte désormais 13 membres, et a résisté à deux grandes guerres du Golfe qui se sont déroulées entre trois de ses pays fondateurs: entre l’Irak et l’Iran en 1980, puis lors de l’invasion du Koweït par l’Irak en 1990. En 1975, un groupe de terroristes dirigés par Carlos a aussi pris en otage une quarantaine de personnes au siège de l’organisation à Vienne. L’opération est commanditée par la Lybie de Kadhafi contre les pays du Golfe. 

Jusqu’au milieu des années 50, sept  grandes compagnies contrôlent 90% des réserves de pétrole mondiales, contrôlent le raffinage du brut, et sa commercialisation dans le monde non communiste hors des Etats-Unis. Cinq sont américaines: la Standard Oil of New Jersey (devenue Exxon), Texaco, la Standard Oil of California (Socal), la Mobil Oil, la Gulf Oil, auxquelles s’ajoutent la Royal Dutch Shell (60 % hollandaise et 40 % britannique) et British Petroluem (BP). Les fondateurs de l’OPEP ont par la suite été rejoints par les Emirats Arabes unis, le Qatar, l’Algérie, la Lybie, le Nigeria, l’Equateur et le Gabon.

Une histoire mouvementée

Ces pays ont mis fin aux concessions des compagnies internationales et les ont remplacées par des compagnies nationales. C’est ainsi que les pays de l’OPEP se sont emparés de leurs droits de fixer le prix de leur pétrole exporté en 1973-1974. La guerre du Kippour d’octobre 1973 entre Israël et les pays arabes a provoqué le premier choc pétrolier. L’OPEP organise alors un embargo pétrolier contre les pays qui soutiennent Israël et réduit sa production de pétrole. Cela provoque une forte augmentation des cours: les prix du baril se situent à 11,64 dollars en janvier 1974, contre 3 dollars avant 1973.

Le conflit entre l’Iran et l’Irak fait grimper les prix de pétrole à 35 dollars. Les années 90 sont marquées par l’apparition des contrats de pétrole « sur papier » qui sont utilisés pour les marchés à terme ou « Future Markets ». Le pétrole est acheté et vendu « sur papier » d’après une valeur estimée, et il n’y a pas d’échange physique du produit. Peu à peu, la donne change avec l’émergence d‘autres producteurs de brut comme la Russie, la Norvège, le Mexique, le Royaume-Uni et à partir des années 2000 le marché du pétrole de schiste américain se développe. 

Pendant 59 ans, les Etats Unis ont considéré l’OPEP comme un adversaire en brandissant des menaces de sanctions contre ce qu’ils nommaient le « cartel » des producteurs de pétrole, un terme volontairement péjoratif. Les Américains ont tenté de faire passer au Congrès des lois hostiles à l’OPEP, mais la dernière crise due à la pandémie de Covid-19 et la chute du pétrole qui en a découlé ont poussé l’OPEP, les Etats-Unis et la Russie à travailler ensemble, ce qui est toujours le cas aujourd’hui. Donald Trump en personne a pris l’initiative d’appeler Vladimir Poutine et le roi Salman d’Arabie saoudite pour négocier un accord permettant de réduire la production de pétrole. Il leur a assuré que la production de pétrole américain allait de toute manière être réduite dès que les prix baisseraient. L’évenement le plus marquant de l’histoire de l’OPEP s’est produit cette année, quand les trois grands producteurs de pétrole au monde – l’Arabie saoudite, la Russie et les Etats-Unis – ont conclu une alliance.

Les nouveaux défis de l’après-pétrole

Les pays de l’OPEP doivent maintenant anticiper l’ère de l’après pétrole. La demande de pétrole dans le monde pourrait déjà avoir atteint son pic et ne plus cesser de décliner en raison des conséquences de la pandémie et de la transition énergétique, a estimé le géant des hydrocarbures BP, qui a commencé à investir dans les énergies moins polluantes. La Vision 2030 élaborée en Arabie saoudite par le prince héritier Mohamed bin Salman vise justement à réduire la dépendance de l’économie saoudienne au pétrole.

La crise économique liée au coronavirus dans le monde risque de perdurer jusqu’en 2023. Pendant ce temps, les projets d’énergie renouvelable de substitution au pétrole et au gaz se sont accélérés en  Europe, avec la production d’hydrogène et de batteries à faible empreinte carbone. Les Américains mettent aussi le paquet sur le développement de batteries, car elles permettent de stocker de l’énergie, tout en réduisant la dépendance aux Chinois. Les Européens avaient commis l’erreur de dépendre de la technologie photovoltaïque chinoise pour la production d’énergie solaire, ce qui a entraîné des querelles commerciales entre la Chine et l’Europe autour des droits de douane. Récemment les pays européens ont mis en place une Alliance européenne de la batterie (EBA) surnommée « l’Airbus des batteries », qui leur permettra de ne plus être soumis à l’hégémonie asiatique.

Pour toutes ces raisons, les énergies renouvelables se sont tellement développées ces trois dernières années que la consommation de pétrole ne va peut être plus augmenter ; elle plafonnera certainement et commencera même peut être à baisser. Tout le monde se prépare pour l’après pétrole. Le géant pétrolier Aramco a d’ailleurs réduit énormément ses dépenses en particulier dans l’exploration de brut. Une décision prise à juste titre dans la mesure où ses réserves sont déjà énormes  et suffisantes.

Désormais, les prix de resteront donc au dessous de 50 dollars le baril, et cela de manière durable. Il peut bien sûr y avoir quelques accidents de parcours qui pourraient générer des augmentations des prix, mais il est bien loin le temps où les prix de pétrole reviendront à 100 dollars. Hormis d’imprévisibles crises écologiques ou des guerres, les prix du pétrole n’ont pas de raison de dépasser le plafond de 50 dollars le baril. En conclusion, on peut dire que l’OPEP a rempli sa mission. C’est une autre ère qui commence maintenant, selon Pierre Terzian, éditeur de la revue spécialisée Petrostratégies.

Randa Takieddine est correspondante en chef d’Arab News en français à Paris.

Twitter : @randaparis

NDLR : Les opinions exprimées dans la présente publication sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.