Le dilemme kurde d’Erdogan n’est pas près de disparaître

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, s’adresse aux membres du Parlement au début de la nouvelle année législative (Photo, AFP).
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, s’adresse aux membres du Parlement au début de la nouvelle année législative (Photo, AFP).
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Publié le Samedi 09 octobre 2021

Le dilemme kurde d’Erdogan n’est pas près de disparaître

Le dilemme kurde d’Erdogan n’est pas près de disparaître
  • Les Kurdes d’Istanbul ont prouvé qu’ils sont capables de faire la différence lorsqu’ils le souhaitent
  • Lors du dernier débat, les partis d’opposition ont réussi à retirer des mains du gouvernement la question du problème kurde en Turquie, insistant sur le fait que le Parlement est le seul lieu légitime pour en débattre

En Turquie, la question kurde a franchi une nouvelle étape à la suite de la déclaration historique de Kemal Kiliçdaroglu, chef du Parti républicain du peuple (CHP) – le principal parti d’opposition. Il a déclaré: «Nous pouvons résoudre le problème kurde au Parlement grâce au Parti démocratique des peuples», le HDP prokurde.

Il s’agit là d’un échelon important que les partis politiques ont hésité à franchir, car il a toujours entraîné des accusations de séparatisme et de coopération avec le parti terroriste des travailleurs du Kurdistan, le PKK, de la part du parti de la justice et du développement, l'AKP, au pouvoir.

La première réaction à la déclaration de Kiliçdaroglu est venue du HDP. Sezai Temelli, ancien coprésident du parti, a fait un commentaire qui pourrait être interprété comme une scission à l’intérieur du parti. Bien qu’il n’occupe actuellement aucun poste officiel au sein du HDP, il a affirmé: «C’est en la personne d’Abdallah Öcalan que réside la solution démocratique au problème kurde. Lui seul est le véritable interlocuteur.» (Öcalan est le fondateur du PKK qui purge une peine de prison à vie en Turquie).

Dans le passé, le gouvernement de M. Erdogan avait entamé des négociations avec Abdallah Öcalan par l’intermédiaire d’émissaires pour trouver une solution globale à la question kurde mais ce dernier nie avoir coopéré. Il s’est avéré par la suite que divers responsables turcs avaient en effet négocié avec lui.

Ensuite, l’ancien président du HDP, Selahattin Demirtaş, qui est en prison malgré la décision exécutoire de la Cour européenne des droits de l’homme de le remettre immédiatement en liberté, a pris part au débat en déclarant: «Le HDP que je connais s’efforce de résoudre tous les problèmes de la Turquie, y compris la question kurde; c’est un acteur politique qui agit à sa guise. Il est, évidemment, un interlocuteur. Le problème doit naturellement être résolu au Parlement.»

Le 23 septembre dernier, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, avait tenu les propos suivants en évoquant la question kurde: «Ce problème n’existe pas en Turquie. Nous l’avons déjà réglé, nous l’avons surmonté, nous y avons mis fin.»

«Pour Recep Tayyip Erdogan, relancer le débat kurde signifie peut-être ouvrir la boîte de Pandore.» – Yasar Yakis

Certes, le problème ne disparaît pas si un dirigeant nie son existence. Cette déclaration ne tient pas compte de l’avis de plus de dix millions d’électeurs kurdes. Que M. Erdogan l’admette ou non, il existe un véritable problème kurde en Turquie. C’est à la fois un problème identitaire, économique et social. Ses répercussions traversent les frontières de la Turquie jusqu’en Irak, en Syrie et en Iran. Des pays lointains comme les États-Unis et la Russie y sont également impliqués.

Au sein de l’AKP, Il existe des Kurdes qui veulent se débarrasser des contraintes imposées par leur partenaire de coalition, le Parti d’action nationaliste (MHP), emblème de l’extrême droite turque.

Pour Recep Tayyip Erdogan, relancer le débat kurde signifie peut-être ouvrir la boîte de Pandore.

Le parti prokurde est faiseur de rois en Turquie. Il a prouvé qu’il peut faire la différence quand le besoin s’impose. Lors des dernières élections municipales à Istanbul en 2019, le gouvernement a courtisé les électeurs kurdes de la ville. Il a demandé à M. Öcalan de faire une déclaration pour inciter les électeurs kurdes d’Istanbul à rester neutres (c'est-à-dire de ne pas voter pour le CHP, principal parti d’opposition). Le gouvernement a également convié son frère Osman à apparaître sur des chaînes de télévision progouvernementales pour faire une déclaration similaire. Osman Öcalan figurait sur la liste des personnes recherchées par la Turquie lorsqu'il est apparu sur la télévision d'État. Malgré ces mesures peu conventionnelles, les électeurs kurdes ont massivement voté pour le candidat principal de l’opposition. La marge de victoire de 13 729 voix pour le CHP lors du premier décompte est passée à 836 014 lors du nouveau scrutin. Les Kurdes d’Istanbul ont été un facteur clé de cette augmentation. Ils ont ainsi prouvé qu’ils sont capables de faire la différence lorsqu’ils le souhaitent.

Avec cinquante-huit sièges, le parti prokurde est le troisième plus important du Parlement et il peut espérer être un acteur majeur dans la recherche d’une solution pour les Kurdes. Il a récemment publié un communiqué dans lequel il se montre ouvert à la coopération avec les partis d’opposition, sans donner l’impression qu’il agirait de concert avec eux sur toutes les questions. Il garde toujours ses options ouvertes, car il est conscient que des désaccords peuvent survenir.

Lors du dernier débat, les partis d’opposition ont réussi à retirer des mains du gouvernement la question du problème kurde en Turquie, insistant sur le fait que le Parlement est le seul lieu légitime pour en débattre. Cependant, ils devront faire preuve de prudence dans la gestion d'un problème qui reste très sensible pour de nombreux Turcs.

Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie, et membre fondateur du parti AK au pouvoir.

Twitter : @yakis_yasar

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com