L'hypocrisie raciale pèse dans l'élection du maire de Boston

Annissa Essaibi George, candidate à la mairie, salue des militants devant un bureau de vote à Roxbury, Boston, le 14 septembre 2021. (AP Photo)
Annissa Essaibi George, candidate à la mairie, salue des militants devant un bureau de vote à Roxbury, Boston, le 14 septembre 2021. (AP Photo)
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Publié le Dimanche 17 octobre 2021

L'hypocrisie raciale pèse dans l'élection du maire de Boston

L'hypocrisie raciale pèse dans l'élection du maire de Boston
  • Les primaires ressemblaient à un véritable arc-en-ciel: Wu et George ont battu six autres concurrents, dont deux hommes blancs, un Afro-Américain, un hispanique et deux femmes afro-américaines
  • Des militants arabo-américains ont tenté de pousser le gouvernement à les reconnaître et à les inclure dans le recensement, mais leur combat fut difficile

Quand Annissa Essaibi George s’est lancé dans la course pour devenir la première femme maire de Boston, tout le monde pensait que les principaux enjeux de la campagne seraient le renforcement du budget de la ville, la gestion de la pandémie de Covid-19 et l’amélioration les écoles de Boston. Pourtant, le débat s’est concentré sur des questions raciales.

Depuis 1630, le maire de Boston est un homme blanc. Mais, le 2 novembre prochain, la ville élira sa première femme maire. Plus important encore, elle sera une «femme de couleur». Essaibi George, qui est d’origine tunisienne et polonaise, s’est vu contrainte de défendre son héritage arabe et son statut de femme de couleur. Son adversaire, Michelle Wu, est la fille d'immigrés taïwanais. Le patrimoine génétique est devenu une question clé auprès de l'électorat non partisan. Et, comme Essaibi George «n'» est «qu’» à moitié arabe – et à moitié polonaise –, elle est critiquée pour avoir revendiqué le fait d’être une femme de couleur.

En Amérique, les candidates ne sont pas les seules à vivre ce genre de choses. Une mésaventure identique est ainsi arrivée à une autre femme politique de premier plan du Massachusetts, la sénatrice Elizabeth Warren, critiquée pour avoir prétendu être en partie amérindienne et, par conséquent, une personne de couleur. La controverse a sapé sa candidature dans la course démocrate à la présidence, l'année dernière. Warren a déclaré qu'elle fondait ses affirmations sur l’histoire de ses parents et sur une analyse ADN, ce que n’importe qui peut faire.

Lors des élections américaines, le fait d’être une personne de couleur constitue un élément avantageux car de nombreux électeurs sont influencés non seulement par la politique d'un candidat, mais aussi par son appartenance ethnique, sa religion ou sa race.

Pour Essaibi George, être à moitié arabe, de père tunisien, fait d'elle une femme de couleur. Mais, pour ses détracteurs, la moitié ne suffit pas. Il se pourrait que cette position trahisse une forme de racisme à l’encontre des Polonais et des Blancs.

Les primaires ressemblaient à un véritable arc-en-ciel: Wu et George ont battu six autres concurrents, dont deux hommes blancs, un Afro-Américain, un hispanique et deux femmes afro-américaines. Un Asiatique et un Arabe ont remporté le second tour: peut-être était-ce, pour certains électeurs, la goutte qui a fait déborder le vase.

Personne n'a contesté le statut de Wu en tant que femme de couleur. Les Américains d'origine asiatique ont été, pendant de nombreuses années, exclus en raison de leur couleur de peau. En réalité, les lois adoptées à la fin du XIXe siècle les discriminaient et leur interdisaient même de s'installer aux États-Unis. Les lois du «péril jaune» discriminaient les immigrants chinois qui étaient amenés dans le pays pour construire ses chemins de fer, ce qui a finalement abouti à l'adoption de la Loi d’exclusion des Chinois de 1882.

Contrairement à aujourd'hui, en ce temps-là, les personnes de couleur – qu’elles soient d'origine asiatique ou afro-américaine – étaient souvent confrontées à la violence. La tendance a commencé à s’inverser dans les années 1960, lorsque des lois sur les droits civiques ont été adoptées pour mettre fin aux politiques discriminatoires contre les Afro-Américains. Ces lois prévoyaient également des protections juridiques pour d'autres ethnies, notamment les Arabes.

Depuis, alors que les populations «minoritaires» n’ont cessé augmenter en raison d’une immigration accrue, le fait d'être une personne de couleur a ses avantages en politique, en particulier lors des élections. En plus d’insuffler un sentiment de fierté, cela relie les candidats à des blocs d’électeurs issus du même milieu.

La force croissante de ces minorités a abouti à des politiques qui ont redirigé des centaines de millions de dollars vers les communautés de couleur, à l’exclusion, cependant, des Arabo-Américains, qui, au cours du siècle dernier, ont été classés comme Blancs. Les efforts de changement se sont concentrés sur le recensement américain, qui identifie les personnes en fonction de leur ethnie, mais ne prévoit pas de catégorie arabe. Les résultats du recensement déterminent la façon dont les fonds fédéraux sont versés aux communautés minoritaires. Ils aident également à définir la politique des minorités en redessinant les limites électorales afin de favoriser les personnes de couleur et de renforcer leur vote.

Des militants arabo-américains ont tenté de pousser le gouvernement à les reconnaître et à les inclure dans le recensement, mais leur combat fut difficile en raison de la lutte controversée avec Israël. En effet, certains craignent que, si les Arabo-Américains conquièrent trop d’influence, ils en viennent à modifier la dynamique de la politique américaine, qui favorise fortement Israël par rapport aux Palestiniens. 

Des critiques remettent en question le statut de «femme de couleur» arabo-américaine d’Essaibi George.

Ray Hanania

Auparavant, en Amérique, des racistes auraient ciblé Essaibi George et l'auraient attaquée en raison de son héritage arabe. Mais, parce que l’ethnie et la couleur sont désormais des atouts, le meilleur moyen d’affaiblir la candidate consiste pour ses ennemis à remettre en question la validité de son héritage et de sa couleur.

Dans la politique américaine, la race et la couleur ont un impact lorsqu'il s'agit de gagner des élections. Dire qu'elle n'est pas une femme de couleur contribue à anéantir les chances d'Essaibi George de devenir non seulement la première femme maire de Boston et la première maire de couleur, mais également le premier maire arabo-américain de la ville.

 

Ray Hanania est un ancien journaliste politique et chroniqueur plusieurs fois primé de la mairie de Chicago. Il peut être contacté sur son site Internet personnel à l'adresse www.Hanania.com. Twitter : @RayHanania

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.