La Turquie aurait l’intention de mener une nouvelle opération militaire en Syrie

Le président turque Recep Tayyip Erdogan.
Le président turque Recep Tayyip Erdogan.
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Publié le Vendredi 12 novembre 2021

La Turquie aurait l’intention de mener une nouvelle opération militaire en Syrie

La Turquie aurait l’intention de mener une nouvelle opération militaire en Syrie
  • La Turquie dispose déjà d’une forte présence militaire dans quatre zones de la Syrie
  • Les gouvernements prennent parfois des décisions qui peuvent contribuer à leur survie politique, mais vont à l’encontre des intérêts nationaux de leur peuple

Les médias turcs progouvernementaux ont rapporté la semaine dernière que des préparatifs étaient en cours pour une nouvelle série d’opérations militaires en Syrie. Une motion parlementaire, permettant au gouvernement de continuer d’envoyer des troupes à l’étranger, a été présentée le mois dernier, avant d’être facilement approuvée.

Les motions précédentes ont approuvé un mandat d’un an pour de telles interventions, mais cette fois-ci, elles s’étalent sur une période de deux ans. Le gouvernement prévoit peut-être des temps plus difficiles, au cas où le mandat ne serait pas renouvelé en raison du déclin du soutien public au parti au pouvoir.

La Turquie dispose déjà d’une forte présence militaire dans quatre zones de la Syrie: la province nord-ouest d’Afrine, à la suite de l’opération baptisée «Rameau d’olivier»; la zone de l’opération «Bouclier de l’Euphrate» à Al-Bab; le territoire à l’est de l’Euphrate lors de l’opération «Source de paix» et plusieurs postes d’observation à Idlib. Elle a actuellement l’intention de contrôler trois autres zones: Manbij et Tell Rifaat dans le gouvernorat d’Alep, et d’autres territoires situés à l’est de l'Euphrate.

Bien que la Turquie continue de surveiller Manbij, quatre parties ne se réjouiraient pas à l’idée de voir le pays occuper cette ville: les États-Unis, la Russie, le gouvernement syrien et les Kurdes. Après l’effondrement de la résistance de Daech à Manbij en 2016, la Turquie a demandé avec insistance aux États-Unis d’expulser les combattants kurdes de la ville. Washington a promis à plusieurs reprises de répondre à la demande de la Turquie sans pour autant réussir à le faire. En effet, les combattants kurdes des Unités de protection du peuple (YPG) ont joué un rôle primordial dans l’expulsion de Daech. Ils constituent l’essentiel des Forces démocratiques syriennes (FDS), et les États-Unis ne voulaient pas les contrarier. La Turquie a menacé de mener des frappes contre les combattants kurdes en mars 2018, mais elle a dû s’en abstenir en raison de l’opposition des États-Unis et de la Russie.

La deuxième région où la Turquie souhaite établir son influence est Tell Rifaat, qui est également sous le contrôle des combattants kurdes des FDS. Vendredi dernier, les médias turcs ont publié un rapport détaillé sur les mines terrestres antichar et antipersonnel posées par les combattants des FDS le long des voies d’accès possibles de l’armée turque.

La troisième région est le couloir qui longe la frontière turco-syrienne à l’est de l’Euphrate. La Turquie prévoyait initialement d’occuper un couloir d’une largeur de quarante kilomètres, allant de Tell Abyad jusqu’à la frontière irakienne, ce qui a suscité de vives objections de toutes parts. Le gouvernement syrien a déclaré qu’il combattrait l’armée turque; l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan) a proposé plutôt de patrouiller dans la zone frontalière à sa place. À l’époque, le président américain, Donald Trump, avait même envoyé une lettre à Recep Tayyip Erdogan, en utilisant un ton inédit dans la correspondance entre chefs d’État – «ne faites pas l’idiot», lui avait-il écrit dans la lettre.

 

«Malgré ces préparatifs, quelques raisons poussent à croire qu’une telle opération militaire pourrait ne pas être imminente.» – Yasar Yakis.

 

Finalement, Recep Tayyip Erdogan et le président russe, Vladimir Poutine, ont décidé, en octobre 2019, d’établir une zone de sécurité d’une largeur de trente kilomètres entre Tell Abyad et Ras al-Ain, surveillée par des soldats syriens et russes. Le reste du couloir devait être réduit à dix kilomètres et faire l’objet de patrouilles menées conjointement par des soldats turcs et russes. Cet accord a fonctionné de manière plus ou moins satisfaisante, mais la Turquie veut désormais occuper deux autres zones stratégiquement importantes – Aïn Issa et Tell Tamer – plus au sud, où les combattants kurdes des FDS contrôlent les puits de pétrole.

Malgré ces préparatifs, quelques raisons poussent à croire qu’une telle opération militaire pourrait ne pas être imminente. L’une d’entre elles est les relations tumultueuses entre la Turquie et les États-Unis. M. Erdogan a rencontré la semaine dernière son homologue américain, Joe Biden, en marge du sommet du Groupe des vingt (G20) à Rome. Les deux dirigeants ont évoqué les problèmes en suspens qui les opposent sans pour autant essayer de les régler. Le seul résultat concret de la réunion a été la mise en place d’un mécanisme conjoint pour discuter de ces problèmes d’un point de vue technique.

Une fois rentré du sommet, Recep Tayyip Erdogan a tenu des propos modérés lors d’une conférence de presse avec les journalistes, ce qui suggère qu’il veut éviter une confrontation avec Washington, que ce soit en Syrie ou ailleurs. En outre, les États-Unis poussent la Turquie à désactiver le système de défense aérienne S-400 qu’elle a acheté à la Russie. L’Union européenne (UE) fait également pression sur Ankara à propos de questions relatives à la Méditerranée orientale.

Une autre raison qui pousse à la prudence est l’attitude du gouvernement syrien. Damas devrait retourner au sein de la Ligue arabe. Il y a également eu un dégel des relations entre la Syrie et les pays du Golfe. Par ailleurs, la communauté internationale a accepté l’idée de maintenir Bachar al-Assad à la présidence.

Si la Turquie mène une ou plusieurs des opérations militaires qui semblent être à l’ordre du jour, ce sera pour renforcer le soutien populaire au sein de l’électorat à tendance nationaliste avant les prochaines élections prévues pour 2023. Les gouvernements prennent parfois des décisions qui peuvent contribuer à leur survie politique mais vont à l’encontre des intérêts nationaux de leur peuple.

 

Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie et membre fondateur du parti AKP au pouvoir.

Twitter: @yakis_yasar

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com