Comment la Turquie espère sortir de son isolement diplomatique

La deuxième étape de ce new deal d’Erdogan, c’est de renouer avec le monde sunnite. (Photo, AFP)
La deuxième étape de ce new deal d’Erdogan, c’est de renouer avec le monde sunnite. (Photo, AFP)
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Publié le Mardi 18 mai 2021

Comment la Turquie espère sortir de son isolement diplomatique

Comment la Turquie espère sortir de son isolement diplomatique
  • L’économie turque est chancelante, en partie parce que les investisseurs étrangers, inquiets de la tournure prise par les événements, ont déserté la Turquie
  • L’envoi en Libye de forces militaires turques et de milices syriennes contrôlées par Ankara a été condamné par la communauté internationale

PARIS : Le président Erdogan sait parfaitement que son pouvoir est fragile et que la prochaine échéance électorale n’est pas assurée pour lui et les siens. L’opposition a gagné les dernières élections locales et s’est trouvé un nouveau leader en la personne d’Ekrem Imamoglu, le maire très populaire d’Istanbul.

L’économie turque est chancelante, en partie parce que les investisseurs étrangers, inquiets de la tournure prise par les événements, ont déserté la Turquie. La répression systématique contre la population kurde dans l’est du pays et les purges répétées contre les éléments de la société civile hostiles au pouvoir mobilisent contre le président turc des adversaires toujours plus nombreux.

Hélas, sur le front diplomatique la situation n’est pas meilleure. Le soutien appuyé aux Frères musulmans irrite profondément les dirigeants du monde sunnite, à commencer par l’Arabie saoudite et l’Égypte. Les manœuvres de la flotte turque en Méditerranée suscitent l’ire de la Grèce et de Chypre qui ont reçu un appui ostensible de la France. L’envoi en Libye de forces militaires turques et de milices syriennes contrôlées par Ankara a été condamné par la communauté internationale. C’est dans ces conditions que, après l’élection du nouveau président américain, Erdogan a décidé de changer son fusil d’épaule et a lancé un ensemble d’initiatives en vue de sortir de son isolement diplomatique. Dans trois directions au moins.

Les manœuvres de la flotte turque en Méditerranée suscitent l’ire de la Grèce et de Chypre qui ont reçu un appui ostensible de la France.

Les Européens étaient preneurs d’un arrangement, moyennant un changement de ton du président turc, le retour vers ses bases de la flotte turque, l’arrêt des recherches de gisements de gaz dans l’espace maritime grec ou chypriote, et surtout le retour au statu quo ante pour les réfugiés syriens en territoire turc, que les Européens ne voulaient plus voir frapper à leurs portes à l’instigation de leurs protecteurs turcs. C’est désormais chose faite moyennant le renouvellement par l’Union européenne (UE) de sa très généreuse convention de financement des camps de réfugiés. Le calme est donc revenu, mais l’Europe est sur ses gardes et l’image de la Turquie y est profondément dégradée et le restera.

La deuxième étape de ce new deal d’Erdogan, c’est de renouer avec le monde sunnite. C’est dans ce but qu’il a envoyé une délégation diplomatique au Caire. Le contentieux est lourd avec l’Égypte. Le maréchal Sissi n’oublie pas qu’il a été traité de «putschiste» par Erdogan. Il exige des excuses publiques. Les diplomates turcs ont été reçus fraîchement et n’ont pu qu’enregistrer les doléances égyptiennes, qu’il s’agisse du soutien d’Ankara aux Frères musulmans, de l’accueil des opposants au régime par la Turquie, et de l’activisme militaire turc en Libye. Sur ces questions majeures et sur quelques autres le gouvernement égyptien réclame un changement complet, ce qui ne va évidemment pas de soi. 

Le maréchal Sissi n’oublie pas qu’il a été traité de «putschiste» par Erdogan. Il exige des excuses publiques.

Enfin Erdogan fait des gestes, encore modestes, envers les États-Unis, par exemple sur le dossier ukrainien en soutenant le gouvernement de Kiev dans ses protestations contre le blocage par la Russie de son accès à la mer Noire. De même, il s’emploie à normaliser ses relations avec l’Arabie saoudite comme ses amis du Qatar l’ont fait il y a quelques mois.

Tout cela va dans le bon sens et la position du président turc peut s’en trouver renforcée dans la perspective d’un arrangement régional au Moyen-Orient que les États-Unis pourraient encourager pour faciliter leur désengagement. Mais sur cette route difficile, il reste pour Erdogan un gros obstacle: l’achat des missiles S400 russes, qui est sans doute la plus grave erreur commise par la diplomatie turque. Comment s’en dégager sans rompre avec Poutine?

Hervé de Charette est ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ministre du Logement. Il a aussi été maire de Saint-Florent-le-Vieil et député de Maine-et-Loire.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette section est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d'Arab News en français.