La stratégie d'Erdogan sur les prochaines élections turques

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, le ministre des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, et le conseiller d'État et ministre des Affaires étrangères chinois, Wang Yi, lors d'une rencontre au palais présidentiel à Ankara, en Turquie, le 25 mars 2021. (Reuters)
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, le ministre des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, et le conseiller d'État et ministre des Affaires étrangères chinois, Wang Yi, lors d'une rencontre au palais présidentiel à Ankara, en Turquie, le 25 mars 2021. (Reuters)
Short Url
Publié le Mercredi 31 mars 2021

La stratégie d'Erdogan sur les prochaines élections turques

La stratégie d'Erdogan sur les prochaines élections turques
  • Le président a minutieusement créé une structure équilibrée au sein de son parti, de sorte que chaque composante de l'électorat y trouve un représentant qui appartient à son clan
  • Les mesures prises par M. Erdogan relèvent probablement d'une stratégie à long terme qui vise à préparer les élections générales de 2023, voire à ouvrir la voie à une élection surprise anticipée

Nombreuses sont les initiatives entreprises par le gouvernement turc dans le but d'accroître le soutien de la population, à l'approche des élections législatives prévues en 2023.

L'une de ces initiatives concerne le retrait de la Turquie, la semaine dernière, de la Convention du conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique. Par cette décision, le gouvernement souhaite plaire aux parties conservatrices de l'électorat turc qui jugeaient que la Convention dépassait les bornes. Si ce désistement pourrait bien attirer quelques voix supplémentaires auprès de l'électorat conservateur, il pourrait aussi éloigner de nombreux membres du parti au pouvoir qui sont favorables à la lutte contre la violence à l'égard des femmes.

Chose inhabituelle, c'est après minuit qu'a été publié le décret présidentiel annonçant le retrait de la Turquie de la Convention. L'objectif était sans doute de contenir la réaction que devait déclencher un autre décret publié la même nuit. En effet, le deuxième décret portait sur la destitution de Naci Agbal de son poste de gouverneur de la Banque centrale. Dans la mesure où cette décision risquait d’entraîner une chute soudaine de la valeur de la livre turque, le gouvernement a préféré en détourner l'attention. Par ailleurs, le gouvernement espérait voir la monnaie nationale revenir à un niveau stable au moment de la reprise du marché boursier le lendemain, soit le lundi matin.

M. Agbal a été nommé à ce poste quatre mois auparavant. Quelques jours avant son licenciement, la Banque centrale a porté les taux d'intérêt de 17,8 % à 19,8 %. Néanmoins, le président, Recep Tayyip Erdogan, ne cesse de soutenir que les taux d'intérêt élevés sont la principale cause de l'inflation économique. Ainsi, il a puni les décideurs économiques qui préconisent l'augmentation des taux d'intérêt.

Sahap Kavcioglu, successeur d'Agbal et membre du Parti de la justice et du développement (AKP) d'Erdogan, défend avec vigueur la théorie du président sur la corrélation entre les taux d'intérêt et l'inflation. Bien qu'il n'ait pas réussi à être élu lors des dernières élections législatives, le président souhaite qu'il reste sur le devant de la scène. Aussitôt qu'il a été nommé gouverneur de la Banque centrale, sa thèse de doctorat a été bloquée sur Internet. Selon les analystes, cette mesure avait pour but d'empêcher le public de vérifier si le nouveau gouverneur était, ou non, coupable de plagiat.

 

Le président a minutieusement créé une structure équilibrée au sein de son parti, de sorte que chaque composante de l'électorat y trouve un représentant qui appartient à son clan.

Yasar Yakis

La troisième initiative porte sur la procédure juridique intentée par la Cour administrative suprême de Turquie afin d’interdire le Parti démocratique des peuples (HDP) pro-kurde, deuxième parti d'opposition en Turquie. Quatre ans se sont écoulés depuis que Selahattin Demirtas, l'un de ses coprésidents, est incarcéré. En décembre, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a annulé la peine de prison infligée à Selahattin Demirtas par la Cour constitutionnelle turque et a appelé à le libérer sans délai. Le gouvernement turc ne s'est toutefois pas plié à la décision de la Cour européenne des droits de l'homme, qu'il reconnaît pourtant comme juridiction compétente.

Dans la mesure où les partisans du HDP ne voteront pas pour le parti au pouvoir, ils devront soit former un nouveau parti, soit répartir leurs voix entre les autres partis d'opposition. Ainsi, la dissolution du HDP ne rapportera pas davantage de votes à l’AKP. En outre, les partis qui ont précédé l'AKP au pouvoir ont maintes fois été dissous et reconstitués. De ce fait, le gouvernement doit comprendre que la dissolution d'un parti politique n'est pas une solution efficace. L'AKP a sévèrement critiqué cette pratique par le passé, mais malheureusement, l'éthique politique tolère qu’on oublie.

La quatrième mesure a été entamée par le gouvernement lorsqu’il a déchu de son mandat parlementaire Omer Faruk Gergerlioglu, un député du HDP. Le motif invoqué était le retweet d'un message. Apres avoir refusé de quitter le siège du Parlement, il a été arrêté au petit matin dans son bureau du Parlement alors qu'il accomplissait ses ablutions pour la prière du Fajr.

Le cinquième événement concerne le plan d'action en matière de droits de l'homme dévoilé par le gouvernement. Ce plan prévoit certaines améliorations qui visent à conquérir le cœur de l'électorat. Toutefois, les violations des droits de l'homme sont si nombreuses en Turquie que les citoyens ne voient dans cette initiative qu'une simple mise en scène. Les tribunaux régionaux ne respectent pas les verdicts de la Cour constitutionnelle et le gouvernement, lui, ne fait rien pour honorer l’obligation de mettre en œuvre les arrêts de cassation de la Cour européenne des droits de l'homme.

Sixièmement, M. Erdogan a pris soin de façonner les composantes du parti lors du congrès semestriel organisé la semaine dernière. Cette équipe nouvellement élue dirigera sans doute le parti pour les élections de 2023. M. Erdogan a minutieusement créé une structure équilibrée au sein de son parti, de sorte que chaque composante de l'électorat y trouve un représentant qui appartient à son clan: qu'il s'agisse de clans ethniques, sectaires, idéologiques, sociaux ou des membres mécontents du parti. Il veut garantir le soutien de chaque électeur potentiel de l'AKP.

En effet, Les mesures entreprises par M. Erdogan relèvent probablement d'une stratégie à long terme qui vise à préparer les élections générales de 2023, voire à ouvrir la voie à une élection surprise anticipée.

 

Yasar Yakis est ancien ministre des Affaires étrangères en Turquie, et membre fondateur du parti AK au pouvoir. Twitter: @yakis_yasar

 

NDRL : les opinions exprimées par les rédacteurs de cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com