Les armées étrangères, un obstacle durable à la paix en Libye

Abdul Hamid Mohammed Dbeibah prononce un discours par liaison vidéo lors d'une réunion du Forum de dialogue politique libyen (LPDF) (Photo, AFP).
Abdul Hamid Mohammed Dbeibah prononce un discours par liaison vidéo lors d'une réunion du Forum de dialogue politique libyen (LPDF) (Photo, AFP).
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Publié le Mercredi 10 février 2021

Les armées étrangères, un obstacle durable à la paix en Libye

Les armées étrangères, un obstacle durable à la paix en Libye
  • À la suite d’une réunion à l’ONU, un Premier ministre intérimaire et un conseil présidentiel unifié de trois personnes ont été élus dans une tentative cruciale de réunifier la Libye avant des élections nationales prévues fin décembre
  • L'accord conclu à Genève est très important, mais tant que la Turquie et la Russie maintiendront leur présence militaire en Libye, la perspective d’une stabilisation du processus politique reste plus qu’incertaine

Le processus politique en Libye continue à progresser, mais les risques d'incertitude demeurent. Les négociations politiques menées sous l’égide de l’ONU et la situation militaire sur le terrain prennent des chemins divergents.

Un cessez-le-feu a été conclu à Genève le 23 octobre dernier. La disposition la plus importante de l'accord prévoyait le retrait de Libye de tous les combattants étrangers dans un délai de trois mois.

Ce délai expiré, le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres et le représentant américain à l'ONU ont invité le 29 janvier tous les combattants et mercenaires étrangers à quitter immédiatement la Libye. L'ambassadeur américain par intérim auprès de l'ONU, Richard Mills, s’est montré encore plus clair. «Nous appelons la Russie, la Turquie et les Émirats arabes unis à commencer immédiatement à retirer leurs forces du pays, de même que les mercenaires étrangers qu'ils ont recrutés, financés, déployés et soutenus en Libye», a-t-il déclaré.

Le nouveau président américain, Joe Biden, n'a pas encore fourni de détails sur sa politique libyenne. Lorsqu'il était vice-président de l'administration Obama, il était cependant opposé à une intervention militaire dans le pays conduite par l'Otan.

Non seulement les mercenaires russes du groupe Wagner sont toujours présents en Libye, mais ils continuent de creuser de nouvelles tranchées entre Syrte et Jufra, ce qui signifie qu'ils ne semblent pas envisager de quitter la Libye de sitôt.

La Turquie ne souhaite pas affronter les mercenaires russes en Libye, elle ne veut pas non plus abandonner la position qu’elle a consolidée sur le terrain, car 80% des puits de pétrole du pays sont situés dans la région qu’elle contrôle

Yasar Yakis

Quant à la Turquie, le gouvernement n'a pas encore fait de déclaration concernant le retrait éventuel de son personnel militaire ou des combattants qu’elle soutient en Libye. Néanmoins, une motion votée en décembre dernier au Parlement turc a permis de prolonger la présence des forces armées en Libye pour les dix-huit prochains mois.

Ankara est susceptible de résister à la pression exercée par les États-Unis et la communauté internationale. La première échéance test pour la Turquie pourrait être le prochain sommet de l’Otan qui se tiendra «au début de l’année 2021». La liste des litiges ne cesse de s’étendre entre Joe Biden et la Turquie. On ignore pour le moment quand le retrait de l'armée turque de Libye figurera à l'ordre du jour.

La Turquie ne souhaite pas affronter les mercenaires russes en Libye, elle ne veut pas non plus abandonner la position qu’elle a consolidée sur le terrain, car 80% des puits de pétrole du pays sont situés dans la région qu’elle contrôle.

Alors que la situation militaire restait plus ou moins stable sur le terrain ces dernières semaines, les négociations conduites sous l’égide de l’ONU ont conduit à de nouveaux développements.

Sur les 74 participants libyens sélectionnés par l'ONU pour participer aux négociations politiques – l'un des 75 participants étant décédé depuis le début du processus –, 18 membres ont été choisis pour former un comité consultatif chargé de mettre en place un organe exécutif temporaire composé d'un représentant de chacune des trois grandes régions libyennes: Tripoli, la Cyrénaïque et Fezzan. Lundi 1er février, le comité a décidé de former un organe exécutif chargé d’organiser des élections avant la fin de l’année. La Turquie s'est félicitée à juste titre de cette décision. Son ministère des Affaires étrangères a salué dans une déclaration les progrès accomplis dans la formation de cette autorité exécutive.

Vendredi 5 février, l'élection de l'organe exécutif intérimaire s’est déroulée sans accrocs. Quatre listes étaient en lice. Les candidats devaient obtenir un minimum de 60% des votes pour passer le premier tour. Aucune des listes n'a atteint cet objectif. Un second tour a été organisé entre les deux listes ayant obtenu le plus de voix au premier tour. Le seuil fixé pour le deuxième tour était de 50% plus un. Une autre condition du scrutin était de ne pas se présenter comme candidat aux élections de décembre. Cette disposition prévue par la Mission d'appui des Nations unies en Libye (Manul) a été décidée dans l’objectif d’inciter les personnalités politiques fortes à briguer des postes permanents.

Au deuxième tour du scrutin – à la surprise de nombreux analystes –, la liste rassemblant des candidats forts comme le président de la Chambre des représentants, Aguila Saleh, ou le ministre de l'Intérieur du gouvernement d'accord national, Fathi Bashagha, a été défaite. La liste victorieuse du scrutin comprend Mohammad Younes Menfi, qui sera président du Conseil de la présidence, et Abdul Hamid Dbeibah, qui occupera le poste de Premier ministre. Les deux autres membres du Conseil de la présidence sont Mossa al-Koni et Abdallah Hussein al-Lafi.

Le ministère turc des Affaires étrangères a salué ce résultat, mais sans faire aucune référence à un plan de retrait de sa présence militaire en Libye.

L'accord conclu à Genève est très important, mais tant que la Turquie et la Russie maintiendront leur présence militaire en Libye, la perspective d’une  stabilisation du processus politique reste plus qu’incertaine.

Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères turc et membre fondateur du parti AKP au pouvoir. Twitter: @yakis_yasar

Clause de non-responsabilité: les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com