Les espoirs de la Turquie d’adhérer à l’UE s’effondrent progressivement

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Publié le Vendredi 31 décembre 2021

Les espoirs de la Turquie d’adhérer à l’UE s’effondrent progressivement

Les espoirs de la Turquie d’adhérer à l’UE s’effondrent progressivement
  • Le processus d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne semble être devenu un sujet parmi d’autres à l’ordre du jour de Bruxelles
  • Les négociations pourraient être relancées à la fin de l’ère Erdogan, mais il faudra du temps pour repartir de zéro

Le Conseil des affaires générales (CAG) de l’Union européenne (UE) a tenu sa réunion habituelle ce mois-ci, avant de publier une déclaration résumant les débats. La place accordée aux relations entre la Turquie et la Grèce et aux liens entre les Turcs et les Chypriotes grecs était disproportionnée par rapport à celle accordée aux autres questions relatives aux relations entre la Turquie et l’UE.

Le processus d’adhésion de la Turquie à l’UE semble être devenu un sujet parmi d’autres à l’ordre du jour de l’UE. La Turquie, autrefois considérée comme un cas particulier dans ses relations avec Bruxelles, est désormais incluse dans un groupe de pays balkaniques comme la Macédoine du Nord et le Monténégro, devenus indépendants des décennies après que la Turquie a déposé sa candidature.

Les relations entre la Turquie et l’UE ont été établies en 1959 et le cadre institutionnel officialisé au moyen de l’accord d’Ankara en 1963. En 1999, l’UE a décidé d’accepter la Turquie comme pays candidat. À ce jour, les négociations d’adhésion ont été ouvertes dans seize des trente-cinq chapitres et conclues dans un seul, celui des sciences et de la recherche. En d’autres termes, la Turquie est restée sur le seuil de la porte pendant plus d’un demi-siècle.

Une autre question qui occupe une place disproportionnée dans la déclaration du Conseil de l’UE est celle de Varosha, une banlieue de Famagouste au nord de Chypre. Cette zone a été évacuée par ses habitants lorsque l’armée turque a mené, en 1974, une opération militaire pour empêcher l’annexion de l’île par la Grèce. Le secrétaire général de l’Organisation des nations unies (ONU), Kofi Annan, a élaboré un plan pour résoudre le problème chypriote, qui comprend le retour des habitants d’origine de la région, mais les Chypriotes grecs ont rejeté ce plan lors d’un référendum en 2005.

L’année dernière, en octobre, Ersin Tatar, président du nord de Chypre et chef de la communauté chypriote turque, a décidé de rouvrir une partie de la zone clôturée, avec le soutien ferme du président turc, Recep Tayyip Erdogan. Les Chypriotes grecs s’y sont farouchement opposés et ils ont porté la question devant les instances européennes compétentes.

 

«Le chapitre sur la Turquie se referme sur une note amère qui indique que “les négociations d’adhésion avec Ankara ont réellement pris fin et qu’aucun autre chapitre ne peut être ouvert ou clos.”» – Yasar Yakis

 

Cette question aurait dû faire l’objet d’un débat de fond il y a deux semaines au CAG de l’UE. La déclaration stipule: «Les ministres ont exprimé leur solidarité avec les Chypriotes grecs et ont décidé de renvoyer la question au Coreper (Comité des représentants permanents des pays membres) pour une évaluation plus approfondie de toutes les options, y compris l’élaboration d’un régime de sanctions pour toutes les personnes qui ont joué un rôle dans l’ouverture de Varosha.»

Cette formulation ressemble à des paroles en l’air à l’intention des Chypriotes grecs, plutôt qu’à une action coercitive contre les décideurs en matière de mesures prises sur la question de Varosha, puisque le principal acteur qui a permis l’ouverture de Varosha est M. Erdogan. L’UE imposera-t-elle des sanctions au dirigeant turc? Si tel est le cas, dans quelle mesure ces restrictions auront-elles des répercussions concrètes? Quelles seront les conséquences de l’imposition de sanctions au président d’un pays de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan)?

Si Recep Tayyip Erdogan et Ersin Tatar sont au contraire épargnés, et que les sanctions ne concernent que les officiers subalternes, cette mesure sera incohérente. Le Conseil cherche peut-être un moyen de sortir de ce dilemme.

Le Conseil a également pris acte de la reprise récente du dialogue de haut niveau entre l’UE et la Turquie sur plusieurs questions. Ces discussions peuvent se déployer favorablement tant que les négociations sont menées par des diplomates professionnels. Cependant, Recep Tayyip Erdogan a toujours le dernier mot – et il n’est pas aisé de prédire sa décision. Il est peu probable que le dirigeant turc fasse des concessions faciles sans recevoir des concessions équivalentes en retour.

Le paragraphe le plus long du chapitre sur la Turquie dans la déclaration du Conseil de l’UE concerne la régression du pays dans les domaines de la démocratie, des droits fondamentaux, de l’État de droit et de l’absence d’un système judiciaire indépendant. Dans ce contexte, il fait également référence à l’échec de la Turquie à mettre en œuvre le verdict de la Cour européenne des droits de l’homme. Bien que le tribunal ne soit pas une institution de l’UE, la non-exécution d’un verdict est considérée comme contraire à l’État de droit.

Le chapitre sur la Turquie se referme sur une note amère qui indique que «les négociations d’adhésion avec Ankara ont réellement pris fin et qu’aucun autre chapitre ne peut être ouvert ou clos». En un sens, cela ressemble à la fin des espoirs européens de la Turquie. Les négociations pourraient être réinitiées à la fin de l’ère Erdogan, mais il faudra du temps pour repartir de zéro.

Cette importante nouvelle est presque passée inaperçue dans les médias turcs. Au sein du Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir en Turquie, une telle déclaration provoquerait généralement une pluie de commentaires et de débats. Cette fois, seuls ceux qui suivent professionnellement les événements l’ont remarquée, et même eux n’ont pas pris la peine de faire le moindre commentaire.

 

Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie et membre fondateur du parti AKP au pouvoir.

Twitter: @yakis_yasar

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com