Pourquoi les espoirs d'un accord turco-arménien augmentent-ils?

Des membres des diasporas arménienne et turque se rassemblent à Washington le 24 avril 2021. (Photo, Reuters)
Des membres des diasporas arménienne et turque se rassemblent à Washington le 24 avril 2021. (Photo, Reuters)
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Publié le Lundi 17 janvier 2022

Pourquoi les espoirs d'un accord turco-arménien augmentent-ils?

Pourquoi les espoirs d'un accord turco-arménien augmentent-ils?
  • Une première série de pourparlers s'est tenue à Moscou vendredi et la première étape de la normalisation sera le lancement de vols commerciaux entre Istanbul et Yerevan
  • Le fait que le premier cycle de négociations ait eu lieu en Russie est significatif

En 2009, la Turquie et l'Arménie ont tenté d'entamer des négociations visant à normaliser leurs relations. Les deux pays ont donc signé deux accords, le premier pour l'établissement de relations diplomatiques et le second pour la promotion de leurs relations bilatérales. Une cérémonie de signature très médiatisée a ensuite été organisée à Zurich, en Suisse, en présence de représentants des États-Unis, de l'UE, de la Russie et de la Suisse.
Cette initiative a couvert une variété de domaines, parmi lesquels la coopération dans les domaines de la science, de l'éducation et de la culture, l'échange d'étudiants et d'experts, le commerce, le tourisme, l'économie et l'environnement. Cependant, le sujet qui n'a pas été abordé est celui du prétendu génocide arménien.
En 1915, les autorités ottomanes ont eu recours à la force pour déplacer les citoyens d'origine arménienne. Le nombre de morts est estimé entre 600 000 et 1,5 million. Les gouvernements et les parlements de 33 pays, dont les États-Unis et la plupart des pays européens, ont officiellement reconnu ces événements comme un génocide, mais la Turquie insiste sur le fait qu'il s'agit des conséquences engendrées par les activités terroristes arméniennes à une époque où le pays était en guerre avec plusieurs autres nations.
L'initiative lancée en 2009 n'a pas eu d’impact positif pour plusieurs raisons.
Premièrement, l'Azerbaïdjan, considéré comme étant un ami proche de la Turquie, s'y est fermement opposé, parce que la région azerbaïdjanaise du Haut-Karabakh était toujours sous occupation arménienne.
Deuxièmement, l'Arménie a fait preuve d’une certaine réticence alors que la cérémonie de signature était en cours. Le ministre des Affaires étrangères de l'époque, Eduard Nalbandian, s'était effectivement opposé à une phrase du discours que devait prononcer son homologue turc. Les ministres des Affaires étrangères américain et russe se sont efforcés de convaincre Nalbandian de lever son objection. Mais le différend n'a été réglé que lorsqu'il a été décidé qu'aucun des ministres des Affaires étrangères ne ferait de déclaration.
Troisièmement, après que les protocoles ont été signés, le parlement arménien a posé des conditions aux procédures de ratification. Il a déclaré que Yerevan ne devait pas signer avant que la Turquie ne le fasse.
Quatrièmement, lorsque cette initiative était en cours, un partenaire de la coalition gouvernementale arménienne – le parti Dashnaktsutyun – a quitté le gouvernement pour protester contre la signature des protocoles.
Pour toutes ces raisons et pour d'autres aussi qui ne sont pas essentielles, les protocoles n'ont été ratifiés par aucun des deux parlements. La tentative de normalisation est ainsi tombée à l’eau.
Malgré ce contexte tumultueux, les perspectives de rapprochement semblent légèrement meilleures aujourd'hui, étant donné que les objectifs sont moins ambitieux. Une première série de pourparlers s'est tenue à Moscou vendredi et la première étape de la normalisation sera le lancement de vols commerciaux entre Istanbul et Yerevan. Le premier vol est prévu pour le 2 février. Il s'agit là d'un sujet moins controversé parce qu’il existe une grande communauté arménienne à Istanbul. Par ailleurs, on estime qu'environ 100 000 citoyens arméniens travaillent de manière illégale en Turquie. Ils utiliseront donc probablement ces vols.
La guerre de novembre 2020 entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie s'est terminée par un cessez-le-feu conclu sous les auspices du président russe Vladimir Poutine. Environ un quart du territoire du Haut-Karabakh reste sous occupation arménienne et aucune mesure concrète n'a été prise pour entamer des négociations sur le statut final de la région. Il y a donc une bonne raison de résoudre les problèmes qui subsistent.
Les deux parties ont désigné des représentants pour mener les négociations. Celui de la Turquie en Arménie est Serdar Kilic, diplomate chevronné et ancien ambassadeur à Washington. L'Arménie, elle, a nommé Ruben Rubinyan, vice-président du parlement arménien et ancien vice-ministre des Affaires étrangères. Les chances de réussite augmenteront si l’on permet à la diplomatie secrète d’agir.
Le fait que le premier cycle de négociations ait eu lieu en Russie est significatif puisque Poutine est devenu le décideur principal dans le Caucase du Sud et que cette région joue un rôle primordial en ce qui concerne le dégel des liens entre la Turquie et l'Arménie.
Le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan avait révélé – à la suite des pourparlers trilatéraux qui ont eu lieu à Sotchi en novembre – que la différence entre l’approche de l'Azerbaïdjan et celle de l'Arménie était moins importante qu'il ne le croyait. Cela est important puisqu’il pourrait également se rendre compte que la différence entre les approches turque et arménienne concernant leur conflit bilatéral pourrait être encore plus gérable.


«Les perspectives de rapprochement semblent légèrement meilleures qu'en 2009, les objectifs étant moins ambitieux.»
Yasar Yakis


L'Arménie a connu une défaite majeure lors de la guerre de 2020 avec l'Azerbaïdjan. La Turquie et l'Azerbaïdjan devraient aider Yerevan à surmonter ce traumatisme.
Toutefois, les tensions turco-arméniennes sont prises en otage par deux catégories d'Arméniens, la première étant celle des terroristes qui ont tué des dizaines d'employés diplomatiques et consulaires turcs à l'étranger, et la seconde étant celle de la diaspora arménienne, qui est surtout influente aux États-Unis et en France. Néanmoins, les expatriés ne connaissent pas les souffrances que les Arméniens qui vivent dans leur patrie endurent au quotidien. Ils continuent donc à les encourager à être encore plus durs envers la Turquie.
La semaine dernière, le Comité national arménien d'Amérique a lancé une attaque féroce contre la Turquie. Dans une lettre envoyée au président américain Joe Biden ainsi qu’à plusieurs membres du Congrès, il a réclamé que le contournement des sanctions américaines par Ankara ne soit pas ignoré par le gouvernement américain.
On espère que les deux parties tireront des leçons après l'échec de l'initiative de 2009. Mais le processus risque de s'enliser à nouveau si la question est utilisée à des fins politiques internes.

Yasar Yakis est un ancien ministre turc des Affaires étrangères et un membre fondateur du parti AK au pouvoir. Twitter : @yakis_yasar
NDRL : Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com