Irak: Les survivants yézidis, victimes des pratiques de Daech, tombés dans l'oubli ?

Des enfants qui semblent appartenir à la communauté yézidie et qui ont été capturés par les combattants de Daech, sont représentés sur cette photographie, après avoir été évacués de la ville de Baghouz, bastion de Daech. (AFP/Photo d’archives)
Des enfants qui semblent appartenir à la communauté yézidie et qui ont été capturés par les combattants de Daech, sont représentés sur cette photographie, après avoir été évacués de la ville de Baghouz, bastion de Daech. (AFP/Photo d’archives)
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Publié le Mardi 01 février 2022

Irak: Les survivants yézidis, victimes des pratiques de Daech, tombés dans l'oubli ?

  • Les chefs spirituels yézidis ont rejeté les enfants nés en captivité parce qu’ils ne sont pas issus de pères yézidis
  • Le Parlement irakien a adopté la Loi sur les survivants yézidis en mars 2021, mais les victimes de viol sont toujours mises au ban

DUBAÏ: Vue de l’extérieur, la modeste maison à deux étages située à Erbil – capitale de la région du Kurdistan irakien – ressemble à une garderie ordinaire qui résonne des cris de joie des enfants jouant derrière ses hauts murs.

Toutefois, ce complexe renferme un secret bien gardé: les enfants qui s’y trouvent sont ceux de femmes yézidies qui ont été tenues en captivité et violées par des militants de Daech. 

Le 3 août 2014, le groupe extrémiste a fait des ravages à travers le Sinjar – foyer ancestral de la minorité yézidie d’Irak. Terrorisées, certaines familles ont fui et ont trouvé refuge non loin, sur le mont Sinjar, où elles sont restées sans protection, sans nourriture et sans eau.

Les personnes qui n’ont pas pu fuir ont aussitôt été encerclées par des militants vêtus de noir. Ceux-ci ont massacré les hommes et envoyé les garçons dans des camps d'entraînement, où ils ont été contraints d’adhérer à l'interprétation erronée de l'islam perçue par le groupe terroriste. 

Quant aux filles et aux femmes yézidies, elles ont été tenues en captivité puis distribuées aux militants pour servir d’esclaves sexuelles et de servantes domestiques. Elles ont été emmenées dans les territoires contrôlés par Daech dans l'ouest de l'Irak et en Syrie voisine, où elles ont été vendues comme des biens sur des marchés aux esclaves.

Beaucoup d’entre elles ont choisi de mettre fin à leur vie plutôt que de se soumettre au viol et à l’esclavage. D’autres ont porté les enfants de ceux qui les ont violées. 

Suite à la défaite territoriale de Daech, d'abord en Irak fin 2017 puis en Syrie début 2019, de nombreuses filles et femmes captives ont réussi à s'échapper ou ont été libérées par leur famille et par les autorités gouvernementales grâce à des rançons.

 

Quelques CHIFFRES

  • 3 000 Yézidis ont été assassinés par Daech en 2014.
  • 7 000  femmes yézidies ont été sexuellement agressées par des militants. 
  • 60 000 Yézidis vivent à présent en Allemagne.

 

Alors que certaines ont emmené leurs enfants avec elles, d’autres en ont été séparées. Traumatisées au niveau physique et psychique après avoir connu de longues années de violence et d’abus, de nombreuses femmes ont été prises en charge par des agences humanitaires ou envoyées dans d’autres pays pour y recevoir des soins spécialisés.  

La fuite accélérée des Yézidis qui a résulté des ravages causés par les terroristes de Daech a poussé l'ancienne communauté d'Irak au bord de l'extinction.

Les femmes libérées qui voulaient rentrer chez elles ont été confrontées à un dilemme: abandonner leurs enfants nés de viol ou être exilées à jamais.  

Selon de nombreux observateurs, la décision des anciens Yézidis de nier les enfants semble impitoyable et anachronique. Toutefois, d’après le Conseil spirituel suprême des Yézidis, il est théologiquement impossible pour quiconque, y compris les enfants, de se convertir au yézidisme. Pour être Yézidi, il faut être né de deux parents yézidis.

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Les Yézidis d'Irak sont devenus l’emblème de la souffrance causée par Daech durant son occupation de vastes étendues en Syrie et en Irak. (AFP/Photo d’archives)

Les Yézidis constituent l'un des groupes religieux ethniques les plus anciens du monde. Ils sont aujourd'hui dispersés au Moyen-Orient, en Asie centrale et en Europe, après avoir été victimes de génocides et de persécutions répétés en raison de leurs croyances.

Aux yeux de Daech, les Yézidis sont des infidèles et des satanistes qui doivent être exterminés, leur persécution étant justifiée par la Chari’a. 

«Bien que je respecte entièrement la religion yézidie, je pense que la question de réunir les mères avec leurs enfants n'est pas d'ordre religieux», a déclaré Peter Galbraith, un ancien diplomate américain qui a joué un rôle primordial dans les efforts visant à réunir mères et enfants. 

 «C’est un droit humain fondamental. Les mères ont droit à leurs enfants et vice-versa», a-t-il dit à Arab News.

L'argument théologique en faveur du rejet des enfants n'est pas le seul obstacle. L'article 26 de la Loi sur la nationalité irakienne, qui stipule qu'un enfant doit hériter le statut religieux de son père si ce dernier est musulman, constitue un autre obstacle.

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Des enfants irakiens déplacés appartenant à la communauté yézidie, qui ont fui les violences entre Daech et les combattants peshmerga dans la ville de Sinjar, au nord de l'Irak, jouent dans la neige au camp de déplacés à Dawodiya, dans la ville kurde de Dohuk. (AFP/Photo d’archives)

Interrogé par Arab News, Vian Dakhil, membre yézidi du Parlement irakien, a dit: «Il est convenu par tous que [les militants de] Daech ne sont pas de vrais musulmans: leur barbarie n'est pas une représentation réelle de la religion. Pourtant, selon la loi irakienne, leurs enfants ont été enregistrés comme musulmans.»

Un rapport publié en 2020 par l'organisation de défense des droits de l'homme Amnesty International, intitulé «The Legacy of Terror: Plight of the Yazidi Survivors» (l’Héritage de la terreur: le sort des survivants yézidis), présente les récits de plusieurs femmes expliquant comment elles ont été contraintes de choisir entre leurs enfants et leur identité.

Hanan, 24 ans, a été persuadée par son oncle de laisser sa fille dans un orphelinat, à condition qu’elle puisse lui rendre visite à n’importe quel moment. Cependant, lorsqu’elle a déposé son enfant, son oncle lui a dit: «Oublie ta fille.»

Sana, 22 ans, a emmené sa fille avec elle lorsqu'elle a été secourue. Mais, suite aux menaces quotidiennes qu’elle recevait, elle a décidé de confier l'enfant à une organisation humanitaire.

«À ce moment-là, j'ai eu l'impression que tout mon corps s’effondrait», a-t-elle révélé à Amnesty.

Toutes les femmes interviewées pour le rapport présentaient des signes de traumatisme psychologique et plusieurs ont avoué avoir pensé au suicide. Peu d'entre elles ont un moyen de communiquer avec leurs enfants.

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Des Irakiens déplacés appartenant à la communauté yézidie portent leurs enfants alors qu'ils traversent la frontière irako-syrienne au passage de Fishkhabur, dans le nord de l'Irak, le 11 août 2014. (AFP/Photo d’archives)

«Ce qui s’est passé est une véritable catastrophe. Les femmes violées n’ont pas seulement été victimisées; elles ont également rencontré de nombreux problèmes quand leurs enfants sont nés», a affirmé Dakhil.

 «C’est une question humaine, une question de maternité, même si l’enfant est né d’un viol. On ne peut pas obliger les femmes à abandonner leurs enfants. Il doit y avoir une solution. Certaines filles ont été convaincues que ce qui leur est arrivé n’est pas normal et ont ainsi choisi de lâcher leurs enfants.»

Les femmes qui ont pu retrouver leurs enfants ne s'en sortent pas beaucoup mieux: elles sont obligées de vivre secrètement à Erbil, parce que leur sécurité serait mise en péril si elles venaient à être découvertes.

En 2019, le président irakien Barham Salih a rédigé le projet de loi sur les survivantes yézidies. Ce projet est devenu une loi l'année dernière, en mars. Ce moment a été décisif dans le contexte des efforts visant à remédier à l'héritage des crimes de Daech contre les Yézidis ainsi que d'autres minorités, parce que [la loi] a officiellement reconnu les actes de génocide et a défini un cadre pour l'octroi d'un soutien financier et pour venir en aide, de différentes façons, aux survivantes.

Si l’on examine la situation des femmes ayant survécu aux violences sexuelles liées à des conflits, on constate que la loi a placé l'Irak parmi les premiers pays du monde arabe à reconnaître les droits de ces survivantes et à prendre des mesures pour remédier à leurs doléances, conformément aux normes internationales.

Toutefois, près d’un an plus tard, peu d’indemnisations ont été accordées aux victimes.

 

EN BREF

  • Les Yazidis vénèrent à la fois le Coran et la Bible, mais une grande partie de leur propre tradition est orale.
  • Il n’est pas possible de se convertir au yézidisme. Il faut être né de parents yézidis.
  • Environ 550 000 Yézidis vivaient en Irak avant l'invasion de Daech en août 2014.

 

«Le projet de loi a été approuvé. Le seul problème réside dans la mise en œuvre effective, qui n'a pas réellement commencé», a précisé Dakhil. 

«Le gouvernement prétend que l’attribution de fonds pose problème, mais cela est inacceptable parce que ces personnes ont urgemment besoin d'être aidées. Le projet de loi a été créé à cette fin précise. Nous ferons de notre mieux pour l'appliquer de manière intégrale.»

«La question des femmes yézidies qui ont des enfants nés de viols est la plus ardue pour la communauté yézidie», a révélé Pari Ibrahim, directrice de la fondation «Free Yazidi», à Arab News.

«Selon les principes de notre organisation dirigée par des femmes yézidies, la décision de chaque survivante est plus importante que tout autre point de vue, y compris celui des membres de la famille ou des chefs religieux.»

Nombreuses sont les femmes qui souhaitent aller vivre en Australie, aux côtés d’autres survivantes yézidies. Les Pays-Bas constituent également une option potentielle. Cependant, les restrictions frontalières résultant de la pandémie de COVID-19 ont ralenti la procédure de demande d'asile.

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Légende: Des membres de Daech défilent dans un char dans une rue de la ville de Raqqa contrôlée par l’EI, au nord de la Syrie. (AFP/Handout Welayay Raqa)

Selon Ibrahim, la meilleure solution pour ces femmes serait de s’installer à l’étranger, où elles pourront vivre sans être stigmatisées. 

«Mais quoi qu'il en soit, leurs droits et leurs souhaits doivent être respectés après toutes les souffrances qu'elles ont endurées. C'est extrêmement douloureux pour la communauté yézidie – mais pas plus douloureux que le traumatisme infligé aux survivantes yézidies. Nous devons absolument respecter et défendre leurs droits.»

Quant aux femmes et aux enfants rejetés par leur communauté, négligés par l'État et confinés dans un complexe anonyme à Erbil, il ne leur reste plus d’autre choix que d'attendre et d'espérer une occasion de quitter définitivement leur patrie souillée.

«Je pense que la solution réside auprès des États internationaux et des ONG humanitaires», a affirmé Dakhil. «Ces femmes devraient être emmenées à l'étranger où elles pourront vivre sans crainte.»

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com

 


Gaza: la Défense civile annonce au moins 20 morts dont des enfants dans deux frappes aériennes à Khan Younès

Une première frappe a visé une maison familiale du quartier d'al-Manara, dans le sud-est de la ville, faisant 14 morts dont neuf enfants de moins de seize ans, selon le porte-parole de l'organisme, Mahmoud Bassal. (AFP)
Une première frappe a visé une maison familiale du quartier d'al-Manara, dans le sud-est de la ville, faisant 14 morts dont neuf enfants de moins de seize ans, selon le porte-parole de l'organisme, Mahmoud Bassal. (AFP)
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  • L'armée israélienne poursuit ses opérations dans la bande de Gaza et a lancé une nouvelle offensive dans le nord du territoire où, selon elle, les combattants du Hamas se regroupent
  • Selon la Défense civile, plus de 770 personnes sont mortes dans le nord depuis le début de cette offensive le 6 octobre

TERRITOIRES PALESTINIENS: Au moins 20 personnes, dont des enfants, ont été tuées dans deux frappes aériennes israéliennes nocturnes sur Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, a annoncé vendredi la Défense civile du territoire palestinien.

Une première frappe a visé une maison familiale du quartier d'al-Manara, dans le sud-est de la ville, faisant 14 morts dont neuf enfants de moins de seize ans, selon le porte-parole de l'organisme, Mahmoud Bassal.

Une autre a visé une seconde maison à proximité, tuant six personnes, a-t-il précisé.

Les victimes ont été transportées à l'hôpital européen de la ville, où les corps de plusieurs enfants ont été enveloppés d'un linceul par leurs proches, selon des photographes de l'AFP.

L'armée israélienne a seulement indiqué dans un communiqué avoir "éliminé plusieurs terroristes depuis les airs et le sol et démantelé de nombreuses infrastructures terroristes".

L'armée israélienne poursuit ses opérations dans la bande de Gaza et a lancé une nouvelle offensive dans le nord du territoire où, selon elle, les combattants du Hamas se regroupent.

Selon la Défense civile, plus de 770 personnes sont mortes dans le nord depuis le début de cette offensive le 6 octobre.

La guerre a Gaza a été déclenchée par l'attaque sans précédent du mouvement islamiste palestinien sur le sud d'Israël le 7 octobre 2023.

L'attaque a entraîné la mort de 1.206 personnes, majoritairement des civils, selon un décompte de l'AFP basé sur les données officielles israéliennes, incluant les otages tués ou morts en captivité.

Sur les 251 personnes alors enlevées, 97 restent otages à Gaza, dont 34 ont été déclarées mortes par l'armée.

En représailles, Israël a juré d'anéantir le Hamas, qui a pris le pouvoir à Gaza en 2007, et lancé une offensive dans laquelle au moins 42.847 Palestiniens ont été tués, majoritairement des civils, d'après les données du ministère de la Santé du gouvernement du Hamas, jugées fiables par l'ONU.


Trois journalistes tués au Liban, qui dénonce un «crime de guerre » israélien

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BEYROUTH: Trois journalistes ont été tués dans une frappe israélienne vendredi au Liban, le gouvernement dénonçant un "crime de guerre" au moment où Israël intensifie ses bombardements contre le Hezbollah tout en menant une offensive terrestre dans le sud du pays.

L'armée israélienne poursuit parallèlement son offensive dans la bande de Gaza contre le mouvement islamiste palestinien Hamas, allié du Hezbollah et lui aussi soutenu par l'Iran, où des frappes aériennes ont fait au moins vingt morts, selon la Défense civile.

Au Liban, la chaîne pro-iranienne Al Mayadeen a annoncé la mort d'un cameraman, Ghassan Najjar, et d'un ingénieur de radiodiffusion, Mohammad Reda, dans une frappe qu'elle a qualifiée de "délibérée contre une résidence de journalistes".

 


Blinken estime « vraiment urgent » de parvenir à une «solution diplomatique » au Liban

"Nous voulons nous assurer que, dans des endroits comme Beyrouth, il y a un réel effort pour s'assurer que les gens sont sains et saufs et que les civils ne sont pas pris dans ces tirs croisés", a dit M. Blinken. (AFP)
"Nous voulons nous assurer que, dans des endroits comme Beyrouth, il y a un réel effort pour s'assurer que les gens sont sains et saufs et que les civils ne sont pas pris dans ces tirs croisés", a dit M. Blinken. (AFP)
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  • "Nous avons le sentiment qu'il est vraiment urgent de parvenir à une solution diplomatique et à la mise en œuvre intégrale de la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies, afin qu'il puisse y avoir une véritable sécurité le long de la front
  • M. Blinken a déclaré qu'il était essentiel d'"obtenir les ententes nécessaires à la mise en œuvre complète" de cette résolution

LONDRES: Le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken a estimé vendredi à Londres qu'il était "vraiment urgent" de parvenir à une "solution diplomatique" au Liban.

"Nous avons le sentiment qu'il est vraiment urgent de parvenir à une solution diplomatique et à la mise en œuvre intégrale de la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies, afin qu'il puisse y avoir une véritable sécurité le long de la frontière entre Israël et le Liban", a déclaré M. Blinken après avoir rencontré le Premier ministre libanais Najib Mikati dans la capitale britannique.

La résolution 1701 adoptée en 2006 a mis fin à une guerre précédente entre le Hezbollah et Israël. Elle prévoit la cessation des hostilités entre les deux parties et stipule que seuls l'armée libanaise et les Casques bleus doivent être déployés dans le sud du Liban, frontalier d'Israël.

M. Blinken a déclaré qu'il était essentiel d'"obtenir les ententes nécessaires à la mise en œuvre complète" de cette résolution.

Il a également plaidé en faveur de la protection des civils, sans appeler à un cessez-le-feu.

"Nous voulons nous assurer que, dans des endroits comme Beyrouth, il y a un réel effort pour s'assurer que les gens sont sains et saufs et que les civils ne sont pas pris dans ces tirs croisés", a-t-il ajouté.

M. Mikati n'a fait aucune remarque à la presse à l'occasion de sa rencontre avec M. Blinken.

La veille, au cours de la conférence sur le Liban à Paris, il avait déclaré que seuls l'État et l'armée libanaise devraient porter des armes.

Le ministre jordanien des Affaires étrangères, Ayman Safadi, qui s'est entretenu séparément avec M. Blinken à Londres, a déclaré que le gouvernement libanais avait clairement fait savoir qu'il mettrait en œuvre la résolution 1701. "L'agression contre le Liban doit immédiatement cesser. Rien ne justifie sa poursuite", a dit M. Safadi.

Au moins 1.552 personnes ont été tuées au Liban depuis le début de la campagne de frappes aériennes israéliennes le 23 septembre, d'après un comptage de l'AFP reposant sur des données officielles.