Erdogan compte tirer parti de la crise ukrainienne pour rebondir

Poignée de main entre le président ukrainien Volodymyr Zelensky et son homologue turc Recep Tayyip Erdogan en février 2020. (AFP).
Poignée de main entre le président ukrainien Volodymyr Zelensky et son homologue turc Recep Tayyip Erdogan en février 2020. (AFP).
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Publié le Mercredi 02 février 2022

Erdogan compte tirer parti de la crise ukrainienne pour rebondir

  • Le président turc Recep Tayyip Erdogan, en visite à Kiev jeudi, mise sur son appartenance à l'Otan et sa relation avec Vladimir Poutine
  • Une médiation réussie pourrait redorer le blason d'Ankara au sein de l'Otan et auprès des Etats-Unis, avec lesquels les relations sont tendues depuis l'acquisition par la Turquie d'un système de défense russe

ISTANBUL : Le président turc Recep Tayyip Erdogan, en visite à Kiev jeudi, mise sur son appartenance à l'Otan et sa relation avec Vladimir Poutine pour rompre son isolement et éviter un conflit qui risquerait de fragiliser la Turquie et ses chances de réélection.

Une médiation réussie pourrait redorer le blason d'Ankara au sein de l'Otan et auprès des Etats-Unis, avec lesquels les relations sont tendues depuis l'acquisition par la Turquie d'un système de défense russe malgré son appartenance à l'Alliance atlantique.

"C'est l'occasion pour la Turquie de gagner en prestige et de sortir de son isolement au sein de l'Otan", explique à l'AFP Asli Aydintasbas, chercheuse au Conseil européen des relations internationales (ECFR), au moment où Washington et ses alliés intensifient leurs efforts pour dissuader la Russie d'envahir l'Ukraine.

"Ankara va aussi en profiter pour essayer de réparer sa relation avec Washington", ajoute-t-elle, soulignant qu'Erdogan peut compter sur sa "relation unique avec Poutine, faite de rivalité et de coopération – ce qui leur permet de soutenir des camps rivaux en Libye, dans le Caucase et en Syrie" sans aller au clash.

L'obsession ukrainienne de Vladimir Poutine

Si proche et pourtant si lointaine. Vladimir Poutine a une obsession: faire revenir l'Ukraine dans son giron au nom de la grandeur de la Russie, quitte à manier le bâton plus que la carotte.

Pour nombre de Russes de sa génération, celle ayant grandi bercée par les odes glorifiant l'URSS, la disparition de l'Union soviétique et de sa sphère d'influence en trois ans (1989-1991) reste une blessure lancinante.

Vladimir Poutine, alors officier du KGB basé en Allemagne de l'Est, a vécu la défaite aux premières loges. Et, selon ses dires, souffert de la misère qui s'est ensuite abattue sur tant de compatriotes, contraint de faire le taxi clandestin à son retour en Russie.

Humiliation et indigence contrastent alors avec le triomphalisme et la prospérité de l'Occident.

De quoi le convaincre, selon sa propre formule, que la fin de l'URSS est "la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle", qui a pourtant connu deux guerres mondiales.

De quoi nourrir aussi un désir de revanche, l'Otan et l'UE s'élargissant aux anciens vassaux de Moscou.

Pour le président russe, sa mission historique est donc d'arrêter cette invasion de sa zone d'influence. Au nom de la sécurité de la Russie, l'Ukraine devient une ligne rouge.

«Fusées à Moscou»

Dans sa vision des choses, si la Russie "ne résout pas cette question de la sécurité, l'Ukraine sera dans l'Otan dans 10-15 ans", puis "les fusées de l'Otan seront à Moscou", explique Alexeï Makarkine, du Centre des technologiques politiques.

Signe de la détermination de Moscou, après une révolution pro-occidentale en 2014 à Kiev, la Crimée ukrainienne est annexée et des séparatistes pro-russes embrasent l'Est russophile de l'Ukraine.

Pour M. Poutine, son voisin a tort de se voir en victime de l'impérialisme tsariste, puis soviétique, et désormais russe. Et ses deux révolutions --2005 et 2014-- ayant chassé des élites pro-russes sont le résultat de complots occidentaux.

Pour le maître du Kremlin, Moscou doit se montrer fort, voire terrifiant. Céder n'est pas dans la nature de ce judoka ceinture noire.

"Si le combat est inévitable, il faut frapper le premier", disait-il en 2015. L'une de ses institutrices, Vera Gourevitch, racontait qu'à 14 ans, le jeune Vladimir, ayant cassé la jambe d'un camarade, proclamait que certains "ne comprennent que la force".

L'Ukraine subit dès sa "Révolution orange" de 2004-2005 des "guerres du gaz" avec Moscou, qui la déstabilisent économiquement.

Militairement, il y a bien sûr la Crimée et la guerre dans l'Est en 2014.

Idéologiquement, il y a la négation de la nation ukrainienne.

«Arrêter le temps»

Dès 2008, selon des médias russes et américains, Vladimir Poutine affirme à son homologue américain, George W. Bush, que l'Ukraine "n'est même pas un Etat".

En décembre, il proclame lors de sa conférence de presse annuelle que ce pays est une invention de Lénine.

Quelques mois plus tôt, dans un article intitulé "De l'unité historique des Russes et des Ukrainiens", il expliquait les choix de son voisin par un complot "anti-Russie" des Etats-Unis et de leurs alliés.

L'Occident aurait créé "un système politique ukrainien tel que les présidents, les membres du Parlement et les ministres changent, mais pas le cours sécessionniste et son animosité vis-à-vis de la Russie".

Tatiana Stanovaïa, qui dirige le centre de réflexion russe R.Politik, note qu'en suivant cette logique, les 100 000 soldats russes actuellement déployés à la frontière ukrainienne ne sont pas une menace.

"Une guerre ne constituerait pas une attaque contre l'Ukraine, mais une libération du peuple ukrainien de l'occupant étranger", dit-elle.

D'ailleurs, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, disait en décembre qu'"un peuple frère, ça ne se perd pas, il reste un peuple frère".

En somme, il s'agit pour le pouvoir russe de rétablir le cours naturel des choses en Ukraine, et au-delà.

Moscou le dit et le répète: l'Occident a profité de la faiblesse post-soviétique de la Russie pour camper dans son voisinage.

Avec ses soldats aux frontières ukrainiennes, Poutine réclame ni plus ni moins que l'Alliance atlantique revienne à ses lignes de 1997 et renonce à l'architecture sécuritaire issue de la Guerre froide.

En somme, dit Alexeï Makarkine, "le moteur de l'action de Vladimir Poutine, c'est son désir d'arrêter le temps". 

«Quelqu'un qui tient ses promesses»

Cette relation entre les deux leaders avait été mise à mal en 2015, quand l'aviation turque avait abattu un chasseur russe sur la frontière turco-syrienne, générant une crise sans précédent entre Ankara et Moscou.

Mais les liens s'étaient resserrés après le coup d'Etat raté de juillet 2016 en Turquie.

Vladimir Poutine avait été le premier dirigeant étranger à appeler Recep Tayyip Erdogan, dès la nuit du putsch, alors que la plupart des leaders occidentaux ont attendu plusieurs jours avant de faire de même.

Un long silence qui a rapproché Ankara de Moscou, jugent des analystes.

"C'est quelqu'un qui tient ses promesses - un homme, un vrai", disait Vladimir Poutine au sujet de son homologue turc après la guerre au Nagorny-Karabakh fin 2020.

Selon Abdurrahman Babacan, professeur de l'université Medipol d'Istanbul, les deux dirigeants ont cette caractéristique commune de "jouer carte sur table" et voient la "coopération [entre eux] comme quelque chose de plus bénéfique que le conflit".

«Faire face aux Bayraktar»

L'Ukraine est toutefois l'un des dossiers qui les opposent.

Ankara, qui soutient l'adhésion de Kiev à l'Otan, s'était vivement opposé à l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014 au nom de la protection de sa minorité tatare turcophone.

Et la tension a monté d'un cran récemment autour de la crise ukrainienne, M. Poutine reprochant à son homologue turc d'avoir fourni à Kiev des drones armés, utilisés contre les séparatistes pro-russes de l'est de l'Ukraine.

Le principal représentant des séparatistes pro-russes a ainsi réclamé la semaine dernière à Moscou des armes pour résister à l'armée ukrainienne. "Nous avons besoin de faire face aux Bayraktar", a indiqué Denis Pouchiline, en référence aux drones turcs.

Lors du conflit au Nagorny-Karabakh, les drones fournis par la Turquie à l'Azerbaïdjan avaient joué une rôle décisif dans la victoire de Bakou sur l'Arménie.

"Dans un combat asymétrique opposant l'armée ukrainienne aux forces du Donbass, quelques TB2 peuvent faire pencher la balance. Mais en cas d'invasion russe, le TB2 ne fera aucune différence", tempère Aaron Stein, directeur du programme Moyen-Orient du Foreign Policy Research Institute (FPRI).

Des experts jugent toutefois que l'utilisation de drones turcs par l'Ukraine risque d'attiser les tensions entre Ankara et Moscou.

«Boycott russe»

"Si la Turquie joue l'escalade, la Russie peut répliquer en exerçant une pression en Syrie (sur les soldats turcs et leurs supplétifs) ou décider de sanctions économiques", prévient Dimitar Bechev, chercheur à l'Université d'Oxford.

"Compte tenu de sa faiblesse, l'économie turque ne peut se permettre un boycott touristique russe", tel que celui décidé par Moscou en 2015 après la destruction par l'aviation turque d'un chasseur russe, affirme Anthony Skinner, analyste indépendant et expert de la Turquie.

D'autant que la prochaine élection présidentielle turque est prévue pour juin 2023. Dans ce contexte, "Erdogan ne veut pas attiser la colère de Poutine", souligne Soner Cagaptay, du Washington Institute of Near East Policy, pour qui le président turc "est entièrement centré sur la victoire en 2023".

"Une intervention [militaire] russe exacerberait les difficultés économiques turques, en faisant par exemple grimper le prix du pétrole", abonde Aaron Stein. Pour la Turquie, pays très dépendant des importations, notamment en matière d'énergie, "ce ne serait pas une partie de plaisir", juge l'analyste.


Réunion sur Gaza vendredi à Miami entre Etats-Unis, Qatar, Egypte et Turquie

L'émissaire américain Steve Witkoff se réunira vendredi à Miami (Floride, sud-est) avec des représentants du Qatar, de l'Egypte et de la Turquie pour discuter des prochaines étapes concernant la bande de Gaza, a appris l'AFP jeudi auprès d'un responsable américain. (AFP)
L'émissaire américain Steve Witkoff se réunira vendredi à Miami (Floride, sud-est) avec des représentants du Qatar, de l'Egypte et de la Turquie pour discuter des prochaines étapes concernant la bande de Gaza, a appris l'AFP jeudi auprès d'un responsable américain. (AFP)
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  • Le Qatar et l'Egypte, qui font office de médiateurs autant que de garants du cessez-le-feu dans le territoire palestinien ravagé par deux ans de guerre, ont récemment appelé à passer à la prochaine phase du plan de Donald Trump
  • Celle-ci prévoit le désarmement du Hamas, le retrait progressif de l'armée israélienne de tout le territoire, la mise en place d'une autorité de transition et le déploiement d'une force internationale

WSAHINGTON: L'émissaire américain Steve Witkoff se réunira vendredi à Miami (Floride, sud-est) avec des représentants du Qatar, de l'Egypte et de la Turquie pour discuter des prochaines étapes concernant la bande de Gaza, a appris l'AFP jeudi auprès d'un responsable américain.

Le Qatar et l'Egypte, qui font office de médiateurs autant que de garants du cessez-le-feu dans le territoire palestinien ravagé par deux ans de guerre, ont récemment appelé à passer à la prochaine phase du plan de Donald Trump.

Celle-ci prévoit le désarmement du Hamas, le retrait progressif de l'armée israélienne de tout le territoire, la mise en place d'une autorité de transition et le déploiement d'une force internationale.

Le cessez-le-feu à Gaza, entré en vigueur en octobre entre Israël et le Hamas, demeure précaire, les deux camps s'accusant mutuellement d'en violer les termes, tandis que la situation humanitaire dans le territoire reste critique.

Le président américain n'en a pas moins affirmé mercredi, dans une allocution de fin d'année, qu'il avait établi la paix au Moyen-Orient "pour la première fois depuis 3.000 ans."

La Turquie sera représentée à la réunion par le ministre des Affaires étrangères Hakan Fidan.

Dans un discours, le président turc Recep Tayyip Erdogan a quant à lui affirmé que son pays se tenait "fermement aux côtés des Palestiniens".

 

 


Zelensky dit que l'Ukraine a besoin d'une décision sur l'utilisation des avoirs russes avant la fin de l'année

ze;"Nos partenaires ont été informés que la décision doit être prise d'ici la fin de cette année", a déclaré Zelensky. (AFP)
ze;"Nos partenaires ont été informés que la décision doit être prise d'ici la fin de cette année", a déclaré Zelensky. (AFP)
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  • Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a estimé jeudi que l'Ukraine avait besoin d'une décision européenne sur l'utilisation des avoirs russes gelés avant la fin de l'année
  • "Nos partenaires ont été informés que la décision doit être prise d'ici la fin de cette année", a-t-il déclaré. Il avait indiqué auparavant que Kiev aurait un "gros problème" si les dirigeants européens ne parvenaient pas à un accord

BRUXELLES: Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a estimé jeudi que l'Ukraine avait besoin d'une décision européenne sur l'utilisation des avoirs russes gelés avant la fin de l'année, lors d'une conférence de presse à Bruxelles en marge d'un sommet des dirigeants de l'UE sur le sujet.

"Nos partenaires ont été informés que la décision doit être prise d'ici la fin de cette année", a-t-il déclaré. Il avait indiqué auparavant que Kiev aurait un "gros problème" si les dirigeants européens ne parvenaient pas à un accord sur l'utilisation de ces avoirs pour financer l'Ukraine. En l'absence d'accord, Kiev sera à court d'argent dès le premier trimestre 2026.

 

 


Trump impose des restrictions d'entrée à sept autres pays et aux Palestiniens

Des personnes arrivent à l'aéroport international John F. Kennedy de New York, le 9 juin 2025. (AFP)
Des personnes arrivent à l'aéroport international John F. Kennedy de New York, le 9 juin 2025. (AFP)
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  • Donald Trump élargit les interdictions d’entrée aux États-Unis à sept pays supplémentaires, dont la Syrie, et inclut les Palestiniens munis de documents de l’Autorité palestinienne
  • La Maison Blanche invoque la sécurité nationale, tout en prévoyant des exceptions limitées, dans le cadre d’un durcissement général de la politique migratoire

WASHINGTON: Donald Trump a étendu mardi les interdictions d'entrée aux Etats-Unis aux ressortissants de sept pays, dont la Syrie, ainsi qu'aux Palestiniens.

Le président américain a signé une proclamation "restreignant et limitant davantage l'entrée des ressortissants étrangers afin de protéger la sécurité des Etats-Unis", a indiqué la Maison Blanche.

Les nouveaux pays concernés par cette mesure sont le Burkina Faso, le Niger, le Mali, le Soudan du Sud et la Syrie, tandis que le Laos et la Sierra Leone passent de restrictions partielles à totales.

Les Palestiniens disposant de documents de voyage émis par l'Autorité palestinienne sont également visés.

L'administration Trump avait déjà imposé des restrictions totales visant les ressortissants de douze pays et des dizaines d'autres pays se sont vus imposer des restrictions partielles.

S'agissant de la Syrie, la mesure intervient quelques jours après une attaque meurtrière contre des soldats américains dans le centre de ce pays.

L'administration Trump dit avoir identifié des pays où les vérifications sont "tellement insuffisantes qu'elles justifiaient une suspension totale ou partielle de l'admission des ressortissants de ces pays".

La proclamation prévoit cependant des exceptions pour les résidents permanents légaux, les titulaires de visas existants, certaines catégories de visas comme les athlètes et les diplomates, et les personnes dont "l'entrée sert les intérêts nationaux des Etats-Unis".

Depuis son retour au pouvoir en janvier, Donald Trump mène une vaste campagne contre l'immigration illégale et a considérablement durci les conditions d'entrée aux Etats-Unis et l'octroi de visas, arguant de la protection de la sécurité nationale.

Ces mesures visent ainsi à interdire l'entrée sur le territoire américain aux étrangers qui "ont l'intention de menacer" les Américains, selon la Maison Blanche.

De même, pour les étrangers qui "pourraient nuire à la culture, au gouvernement, aux institutions ou aux principes fondateurs" des Etats-Unis.

Le président américain s'en est récemment pris avec virulence aux Somaliens, disant qu'il "ne voulait pas d'eux chez nous".

En juin, il avait annoncé des interdictions d'entrée sur le territoire américain aux ressortissants de douze pays, principalement en Afrique et au Moyen-Orient (Afghanistan, Birmanie, Tchad, Congo-Brazzaville, Guinée équatoriale, Erythrée, Haïti, Iran, Libye, Somalie, Soudan, Yémen).

En revanche, le Turkménistan, pays qui figure parmi les plus reclus au monde, se voit accorder un satisfécit, la Maison Blanche évoquant mardi des "progrès significatifs" dans cet Etat d'Asie centrale.

Du coup, les ressortissants de ce pays pourront à nouveau obtenir des visas américains, mais uniquement en tant que non-immigrants.

Lors de son premier mandat (2017-2021), Donald Trump s'en était pris de façon similaire à certains pays, ciblant principalement des pays musulmans.