Le prince héritier saoudien aborde réformes et relations internationales avec The Atlantic

Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane a parlé de réformes, de relations internationales et d'économie lors d'une interview avec The Atlantic. (SPA)
Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane a parlé de réformes, de relations internationales et d'économie lors d'une interview avec The Atlantic. (SPA)
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Publié le Vendredi 04 mars 2022

Le prince héritier saoudien aborde réformes et relations internationales avec The Atlantic

  • Le prince héritier d'Arabie saoudite a déclaré que le Royaume renouait avec les racines de l'Islam tolérant
  • Il a également plaidé pour une « croissance économique basée sur les valeurs saoudiennes fondamentales »

RIYAD: Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane a parlé de réformes, de relations internationales et d'économie dans une interview avec The Atlantic.

The Atlantic: Je viens ici depuis 2019. Chaque fois c'est un peu différent, plus moderne, plus développé, 2030 se rapproche, et ça ressemble un peu plus à Dubaï, voire un peu plus aux États-Unis. Pensez-vous que l'Arabie saoudite deviendra moins saoudienne et davantage comme le reste du monde? 

Le prince héritier: Nous n'essayons pas d'être comme Dubaï ou comme les États-Unis. Nous essayons d'évoluer en fonction de ce que nous avons, de nos atouts économiques, et en utilisant le potentiel du peuple saoudien, la culture de l'Arabie saoudite, notre histoire, c’est ainsi que nous tentons d’évoluer. 

Nous voulons apporter quelque chose de nouveau au monde. Un grand nombre de nos projets sont uniques. Ils sont saoudiens. Ainsi, à titre d’exemple, prenons AlUla, qui est spécifiquement saoudien. Il n'y a pas d'autres modèles comparables. Si vous prenez, par exemple, le projet de Diriyah, qui est l'un des plus importants projets culturels au monde, il est unique. Il s'agit d'un projet de patrimoine culturel sur le thème du Najd. Si vous prenez, par exemple, la Vieille ville de Djeddah et le développement qui l'entoure, c’est est basé sur la tradition du Hidjaz. C’est donc unique. C'est l'Arabie saoudite. Et si vous prenez, par exemple, Neom et The Line, la ville principale de Neom, c'est unique, créé et fabriqué par notre pays. Ce n'est pas une copie de quoi que ce soit qui existe ailleurs. Le projet évolue et crée des solutions que personne n'a apportées auparavant. Et si vous regardez, par exemple, Qiddiya Riyadh, l'un des plus grands projets de divertissement, culturel et sportif au monde, d’une envergure d'environ 300 km2, c'est plus grand que certains pays... Et il y a d'énormes projets de parcs à thème, des éléments culturels et sportifs, de l'immobilier, et tout cela a été synchronisé d'une manière qui n’a jamais été faite à Orlando, par exemple, ou ailleurs dans le monde. Nous ne copions pas, nous essayons d'innover et d'utiliser le capital que nous avons dans le PIF (Fonds d’investissement public), le capital présent dans le budget du gouvernement, d'une manière nouvelle, basée sur notre culture ou sur l'innovation saoudienne. 

The Atlantic: Mais… 

Le prince héritier: Donnez-moi juste un exemple! Ce projet est une copie de quoi? Rien. 

The Atlantic: Pouvez-vous apporter la modernisation à un tel niveau que le caractère islamique de l'Arabie saoudite pourrait s’affaiblir? 

Le prince héritier: Chaque pays du monde s’est construit sur un ensemble de points de vue et de croyances. Par exemple, les États-Unis sont fondés sur la démocratie, la liberté, une économie libre... Et la population est unie sur cette base. Mais toutes les démocraties sont-elles bonnes? Toutes les démocraties fonctionnent-elles bien? Certainement pas. 

Notre pays s’est bâti sur un ensemble de points de vue et de croyances basées sur l'islam, la culture tribale, arabe, et les attributs uniques de la culture et des croyances saoudiennes. C'est notre âme. Si nous en faisons abstraction, cela signifie que le pays pourrait s'effondrer. 

La question qui se pose pour nous est la suivante: comment pouvons-nous mettre l'Arabie saoudite sur la bonne voie du développement et de la modernisation, et non sur la mauvaise? La même question se pose pour les États-Unis: comment mettre la démocratie, les marchés libres et la liberté sur la bonne voie? Parce que cela pourrait aller dans la mauvaise direction. Nous ne dénigrons donc aucune de nos croyances, car c'est notre âme. Les Saintes Mosquées se trouvent en Arabie saoudite et personne ne peut les enlever. Nous avons une responsabilité envers elles pour toujours, et nous voulons mettre notre pays sur le bon chemin pour le bien de notre peuple saoudien, de la région et du monde entier, en nous basant sur notre croyance en la paix et la coexistence, ainsi que la nécessité pour nous d’apporter de nouvelles valeurs au reste du monde. 

The Atlantic: Mais je pense que vous conviendrez également que la façon dont l'islam modéré est présenté en ce moment est très, très différente de ce que nous aurions vu si nous avions eu un entretien avec quelqu'un dans votre position en 1983. 

Le prince héritier: Je n'utiliserais pas le terme «islam modéré», car ce terme ferait le bonheur des extrémistes et des terroristes. 

The Atlantic: Ils pensent que c'est une insulte. 

Le prince héritier: C'est une bonne nouvelle pour eux si nous utilisons ce terme. Si nous disons «islam modéré», la suggestion est que nous, en Arabie saoudite et dans d'autres pays musulmans, transformons l'islam en quelque chose de nouveau, ce qui n'est pas vrai. 

Nous revenons aux véritables enseignements de l'islam, la façon dont le Prophète et les quatre Califes Bien Guidés vivaient, dans des sociétés ouvertes et pacifiques. Des chrétiens et des juifs vivaient sous leur autorité. Ils nous ont appris à respecter toutes les cultures, toutes les religions, quelles qu’elles soient. Ces enseignements du Prophète et des quatre Califes étaient parfaits. Nous revenons aux racines, aux choses vraies. Ce qui s'est passé, c'est que les extrémistes ont détourné et modifié notre religion en quelque chose de nouveau, pour leurs propres intérêts. 

Ils essaient de faire en sorte que les gens voient l'islam de leur manière. Et le problème, c’est que personne ne les contredisait, ne se battait sérieusement contre eux. Ils ont donc eu la possibilité de diffuser toutes ces opinions extrémistes, ce qui a conduit à la création des groupes terroristes les plus extrêmes, tant dans le monde sunnite que chiite. 

The Atlantic: Les responsables religieux ici ont dit que cet extrémisme était en grande partie le résultat de l'influence des Frères musulmans dans les années 1960 et 1970. Mais il semble également clair qu'il y avait beaucoup d'influence saoudienne, le conservatisme saoudien est une réalité. 

The Atlantic: Le wahhabisme. 

The Atlantic:  Donc, si vous dites que nous nous débarrassons de cette influence extérieure des Frères musulmans, c'est une chose. Mais comment gérez-vous la composante saoudienne de l'extrémisme? 

Le prince héritier: Les Frères musulmans, les Ikhwan, ont joué un rôle énorme dans la création de tout cet extrémisme, ils ont été le pont qui a conduit les autres à l'extrémisme. Lorsque vous leur parlez, ils n'ont pas l'air d'extrémistes, mais ils vous conduisent à l'extrémisme. Oussama ben Laden, était membre des Frères musulmans, Al-Zawahiri était autrefois membre des Frères musulmans, comme d’ailleurs le chef de Daech. Les Frères musulmans sont une voie. Ils ont été un élément important dans la création de groupes extrémistes au cours des dernières décennies. Mais il ne s’agit pas uniquement des Frères musulmans. C'est un mélange de beaucoup de choses et de nombreux événements, non seulement du monde musulman, mais aussi liés aux États-Unis, par exemple avec l'invasion de l'Irak, qui a donné aux extrémistes la possibilité de propager leur message et de rallier des partisans. Il est également vrai que certains extrémistes en Arabie saoudite, et non des extrémistes des Frères musulmans, ont joué un rôle à ce sujet, en particulier après la révolution de 1979 en Iran, et l’attaque contre la Sainte Mosquée de La Mecque. 

Concernant le wahhabisme, je dirais que Mohammed Ibn 'Abd al-Wahhab n'est pas un prophète, ce n'est pas un ange. Il n'était qu'un érudit comme beaucoup d'autres qui ont vécu pendant le premier État saoudien, parmi de nombreux dirigeants politiques et chefs militaires.  

Le problème à cette époque dans la péninsule Arabique était que les étudiants d'Ibn 'Abd al-Wahhab étaient les seuls à savoir lire et écrire et que l'histoire était écrite de leur point de vue. Les écrits d'Ibn 'Abd al-Wahhab ont été utilisés par de nombreux extrémistes pour leurs propres objectifs. Mais je suis sûr que si Ibn 'Abd al-Wahhab, Ben Baz ou d’autres encore étaient vivants aujourd'hui, ils seraient parmi les premiers à combattre ces idées extrémistes et ces groupes terroristes. Daech ne donne comme exemple aucune personnalité religieuse saoudienne en vie. Quand ils meurent, ils commencent à utiliser leurs paroles et à déformer leurs opinions hors de leur contexte. 

Ibn 'Abd al-Wahhab n'est pas l'Arabie saoudite, qui est un pays qui comprend des sunnites et des shiites. Parmi les sunnites, quatre écoles existent, et les chiites aussi ont des écoles différentes, et toutes sont représentées dans un certain nombre de conseils religieux. Aujourd'hui, personne ne peut mettre en avant l'un des points de vue de ces écoles pour en faire la seule façon d’aborder la religion en Arabie saoudite. Peut-être que cela s'est produit durant certaines périodes de notre histoire en raison des événements dont je vous ai parlé, en particulier dans les années 1980, 1990 et au début des années 2000. Mais aujourd'hui, nous sommes de retour sur la bonne voie, comme je l'ai dit.  

Nous revenons aux sources, à l'islam pur, pour être sûrs que l'âme de l'Arabie saoudite, basée sur l'islam, notre culture, qu'elle soit tribale ou urbaine, est au service de la nation, du peuple, de la région, du monde, et nous conduit à la croissance économique. Et c'est ce qui s'est passé au cours des cinq dernières années. Alors aujourd'hui, je ne dis pas que nous pourrions le faire. Peut-être que si nous avions fait cette interview en 2016, vous auriez dit que je faisais des suppositions, et que ce n'est que l'analyse du prince héritier saoudien. Mais nous l'avons fait. Vous le constatez maintenant de vos propres yeux dans le Royaume. Venez simplement y jeter un coup d'œil, et regardez les vidéos du pays il y a six ou sept ans. Nous avons fait beaucoup, et il reste encore certaines choses à faire. Et nous allons travailler pour les réaliser. 

The Atlantic: À Washington, lorsque nous nous sommes rencontrés pour la première fois, nous avions parlé des lois sur la tutelle et du rythme des changements en cours dans le pays, et vous m'avez montré une vidéo sur votre téléphone d'un groupe d'hommes tirant avec leurs armes lors d'un mariage. Je ne sais pas si vous vous en souvenez. 

Le prince héritier: Je m’en souviens bien. 

The Atlantic: Et vous aviez dit: «Vous voyez, je dois aller à la bonne vitesse. Je ne peux pas aller trop vite. Parce que ces personnes veulent une certaine vitesse». Donc ma question est la suivante: trois ans plus tard, avez-vous l'impression d'aller plus vite maintenant, de rencontrer une énorme opposition de la part des chefs tribaux et religieux? 

Le prince héritier: Je crois que je vous ai montré cette vidéo parce que vous m'avez posé des questions sur la démocratie en Arabie saoudite. 

The Atlantic: Oui. 

Le prince héritier: L’Arabie saoudite est une monarchie basée et fondée sur ce modèle. Comme je l’ai déjà mentionné, la monarchie repose sur une structure complexe de systèmes monarchiques tribaux et urbains, tels que les chefs tribaux et les dirigeants urbains. J’essayais donc de donner un exemple de ce à quoi ressemble la monarchie semi-tribale dans le Royaume. 

The Atlantic: Vous voulez dire que vous ne pouvez pas aller trop vite? 

Le prince héritier: Non, je veux dire que je ne peux pas faire passer l’Arabie saoudite d’une monarchie à un autre type de système parce qu’elle est basée sur ce modèle depuis trois cents ans. Cette structure monarchique complexe, formée de milliers de systèmes tribaux et urbains, faisait partie de la vie des populations dans le passé et est partie intégrante de l’Arabie saoudite d’aujourd’hui et de sa continuation comme monarchie. La famille royale compte plus de 5000 membres de la dynastie Al-Saoud. Les membres du Conseil d’allégeance m’ont choisi pour protéger les intérêts de la monarchie qui dirige cette structure complexe. Changer ce système revient à trahir les Al-Saoud, à trahir ces milliers de chefs tribaux et semi-tribaux dans le pays... Mais tous ces dirigeants contribuent à réaliser les réformes en Arabie saoudite. Je ne pense donc pas que ce soit eux qui ralentissent le changement. Ce sont eux qui m’aident à faire davantage. 

The Atlantic: La dernière fois, vous nous avez dit que vous étiez à l’écoute du peuple saoudien, que vous cherchiez à connaître ses désirs et ses intérêts en matière de changement. Il semble donc que vous n’ayez pas encore atteint la ligne d’arrivée. Vous n’avez pas encore réalisé tous les changements que vous vouliez apporter. Où en êtes-vous? Et quelle est la différence entre la ligne d’arrivée et ce que vous aviez prévu? 

Le prince héritier: Si je vous disais que je voyais la ligne d’arrivée, cela voudrait dire que je suis un dirigeant horrible. La ligne d’arrivée est très éloignée. Il faut juste continuer à courir de plus en plus vite, créer d’autres lignes d’arrivée et continuer à courir. Notre objectif est d’être plus rapide que les autres et de réaliser davantage que les autres. 

The Atlantic: Mais y a-t-il une limite? Pourrais-je faire ici les mêmes choses que je peux faire légalement aux États-Unis? Ou y a-t-il une certaine limite parce que c’est un pays islamique? 

Le prince héritier: Au niveau social? 

The Atlantic: Oui, par exemple. 

Le prince héritier: Dans l’islam, certaines choses sont interdites aux musulmans, pour lesquelles Dieu a prévu une punition. Pour d’autres, Dieu n’a pas prévu de punition, ce qui signifie que le jugement se fait entre Dieu et les hommes. Cependant, si vous êtes étranger, les enseignements de l’islam ne peuvent vous être imposés. Donc, si vous êtes une personne étrangère qui vit ou voyage en Arabie saoudite, vous avez tout à fait le droit de faire ce que vous voulez, en fonction de vos croyances, quelles qu’elles soient, tant qu’elles sont conformes aux lois du pays. C’est ce qui s’est passé à l’époque du Prophète et à celle des quatre Califes Bien Guidés. Ils n’appliquaient pas les règles sociales aux non-musulmans, qu’ils soient citoyens ou simplement en voyage dans leur pays. 

The Atlantic: L’aisance avec laquelle vous parlez de la loi islamique est vraiment unique parmi les dirigeants de l’Arabie saoudite. La position que vous adoptez est très moderne, mais elle est aussi très rare chez les spécialistes de l’islam. Devons-nous donc nous attendre, à l’avenir, à ce que les dirigeants saoudiens s’intéressent personnellement aux questions de droit islamique? Dans le passé, ce sont les oulémas qui contrôlaient ce domaine. 

Le prince héritier: Dans la loi islamique, le chef de l’establishment islamique est wali al-`amr, le souverain. La décision finale ne revient donc pas au mufti. La fatwa finale revient au roi. Le mufti et le Conseil de la fatwa sont comme des conseillers du roi et lui donnent leur avis. Cependant, dans les enseignements islamiques, c’est le souverain qui émet la fatwa finale, la bay’a. Le dernier mot revient au roi d’Arabie saoudite. Ils savent qu’ils peuvent argumenter – ils doivent argumenter, s’expliquer, utiliser des preuves, basées sur la jurisprudence islamique, se référant à l’époque du Prophète, du Calife, ils doivent regarder dans le Coran, ils doivent argumenter les hadiths, jusqu’à ce qu’ils fassent valoir leur point de vue. Ensuite, il faut s’assurer que le peuple est prêt et y croit, et enfin, c’est le roi qui prend la décision. Toutefois, si vous utilisez votre pouvoir en tant que roi et que vous prenez la décision, sans passer par tout le processus, cela pourrait créer un choc dans la rue et pour le peuple. 

The Atlantic: Je vous ai entendu parler de l’importance des hadiths moutawatir, par exemple, et ce niveau de discussion sur la loi islamique n’est pas quelque chose que l’on entend habituellement de la part d’un prince héritier ou d’un roi. 

Le prince héritier: C'est la principale source de division dans le monde musulman, entre les musulmans extrémistes et les musulmans pacifiques. Il existe des dizaines de milliers de hadiths dont la majorité ne sont pas prouvés et sont utilisés par de nombreuses personnes pour justifier leurs actions. Par exemple, les adeptes d’Al-Qaïda et de Daech utilisent des hadiths très faibles, dont la véracité n’est pas prouvée, pour propager leur idéologie. 

Autrement dit, Dieu et le Coran nous demandent de suivre les enseignements du Prophète. À son époque, les gens écrivaient le Coran et les enseignements du Prophète, alors qu’il avait ordonné que ses enseignements ne soient pas écrits pour s’assurer que le socle principal de l’islam reste le Coran. Donc, lorsque nous nous référons aux enseignements du Prophète, nous devons être très prudents. Il existe trois catégories de hadiths. 

La première catégorie est celle des mutawatir. Cela signifie que plusieurs personnes les ont entendus du Prophète, d’autres personnes les ont entendus de ces quelques personnes, et les ont transmis à d’autres personnes. Ils ont donc été documentés. Ils ont une valeur très forte et nous devons les suivre. Ils sont peu nombreux, environ une centaine. 

La deuxième catégorie est ce que nous appelons les hadiths individuels. C’est le cas de figure où une personne a entendu le hadith du Prophète et une autre personne l’a entendu de cette personne, pour enfin arriver à la personne qui l’a documenté. Ou encore, quelques personnes l’ont entendu du Prophète, d’autres autres l’ont également entendu du Prophète, et une personne l’a entendu de ces quelques personnes. 

Par conséquent, s’il y a un lien d’une seule personne dans la lignée du hadith, nous l’appelons hadith individuel. Donc celui-là, on l’appelle ahad. Il est nécessaire d’étudier s’il est authentique, s’il va dans le sens des enseignements du Coran, des enseignements du mutawatir, et s’il sert l’intérêt du peuple. En fonction de cela, on l’utilise ou non. 

La troisième catégorie est appelée khabar. Quelqu’un a entendu le hadith du Prophète, etc… et parmi ces liens, il y en a qui sont inconnus. Des dizaines de milliers de hadiths sont concernés, et on ne doit pas les utiliser du tout, sauf dans un seul cas: si vous avez deux options, et que les deux sont très bonnes. Vous pouvez utiliser ce hadith khabar dans ce cas, à condition que ce soit dans l’intérêt du peuple. 

C’est ce que nous essayons donc d’identifier et de publier, afin de sensibiliser le monde musulman aux bonnes pratiques pour utiliser les hadiths. Je crois que cela fera une énorme différence. Il faut du temps. Nous en sommes aux dernières étapes, et je pense que nous pouvons le publier dans deux ans. Il s’agit juste de documenter le hadith de la bonne manière, parce que lorsque les gens lisent différents livres, ils n’ont pas l’état d'esprit, le savoir ou les connaissances nécessaires pour examiner la lignée des hadiths et faire la différence entre eux. 

The Atlantic: Ma question est donc la suivante: puisque vous êtes capable d’en parler avec une telle aisance et une telle connaissance, pourquoi avez-vous besoin d’un mufti? Vous pouvez le faire vous-même. 

Le prince héritier: Parce que le rôle du mufti est de répondre aux personnes qui posent des questions de tous les jours, des questions d’intérêt quotidien. Par exemple, si quelqu’un a mangé pendant le ramadan et qu’il veut savoir ce qu’il doit faire, s’il a péché ou non, et qu’il veut appeler quelqu’un pour lui donner une réponse, cela doit être réglementé. Personne ne peut simplement dire «Je sais comment faire» et répondre à sa question. Vous devez avoir des certificats du gouvernement. L’objectif du Conseil de l’ifta’ et de toutes les personnes qui travaillent dans ce domaine est donc de répondre aux questions des personnes sur le quotidien. 

The Atlantic: Puis-je revenir sur une chose que vous avez déjà évoquée? Vous avez raconté que le Prophète lui-même était très tolérant, qu’il détournait le regard. C’est à Dieu de juger les péchés d’une personne, mais l’Arabie saoudite recourt très fréquemment à la peine de mort et fait l’objet de nombreuses critiques pour y avoir eu recours si fréquemment. De plus, il existe des châtiments tels que l’amputation et d’autres punitions dictées par la loi islamique. Tout cela signifie-t-il que vous voulez vous débarrasser de ces punitions physiques infligées aux gens pour leurs péchés? 

Le prince héritier: En ce qui concerne la peine de mort, nous nous en sommes débarrassés, à l’exception d’une catégorie. Celle-ci est inscrite dans le Coran, et nous ne pouvons rien y faire, même si nous le voulions, car c’est un enseignement clair du Coran. Si une personne en tue une autre, la famille de la personne qui a été tuée a le droit, après avoir intenté un procès, d’appliquer la peine capitale, à moins qu’elle ne pardonne au tueur. Ou encore, si quelqu’un menace la vie de nombreuses personnes, cela signifie qu’il doit être puni par la peine de mort. C’est un enseignement du Coran. Que cela me plaise ou non, je n’ai pas le pouvoir de le changer. 

The Atlantic: Mais vous pouvez donner le ton pour inciter à plus d'indulgence.

Le prince héritier: C'est ce que nous faisons. Donc, si vous avez le temps, nous pouvons vous emmener dans tous les gouvernorats, et si vous allez au siège, il y a un département qui travaille justement sur cette question. Et s'il y a une peine de mort, elle n'est pas exécutée tout de suite. Elle sera exécutée au bout de six mois, voire un an, pour laisser le temps à la famille de la victime de se calmer, de marquer un arrêt et de réfléchir. Un pourcentage élevé d'exécutions sont annulées sur la base de ces types de règlements. Nous faisons donc de notre mieux dans ce domaine. Mais nous allons encore travailler à ce niveau. La peine de flagellation est complètement annulée en Arabie saoudite. Elle a été abolie à cent pour cent. Le seul problème sur lequel nous travaillons consiste à assurer qu'il n'y a pas de sanction sans loi. Et nous travaillons à ce sujet. Il y a donc quelques sanctions qui sont à la discrétion du juge. Maintenant, nous essayons de nous assurer qu'il n'y a pas de sanction en Arabie saoudite sans loi. Nous en parlons et essayons de mettre fin à cela dans les deux à trois prochaines années. 

The Atlantic: Un sujet en rapport avec cette question. La CIA, comme vous le savez, affirme que, sur la base de ses convictions et de son étude de la situation, vous avez ordonné le meurtre ou la capture de Khashoggi. Quelle est votre réponse à cette déduction? 

Le prince héritier: Tout d'abord, il est douloureux de voir une personne être tuée injustement. Donc, même si une personne mérite la peine de mort, elle devrait quand même passer par le système judiciaire et avoir le droit de se défendre, etc. Ce qui s'est passé est pénible. Nous aurions souhaité que cela n'arrive pas à un citoyen saoudien, ni à personne d’autre dans le monde entier. C'était un énorme échec au niveau du système. Nous avons fait de notre mieux pour réparer le système et nous assurer que cela ne se reproduise plus. Nous avons également pris des mesures que n'importe quel gouvernement légitime prendrait, en enquêtant sur ces personnes et en les jugeant devant les tribunaux. Le tribunal a décidé de peines que ces personnes purgent aujourd’hui. C'est ce qui s'est produit lorsque les Américains ont commis des erreurs en Irak, en Afghanistan ou à Guantanamo. Vous avez pris les bonnes mesures, et nous aussi. 

The Atlantic: Mais vous affirmez que vous n’avez rien à voir avec cela. 

Le prince héritier: Pourquoi le ferais-je? Cela est évident. 

The Atlantic: Nous en avons déjà parlé. Vous avez dit quelque chose à propos de cet incident, de toute cette controverse, que cela vous a vraiment blessé. 

Le prince héritier: Forcément, cela m'a fait souffrir. Cela m'a blessé et cela a blessé l'Arabie saoudite, du point de vue des «sentiments». 

The Atlantic: Du point de vue des «sentiments»? 

Le prince héritier: Nous avons été blâmés. Je comprends la colère, notamment celle des journalistes. Je respecte leurs sentiments. Mais nous aussi avons aussi des sentiments et ressentons la douleur. Nous sentons que nous ne sommes pas traités équitablement. J'ai moi-même l'impression que les droits de l'homme n’ont pas été appliqués en ce qui me concerne. L'article XI de la Déclaration universelle des droits de l'homme stipule que toute personne est innocente jusqu'à preuve du contraire. Je n'ai pas eu ce droit. Alors, comment pouvez-vous me parler des droits de l'homme sans me traiter conformément à l'article XI des droits de l'homme? Cela n'a aucun sens. C'est donc un sentiment douloureux de savoir que nous avons été traités de cette façon. Mais en même temps, nous comprenons les sentiments. La plus grande question pour moi est la suivante: cette année-là, près de 70 journalistes ont été tués dans le monde. Pouvez-vous me les nommer? Non? Alors merci beaucoup. Est-ce vraiment un sentiment envers un confrère journaliste? Ou est-ce que cela a été dirigé contre nous, et contre moi? Si c'est vraiment un sentiment envers un collègue journaliste, donnez-moi les 70 noms des journalistes qui ont été tués cette année-là. 

The Atlantic: Pourquoi pensez-vous que cette affaire a pris une telle ampleur? 

Le prince héritier: Parce qu’il y a beaucoup de gens qui veulent être sûrs que notre projet, le projet de l’Arabie saoudite aujourd’hui, la Vision 2030, échoue. Mais ils ne peuvent pas y toucher. Il n’échouera jamais. Personne dans le monde entier n’a le pouvoir de le faire échouer. Ils peuvent le ralentir de 5%. C’est le maximum qu’ils peuvent faire. Personne ne peut faire plus que cela. Il y a quelques groupes – je ne veux pas les montrer du doigt – mais toute personne bien informée peut faire le lien entre les groupes en Occident et les groupes au Moyen-Orient, qui ont intérêt à nous voir échouer. 

The Atlantic: Vous pensez que Khashoggi lui-même soutenait un argument des Frères musulmans contre vos projets? 

Le prince héritier: Je n’ai jamais lu un article entier de Khashoggi dans ma vie, que ce soit dans un journal saoudien ou dans un journal américain. Ce que je lis, c’est mon dossier quotidien. S’il y a quelque chose d’important dans les médias locaux, régionaux ou mondiaux, je le vois dans le dossier. 

The Atlantic: Donc il ne vous a jamais dérangé? 

Le prince héritier: Je n’ai jamais lu un de ses articles en entier. 

The Atlantic: Êtes-vous sûr que rien de tel ne se reproduira? C'est-à-dire… 

Le prince héritier: Je fais de mon mieux pour m’assurer que nous avons la gouvernance, le bon processus et la bonne procédure pour faire en sorte que des choses comme celles-ci ne se reproduisent pas. C’est mon engagement. Mais… 

The Atlantic: Si, par exemple, une autre escouade est trouvée, devons-nous nous inquiéter de votre contrôle sur… 

Le prince héritier: J’espère que non. Je fais donc de mon mieux pour cela. Vous savez, nous avons souffert. Je ne veux pas que cela se reproduise. C’était une énorme erreur et nous ne voulons pas qu’elle se reproduise. Nous voulons être sûrs que notre système est vraiment mature et que rien de tel ne puisse se reproduire. 

The Atlantic: J’ai rencontré Khashoggi une fois, quelques semaines avant son assassinat, et je lui ai demandé : «Que voulez-vous vraiment? Voulez-vous renverser la dynastie Al-Saoud?» Il m’a répondu: «Non, je pense que la dynastie Al-Saoud devrait diriger l’Arabie saoudite pour toujours.» J’ai réalisé, lorsqu’il a été tué, que si une personne favorable au maintien du pouvoir de la dynastie Al-Saoud est considérée comme un ennemi, il doit y avoir beaucoup d’autres personnes qui sont également considérées comme des ennemis. Une atmosphère de peur semble régner dans ce pays. 

Le prince héritier: Je ne suis pas d’accord. De toute façon, si nous procédions de cette manière, Khashoggi ne figurerait même pas parmi les mille premières personnes de la liste. Si nous supposons, pour les besoins de l'argumentation, que nous allions procéder à une telle opération, elle aurait été professionnelle et aurait porté sur une personne figurant en tête de liste. 

Alors pourquoi Khashoggi? C’était vraiment une énorme erreur, et nous ne croyons pas en ce genre d’opérations. Nous ne croyons à aucune opération hors la loi. Nous pensons que si quelqu’un a commis un crime, ou si quelqu’un est dangereux pour l'Arabie saoudite, a commis un crime en Arabie saoudite, ou est dangereux pour le reste du monde, nous prendrons des mesures fondées sur le droit saoudien, sur le droit international et sur le droit des autres pays. C’est la procédure que nous avons appliquée dans le passé, et nous allons continuer à l’appliquer à l’avenir. 

The Atlantic: L’assassinat de Khashoggi a nui, entre autres, aux relations avec les États-Unis. Que voulez-vous que Joe Biden sache sur vous qu’il ne sait peut-être pas? Parce que cet incident a… 

Le prince héritier: Simplement… 

The Atlantic: Oui? 

Le prince héritier: Ça m’est égal. 

The Atlantic: Que voulez-vous dire? 

Le prince héritier: C’est à lui de penser aux intérêts des États-Unis. 

The Atlantic: Quels sont les intérêts des États-Unis en Arabie saoudite?
Le prince héritier: Je ne suis pas américain, donc je ne sais pas si j'ai le droit de parler des intérêts américains ou non. Mais je pense que n'importe quel pays au monde a des fondements principaux: les intérêts économiques, et les intérêts politiques et sécuritaires. C'est donc le fondement principal de la politique étrangère de tout pays. Comment puis-je stimuler l’économie de mon pays? Comment puis-je maintenir la sécurité de mon pays? Comment puis-je renforcer les liens économiques et politiques, pour être sûr que mon pays soit en sécurité, pour être sûr que mon pays se développe et ait davantage accès aux investissements et au commerce, etc. Donc j’estime que l'intérêt des États-Unis est d’agir en ce sens.
L'Arabie saoudite est un pays du G20. Regardez notre position il y a cinq ans, nous étions à peu près le dernier pays. Aujourd'hui, nous sommes autour de la 17ème place parmi les nations du G20. Et nous visons à dépasser la 15ème place d'ici 2030.
Nous visions 5,9% de croissance du PIB en 2021 et nous estimons avoir atteint 5,6% de croissance cette année. Il s'agit certainement l'un des taux de croissance les plus élevés au monde. L'année prochaine, l'ensemble de l'économie va croître de près de 7%. L'Arabie saoudite n'est pas un petit pays, c'est un pays du G20 qui connaît une croissance rapide. Alors, où est le potentiel dans le monde aujourd'hui? Il se trouve en Arabie saoudite. Et si vous voulez passer à côté, je pense que d'autres personnes de l'Est seront très heureuses d'en profiter…
The Atlantic: De quelles personnes parlez-vous?
Le prince héritier: En même temps, vous essayez de les repousser. Donc je ne comprends pas ça.
The Atlantic: Que voulez-vous dire par «les repousser»?
Le prince héritier: Eh bien, prenez-le tel quel.
The Atlantic: Non, mais poursuivez sur ce sujet. Je veux dire, vos relations avec la Chine sont-elles meilleures que par le passé ?
Le prince héritier: Nous avons une longue relation historique avec les États-Unis. Pour nous, en Arabie saoudite, l’objectif est de la conserver et de la renforcer. Nous avons un intérêt politique, nous avons des intérêts économiques, nous avons un intérêt sécuritaire, nous avons des intérêts de défense, nous avons des intérêts commerciaux, nous avons de nombreux intérêts. C'est énorme. Et nous avons une énorme opportunité de stimuler tout cela. Il y a aussi une grande possibilité d’un recul dans de nombreux domaines. En tant qu’Arabie saoudite, nous voulons stimuler tous les domaines.
Vous n'avez pas le droit de vous mêler de nos affaires intérieures. Cela nous concerne à nous, les Saoudiens, et personne ne peut rien y faire. Si vous pensez que vos opinions sur les questions sociales sont les bonnes et qu'elles sont convaincantes, vous gagnerez sans avoir besoin de faire pression sur nous. Laissez-moi vous donner un exemple. Nous n’avons pas aboli l'esclavage il y a soixante ou soixante-dix ans parce que nous avions subi des pressions. Mais nous avons eu de bonnes influences de pays étrangers. Les Saoudiens ont étudié à l'étranger, et des entreprises américaines, des entreprises européennes, différentes entreprises, sont venues travailler en Arabie saoudite. Tout cela a eu une grande influence. Nous avons réalisé que c'était faux et que cela ne pouvait pas continuer. Nous avons changé au fil du temps et nous l’avons aboli.
La pression ne fonctionne pas. Tout au long de l'histoire, cela n'a jamais fonctionné avec nous. Si vous avez la bonne idée, la bonne façon de penser, continuez en ce sens. Les gens suivront si c'est une bonne chose. Si c'est une mauvaise chose, les gens suivront alors leur propre façon de penser. Et vous devez l'accepter. Ainsi, par exemple, en Arabie saoudite, nous respectons votre culture aux États-Unis, nous respectons votre façon de penser, nous respectons tout dans votre pays, car cela dépend de vous. Nous souhaitons être traités de la même manière. Nous ne sommes pas d'accord avec beaucoup de choses auxquelles vous croyez, mais nous les respectons.
Nous n'avons pas le droit de vous faire la morale aux États-Unis, que nous soyons d'accord ou non avec vous. Il en va de même dans l'autre sens. Cela dit, je ne pense pas que nous, en tant qu'Arabie saoudite, avons atteint les normes sociales que nous visons. Pourtant, nous nous dirigeons vers les domaines dans lesquels nous pensons que nous, Saoudiens, avons confiance, sur la base de notre culture, de nos croyances en Arabie saoudite.
The Atlantic: Retournons à la Chine si vous le voulez bien.
Le prince héritier: L'Arabie saoudite est l'un des pays à la croissance la plus rapide au monde. Nous avons deux des dix plus grands fonds mondiaux. Nous avons l'une des plus importantes réserves mondiales de liquidités. L'Arabie saoudite a la capacité de fournir 12% du pétrole mondial. Elle est située entre trois détroits principaux, Suez, Hormuz et Bab el-Mandeb; elle surplombe la mer Rouge et le golfe Arabique par lesquels transitent 27% du commerce mondial. Le total des investissements saoudiens aux États-Unis est de 800 milliards de dollars. En Chine, à ce jour, nous avons investi moins de 100 milliards de dollars. Mais il semble que les choses évoluent très vite là-bas. Les entreprises américaines ont une énorme concentration en Arabie saoudite. Nous avons plus de 300 000 Américains en Arabie saoudite, dont certains sont saoudo-américains, vivant en Arabie saoudite, et cela augmente chaque jour. L'intérêt est donc évident. C'est à vous de décider si vous voulez gagner ou perdre en Arabie saoudite.

The Atlantic:
Toutefois, si nous acceptons le fait que les États-Unis ne peuvent pas influencer l’Arabie saoudite dans les affaires intérieures –
Le prince héritier:
En fait, si vous tentez de faire pression sur nous concernant une idée à laquelle nous croyons déjà, vous ne faites que rendre sa mise en œuvre plus difficile.
The Atlantic:
Les États-Unis observent leurs alliés et jugent s’ils sont des alliés sûrs à long terme en se basant sur la similitude de leurs politiques avec l’idéologie ou les intérêts américains. Ainsi, si nous assistons à une croissance économique rapide qui n’est pas associée à une libéralisation politique, ou qui est associée à l’opposé de la libéralisation politique, nous allons remarquer que cela ressemble beaucoup plus à la Chine. Cela ressemble beaucoup plus à la Russie. Devrions-nous nous inquiéter ?
Le prince héritier:
Non, non. Par exemple, en Arabie saoudite, le développement social régresse-t-il ou progresse-t-il ? Il suffit de voir ce qui s’est passé il y a cinq ans, ce qui se passe aujourd’hui et ce qui va se passer l’année prochaine. Vous n’avez pas besoin d’un expert pour le constater. Il suffit de faire ses propres recherches sur Internet ou de faire un petit voyage en Arabie saoudite pour s'en rendre compte. Parlez aux habitants, à n'importe quel habitant parmi les trente-trois millions de personnes qui vivent en Arabie saoudite, dont environ vingt millions de Saoudiens, ils vous le diront. Il est donc indéniable que, socialement, nous allons dans la bonne direction. Quoi qu’il en soit, le résultat final ne ressemblera pas à 100% de votre norme sociale, mais plutôt à 70-80%. Là où nous sommes aujourd’hui, je dirais que nous sommes à 50% et qu’il reste 20 à 30% à faire. Nous n’atteindrons pas 100% parce que nous avons certaines croyances que nous respectons en Arabie saoudite. Ce n’est pas moi. C’est le peuple saoudien, et il est de mon devoir de respecter et de me battre pour les croyances saoudiennes et pour mes croyances en tant que citoyen saoudien parmi eux.
The Atlantic:
Vous semblez parfois surpris que les Américains ne reconnaissent pas davantage les mérites de l’Arabie Saoudite dans le domaine des droits des femmes.
Le prince héritier:
Nous ne faisons pas cela pour le mérite. Nous nous en moquons. Nous faisons ce que nous faisons pour nous en tant que Saoudiens. Vous savez, si vous examinez la situation de la bonne manière, je vous en remercie. Sinon, c'est votre problème.
The Atlantic:
La monarchie constitutionnelle pourrait-elle faire partie de l’avenir de l’Arabie saoudite ?
Le prince héritier:
Non, cela ne pourra pas fonctionner. Cela ne fonctionne pas. L’Arabie saoudite est fondée sur la monarchie pure et la structure monarchique complexe qui la sous-tend : la monarchie tribale, la monarchie urbaine, la famille royale saoudienne, que je représente, et le peuple saoudien, que je représente. Le roi est le chef de cette structure monarchique et il protège leurs intérêts. Ils sont treize à quatorze millions de Saoudiens, sur les vingt millions de Saoudiens, donc je ne peux pas organiser un coup d’État contre quatorze millions de citoyens.
The Atlantic:
Avez-vous déjà éprouvé de l'intérêt pour les idées véhiculées par la démocratie ou par la monarchie constitutionnelle ?
Le prince héritier:
Bien sûr. Nombre d'idées sont intéressantes. La démocratie est intéressante, la monarchie constitutionnelle l'est aussi. Mais tout dépend du lieu, de la manière de faire et du contexte. Aux Etats-Unis, le système démocratique est intéressant. Il a permis à ce pays d'obtenir le PIB le plus élevé au monde. Il tire cependant ses origines de la situation à l'époque, de l'éviction des Britanniques à l'unification des Etats. Vous concevez votre système politique, vos croyances en matière de questions économiques et sociales, selon ce qui vous correspond, puis vous évoluez. Si on observe certaines des normes sociales aux Etats-Unis en vigueur 100 ans plus tôt, certaines étaient ridicules ! Même de notre point de vue en Arabie saoudite, elles l'étaient, mais elles ont évolué.
Mais l'Arabie saoudite n'est pas non plus une monarchie absolue, dans le sens ou Sa Majesté le roi ne peut pas se réveiller un matin et faire ce qui lui chante. Il y a une bonne manière de diriger un pays, énoncée par la Constitution qui distribue clairement le pouvoir entre trois branches distinctes. L'exécutif, dirigé par Sa Majesté comme Premier ministre. Les deux autres branches ne sont pas dirigées par lui, mais c'est lui qui les choisit. Il y a des institutions, des processus et des procédures. A titre d'exemple, nous souhaitions permettre aux femmes de conduire dès 2015, mais nous n'avons pas pu le faire avant 2017. Cela vous montre que nous respectons les procédures, en suivant la Constitution, sous les yeux du peuple. Si nous dirigions le pays n'importe comment, l'économie s'effondrerait telle une tente mal montée, plus personne n'investirait en Arabie saoudite et les saoudiens eux-mêmes ne croiraient plus en nous. Nous ne pouvons pas gérer le pays n'importe comment. Ca, c'était la méthode de Kadhafi.

Le prince héritier:
Donc la famille royale saoudienne, existe depuis plus de 600 ans,  elle est même antérieure à  la deuxième Dir'iyya, en tant que famille régnante. Elle a fondé l'Arabie Saoudite il y a 300 ans, s'est effondrée pendant sept ans, [et est] revenue, s'est effondrée pendant 10 ans, puis est revenue... Nous avons ainsi appris beaucoup de leçons. Nous avons évolué, et le système a aussi évolué. Et chaque génération qui arrive, vient formée au sein d'un système fondé sur ces trois branches institutionnelles du pouvoir. L'arrivée d'un nouveau roi ou d'un nouveau prince héritier ne sape pas ces branches institutionnelles, c'est le pouvoir de l'Arabie saoudite. C'est ce qui fait que l'Arabie saoudite soit un pays du G20, doté de 12 % des réserves mondiales en pétrole, de la deuxième plus grande réserve de pétrole, de deux des plus grands fonds souverains au monde... C'est ce qui a permit à chaque génération qui arrive de bâtir sur ces fondations, d'y investir et de faire évoluer le pays vers un avenir meilleur, comme [l'ont fait] les Américains au cours des 300 dernières années.
The Atlantic:
J'ai entendu des Saoudiens dire qu'à chaque génération, il y a de plus en plus de membres de la famille royale, peut-être trop, et que certains devraient perdre ce titre. Pensez-vous que c'est une possibilité ?
Le prince héritier:
Allez leur parler.
The Atlantic:
Je sais ce qu'ils diront.
Le prince héritier:

En Arabie saoudite, nous n'avons pas de sang noble. Notre manière de gouverner à nous famille royale, c'est de servir le peuple. Nous faisons partie de celui-ci. Ma mère n'est pas issue d'une famille royale par exemple. Elle vient de la tribu d'Ajman, de Yam, qui représente près d'un million de personnes en Arabie saoudite. Et si vous regardez la famille royale, nous avons des mariages avec des familles qui ne le sont pas, et nous en faisons partie. Nous vivons et sommes élevés ici, et nous faisons partie de la péninsule arabique. Nous régnons sur des cités depuis des temps immémoriaux, depuis l'ère des Banu Hanifa, avant même l'Islam. Nous avons établi la première Dir'iyya, on ne sait pas quand, puis la seconde il y a 600 ans et nous avons fondé l'Arabie saoudite il y a 300 ans. Nous faisons donc partie du peuple. Ainsi, aucun membre de la famille royale n'a un droit spécial qu'il peut exercer contre le peuple. S'il franchit la ligne rouge, il sera puni comme n'importe qui en Arabie saoudite. Si vous commettez un crime, vous serez puni et confronté à la loi en tant que citoyen saoudien. Vous êtes de la famille royale. C'est un titre que vous devez respecter. Voila tout.

The Atlantic:

Parlons donc de l'incident du Ritz-Carlton. La controverse est en partie venue du fait que vous ayez utilisé un hôtel de luxe comme prison. Graeme (Wood, journaliste à The Atlantic) m'a dit quelque chose d'intéressant : « ils auraient pu utiliser une prison, mais ils ont utilisé un hôtel de luxe ».

Le prince héritier:
Oui. Parce qu'il ne s'agissait pas d'arrêter des gens, ce qui s'est passé au Ritz-Carlton consistait à leur donner deux options. La première était de les traiter en suivant la loi à la lettre. Le ministère public est allé dresser la liste des accusations. La seconde option donnée à ces personnes était de choisir la voie de la négociation. C'est l'option pour laquelle près de 95 % d'entre eux ont opté. Donc à partir de là ce ne sont pas des criminels, on ne peut pas les mettre en prison. Ils ont accepté de rester au Ritz-Carlton pour négocier et clore les négociations. Je crois que près de 90 % de celles-ci ont été clôturées. Les autres, ceux qui ont refusé de négocier, se sont tournés vers le ministère public sur la base de la loi saoudienne. Un bon pourcentage s'est avéré être des innocents, que ce soit par la négociation ou devant les tribunaux.

The Atlantic:
Le rôle de l'épisode du Ritz Carlton n'était donc pas d'éliminer les rivaux ?
Le prince héritier:
Tout d'abord, les rivaux n'existent pas donc il n'y a pas besoin de les éliminer en les mettant au Ritz Carlton. Comment pouvez-vous éliminer les personnes qui n'ont aucun pouvoir à la base.
Il s'agit simplement d'essayer de mettre fin à un énorme problème en Arabie saoudite : que pour chaque budget, un très gros pourcentage va à des personnes corrompues. Nous ne pouvons pas avoir une croissance du PIB non pétrolier de 5,6 %, nous ne pouvons pas avoir une augmentation de 50 % des investissements étrangers en Arabie saoudite en 2021 si la corruption continue. Je ne peux pas avoir des ministres et un personnel qualifiés, se battant jour et nuit, travaillant 24 heures sur 24, s'ils ne croient pas que la voie qu’ils empruntent est une voie légitime et légale. Cela ne pourra pas se produire s'il y a de la corruption en Arabie saoudite.
The Atlantic:
Comment vous est-il venu à l'esprit de faire cela ?
Le prince héritier:
Ce n'est pas de moi. « Débarrassez-vous de la corruption » a demandé le roi Salmane, début 2015. Le gouvernement a alors commencé à rassembler et à préparer les dossiers de 2015 à 2017, à discuter de la meilleure marche à suivre. Et puis la décision a été prise par Sa Majesté.
The Atlantic:
Pensez-vous que cela a aidé?
Le prince héritier:
Certainement, c'était d'abord un signal fort. Et puis certaines personnes pensaient que l'Arabie saoudite essayait juste d'attraper les gros poissons, les bons poissons corrompus. Mais je crois qu'entre 2019 et 2020, ils ont compris que voler ne serait-ce que 100 $ serait puni. Et beaucoup de gens ont fait cette erreur.
The Atlantic:
Parlons maintenant un peu du Qatar. Votre position actuelle est très différente de ce qu'elle était il y a quelques mois.
Le prince héritier:
C'est comme une querelle de famille.
The Atlantic:
Une dispute familiale. Est-elle terminée ?
Le prince héritier:
Absolument. c'était une bagarre entre frères. Vous savez, ils vont sans aucun doute passer à autre chose. Et nous allons certainement être meilleurs amis. Les pays du CCG ont les mêmes systèmes politiques. On peut dire que nous avons la même opinion politique 90 % du temps. Nos menaces sécuritaires sont les mêmes, nos défis et nos opportunités économiques sont similaires. Nous avons la même société et le même tissu social.
Nous formons donc pratiquement une seule nation, nous tous en tant que pays du CCG, c'est ce qui nous a poussés à créer cette union et c'est ce qui nous pousse à travailler ensemble. Parce que travailler ensemble va assurer notre sécurité, va assurer la réussite de notre plan économique et va montrer que notre agenda politique peut aussi réussir. Certes, il y a quelques différends. Notre rôle est de renforcer les intérêts communs et d'aplanir ces différends. C'est ce qui s'est passé à travers toute l'histoire de ces deux pays.
The Atlantic:
Certains citoyens saoudiens craignaient qu'il s'agissait d'une simili-guerre froide. Ils avaient peur des conséquences pour eux et pour leurs familles si on les entendait dire du bien du Qatar. Quel est selon vous leur sentiment depuis que les relations se sont apaisées ? Cela a été il me semble un revirement important.
Le prince héritier:
Je ne veux pas parler de choses négatives. Tout cela c'est du passé. Aujourd'hui, nous avons des relations extraordinaires et inimaginables jusqu'ici avec le Qatar. Le Cheikh Tamim est une personne fabuleuse et un leader formidable. Il en va de même pour les autres dirigeants du CCG. Notre objectif et ce sur quoi nous nous concentrons sont de savoir comment construire un grand avenir. Nous sommes très, très proches. Plus que jamais auparavant dans notre histoire.
The Atlantic:
L'autre grande question, évidemment, est de savoir si vous pensez avoir une relation plus positive avec l'Iran. Ce n'est pas un querelle de famille cette fois-ci. Le pays ne fait pas partie du CCG.
Le prince héritier:
Ils sont voisins. Voisins pour toujours. Nous ne pouvons pas nous débarrasser d'eux, et ils ne peuvent pas se débarrasser de nous. C'est donc mieux pour nous deux de trouver une solution et de chercher des moyens de coexister. Nous avons eu quatre rounds de négociation. Nous avons entendu des déclarations de dirigeants iraniens que nous saluons en Arabie saoudite. Et nous allons continuer à travailler les détails de la négociation. J'espère que nous pourrons atteindre une bonne position qui permettra de créer un avenir meilleur pour les deux pays.
The Atlantic
Préférez-vous avoir un accord nucléaire plutôt que pas d'accord nucléaire ?
Le prince héritier :
Je crois que n'importe quel pays dans le monde qui possède une bombe nucléaire est dangereux, que ce soit l'Iran ou n'importe quel autre nation. Nous ne voulons donc pas voir cela. Nous ne voulons pas non plus d'un accord nucléaire médiocre, car cela aboutirait à la même conclusion.

The Atlantic:

Le Premier ministre d'Israël vient d'effectuer une visite officielle à Abu Dhabi. Pensez-vous que l'Arabie saoudite pourrait suivre la voie de certaines de ces autres nations arabes et avoir une relation ouverte, des relations diplomatiques avec Israël ?

Le prince héritier:

L'accord entre les pays du CCG stipule qu'aucun pays du groupe ne puisse prendre des mesures politiques, sécuritaires ou économiques qui nuiraient aux autres nations du CCG. Et tous les pays du groupe s'y sont engagés. Indépendamment de cela, chaque pays est libre de faire ce qu'il veut, en fonction de ses opinions, et il a entièrement le droit de faire tout ce qu'il pense être utile aux EAU. De notre côté, nous espérons que le conflit entre Israéliens et Palestiniens sera résolu. Nous ne considérons pas Israël comme un ennemi, nous le considérons comme un allié potentiel, avec de nombreux intérêts que nous pourrions poursuivre ensemble. Mais nous devons résoudre certains problèmes avant d'en arriver là.


The Atlantic:

Ce que les gens disent de vous, c'est que vous êtes très sensible à la critique. C’est en grande partie à cause du meurtre de Khashoggi, mais pas seulement. Je sais que vous vous fichez de ce que Joe Biden pense de vous. Mais vous êtes le prince héritier d'une monarchie absolue, vous avez beaucoup de pouvoir. Les gens pourraient penser que quelqu'un dans votre position pourrait gérer les critiques. Pensez-vous être doué pour cela ?

Le prince héritier:

Merci beaucoup pour cette question. Si je ne pouvais pas supporter les critiques, je ne serais pas assis avec vous aujourd'hui à l'écouter. De même que la question précédente et la suivante que vous poserez.

The Atlantic:

Je serais envoyé au Ritz Carlton ?

Le prince héritier:

Eh bien, au moins c'est un hôtel cinq étoiles.
Ce que je dirai ici, c'est que je ne sais pas d'où vient cette rumeur. Si vous pouviez me donner un exemple d'une réaction que j'aurais eue, je pourrais vous répondre. Je pense que les médias saoudiens doivent critiquer le travail du gouvernement, ses plans, peu importe, parce que c'est sain.


The Atlantic:

Ne le font-ils pas déjà assez ?

Le prince héritier:

Non, ils le font de la bonne manière. Ils débattent, ils diffusent des idées, ils évoquent chaque plan, ils discutent de chaque stratégie, ils décortiquent les politiques de chaque ministère et c'est sain. Nous en avons besoin, la diversité d'opinions est nécessaire. C'est également sain pour moi en tant que prince héritier d'Arabie saoudite. Même les médias du monde, occidentaux et orientaux, écrivent sur l'Arabie saoudite. Si c'est une écriture objective, sans aucun agenda idéologique, c'est très utile.

C’est sain. Nous avons été informés de quelques erreurs grâce à ce type d'écrits, ce type de reportages. Nous avons aussi reçu de bonnes idées. C'est donc sain. Nous en avons besoin.

The Atlantic:

Vous avez l'impression de recevoir des conseils très honnêtes et directs de la part de vos conseillers. Pas seulement de la part de votre frère. Avez-vous l'impression d'être entouré de personnes qui vous disent la vérité et qui sont franches..

Le prince héritier:

Certainement, un béni-oui-oui dans mon entourage n'y reste pas longtemps.

The Atlantic:

Aimez-vous le débat ?

Le prince héritier:

J'apprécie vraiment le débat. J'aime aussi aller travailler. Je crois que chaque ministre du cabinet, que les conseillers de la Cour royale sont des personnes très capables. J'ai beaucoup de chance de les avoir, de les avoir fait venir à mes côtés ces dernières années. Ces personnes ont des intellects impressionnants, des réflexions remarquables. Elles ont la passion de ce en quoi elles croient, quel que soit le secteur. Elles poussent très fort pour faire bouger les choses. Elles en débattent avec force. Et puis en fin de compte vous savez, les mesures que nous prenons se font dans le cadre des lois saoudiennes, elles contribueront à l'intérêt national.

Les actions de l'exécutif saoudien sont à titre d'exemple décidées par un vote au sein du Conseil des ministres. Ce n'est pas le roi ou le prince héritier qui dit que  « nous devons faire cela ». Selon les procédures, Sa Majesté et moi ne pouvons pas voter en premier. Nous devons être les deux dernières personnes à voter afin de ne pas influencer les pensées ou les votes des ministres. Nombre d'entre eux votent contre ma volonté. Ils sont là et font encore beaucoup de belles choses. Et c'est ce dont vous avez besoin dans n'importe quelle institution, entreprise ou pays, comme vous le savez.

The Atlantic:
Auriez-vous le pouvoir d'accorder une grâce ou une réduction de peine ? Tout comme l'État du Koweït l'a récemment fait pour les prisonniers politiques.
Le prince héritier :
Oui.
The Atlantic:
C'est quelque chose qui relève de vos capacités. Envisageriez-vous de le faire ?
Le prince héritier:
Eh bien, ce n'est pas mon pouvoir. C'est au pouvoir de Sa Majesté. Il en va de même, par exemple, pour le président des États-Unis. Il a le pouvoir d'accorder des grâces politiques.
Pour nous, vous avez, disons, l'extrême gauche et l'extrême droite. Donc, si vous accordez le pardon à un côté, alors vous devez accorder le pardon à de très mauvaises personnes, ce qui ferait régresser l'Arabie saoudite.
The Atlantic:
C'est donc une chose dangereuse à faire à ce stade ?
Le prince héritier:
Le roi veut renvoyer cela à la justice. Si nous avons des problèmes, ils seront réglés en améliorant la qualité du système judiciaire.
The Atlantic:
Quand j'ai demandé aux Saoudiens qui sont les personnages historiques auxquels le prince héritier devrait être comparé, ils m'ont parlé d'Abdelaziz. Mais ils ont également mentionné le roi Faisal, car celui-ci régnait également à une époque où le royaume était en grand danger, de la part des communistes, des nassériens, etc. Mais ils prétendent que le roi Faisal n'a jamais été aussi sévère dans certaines de ses sanctions contre les dissidents que vous l'avez été.
Pensez-vous donc que vous gouvernez à une époque plus dangereuse encore que celle de Faisal ?
Le prince héritier:
Eh bien, encore une fois, les peines n'ont pas été infligées par moi. Elles l'ont été par le système judiciaire de l'Arabie saoudite basé sur la loi saoudienne. Vous savez, je ne défends pas cette loi, je ne vous dis pas que c'est la meilleure au monde. Il y a un long chemin à parcourir, pour le changer par le Conseil des ministres, le pouvoir exécutif, par le Conseil de la Choura en Arabie saoudite. Nous avons beaucoup évolué et il y a un long chemin à parcourir pour le reste jusqu'à ce que nous atteignons un niveau élevé à l'échelle mondiale. Mais encore une fois, ce n'est pas moi qui l'ai décidé. Au final, les sanctions sont prises par la justice. Des issues différentes peuvent aboutir en fonction du moment. Les peines sont prononcées sur la base des opinions du juge et à partir de la loi saoudienne.
The Atlantic:
Je pourrais peut-être poser la question différemment. C'est clairement une période de grande espérance pour l'Arabie saoudite. Est-ce aussi une période de grand danger ?
Le prince héritier:
De quel danger ?
The Atlantic:
Le danger de troubles politiques, celui que représente la discontinuité du pouvoir ? Beaucoup de vos conseillers nous ont dit que si le prince héritier échouait, nous pourrions voir émerger un émirat islamique d'Arabie, et ainsi assister à un véritable désastre.
Le prince héritier :
Oui. Donc définitivement, le devoir de Sa Majesté, et mon devoir, est de s'assurer qu'il ne s'agisse pas que de lui ou de moi. Oui, nous avons apporté de grands changements en Arabie saoudite. Nous apprenons des erreurs de chaque génération, et nous faisons très attention, car nous voulons être sûrs qu'elles ne se reproduisent plus. Quoi qu'il arrive, quels que soient les projets en Arabie saoudite, cela devrait être continu. Et la succession doit être pacifique et continue. Si vous observez les 100 dernières années, cela a été paisible. Quand un roi meurt, le prince héritier devient le roi, et un nouveau prince héritier émerge. Espérons une longue vie pour Sa Majesté.
The Atlantic:
Donc, est-ce que les gens qui m'ont parlé ont exagéré en disant qu'un échec de la Vision 2030 conduirait à un désastre géopolitique en Arabie saoudite ?
Le prince héritier:
Je ne peux pas prédire ce qui arriverait dans ce cas. Espérons que nous n'y penserons pas trop ou que nous n’arriverons pas à une telle situation. Nous reflechissons simplement à la juste façon de procéder, de progresser et de faire avancer les choses.

L’Atlantique: J'ai remarqué qu'il y avait un changement dans les règles d'allégeance dans le Hayat al-Bay'a, qui dit que, après la gouvernance des fils d'Abdelaziz, le prince héritier ne pourra pas provenir de la même lignée que le roi.

Le prince héritier: C'est exact. Je ne peux donc pas choisir Khaled comme prince héritier, par exemple.

L’Atlantique: D'accord. Ni vos enfants…

Le prince héritier: Je dois choisir parmi une lignée différente en fonction de la loi sur le conseil d'allégeance.

L’Atlantique:  Et comment prendrez-vous cette décision, le moment venu?

Le prince héritier: Vous serez la dernière personne à le savoir. C'est l'un des sujets interdits dont nous seuls, en tant que membres de la royauté, Sa Majesté et moi, ainsi que les trente-quatre membres du Hayat al-Bay'a, parlerons. Ils donneront leur vie avant de parler de ces questions.

L’Atlantique: Pensez-vous qu'il y avait un moyen d’entreprendre l'une de ces réformes sans aucune des mesures extrêmes que vous avez prises, notamment avec le Ritz-Carlton, qui a donné l’impression que les gens ne pouvaient pas s'exprimer publiquement? Cela aurait-il pu se passer de manière plus ouverte et libérale?

Le prince héritier: Je ne veux plus plaider ma cause une nouvelle fois. Mais je crois que ce que nous avons fait en Arabie saoudite, c'était la seule façon d'y arriver. Vous savez, parfois vous êtes amené à vous imposer dans des domaines où vous devez prendre des décisions qui ont des conséquences, et c'est parfois une décision entre le mal et le pire. Et vous devez prendre ces décisions pour le bien de la nation.

L’Atlantique: Lors de notre précédente conversation, vous nous avez un peu parlé de la façon dont vous gardez le doigt sur le pouls de la nation et vous avez mentionné votre goût pour les médias sociaux. Combien de temps passez-vous sur Twitter, Snapchat, etc. ?

Le prince héritier: Vous savez, le week-end, je n'essaie pas de me lancer. J'avais l'habitude, de 2009 à début 2018, de prendre à peine un week-end de congé. Si je prenais un week-end en deux mois, cela voulait dire que j'avais de la chance. J'ai pris beaucoup de poids. C'était dur. Mais, depuis 2018, j'ai commencé à me reposer le week-end… Quand tout a été établi, de bonnes personnes, de bons gouvernements, etc. Les plans étaient construits et nous n'avions qu'un travail quotidien normal à faire. Alors, les week-ends, les vacances, j'essayais de me reposer. Sinon, je risquais de m'effondrer. Les jours ouvrables, je travaille toute la journée. Je passe dix minutes, au maximum vingt minutes, sur les réseaux sociaux chaque jour.

L’Atlantique: Mais vous regardez Twitter?

Le prince héritier: Je regarde tout cela, Twitter, Instagram, ceux que vous nommez, tout. Donc, je veux simplement être sûr que mon équipe de média sait que j’effectue des recherches. Je lis Apple News. C'est incroyable de réunir tous ces journaux sur une seule application. J'apprécie. Cela fait partie de ce que je lis. Quelques journaux en Arabie saoudite, des journaux internationaux. Sur les réseaux sociaux, je passe environ vingt minutes, et sur les autres médias, à peu près une demi-heure. Surtout quand je déjeune avec ma famille. La télévision est allumée, l'iPad est allumé, le petit déjeuner est servi. Je fais plusieurs choses en même temps avec la famille. Lire les nouvelles, regarder…

L’Atlantique:  Que regardez-vous?

Le prince héritier:  Eh bien, vous savez, quand je regarde des films ou des séries, j'essaie de ne pas rester dans mon univers. Par exemple, House of Cards n'est pas une série pour moi.

L’Atlantique: C'est comme aller au travail?

Le prince héritier: C'est comme, vous savez, comme si vous commenciez à penser au travail. Donc pour moi, c'est comme si Foundation était une bonne série à regarder. Foundation est une nouvelle série. Elle est incroyable et fabuleuse. Game of Thrones, par exemple, est génial.

 

The Atlantic: Game of Thrones, c'est aussi un peu le travail.

Le prince héritier: C'est davantage du fantastique, de la science-fiction.

The Atlantic: Avez-vous un personnage préféré de Game of Thrones?

Le prince héritier: Ah, non. Il y a beaucoup de personnages intéressants. Des personnages très intéressants. Et c'est ce qui fait une très bonne histoire, une histoire intéressante, un argument intéressant, des personnages intéressants. C'est incroyable. Mais ce que j'aimerais voir, c'est quelque chose qui n’a rien à voir avec ce monde. De l’imaginaire, de la science-fiction, un super-héros, de l’animation, peu importe. Mais quelque chose. Marvel, ou de l'animation japonaise, ou autre chose encore. C'est comme si je voulais sortir. Je fais cela une demi-heure par jour avant de dormir. Le week-end, j'aime faire du sport. En réalité, je fais un jour de cardio pendant environ une heure et demie. Je n'aime pas le faire à la salle de gym. C'est horrible. Alors j'ai essayé de le faire en jouant à un jeu. Le basket, c’est mon truc. Je joue au basket pour une seule raison: au foot, vous pouvez vous blesser. Et si vous vous blessez, vous arrêtez de faire du sport pendant trois ou quatre mois. Le basket est sans danger, on peut bouger beaucoup, pendant un bon moment, tout en jouant à un jeu et en s'amusant, c'est vraiment bien.

The Atlantic: Qu’écoutez-vous?

Le prince héritier: Eh bien, je n'aime pas la nouvelle musique arabe. Quelques morceaux sont bons, mais, la plupart du temps, l'ancienne musique est meilleure. J'aime aussi écouter la musique nationale de différents pays.

The Atlantic: Nous avons remarqué que vous faites appel à des loisirs occidentaux d'une manière qui, il y a quinze ans, aurait été impensable.

Le prince héritier: Eh bien, cela fait partie de la qualité de vie, vous savez. Lorsque nous essayons de convaincre les talents de venir en Arabie saoudite, lorsque nous essayons de garder les talents, les talents saoudiens, en Arabie saoudite, lorsque nous avons essayé de garder les investisseurs saoudiens en Arabie saoudite, lorsque nous tentons de convaincre les investisseurs étrangers, lorsque nous essayons d'atteindre 100 millions de touristes en 2030 – ce qui nous a fait bondir de 6 millions de touristes en 2016 à près de 17,5 millions en 2019 –, vous devez leur fournir l’ensemble des logiciels et du matériel. Les logiciels, ce sont les événements, qu'ils soient sportifs, culturels, musicaux ou autres. Et le matériel, ce sont les projets tels que les hôtels, les parcs à thème, etc. Il faut donc proposer la crème de la crème pour être sûr d'atteindre l'objectif touristique, sportif et culturel. Il faut que tout cela soit présent pour aider à atteindre 10 à 15% du PIB saoudien en 2030.

The Atlantic: Les chefs religieux s'opposent-ils parfois à la musique?

Le prince héritier: Oui, ils le font. Ils argumentent et nous répondons. Donc, encore une fois, nous revenons aux enseignements de l'islam. La musique est une question discutable dans l'islam. Ce n'est pas quelque chose qui fait l'objet d'un consensus entre les musulmans, et ils le savent. S'il y a une chose sur laquelle nous sommes d’accord entre musulmans, c’est qu’il y a une règle parmi les enseignements du Prophète qui dit que les nécessités peuvent lever certaines des restrictions.

L'Atlantique: Les nécessités excluent les restrictions?

Le prince héritier: Oui. Ainsi, si je dois faire baisser le taux d'emploi et que le tourisme peut créer un million d'emplois en Arabie saoudite, cela signifie que si je peux empêcher 30 milliards de dollars (1 dollar = 0,91 euro) de quitter l'Arabie saoudite et faire en sorte que la plupart de ces fonds restent dans le Royaume et que les Saoudiens ne voyagent pas autant qu'ils le font, par conséquent je dois le faire. Ils le feront de toute façon à l’extérieur de l'Arabie saoudite. Alors disons une troisième chose: choisissez un péché moins grave plutôt qu'un grave.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com


Le Hezbollah dit recourir à de nouvelles armes dans ses attaques contre Israël

Des roquettes tirées depuis le sud du Liban sont interceptées par le système de défense aérienne israélien Iron Dome au-dessus du plateau du Golan annexé par Israël, le 17 mai 2024, alors que des affrontements transfrontaliers se poursuivent entre les troupes israéliennes et les combattants du Hezbollah. (Photo Jalaa Marey AFP)
Des roquettes tirées depuis le sud du Liban sont interceptées par le système de défense aérienne israélien Iron Dome au-dessus du plateau du Golan annexé par Israël, le 17 mai 2024, alors que des affrontements transfrontaliers se poursuivent entre les troupes israéliennes et les combattants du Hezbollah. (Photo Jalaa Marey AFP)
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  • Le Hezbollah, selon l'analyste militaire Khalil Helou, est capable d'envoyer «des drones qu'il peut contrôler facilement et qui volent lentement à basse altitude sans être détectés par les radars»
  • Jeudi, le Hezbollah a annoncé avoir mené une attaque à l'aide d'un drone équipé de deux missiles «S5», généralement tirés depuis des avions, contre un site militaire à Metoulla dans le nord d'Israël

BEYROUTH, Liban : Le puissant Hezbollah libanais a eu recours ces dernières semaines à de nouvelles armes dans son conflit avec Israël, dont un drone capable de lancer des missiles avant d'exploser en attaquant ses cibles.

Depuis le début de la guerre à Gaza entre Israël et le Hamas le 7 octobre, le Hezbollah armé et financé par l'Iran affirme attaquer des objectifs militaires principalement dans le nord d'Israël à partir du sud du Liban, où il est fortement implanté, pour soutenir le mouvement islamiste palestinien.

- Drones et missiles -

Jeudi, le Hezbollah a annoncé avoir mené une attaque à l'aide d'un drone équipé de deux missiles «S5», généralement tirés depuis des avions, contre un site militaire à Metoulla dans le nord d'Israël.

Il a publié une vidéo montrant le drone volant vers un site où se trouvent des chars, avant de lancer deux missiles puis d'exploser contre sa cible.

C'est la première fois que le mouvement annonce l'utilisation d'une telle arme depuis le début des échanges de tirs transfrontaliers.

L'armée israélienne a déclaré que trois soldats avaient été blessés dans l’explosion d'un drone à Metoulla.

Selon le Hezbollah, la charge explosive du drone pèse entre 25 et 30 kilos.

L'importance de cette arme, explique à l'AFP l'analyste militaire Khalil Helou, un général de brigade à la retraite, réside dans sa capacité à lancer l'attaque depuis l'intérieur du territoire israélien.

Le Hezbollah, selon lui, est capable d'envoyer «des drones qu'il peut contrôler facilement et qui volent lentement à basse altitude sans être détectés par les radars».

- Missiles iraniens -

Mercredi, le mouvement libanais a annoncé avoir lancé des «drones d'attaque» contre une base militaire proche de Tibériade dans le nord d'Israël, à environ 30 kilomètres de la frontière avec le Liban.

C'est la première fois selon des experts qu'il cible un objectif en profondeur du territoire israélien.

Ces dernières semaines, le Hezbollah a aussi annoncé avoir utilisé simultanément dans une seule attaque contre des sites ou des convois militaires israéliens, des drones explosifs et des missiles guidés.

Il a aussi eu recours à des «missiles guidés» et à des missiles iraniens de type Burkan, Almas et Jihad Moughniyé, du nom d'un commandant du Hezbollah tué par Israël en 2015 en Syrie.

Mais, dit M. Helou, le Hezbollah continue d'utiliser en premier lieu dans ses attaques, des missiles antichars Kornet, qui ont une portée entre 5 et 8 kilomètres.

Le missile antichars russe Konkurs fait également partie de son arsenal et peut échapper au système de défense antimissiles israélien Dôme de fer.

- «Guerre d'usure» -

Le Hezbollah, qui possède un énorme arsenal, a maintes fois annoncé disposer de plusieurs armes et missiles avancés capables d'atteindre Israël en profondeur.

Le 5 avril, son secrétaire général Hassan Nasrallah avait affirmé que le mouvement n'avait «pas encore employé ses principales armes» dans la bataille.

Depuis octobre 2023, le Hezbollah et Israël testent leurs méthodes d'attaque et leurs tactiques militaires, estiment des analystes.

Mais selon M. Helou, le mouvement libanais «ne veut pas élargir le cercle de la guerre. Il s'agit d'une guerre d'usure» dans laquelle il tente de pousser l'armée israélienne à mobiliser davantage de soldats à sa frontière nord et de la dissuader de «lancer une attaque d'envergure au Liban».

 


Israël: tiraillements au sommet de l'Etat sur fond de «bataille décisive» à Rafah

Cette photo diffusée par l'armée israélienne le 7 mai 2024 montre le ministre israélien de la Défense Yoav Gallant avec des soldats près d'un obusier d'artillerie automoteur lors d'une visite à une position le long de la frontière avec la bande de Gaza près de Rafah. (Photo de l'armée israélienne / AFP)
Cette photo diffusée par l'armée israélienne le 7 mai 2024 montre le ministre israélien de la Défense Yoav Gallant avec des soldats près d'un obusier d'artillerie automoteur lors d'une visite à une position le long de la frontière avec la bande de Gaza près de Rafah. (Photo de l'armée israélienne / AFP)
Short Url
  • La bataille de Rafah à peine lancée, le ministre de la Défense Yoav Gallant a le 15 mai pressé Benjamin Netanyahu de préparer l'après-Hamas, soulignant que «la fin de la campagne militaire doit s'accompagner d'une action politique»
  • Faute de trouver un remplaçant au Hamas qu'Israël considère comme terroriste, celui-ci ne pourra être vaincu, avertissent les experts

JÉRUSALEM : Des dissensions sont apparues au sommet de l'Etat israélien autour du scénario de l'après-guerre dans la bande de Gaza, au moment où le gouvernement affirme y mener la «bataille décisive» pour anéantir le mouvement palestinien Hamas.

En entrant dans le 8e mois de guerre, l'armée israélienne a lancé le 7 mai des opérations au sol à Rafah, localité adossée à la frontière égyptienne à la lisière sud de la bande de Gaza, où se cachent, selon elle, les derniers bataillons du Hamas.

Mais, la bataille à peine lancée, le ministre de la Défense Yoav Gallant a le 15 mai pressé Benjamin Netanyahu de préparer l'après-Hamas, soulignant que «la fin de la campagne militaire doit s'accompagner d'une action politique», s'opposant publiquement au Premier ministre qui peu avant avait écarté «toute discussion sur l'avenir de la bande de Gaza» avant que «le Hamas soit anéanti».

«Une alternative gouvernementale au Hamas va être préparée immédiatement», a martelé M. Gallant, indiquant clairement qu'il s'opposerait à ce que la bande de Gaza soit placée sous administration civile ou militaire israélienne et sommant M. Netanyahu de déclarer que ce ne sera pas le cas.

Ces propos ont suscité la colère de ministres du gouvernement, parmi lesquels les ministres des Finances Bezalel Smotrich et de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir, chefs de deux petits partis d'extrême-droite, acteurs-clé de la coalition gouvernementale, qui ont appelé au départ de Gallant.

- «Prix à payer» -

«Avec les critiques de Gallant (...) des réelles fissures sont apparues au sein du cabinet de guerre israélien», estime sur X Colin P. Clarke, directeur de recherche au centre de réflexion Soufan Group.

Et, avertissent les experts, faute de trouver un remplaçant au Hamas qu'Israël considère comme terroriste, celui-ci ne pourra être vaincu.

«Sans alternative pour remplir le vide, le Hamas continuera de prospérer», indique à l'AFP Mairav Zonszein, analyste de l'International Crisis Group (ICG).

«Si le Hamas est laissé seul dans Gaza, bien sûr, il apparaîtra ici et là et l'armée israélienne sera contrainte de courir partout», abonde Emmanuel Navon, professeur à l'université de Tel-Aviv.

Les Etats-Unis, principal soutien militaire d'Israël, pressent aussi M. Netanyahu d'éviter d'être englué, après le conflit, dans une interminable campagne de contre-insurrection. Washington a estimé fin mars qu'une «Autorité palestinienne redynamisée» pouvait jouer un rôle pour «créer les conditions d'une stabilité à la fois en Cisjordanie et dans Gaza», territoires palestiniens toujours considérés comme occupés au regard du droit international.

Une idée balayée par M. Netanyahu, pour qui l'Autorité palestinienne (AP), chassée de Gaza en 2007 par le Hamas et qu'il accuse de «soutenir» et «financer le terrorisme», n'est «certainement pas» une option pour diriger la bande de Gaza.

Pour Yoav Gallant, «le +jour d'après le Hamas+ n'existera qu'avec des entités palestiniennes prenant le contrôle de Gaza, accompagnées par des acteurs internationaux».

«C'est, par dessus tout, dans l'intérêt de l'Etat d'Israël» car «l'administration militaire de Gaza deviendrait le principal effort militaire et sécuritaire» d'Israël ces prochaines années et «le prix à payer serait un bain de sang (...) ainsi qu'un lourd coût économique», a-t-il estimé.

- Combats «acharnés» -

La guerre a été déclenchée par l'attaque sanglante menée par le Hamas dans le sud d'Israël, qui a entraîné la mort, côté israélien, de plus de 1.170 personnes, selon un bilan de l'AFP établi à partir de données officielles israéliennes.

En riposte, Israël a lancé une offensive tous azimuts sur la bande de Gaza, qui a déjà fait plus de 35.000 morts, selon des données du ministère de la Santé du gouvernement de Gaza dirigé par le Hamas.

Et alors qu'Israël dit avoir entamé la «bataille décisive» de Rafah, les soldats israéliens affrontent à nouveau depuis le 12 mai des combattants du Hamas dans le nord du territoire.

L'armée avait pourtant proclamé en janvier avoir «achevé le démantèlement de la structure militaire» du Hamas dans le nord. Elle admet désormais mener, à Jabaliya, ses combats «peut-être les plus acharnées» dans cette zone depuis le début de son offensive terrestre le 27 octobre.

Un signe que «l'anéantissement» du Hamas, un des objectifs de la guerre, n'est peut-être pas si proche. Quant aux espoirs caressés d'une trêve négociée au Caire avec le Hamas, ils se sont évanouis avec le début des opérations dans Rafah.

L'accord de trêve «est dans une impasse totale» et «Israël fait semblant qu'il y a des progrès», explique Mme Zonszein. Les tiraillements au sommet de l'Etat, «plus les désaccords avec les Etats-Unis et le refus de l'Egypte de laisser passer de l'aide» depuis l'offensive israélienne à Rafah, «tout cela commence à faire beaucoup», ajoute-t-elle.

 


Des enfants parmi les victimes alors que les forces israéliennes intensifient leurs attaques contre le Hezbollah

Des soldats de l'armée libanaise et des badauds se rassemblent autour de la carcasse d'une voiture touchée par une frappe israélienne, qui aurait tué un responsable local du Hamas, à Majd al-Jabal dans la vallée de la Bekaa au Liban, le 17 mai 2024. (AFP)
Des soldats de l'armée libanaise et des badauds se rassemblent autour de la carcasse d'une voiture touchée par une frappe israélienne, qui aurait tué un responsable local du Hamas, à Majd al-Jabal dans la vallée de la Bekaa au Liban, le 17 mai 2024. (AFP)
Des volutes de fumée s'élèvent lors du bombardement israélien du village libanais d'Al-Najjariyeh, dans le sud du Liban, près de la frontière avec Israël. (AFP)
Des volutes de fumée s'élèvent lors du bombardement israélien du village libanais d'Al-Najjariyeh, dans le sud du Liban, près de la frontière avec Israël. (AFP)
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  • Le Sud-Liban est confronté à une « escalade de la violence », déclare un vétéran de l'armée à Arab News
  • L'ambassade des Etats-Unis se joint aux appels à élire un nouveau président libanais pour « unir la nation »

BEYROUTH : Deux enfants d'une famille de réfugiés syriens ainsi qu’un combattant du Hezbollah ont été tués lors de frappes aériennes israéliennes ayant touché une zone située à plus de 30 km à l'intérieur de la frontière sud du Liban.

Les frappes israéliennes ont ciblé les villages de Najjariyeh et Addousiyeh, tous deux situés au sud de la ville côtière de Saïda, tuant des enfants et un combattant du Hezbollah qui conduisait un camion pick-up au moment de la frappe.

En riposte à ces raids, le Hezbollah a lancé des dizaines de roquettes en direction de la Haute Galilée, la Galilée occidentale, du bassin de la Galilée et du Golan.

Les médias israéliens ont rapporté que 140 roquettes avaient été tirées vers le nord du pays.

CONTEXTE

Le Hezbollah a échangé des tirs transfrontaliers avec les forces israéliennes presque quotidiennement depuis l'attaque du Hamas au sud d'Israël, le 7 octobre,ce qui a déclenché la guerre à Gaza,depuis déjà  huit mois.

Les tensions entre les forces israéliennes et le Hezbollah ont atteint un niveau critique avec des attaques de drones menées en profondeur dans le territoire libanais et le nord d'Israël.

Le général à la retraite Khaled Hamadé de l'armée libanaise a mis en garde contre une « escalade vers des violences plus graves dans le sud du Liban ».

Le Hezbollah insiste pour conditionner un cessez-le-feu dans le sud du Liban à la fin des hostilités dans la bande de Gaza.

Contrairement à la situation dans la bande de Gaza, aucune initiative n'est prise pour arrêter les affrontements entre Israël et le Hezbollah, selon Hamadé.

Dans un communiqué, le Hezbollah a revendiqué avoir visé la base logistique Tsnobar d'Israël dans le Golan avec 50 roquettes Katyusha en réponse à la frappe sur Najjarieh.

Selon les médias israéliens, des salves de roquettes ont visé des bases militaires à Katzrin et des zones au nord du lac de Tibériade.

Deux personnes ont été blessées dans des explosions de roquettes à Karam bin Zamra dans la Haute Galilée, ont ajouté les médias.

Les caméras de surveillance à Najjarieh ont capturé un drone israélien suivant un camion pick-up alors que le conducteur, nommé Hussein Khodor Mehdi, tentait de s’enfuir.

Le premier missile lancé par le drone a raté sa cible, mais un second a frappé le camion, le mettant en feu et tuant son conducteur. Trois passants ont également été blessés.

Le Hezbollah a déclaré que Mehdi, 62 ans, était un « martyr sur la route de Jérusalem ».

La radio de l'armée israélienne a affirmé que la victime était un commandant de haut rang dans l'armée de l'air du Hezbollah et que les chasseurs de l'armée avaient visé des infrastructures du Hezbollah à Najjarieh.

La deuxième frappe aérienne a touché une salle de congrès et une usine de ciment, blessant plusieurs membres d'une famille de réfugiés syriens. Deux enfants, Osama et Hani Al-Khaled, sont décédés des suites de leurs blessures.

Le Hezbollah a revendiqué avoir visé le site militaire d'Al-Raheb avec l'artillerie et les positions israéliennes à Al-Zaoura avec une salve de roquettes Katioucha.

Selon une source sécuritaire, les dernières cibles du Hezbollah comprenaient des ballons de surveillance près de Tibériade et à Adamit en Galilée.

Tôt vendredi, le Hezbollah a attaqué le nouveau quartier général du 411e Bataillon d'Artillerie au Kibboutz Jaatoun, à l'est de Nahariyya, à l’aide de drones en réponse à la mort de deux combattants du Hezbollah, Ali Fawzi Ayoub, 26 ans, et Mohammed Hassan Ali Fares, 34 ans, la veille.

Dans son sermon du vendredi, cheikh Mohammed Yazbek, chef du Conseil de la charia du Hezbollah, a déclaré que le groupe menait « sa guerre féroce dans le nord de la Palestine, pourchassant l'ennemi, aveuglant ses opérations d'espionnage et franchissant les lignes rouges, tout en traquant ses soldats dans leurs cachettes jusqu'à ce que la guerre à Gaza prenne fin ».

L'ambassade des États-Unis au Liban a lancé une mise en garde concernant le conflit à la frontière sud et la vacance présidentielle dans le pays.

L'élection d'un président est cruciale pour garantir la participation du Liban aux discussions régionales et aux futurs accords diplomatiques concernant sa frontière méridionale, a souligné l'ambassade.

Le Liban « a besoin et mérite un président capable d’unir la nation, de donner la priorité au bien-être de ses citoyens et de former une coalition large et inclusive pour restaurer la stabilité politique et mettre en œuvre les réformes économiques nécessaires », a ajouté le communiqué.

Les ambassadeurs d'Égypte, de France, du Qatar, d'Arabie saoudite et des États-Unis au Liban ont publié cette semaine une déclaration mettant en garde contre « la situation critique à laquelle est confronté le peuple libanais et les répercussions difficiles à gérer sur l'économie et la stabilité sociale du Liban en raison du retard pris dans la mise en œuvre des réformes nécessaires ».