A Paris, des réfugiés ukrainiens entre soulagement et angoisse

Un centre d'accueil pour les réfugiés ukrainiens à Paris. (Photo, AFP)
Un centre d'accueil pour les réfugiés ukrainiens à Paris. (Photo, AFP)
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Publié le Lundi 07 mars 2022

A Paris, des réfugiés ukrainiens entre soulagement et angoisse

Un centre d'accueil pour les réfugiés ukrainiens à Paris. (Photo, AFP)
  • Quelques jours après le début de l'invasion russe, Irina a quitté, avec son fils, sa région vers la Pologne, d'où un bus a fini par la déposer devant ce centre baptisé «Accueil Ukraine»
  • Plus de 1,7 million de personnes ont fui l'Ukraine depuis le début de l'invasion russe lancée le 24 février, selon les derniers décomptes de l'ONU lundi

PARIS: Irina, 69 ans, dévore le bol de céréales au chocolat posé sur ses genoux. Son premier repas depuis qu'elle a quitté son Ukraine natale pour se retrouver à Paris: « J'ai fui sans regarder où j'allais. Je voulais juste qu'on ne me tue pas ». 

Cheveux gris, yeux bleus hagards, manteau sombre qui lui tombe jusqu'aux pieds, celle qui habitait il y a une semaine encore dans un village près de Dnipro (centre) ne s'explique toujours pas comment elle se retrouve ce lundi matin dans un centre d'accueil pour les réfugiés ukrainiens à Paris. 

Quelques jours après le début de l'invasion russe, elle a quitté, avec son fils, sa région vers la Pologne, d'où un bus a fini par la déposer devant ce centre baptisé « Accueil Ukraine ». 

En France, elle n'a « ni famille, ni amis ». Son avenir, elle le voit pourtant là: « Rentrer? Et qu'est-ce que je vais retrouver là-bas? » 

Dans le centre géré par l'association France terre d'asile (FTDA), 200 personnes viennent chaque jour depuis jeudi trouver de l'aide et une place d'hébergement d'urgence. 

« Les hôtels sont mobilisés au fur et à mesure des arrivées. Tous les jours, les capacités d'accueil augmentent au regard des besoins », souligne la directrice générale de FDTA, Delphine Rouilleault.  

Svetlana Sniegur et ses parents âgés, ont eux aussi quitté Dnipro il y a cinq jours, huit ans après avoir déjà fui Donetsk, un des territoires séparatistes prorusses. 

En Pologne, la fille de Svetlana, architecte depuis quatre ans à Paris, les attendait en voiture.  

Svetlana Sniegur remercie « le peuple français » qui les accueille « avec bienveillance ». Elle compte même apprendre le français. 

Mais la famille espère retrouver l'Ukraine au plus vite: « J'espère la victoire. Je veux rentrer chez moi, c'est ma terre. Je ne veux pas rester ici ». 

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Carte d'Europe des flux de réfugiés ukrainiens vers les autres pays européens, au 7 mars à 12h GMT, selon l'UNHCR. (Graphique, AFP)

« Protection temporaire »  

Dans l'immédiat, explique-t-elle les yeux humides, les Ukrainiens auront aussi besoin d'une aide « psychologique », après « les horreurs » commises par les « agresseurs terroristes » russes. 

Sur les 1,5 million d'Ukrainiens qui ont déjà fui la guerre, seuls quelque 4 000 sont arrivés en France, selon le ministère de l'Intérieur. 

Après un accord historique des 27, ils bénéficient dans l'Union européenne d'une « protection temporaire », ce qui les exonère d'une demande d'asile. 

C'est pour « ouvrir droit à cette protection » que des agents de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) et de la préfecture de police vont s'installer dès mardi dans le centre d'accueil, explique le patron de l'Ofii, Didier Leschi. 

« Cette protection pour six mois, renouvelables jusqu'à trois ans, offre plus de choses que le statut de demandeur d'asile », souligne-t-il, en particulier l'accès immédiat aux soins et au marché du travail.  

Les réfugiés pourront également toucher l'allocation pour demandeur d'asile (Ada), qui s'élève entre 6 et 14 euros par jour. 

« L'idée est qu'une personne qui se présente le matin ressorte le soir avec une proposition d'hébergement, une carte Ada et une autorisation provisoire de séjour », précise Delphine Rouilleault. 

Une disposition qui s'applique également aux non-Ukrainiens qui résidaient de longue date dans le pays, au début du conflit. 

Un soulagement pour Moussa Kanté, un Malien qui a quitté Kharkiv le 28 février avec sa femme ukrainienne Yana et leur fille de 4 ans. 

« On est partis quand les bombardements sont devenus trop intenses. Vivre là-bas n'était plus possible », raconte ce père de 33 ans. « Dix ans d'une vie construite qu'on a abandonnée en une journée ». 

Il a une sœur en France et parle français. « On est soulagés d'être là, mais inquiets pour ceux qui n'ont pas pu partir et dont on est sans nouvelles », dit-il, tandis que sa femme reste prostrée.  

Pour eux aussi, un retour en Ukraine reste la priorité. « Si l'Ukraine reste l'Ukraine », nuance-t-il. « Sous les Russes, ce n'est même pas la peine. » 

Plus de 1,7 million de réfugiés ukrainiens

Plus de 1,7 million de personnes ont fui l'Ukraine depuis le début de l'invasion russe lancée le 24 février, selon les derniers décomptes de l'ONU lundi. 

1 735 068  

Le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) recensait exactement 1.735.068 réfugiés sur son site internet dédié à 11H00 GMT. Ce sont 200 000 de plus que lors du précédent pointage dimanche. 

Les autorités et l'ONU s'attendent à ce que le flot s'intensifie, notamment en cas d'ouverture de corridors humanitaires qui doivent permettre en théorie aux civils encerclés dans des grandes villes de sortir. 

« Plus de 1,5 million de réfugiés venant d'Ukraine ont traversé vers les pays voisins en dix jours - la crise de réfugiés la plus rapide en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale », avait indiqué dimanche dans un tweet le Haut Commissaire aux réfugiés Filippo Grandi. 

Selon l'ONU, quatre millions de personnes pourraient vouloir quitter le pays pour échapper à la guerre. 

Avant ce conflit, l'Ukraine était peuplée de plus de 37 millions de personnes dans les territoires contrôlés par Kiev - qui n'incluent donc pas la Crimée annexée par la Russie ni les zones sous contrôle séparatiste. 

Pologne 

La Pologne accueille de très loin le plus grand nombre de réfugiés depuis le début de l'invasion russe.  

Au total, ils étaient 1 027 603, selon le décompte du HCR, soit 59,2% du total recensé. 

La veille, dimanche, on a enregistré un nouveau record des arrivées avec avec 142 300 voyageurs. 

La deuxième vague d'arrivées continue à monter, signalent les garde-frontières. Entre minuit et 7H00 du matin (23H00 et 6H00 GMT), ils ont vu entrer en Pologne 42 000 personnes. 

Avant cette crise, la Pologne abritait déjà environ 1,5 million d'Ukrainiens venus, pour la plupart, travailler dans ce pays membre de l'Union européenne. 

Hongrie 

La Hongrie accueillait 180 163 personnes ou 10,4% du total, selon le HCR. 

Le pays compte cinq postes-frontières avec l'Ukraine et plusieurs villes frontalières, comme Zahony, ont aménagé des bâtiments publics en centres de secours, où des civils hongrois viennent proposer vivres ou assistance. 

Slovaquie 

La Slovaquie dénombrait 128 169 personnes ayant fui l'Ukraine, soit 7,4% du total et 14 000 de plus que lors du dernier point, selon le HCR. 

Moldavie 

Après leur arrivée en Moldavie, petit pays de 2,6 millions d'habitants et l'un des plus pauvres d'Europe, une partie des réfugiés poursuivent leur route jusqu'en Roumanie ou en Hongrie, souvent pour retrouver de la famille. 

Selon le décompte du HCR, 82 762 réfugiés ukrainiens étaient répertoriés dans le pays, soit 4,8% du total. 

Pour leur part, les autorités moldaves avaient compté 239 196 Ukrainiens entrés, dont 163 376 repartis. 

Roumanie  

En Roumanie, le HCR dénombre 78 977 réfugiés soit environ 4,6% du total.  

Selon les autorités roumaines, 33 969 ukrainiens sont entrés au cours des 24 dernières heures (+ 7,4 %).  

Au total depuis le 24 février, 261 445 sont entrés en Roumanie, dont 182 312 sont repartis, selon la même source. 

Ailleurs 

Le HCR a aussi précisé que 183 688 personnes (10,6% du total) avaient poursuivi leur route, une fois la frontière ukrainienne franchie, vers d'autres pays européens. 

Russie 

Le nombre de personnes ayant trouvé refuge en Russie n'a pas été rafraîchi depuis le 3 mars, lorsqu'il s'établissait à 53 300 - soit 3,1% du nombre total. 

Le HCR note aussi que, entre le 18 et le 23 février, 96 000 personnes sont passées des territoires séparatistes pro-russes de Donetsk et de Luhansk en Russie. 


Sorbonne: les militants pro-palestiniens dispersés par la police

Des étudiants crient des slogans et agitent la main alors qu'ils participent à un rassemblement de soutien aux Palestiniens à l'Université de la Sorbonne à Paris le 29 avril 2024. (Photo, AFP)
Des étudiants crient des slogans et agitent la main alors qu'ils participent à un rassemblement de soutien aux Palestiniens à l'Université de la Sorbonne à Paris le 29 avril 2024. (Photo, AFP)
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  • Une cinquantaine de manifestants ont été conduits à l'extérieur des locaux historiques de la Sorbonne, dans le Quartier Latin, encadrés par les forces de l'ordre
  • Selon le rectorat, une trentaine de militants s'étaient rassemblés à l'intérieur de l'université, où neuf tentes ont été installées dans la cour et trois dans le hall, et un drapeau palestinien posé au sol. Selon un manifestant

PARIS: Des militants pro-palestiniens qui s'étaient rassemblés lundi à l'intérieur (avec des tentes) et devant la Sorbonne à Paris ont été dispersés par les forces de l'ordre, quelques jours après une mobilisation pro-Gaza sous tension à Sciences Po Paris.

Une cinquantaine de manifestants ont été conduits à l'extérieur des locaux historiques de la Sorbonne, dans le Quartier Latin, encadrés par les forces de l'ordre, a constaté une journaliste de l'AFP.

"Nous étions une cinquantaine de personnes quand les forces de l'ordre sont arrivées en courant à l'intérieur de la cour. L'évacuation a été assez brutale avec une dizaine de personnes traînées au sol. Il n'y a pas eu d'interpellations", a déclaré à l'AFP Rémi, 20 ans, étudiant en troisième année d'histoire et de géographie, qui faisait partie des manifestants délogés.

La préfecture de police a évoqué une "opération, qui a duré seulement quelques minutes" et "s’est faite dans le calme, sans incident".

Le Premier ministre Gabriel Attal a "demandé que la Sorbonne soit évacuée rapidement", comme "il l'avait demandé pour Sciences Po vendredi", a fait savoir son entourage. "Il suit la situation de près, il est en lien avec la préfecture de police".

La région Ile-de-France a annoncé lundi qu'elle "suspend(ait)" ses financements à destination de Sciences Po Paris, soit un million d'euros "prévu pour 2024 dans le cadre du CPER (contrat de plan État-région)", a précisé à l'AFP l'entourage de sa présidente Valérie Pécresse.

Concernant la Sorbonne, le rectorat de Paris a précisé à l'AFP que les cours reprendront mardi, après une fermeture de l'université lundi après-midi.

"Rejoignez-nous" 

Selon le rectorat, une trentaine de militants s'étaient rassemblés à l'intérieur de l'université, où neuf tentes ont été installées dans la cour et trois dans le hall, et un drapeau palestinien posé au sol. Selon un manifestant, les tentes étaient entre 20 et 30.

"Israël assassin, Sorbonne complice!" ou "Ne nous regardez pas, rejoignez-nous!" ont scandé des manifestants devant la Sorbonne, en présence notamment des députés LFI Louis Boyard, Thomas Portes et Rodrigo Arenas.

Un groupe de huit personnes du syndicat étudiant UNI (classé à droite) a brièvement déployé des affiches à l'effigie de Jean-Luc Mélenchon et Louis Boyard où l'on pouvait lire "Wokistes, islamogauchistes, stop!".

La foule a atteint quelque 300 personnes en milieu d'après-midi, encadrées par la police. Les manifestants se sont dispersés vers 18H00, a constaté l'AFP.

"On est là suite à l'appel des étudiants de Harvard, Columbia", a déclaré à l'AFP Lorélia Fréjo, étudiante à Paris-1 et militante de l'organisation étudiante Le Poing Levé. "Après les actions à Sciences Po, on est là pour que ça continue".

Les interventions policières dans ce lieu hautement symbolique des révoltes étudiantes sont rares. Celle-ci intervient quelques jours après les tensions survenues à Sciences Po Paris autour de la mobilisation d'une partie de ses étudiants emmenés par le Comité Palestine de l'établissement.

Ceux-ci se réclament des contestations qui agitent de prestigieux campus américains, provoquant un vif débat politique outre-atlantique.

A Saint-Etienne, une quinzaine d'étudiants pro-palestiniens bloquent depuis lundi matin le campus de Sciences Po Lyon, où ont été érigées des barrières de poubelles et une bannière "Stop au génocide à Gaza", a constaté l'AFP.

Appels à intensifier la mobilisation

Accusée par l'exécutif et les oppositions de droite de souffler sur les braises de la contestation, LFI a souhaité lundi que les mobilisations pour Gaza "prennent de l'ampleur" dans les universités et ailleurs.

Le syndicat lycéen USL a appelé les lycéens à la "mobilisation dans les établissements pour un cessez-le-feu dans la bande de Gaza, la reconnaissance de l'Etat palestinien et l'arrêt de la colonisation".

Ce week-end, des syndicats d'étudiants, comme l'Unef ou l'Union étudiante, avaient appelé à "intensifier dès lundi la mobilisation sur les lieux d'études".

Les organisations de jeunesse favorables à la mobilisation pro-palestinienne se heurtent à la volonté du gouvernement de veiller à ce que le mouvement parti des Etats-Unis ne se propage à la France, alors que l'année universitaire touche à sa fin.

 


Projet de livre avec Bardella: le journaliste Achilli licencié par Radio France

Jordan Bardella, président du Rassemblement National (RN) et leader de la liste électorale, lors d'un rassemblement de campagne pour les prochaines élections européennes à Montbéliard, dans l'est de la France, le 22 mars 2024. (Photo, AFP)
Jordan Bardella, président du Rassemblement National (RN) et leader de la liste électorale, lors d'un rassemblement de campagne pour les prochaines élections européennes à Montbéliard, dans l'est de la France, le 22 mars 2024. (Photo, AFP)
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  • Le journaliste de 61 ans est «licencié pour faute grave, pour cause de manquements répétés aux obligations déontologiques relatives aux collaborations extérieures »
  • « J'ai échangé avec Jordan Bardella comme je le fais avec tous les responsables politiques depuis 25 ans. Nous avons parlé, à sa demande, de ce que pourrait être son expression pour un livre d'entretiens. J'ai refusé le projet », avait affirmé M. Achilli

PARIS: Accusé d'avoir participé à l'écriture de l'autobiographie du président du RN Jordan Bardella, le journaliste politique Jean-François Achilli a été licencié par Radio France pour "des manquements répétés" à la déontologie, ce qui a suscité lundi de vives réactions à droite et à l'extrême droite.

Le journaliste de 61 ans est "licencié pour faute grave, pour cause de manquements répétés aux obligations déontologiques relatives aux collaborations extérieures", a indiqué à l'AFP une source interne au groupe public, confirmant une information du Point.

M. Achilli avait été suspendu à titre conservatoire le 14 mars par sa radio franceinfo, au lendemain d'un article du Monde le mettant en cause.

Il avait alors dénoncé la "brutalité" de cette "mesure injustifiée", sur le réseau social X, en assurant n'avoir "enfreint aucune règle professionnelle ou déontologique".

"J'ai échangé avec Jordan Bardella comme je le fais avec tous les responsables politiques depuis 25 ans. Nous avons parlé, à sa demande, de ce que pourrait être son expression pour un livre d'entretiens. J'ai refusé le projet", avait affirmé M. Achilli.

L'article du Monde assurait que Jordan Bardella l'avait démarché avant l'été 2023 "pour un ouvrage commun".

Selon le quotidien, M. Achilli, qui interviewait quotidiennement une personnalité politique en fin d'après-midi et coprésentait le talk-show d'actualité Les informés en soirée, avait refusé.

Mais toujours selon Le Monde, l'éditorialiste avait "néanmoins travaillé dans l'ombre, accouchant Bardella de ses souvenirs, permettant ainsi à un début de texte de voir le jour".

La tête de liste du Rassemblement national aux élections européennes avait toutefois assuré au quotidien que "seul (son) entourage proche (l)'aide à écrire ce livre, pour la relecture". La parution du livre est prévue pour après les élections de juin.

"Aucun contrat n'a été formalisé", a assuré mi-avril Jordan Bardella au JDD, faisant part de son "respect" pour le journaliste. Et d'ajouter: "si je commençais à révéler toutes les discussions privées que j'ai eues avec de nombreux journalistes, y compris ceux du service public, je pense que cela entraînerait des conséquences sévères pour beaucoup".

"Charlots" 

Mi-mars, la direction de Radio France a cependant découvert près de neuf mois d'échanges approfondis avec M. Achilli, avec des retours sur un texte, selon une source proche.

Or tout projet de collaboration extérieure, rémunéré ou non, doit faire l'objet d'une information à la hiérarchie, selon les règles internes. Il s'agit d'identifier s'il y a ou non conflit d'intérêts.

Le journaliste n'a pas effectué la démarche d'information de ses supérieurs, qui ont aussi eu connaissance à cette occasion d'autres "manquements" comme du "mediatraining" (de l'entraînement à la communication) non déclaré, d'après la même source proche.

M. Achilli n'était pas joignable dans l'immédiat. Le présentateur, qui a eu une longue carrière sur plusieurs antennes de Radio France, est aussi passé par RMC et BFMTV.

A l'annonce de ce licenciement, les réactions politiques n'ont pas tardé, en pleine campagne avant le scrutin du 9 juin.

"Le service public de l'audiovisuel se déshonore, on est loin de +je suis Charlie+! Ce sont plutôt des charlots et avec l'argent des Français!", s'est insurgé sur X Sébastien Chenu, vice-président du RN.

Ce licenciement est "scandaleux", a protesté le président des Républicains Eric Ciotti.

Ces derniers mois, Radio France a été secouée par d'autres affaires de collaborations extérieures. En mai 2023, Frédéric Beniada, spécialiste de l'aéronautique à franceinfo, avait lui aussi été licencié pour faute grave.

Il s'était défendu en assurant qu'il avait certes animé des débats professionnels du secteur de l'aéronautique, mais de façon bénévole.

Cette sanction, ainsi que d'autres mises à pied, faisaient suite à une enquête du média spécialisé La lettre A (devenu La lettre) mettant en cause cinq journalistes de franceinfo.

Selon cette enquête, ils avaient cumulé leurs fonctions avec des prestations d'animation pour des entreprises.

Dans la foulée de cette enquête, la présidente de Radio France Sibyle Veil, avait annoncé un durcissement des règles de déontologie du groupe concernant les collaborations extérieures pour lesquelles des journalistes se font payer (appelées "ménages").

 

 


Arnaud Lagardère, héritier déchu d'un empire français

Arnaud Lagardère, PDG du groupe Lagardère (Photo, AFP).
Arnaud Lagardère, PDG du groupe Lagardère (Photo, AFP).
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  • Il s'agit du dernier épisode du long feuilleton qui a vu Arnaud Lagardère, 63 ans, perdre son aura et solder au fil des années le groupe fondé en 1992 par son père Jean-Luc,
  • A travers le géant des médias Vivendi, la famille Bolloré avait ainsi finalisé fin 2023 sa prise de contrôle de la maison Lagardère

PARIS: La chute continue. Arnaud Lagardère, entendu lundi par une juge d'instruction sur des soupçons d'abus de biens sociaux, est l'héritier d'un empire aéronautique et médiatique français dont il a progressivement perdu le contrôle.

Il s'agit du dernier épisode du long feuilleton qui a vu Arnaud Lagardère, 63 ans, perdre son aura et solder au fil des années le groupe fondé en 1992 par son père Jean-Luc, artisan de la fusion entre l'avionneur Matra et l'éditeur Hachette.

A travers le géant des médias Vivendi, la famille Bolloré avait ainsi finalisé fin 2023 sa prise de contrôle de la maison Lagardère, propriétaire notamment d'un réseau profitable de boutiques dans les gares et aéroports (enseignes Relay, magasins Duty Free) et de salles de spectacle célèbres (Casino de Paris, Folies Bergère...), mais aussi de médias comme Europe 1 et le Journal du dimanche.

Le milliardaire Bernard Arnault compte pour sa part lui ravir Paris Match, son groupe LVMH ayant annoncé en février être entré en négociations exclusives pour racheter le magazine people.

Ce découpage a été rendu possible par le changement de statut juridique de l'entreprise, qui est passée en 2021 d'une commandite par action à une société anonyme, faisant perdre à Arnaud Lagardère son contrôle absolu sur elle.

Criblé de dettes, notamment via sa holding personnelle, au coeur d'une enquête ouverte par le parquet national financier, le fils Lagardère n'avait pas vraiment le choix.

Il obtient alors tout de même de rester officiellement à la tête du groupe avec un mandat de 6 ans et devient même en novembre 2023 le PDG de Hachette Livre, sa filiale spécialisée dans l'édition.

«Marguerite»

"Arnaud Lagardère a reçu une marguerite dont il a arraché les pétales année après année", tacle Yves Sabouret, un de ses ex-lieutenants.

Fossoyeur des ambitions de son père, Arnaud Lagardère a pourtant fait toute sa carrière au sein du groupe familial dans lequel il est entré dès 1986, après l'obtention de son diplôme d'économie.

Trois ans plus tard, il est propulsé directeur général, puis part aux États-Unis, à la tête de l'éditeur d'encyclopédie Grolier récemment acquis, pour chercher des relais de croissance dans les médias numériques.

Il gagne outre-Atlantique ses galons de dirigeant, adoptant "la culture managériale américaine aux rapports très directs, parfois brutaux", analyse le journaliste Thierry Gadault, auteur de l'ouvrage "Arnaud Lagardère, l'insolent" (Maren Sell), interrogé par l'AFP.

Lorsque Jean-Luc Lagardère décède brutalement des suites d'une intervention chirurgicale le 14 mars 2003, son fils unique lui succède.

Dilettante 

Souvent ramené à sa condition d'enfant bien né, le nouveau dirigeant rompt avec l'aventure paternelle dans l'aéronautique et la défense, en vendant pour plus de 2 milliards d'euros les parts du groupe dans EADS, la maison mère d'Airbus.

"Arnaud s'est toujours méfié de ce monde-là", du fait de liens troubles entre l'establishment politique et les industries de défense, justifie M. Gadault. Il gère en revanche son groupe "exactement comme le faisait son père" et "considère qu'il n'a pas à s'immiscer dans le quotidien de la gestion des patrons d'activités, en qui il place sa confiance".

D'autres voient dans cet éloignement des affaires quotidiennes le signe d'un patron dilettante et désinvolte, une réputation qui lui colle encore à la peau.

Arnaud Lagardère adopte aussi le style de l'entrepreneur moderne en s'affichant décontracté avec son épouse, la top-modèle Jade Foret de 30 ans sa cadette, sur les réseaux sociaux et dans un film en 2011 pour un magazine belge, où le couple se mettait en scène dans un registre intime, s'attirant au passage quelques critiques.

"On ne m'y reprendra plus", avait dit par la suite au quotidien Les Échos le dirigeant au sourire enjôleur, assurant "vivre avec et pour (son) groupe depuis (sa) plus tendre enfance".

Son aventure personnelle, ce passionné de tennis la voit dans le sport business (droits marketing, représentation d'athlètes, droits TV), une activité pour laquelle il investit plus d'un milliard d'euros.

Las, le chiffre d'affaires ne décolle pas, la crise de 2008 pousse les clubs et fédérations à gérer eux-mêmes leurs droits et la résiliation prématurée d'un contrat d'agence avec la Confédération africaine de football sonne le glas de cette diversification.

Le groupe se désengage également des médias (une participation dans Canal+, les magazines Elle ou Marie Claire, des sites comme Doctissimo, des studios de production).

"Arnaud Lagardère a réussi à se fâcher avec tout le monde. Tant mieux s'il se révèle en tant que PDG, mais il ne sera pas là jusqu'en 2026", avait prédit l'un de ses actionnaires.