Fouad Laroui: «La présence de la langue française au Maroc est d’abord un fait historique»

L'écrivain marocain Fouad Laroui pose le 05 février 2005 à Paris, lors du 11ème salon maghrébin du livre. Boyan Topaloff/AFP
L'écrivain marocain Fouad Laroui pose le 05 février 2005 à Paris, lors du 11ème salon maghrébin du livre. Boyan Topaloff/AFP
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Publié le Dimanche 20 mars 2022

Fouad Laroui: «La présence de la langue française au Maroc est d’abord un fait historique»

  • «La pensée d’expression française véhicule à merveille certaines valeurs universelles qui nous sont chères, il faut effectivement cultiver avec soin l’espace qu’elle délimite»
  • «Nous devons être à l’aise dans cette belle langue à l’acquis riche et prestigieux, nous devons la pratiquer, la manier, la goûter, mais ce n’est pas notre langue»

CASABLANCA: Né en 1958 à Oujda au Maroc, Fouad Laroui est l’un des écrivains et romanciers marocains les plus «transculturels». Professeur de littérature à l’université d’Amsterdam, poète, éditorialiste et critique littéraire, Fouad Laroui dépeint  et explore les cultures des deux côtés de la Méditerranée.
En mai 2013, il reçoit le prix Goncourt de la nouvelle pour L’Étrange Affaire du pantalon de Dassoukine et en octobre 2014, il reçoit le grand prix Jean-Giono pour Les Tribulations du dernier Sijilmassi. La même année, il est distingué par le prix de la Grande Médaille de la francophonie de l'Académie française.
En exclusivité pour Arab News en français, Fouad Laroui revient sur la place qu’occupe la langue française au Maroc et la nécessité de la pratiquer. Il lance également un plaidoyer pour redonner à la civilisation arabe la place qui est la sienne, notamment en Europe.


On vous qualifie souvent d'«écrivain transculturel». Quel regard portez-vous sur la place qu'occupe, de manière générale, la langue française au Maroc?

Qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, la présence de la langue française au Maroc est d’abord un fait historique. On ne peut pas l’effacer ou l’oublier. Pendant la période du protectorat et durant les décennies suivantes, des écrivains marocains, des artistes, des chercheurs, des historiens, etc., se sont exprimés en français. Pour ne prendre qu’un exemple, les deux premiers chefs-d’œuvre du roman marocain, La Boîte à merveilles d’Ahmed Sefrioui et Le Passé simple de Driss Chraïbi, ont été écrits en français.

Une bonne partie des archives marocaines est rédigée en français. Par la suite, quand le protectorat a pris fin en 1956, nombreux sont ceux qui prévoyaient la disparition de la langue française au Maroc puisqu’elle n’avait aucun statut officiel. Elle n’est même pas mentionnée dans la Constitution marocaine. Et pourtant, tout le monde peut constater qu’elle est bel et bien présente: dans l’enseignement, dans la culture, dans la communication, dans la rue… Pourquoi? À chacun d’essayer d’apporter sa réponse.

Si on veut tenter une comparaison, en voici une: les Hollandais sont restés trois siècles et demi en Indonésie. Une génération après leur départ, leur langue a complètement disparu de l’archipel indonésien. Pourquoi? Ce n’est pas à moi de répondre. Mais des professeurs et des doctorants pourraient peut-être s’intéresser à cette question et comparer l’arabe littéraire et le bahasa indonesia («langue de l’Indonésie»), les conditions socio-économiques, l’enseignement… dans les deux pays. Ce serait plus intéressant que d’avoir les opinions hâtives et mal informées des uns et des autres.


Le roi Mohammed VI avait déclaré lors du quinzième Sommet de la francophonie à Dakar: «L’espace francophone commun doit être cultivé avec soin comme un atout singulier dans un monde où l’intégration économique et politique s’organise, de plus en plus, autour de groupements régionaux où les partenaires partagent un même socle de valeurs et de sensibilités». Quel regard portez-vous sur cet espace francophone et son évolution face à la mondialisation?

Nous avons la chance de pouvoir faire partie de plusieurs groupements ou «clubs» ou «ligues»… Il ne faut en négliger aucun. La francophonie n’est pas le moindre. Elle nous permet de maintenir le lien avec des pays qui se trouvent répartis sur les cinq continents. Et comme la pensée d’expression française véhicule à merveille certaines valeurs universelles qui nous sont chères, il faut effectivement cultiver avec soin l’espace – dirions-nous le jardin – qu’elle délimite.

Grâce à sa position géostratégique, son Histoire, sa diversité linguistique et culturelle et sa position en tant que pont entre l’Europe et l’Afrique, le Maroc pourrait-il être considéré comme l’un des meilleurs ambassadeurs de la francophonie dans la région et en Afrique?

Le Maroc n’a pas à être l’ambassadeur de la francophonie. Nous devons être à l’aise dans cette belle langue à l’acquis riche et prestigieux (pensons à la littérature, par exemple, mais également à la philosophie et aux sciences), nous devons la pratiquer, la manier, la goûter, mais ce n’est pas notre langue. Elle ne figure pas dans notre Constitution, qui ne mentionne que l’arabe et l’amazighe. La France, la Belgique, le Québec, la Suisse doivent défendre et promouvoir cette langue qui a un statut officiel chez eux. Certains pays africains ont également le français comme langue officielle, à eux aussi de la promouvoir.

La place du français dans l’enseignement au Maroc fait souvent débat. Comment les responsables marocains pourraient-ils préserver la place importante de cette langue tout en s’ouvrant vers d’autres langues aussi importantes?

Si j’avais la réponse, je serais ministre de l’Éducation! Il n’est pas impossible de former des étudiants trilingues si on s’y prend sérieusement et si les étudiants jouent le jeu. Je vois autour de moi quelques étudiants à l’aise en arabe, en français et en anglais. C’est l’avenir.

Dans Plaidoyer pour les Arabes, vous appelez à redonner à la civilisation arabe la place qui est la sienne. Vous êtes pour l'intégration de l’Histoire des sciences arabes dans l’enseignement européen. Pourquoi?

D’abord parce que ce ne serait que justice. Quand le monde traversait une longue période d’obscurité, entre le VIIIe et le XIIe siècle, c’est dans l’Empire arabo-musulman (où il y avait aussi de nombreux Persans, Turcs, etc.) et en Andalousie que la flamme de la pensée philosophique et scientifique a été maintenue allumée. D’autre part, si on intègre cette Histoire dans l'enseignement européen, on pourrait ainsi mieux intégrer les enfants d'immigrés venus de pays arabo-musulmans. Au lieu de leur apprendre que toute la pensée humaine porte des noms européens (Aristote, Descartes, Galilée, Newton, Kant, Darwin, Einstein…), ce qui peut constituer une source de complexes et de rejet, on leur parlera d’autres génies tels qu’Ibn al-Haytham, Ibn Sina, Ibn al-Banna’ al Murrakuchi, Ibn Khaldoun, et tant d’autres... De cette façon, «les valeurs européennes» (ainsi désignées par abus de langage) apparaîtraient pour ce qu’elles sont: des valeurs universelles.


Vous avez également déclaré: «Le choc des civilisations s’atténuerait si les noms d’Al-Kindi ou d’Al-Baïrouni devenaient aussi familiers que ceux de Descartes ou de Newton». Pensez-vous que les Occidentaux méconnaissent la civilisation arabe?

Totalement. À part les spécialistes, bien sûr, quelques universitaires et quelques «honnêtes hommes». J’en donne des exemples saisissants dans mon livre. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des étudiants en sociologie, en Europe et aux États-Unis, n’entendent jamais prononcer le nom d’Ibn Khaldoun. On peut aller jusqu’au doctorat en physique sans jamais avoir entendu parler d’Ibn al-Haytham.

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Netanyahu annonce l'envoi d'un représentant israélien pour une rencontre avec des responsables au Liban

Cette photographie prise lors d'une visite de presse organisée par l'armée libanaise montre un soldat libanais debout près d'un mur à Alma Al-Shaab, près de la frontière avec Israël, dans le sud du Liban, le 28 novembre 2025. (AFP)
Cette photographie prise lors d'une visite de presse organisée par l'armée libanaise montre un soldat libanais debout près d'un mur à Alma Al-Shaab, près de la frontière avec Israël, dans le sud du Liban, le 28 novembre 2025. (AFP)
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  • M. Netanyahu "a chargé le directeur par intérim du Conseil de sécurité nationale d'envoyer un représentant de sa part à une réunion avec des responsables gouvernementaux et économiques au Liban"
  • Cette annonce survient après le passage d'une émissaire américaine, Morgan Ortagus, à Jérusalem, sur fond de tensions croissantes entre Israël et le Liban

JERUSALEM: Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a annoncé mercredi l'envoi d'un représentant pour une rencontre avec des responsables politiques et économiques au Liban, "première tentative pour établir une base de relations et de coopération économique entre Israël et le Liban".

M. Netanyahu "a chargé le directeur par intérim du Conseil de sécurité nationale d'envoyer un représentant de sa part à une réunion avec des responsables gouvernementaux et économiques au Liban", indique un communiqué de son bureau.

Le texte ne précise pas quand cette rencontre doit avoir lieu.

Cette annonce survient après le passage d'une émissaire américaine, Morgan Ortagus, à Jérusalem, sur fond de tensions croissantes entre Israël et le Liban.

Accusant le mouvement islamiste Hezbollah de violer le cessez-le-feu entré en vigueur il y a un an en se réarmant dans le sud du pays, l'armé israélienne a multiplié les frappes sur le sud du Liban la semaine dernière sur ce qu'elle a présenté comme des membres ou des infrastructures du Hezbollah.

Depuis plusieurs semaines, la presse israélienne multiplie les articles sur la possible imminence d'une nouvelle campagne militaire israélienne contre le Hezbollah au Liban.


Le pape appelle à «de nouvelles approches» au Moyen-Orient pour rejeter la violence

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  • Le chef de l'Eglise catholique, qui achève une visite de trois jours au Liban, a également appelé les chrétiens d'Orient, dont la présence diminue du fait des guerres et de l'émigration, à faire preuve de "courage"
  • "Le Moyen-Orient a besoin de nouvelles approches afin de rejeter la mentalité de vengeance et de violence, de surmonter les divisions politiques, sociales et religieuses, et d'ouvrir de nouveaux chapitres au nom de la réconciliation et de la paix"

BEYROUTH: Le pape Léon XIV a appelé mardi, devant 150.000 personnes réunies pour une messe en plein air à Beyrouth, à "de nouvelles approches au Moyen-Orient" meurtri par les conflits, pour y faire prévaloir la paix.

Le chef de l'Eglise catholique, qui achève une visite de trois jours au Liban, a également appelé les chrétiens d'Orient, dont la présence diminue du fait des guerres et de l'émigration, à faire preuve de "courage".

"Le Moyen-Orient a besoin de nouvelles approches afin de rejeter la mentalité de vengeance et de violence, de surmonter les divisions politiques, sociales et religieuses, et d'ouvrir de nouveaux chapitres au nom de la réconciliation et de la paix", a déclaré le souverain pontife.

Affirmant "prier spécialement pour le Liban bien-aimé", il a demandé "à la communauté internationale de ne ménager aucun effort pour promouvoir des processus de dialogue et de réconciliation" dans cette région meurtrie par les conflits.

La visite du chef de l'église catholique a donné un souffle d'espoir au Liban, qui a connu une guerre meurtrière avec Israël il y a un an et craint une nouvelle escalade malgré le cessez-le-feu.

Léon XIV a également appelé les dirigeants "dans tous les pays marqués par la guerre et la violence" à "écouter le cri" des "peuples qui appellent à la paix".

S'adressant aux "chrétiens du Levant, citoyens à part entière de ces terres", le pape leur a dit: "ayez du courage. Toute l'Église vous regarde avec affection et admiration".


Une plainte en France pour «entrave» au travail des reporters à Gaza

Le Syndicat national des journalistes (SNJ) et la Fédération internationale des journalistes (FIJ) ont annoncé mardi porter plainte à Paris pour "entrave à la liberté d'exercer le journalisme", visant les autorités israéliennes pour avoir empêché les reporters français de couvrir la guerre à Gaza. (AFP)
Le Syndicat national des journalistes (SNJ) et la Fédération internationale des journalistes (FIJ) ont annoncé mardi porter plainte à Paris pour "entrave à la liberté d'exercer le journalisme", visant les autorités israéliennes pour avoir empêché les reporters français de couvrir la guerre à Gaza. (AFP)
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  • "Cette plainte est la première déposée à ce jour sur le fondement du délit d'entrave à la liberté d'exercer le journalisme, et la première à inviter le ministère public à se prononcer sur l'application de cette incrimination"
  • "Cette plainte (...) dénonce une entrave concertée, parfois violente, empêchant les journalistes français de travailler dans les Territoires palestiniens et portant atteinte à la liberté de la presse"

PARIS: Le Syndicat national des journalistes (SNJ) et la Fédération internationale des journalistes (FIJ) ont annoncé mardi porter plainte à Paris pour "entrave à la liberté d'exercer le journalisme", visant les autorités israéliennes pour avoir empêché les reporters français de couvrir la guerre à Gaza.

Ces faits pourraient selon ces organisations constituer des "crimes de guerre", pour lesquels le parquet national antiterroriste à Paris peut enquêter, dès lors qu'ils sont commis contre des Français.

"Cette plainte est la première déposée à ce jour sur le fondement du délit d'entrave à la liberté d'exercer le journalisme, et la première à inviter le ministère public à se prononcer sur l'application de cette incrimination dans un contexte international où les atteintes à la liberté de la presse sont devenues structurelles", soulignent les plaignants dans la centaine de pages de leur requête, rendue publique par franceinfo.

"Cette plainte (...) dénonce une entrave concertée, parfois violente, empêchant les journalistes français de travailler dans les Territoires palestiniens et portant atteinte à la liberté de la presse", a commenté Me Louise El Yafi, l'une des avocates à l'origine de la plainte.

Elle "souligne aussi l'insécurité croissante visant les journalistes français en Cisjordanie (...). Ces atteintes, en violation du droit international humanitaire, relèvent également de crimes de guerre", ajoute sa consoeur Me Inès Davau.

Un journaliste français travaillant pour plusieurs rédactions francophones, qui a tenu à garder l'anonymat, porte lui aussi plainte: il dénonce son "agression" par des colons lors d'un reportage dans les territoires occupés.

Reporters sans frontières (RSF) a décompté plus de 210 journalistes tués depuis le début des opérations militaires israéliennes à Gaza, en représailles à l'attaque du 7 octobre 2023 par le mouvement islamiste palestinien Hamas.

Depuis le début de la guerre, les autorités israéliennes ont empêché les journalistes de médias étrangers d'entrer de manière indépendante à Gaza, autorisant seulement au cas par cas une poignée de reporters à accompagner leurs troupes.

En France, plusieurs plaintes ont été déposées en lien avec le conflit. Elles visent notamment des soldats franco-israéliens d'une unité d'élite de l'armée israélienne, l'entreprise française d'armement Eurolinks ou encore des Franco-Israéliens qui se rendraient complices du crime de colonisation.

Suite à une plainte, le parquet national antiterroriste a aussi demandé à un juge d'instruction parisien d'enquêter pour "crimes de guerre" dans le dossier de la mort de deux enfants français dans un bombardement israélien à Gaza en octobre 2023.