L'Iran, bête blessée, se déchaîne dans toute la région

Le Premier ministre irakien Moustafa al-Kazimi inspecte le site d'un bâtiment endommagé, au lendemain d’une attaque aux missiles à Erbil, en Irak, le 14 mars 2022. (Reuters)
Le Premier ministre irakien Moustafa al-Kazimi inspecte le site d'un bâtiment endommagé, au lendemain d’une attaque aux missiles à Erbil, en Irak, le 14 mars 2022. (Reuters)
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Publié le Samedi 19 mars 2022

L'Iran, bête blessée, se déchaîne dans toute la région

L'Iran, bête blessée, se déchaîne dans toute la région
  • L'attaque directe de l'Iran contre une zone proche du consulat américain à Erbil dimanche dernier crée un précédent
  • La dernière fois que l'Iran a attaqué directement un pays arabe voisin et en a assumé la responsabilité, c'était lorsqu'il a riposté à l'assassinat de Qassem Soleimani

L'attaque directe de l'Iran contre une zone proche du consulat américain à Erbil dimanche dernier– qui visait selon lui un «centre stratégique des conspirations sionistes» – crée un précédent. Les Gardiens de la révolution iraniens étaient directement impliqués, ce qui n’était pas le cas lors des précédentes attaques menées contre l'Irak et l'Arabie saoudite ou lors de celles, plus récentes, contre les Émirats arabes unis (EAU), dont les mandataires iraniens ont revendiqué la responsabilité. Cela signifie-t-il que Téhéran est prêt à une confrontation directe?

La dernière fois que l'Iran a attaqué directement un pays arabe voisin et en a assumé la responsabilité, c'était lorsqu'il a riposté à l'assassinat de Qassem Soleimani, au début de l’année 2020. Il a affirmé que la frappe de cette semaine était une réponse à la mort de deux membres des Gardiens de la révolution après une attaque israélienne en Syrie. Il a également déclaré que l'Irak ne devait pas permettre à des «tiers» d'utiliser son territoire comme base pour attaquer l'Iran.

D’habitude, l'Iran préfère mener ses attaques par le biais de mandataires afin d'échapper à une confrontation directe. Alors, pourquoi perpétrer cet acte au moment où nous sommes censés nous approcher de la signature d'un nouvel accord nucléaire? Il est important de remettre les choses en perspective. La Russie a formulé des exigences de dernière minute qui risquent de saboter l'accord nucléaire. Moscou peut utiliser son pouvoir pour bloquer la relance du Plan d'action global commun (PAGC) afin de faire pression sur les États-Unis. Par conséquent, bien que le retour des États-Unis dans le PAGC semble imminent, il pourrait être bloqué à la dernière minute.

Si l'on considère la question sous un autre angle, les Iraniens ont désormais un pouvoir de négociation plus fort, car les États-Unis ont besoin de leur pétrole pour compenser toute réduction potentielle du côté russe. En outre, dans cette période de polarisation entre la Russie et les États-Unis, l'Iran veut absolument réaffirmer son animosité envers le «Grand Satan». Malgré le fait que Washington soit maintenant occupé avec l'Ukraine et qu’il prête moins attention aux activités déstabilisatrices de l'Iran dans la région, Téhéran est en train de perdre du terrain régional et il se trouve sous pression. En Irak, ses partisans ont perdu les élections – et non à cause d'une action ou d'une interférence des États-Unis ou des pays arabes du Golfe.

L'Iran a été son propre pire ennemi. Il a perdu les élections irakiennes parce que les gens, en particulier les chiites, ont réalisé la futilité du discours iranien et le fait que le projet iranien pour leur pays et la région soit totalement destructeur. Cela signifie que Téhéran est incapable d'imposer un nouveau premier ministre fantoche au pays. Alors que les Iraniens pensaient que Moqtada al-Sadr les soutiendrait, ils semblent incapables, en réalité, de l'influencer. Les factions affiliées à l'Iran ont menacé de recourir à la violence si elles n’étaient pas incluses dans la coalition au pouvoir – ce qui signifie que, si elles perdent le contrôle de l'Irak, elles détruiront ce qui reste du pays.

Serait-ce du déjà-vu? Au Liban, en mai 2008, après avoir été incapable d'obtenir une majorité parlementaire et donc de contrôler le gouvernement, le Hezbollah, allié de l'Iran, a pris Beyrouth par la force et il a imposé un nouveau gouvernement. Cela a fonctionné pour lui à l'époque, au Liban, mais les choses sont différentes aujourd'hui. L'ensemble de l'opinion publique irakienne est contre eux. La frappe sur Erbil était un signe de défiance et de déni de l'Iran. Une telle démonstration de force, alors qu'ils sont en train de perdre sur le terrain, n'était rien d'autre qu'une tentative désespérée de faire ses preuves. Cependant, cette fois, ils ne sont pas confrontés au «Grand Satan», à «l’ennemi sioniste» ou à un plan imaginaire de l'Arabie saoudite; ils ont simplement perdu leur base populaire en raison de leur propre incompétence, leur corruption et leur brutalité.

Entre-temps, les plans des Iraniens qui visent à intimider les pays voisins en poussant les Houthis à cibler l'Arabie saoudite et les EAU ne semblent pas avoir abouti. Ces deux pays disposent de bons systèmes de défense et sont en mesure d'intercepter la plupart des roquettes et de se protéger, eux et leurs habitants.

Téhéran a perdu le soutien populaire et tente frénétiquement de sauvegarder l'influence qu'il peut avoir.

Dr Dania Koleilat Khatib

 Au Liban, bien que les élections n'aient pas encore eu lieu, tout observateur de la politique libanaise peut remarquer l'opposition croissante à la «résistance». Au Yémen, ils ont perdu sur le terrain et leurs frappes, pour la plupart sans effet sur les EAU, sont les signes les plus manifestes, à ce jour, de leur frustration.

L'Iran se comporte comme un animal blessé. Il a perdu le soutien populaire et tente frénétiquement de préserver l'influence qu'il peut avoir. Le Dr Zafer al-Ajmi, expert sur les questions du Golfe, a demandé dans son podcast hebdomadaire si les Gardiens de la révolution allaient attaquer le Golfe après Erbil. Il est difficile de le prévoir, mais nous ne pouvons pas exclure cette possibilité.

Ce qui est sûr, c'est que les signes de faiblesse des États-Unis et leur désespoir apparent à l’idée de relancer le PAGC encourageront l'Iran à poursuivre ses activités déstabilisatrices. L'administration Biden est entièrement focalisée sur la question, tandis que l'Iran a clairement indiqué qu'il ne renoncerait pas à sa «présence régionale». L'Iran ne risque donc pour ses activités déstabilisatrices que des répercussions minimes du côté américain, ce qui signifie qu'il recourra à la violence pour conserver toute influence possible.

Ceux qui se réjouissent de la défaite des mandataires de l'Iran dans la région et d'une possible obstruction à l'accord nucléaire devraient modérer leur enthousiasme, car le chapitre n'est pas encore clos. En outre, ils ne doivent pas oublier qu'un animal est plus dangereux lorsqu'il est blessé.

 

Dania Koleilat Khatib est spécialiste des relations américano-arabes, et plus particulièrement du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une organisation non gouvernementale libanaise axée sur le processus Track II.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.