DJEDDAH : Le poignard court et incurvé connu sous le nom de janbiya est l'un des symboles les plus reconnaissables du patrimoine arabe au sein d’une grande partie de la population de la péninsule arabique.
Elle est d’habitude portée par les hommes, attachée à une ceinture autour de la taille, comme principal accessoire de leurs vêtements traditionnels. Les sculptures complexes sur la poignée et le fourreau de la dague dévoilent des indices sur le statut social et l'origine tribale de son propriétaire, des détails sur les racines ancestrales et des informations transmises d'une génération à l'autre qui offrent un aperçu fascinant d'une époque largement révolue.
Les origines de ces petites lames de fer recourbées remontent à l'époque préislamique, mais à l'ère moderne, elles sont devenues un symbole de fierté nationale, portées par les hommes de toute la région en hommage à un passé tribal coloré qui continue de résonner dans les traditions sociales d'aujourd'hui.
Le statut de la janbiya en tant qu'emblème de l'identité tribale est tel dans certaines régions d'Arabie saoudite, d'Oman et du Yémen que certains exemplaires peuvent atteindre des dizaines de milliers de dollars. Le propriétaire d'une janbiya la protège soigneusement et la porte toute sa vie ; elle est pour de nombreuses personnes l’élément indissociable de leur personnalité.
Lorsque les tribus bédouines parcouraient les vastes étendues de la péninsule arabique, la dague pendait généralement à la taille, accompagnée de deux ceintures de munitions s'entrecroisant sur la poitrine, et d'une épée à la hanche.
La janbiya était un outil essentiel pour l'autodéfense et la survie sur la route, lorsque des groupes se déplaçaient, souvent la nuit, d'un camp à l'autre.

Dans sa petite boutique de Barahat Al-Qazzaz, dans le centre de Taif, Hussein Abdullah Al-Malki, un marchand de poignards âgé de 70 ans, se souvient de l'époque, pas si lointaine, où ces armes faisaient partie intégrante de la vie quotidienne.
Les hommes les emportaient avec eux partout où ils allaient dans les villages montagneux et les vallées des régions du sud, où les attaques de loups et de hyènes étaient une menace constante pour les habitants, dit-il, mais il ajoute que le monde est très différent maintenant.
« La janbiya permettait à nos pères de se protéger », déclare Al-Malki à Arab News, faisant allusion aux temps passés où les hommes de la maison étaient obligés de se tenir prêts à protéger leur maison contre les voleurs et à défendre leur famille.
La longueur et la forme précise des poignards varient dans la région et même en Arabie saoudite, tout comme les caractéristiques de la poignée, de la lame, du fourreau et de la ceinture. Certains ressemblent même plus à des épées qu'à des poignards.
Grâce à son œil d’expert aiguisé par des décennies d'expérience, Al-Malki peut rapidement estimer l'âge d'une janbiya et son lieu d'origine. La version émiratie, par exemple, est plus fine, plus longue et plus incurvée que celles provenant d'autres endroits comme Oman, le Yémen et le Levant. En général, elle est également plus petite et les inscriptions qu'on y trouve sont complètement différentes de celles que l'on trouve ailleurs.
En Arabie saoudite, la janbiya est aujourd'hui essentiellement un accessoire de cérémonie, alors que dans d'autres parties de la région, notamment au Yémen et à Oman, elle fait toujours partie de la tenue quotidienne. De même, en Syrie et en Jordanie, on peut voir les hommes porter dans certaines régions le poignard traditionnel, connu dans ces pays sous le nom de shabriya.
L'un des usages cérémoniels de la janbiya peut être observé lorsque des membres de tribus ou des dirigeants arabes, y compris les familles royales du Golfe, la portent comme accessoire lors de l'ardah, la danse traditionnelle de l'épée qui servait autrefois d'appel au combat.

Dans de nombreuses familles, les janbiyas sont de précieux héritages familiaux transmis qui symbolisent le rite de passage des garçons de l’enfance à l'adolescence.
Ibrahim Al-Zahrani, historien et anthropologue, a déclaré que les poignards servent désormais « de symbole de courage et de virilité » et permettent d’exhiber la fierté des traditions ancestrales.
Alors qu'une janbiya bas de gamme ne coûte que 20 à 50 SAR (4,90 à 12,25 €), les pièces cérémonielles plus complexes et ornées peuvent atteindre des dizaines de milliers de dollars. Dans le souk Al-Janabi de Najran, l'un des marchés les plus connus du Royaume et réputé pour ses artisans janbiya qualifiés, les poignards peuvent coûter 250 000 SAR ou plus, selon les matériaux.
Pour les clients les plus fortunés, les lames peuvent même être façonnées en or ou en argent et ornées d'inscriptions et de décorations, tandis que la ceinture peut être tissée à partir de fils d'or et d'argent, dans les règles de l'art les plus complexes.
Les exemplaires anciens peuvent atteindre des prix élevés aux enchères, en particulier ceux dont les anciens propriétaires sont connus. Une janbiya offerte il y a plus d'un siècle à l'officier de renseignement britannique T. E. Lawrence, plus connu sous le nom de Lawrence d'Arabie, a établi un record lors de sa mise en vente en 2015. La dague montée en argent doré de 30 cm, qui lui a été remise pour son rôle dans la victoire arabe sur l'armée ottomane à Aqaba en 1917, s'est vendue 105 000 dollars et a été offerte au National Army Museum au Royaume-Uni.
Salem Al-Yami, un enseignant à la retraite, a déclaré que la janbiya reste un symbole puissant du patrimoine ancien de la région.
« Les meilleurs poignards sur le marché sont ceux qui ont des poignées en corne de rhinocéros et un fourreau incrusté d'argent », a-t-il déclaré à Arab News.
Les poignards dont la poignée est en corne de rhinocéros sont traditionnellement les plus recherchés en raison de leur beauté esthétique, de leur durabilité et de leur poigne, mais ils sont devenus plus rares, l’espèce de l'animal étant menacée.
Le port de la janbiya s'accompagne de lourdes responsabilités sociales et il peut y avoir un prix à payer pour toute utilisation abusive, qui est considérée comme un manque de respect envers le père ou le grand-père dont la dague a été héritée.

« L'utilisation de la janbiya de manière hostile, même dans le cadre d'une dispute mineure, peut exposer le contrevenant à une réprimande tribale et à un blâme social sérieux pour avoir empiété sur les traditions et les coutumes de sa tribu », a déclaré Al-Yami. Un tel comportement est considéré comme honteux et lâche, surtout lorsqu'il est dirigé contre un adversaire désarmé.
L'arme est maintenant considérée comme un emblème de paix, a déclaré Jobara Al-Hothali, un autre marchand de dagues à Taif, contrairement à son usage passé.
Lors de rituels tribaux, par exemple, lorsque deux parties impliquées dans un conflit ou une dispute sont appelées à se réconcilier, elles déposent chacune leur poignard dans un acte symbolique de paix. Dans certains cas, les délinquants peuvent être contraints de remettre leur poignard à leur victime en guise d'acte de réconciliation.
« Dans un tel cas, le délinquant n'a d'autre choix que de respecter la décision prise », a déclaré Mohammed Musaifer, un autre marchand de dagues, à Arab News.
« C'est la pire punition qu'un membre de la tribu puisse recevoir, car la janbiya représente une valeur sociale symbolique pour son propriétaire ». Cependant, les efforts de réconciliation se poursuivent, pour persuader l'autre partie de rendre la janbiya à son ancien propriétaire, et les conciliateurs réussissent normalement à maintenir la paix. »
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com