La proposition de la Russie pour la sécurité dans le Golfe ne recueille pas de soutien

Le ministre russe des Affaires étrangères Sergey Lavrov au siège de l'Union africaine à Addis-Abeba, Ethiopie, le 9 mars 2018 (Reuters)
Le ministre russe des Affaires étrangères Sergey Lavrov au siège de l'Union africaine à Addis-Abeba, Ethiopie, le 9 mars 2018 (Reuters)
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Publié le Dimanche 01 novembre 2020

La proposition de la Russie pour la sécurité dans le Golfe ne recueille pas de soutien

La proposition de la Russie pour la sécurité dans le Golfe ne recueille pas de soutien
  • La réunion virtuelle avait pour principal objectif de promouvoir l'idée ancienne d'établir un système de sécurité collective dans le Golfe
  • Il est alors difficile de prendre le dialogue avec l'Iran au sérieux lorsque ses forces et celles de ses mandataires et alliés ne font que déstabiliser la région

La semaine dernière, la Russie a convoqué une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies pour aborder la question de la sécurité dans les pays du Golfe. La réunion virtuelle a été dirigée par le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et s'est déroulée pendant le mois de présidence russe du Conseil de sécurité des Nations unies. Elle avait pour principal objectif de promouvoir l'idée ancienne d'établir un système de sécurité collective dans le Golfe, où la Russie pourrait jouer un rôle plus important.

Outre les 15 membres du Conseil de sécurité des Nations unies (Csnu), les membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG) et de la Ligue arabe, ainsi que l'Iran et l'Irak, à l'exception du Yémen, ont participé à cette réunion. Le secrétaire général des Nations unies, M. António Guterres, a ouvert la réunion par un appel réfléchi invitant à donner la priorité aux mesures de confiance.

M. Lavrov a par la suite évoqué la nécessité d'un « système efficace de sécurité collective » et a souligné que les États-Unis étaient en grande partie responsables des problèmes régionaux. Il a réitéré la convocation d'un sommet pour les dirigeants des cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, en plus de l'Allemagne, afin de discuter de la sécurité dans la région. C'était une suggestion plutôt curieuse, surtout si l'on considère que l'Allemagne pourrait se joindre à ce regroupement des P5.

La mise en place d'un nouveau système de sécurité collective dans le Golfe a été peu soutenue lors de la réunion. La grande majorité des intervenants ont laissé entendre que l'idée était prématurée en raison du manque de confiance qui existe entre les principaux acteurs régionaux. En revanche, ils ont préconisé que des mesures de confiance soient d'abord mises en place.

La Chine, l'allié le plus proche de la Russie au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, a suggéré une approche plus pragmatique. Le ministre des Affaires étrangères Wang Yi a proposé une méthode progressive, en commençant par un dialogue sur des sujets moins sensibles tels que l'énergie, le transport maritime et le commerce. Wang a déclaré que « même si le voyage est long, nous finirons par arriver à destination, pas à pas. Le premier pas vers le dialogue, aussi petit soit-il, constituera un pas de géant vers la paix ».

La réticence affichée à l'égard de la proposition de la Russie d'établir un nouveau système de sécurité collective s'explique par de sérieuses raisons. Il s'agit notamment du choix de la date et de l'incapacité à reconnaître les principales menaces qui pèsent sur la sécurité dans le Golfe. En outre, cette proposition ne tient pas compte des tentatives de dialogue qui ont eu lieu par le passé entre l'Iran et ses voisins, notamment les efforts les plus récents du CCG, sous l'égide du défunt émir du Koweït. Si ces tentatives ont échoué, c'est principalement parce que l'Iran refuse de respecter les normes universellement acceptées, telles que le respect des frontières et de l'indépendance politique de ses voisins, ou encore de renoncer à l'usage de la force ou des menaces pour résoudre les différends.

Il est alors difficile de prendre le dialogue avec l'Iran au sérieux lorsque ses forces et celles de ses mandataires et alliés ne font que déstabiliser la région; au Yémen, en Syrie, au Liban, en Irak et ailleurs. Par ailleurs, Téhéran a multiplié les attaques, menées directement par ses propres forces dans le Golfe et indirectement en mer Rouge, menaçant ainsi la sécurité maritime et la navigation internationale. L'Iran a également recruté, formé et équipé des terroristes pour mener des attaques dans des pays tels que le Bahreïn, l'Arabie saoudite et le Koweït. L'année dernière, l'Iran a agressé des navires dans le Golfe et a attaqué de grandes installations pétrolières saoudiennes. Au cours des dernières années, la milice des Houthis - un mandataire iranien clé - a perpétré des centaines d'attaques de missiles balistiques et de drones visant des civils et des infrastructures civiles en Arabie saoudite. Ses escalades sont souvent chorégraphiées avec les mouvements de l'Iran dans d'autres pays.

L'ambassadrice américaine Kelly Craft estime pour sa part que la mise en place d'une nouvelle architecture de sécurité collective pour le Golfe n'est pas nécessaire. En revanche, elle a fait remarquer que le Conseil de sécurité des Nations unies dispose de tous les outils nécessaires pour gérer la sécurité dans le Golfe : « Avec tout mon respect, je pense que la solution est beaucoup plus facile : le Conseil de sécurité doit simplement trouver le courage de tenir l'Iran responsable envers ses engagements internationaux déjà existants. L'Iran représente la menace la plus importante pour la paix et la sécurité au Moyen-Orient ». Mme Craft a rappelé que Téhéran développait des missiles balistiques et soutenait des groupes de pression au Yémen, en Syrie, au Liban et en Irak. Elle a ajouté que les États-Unis « ne craignent pas de défendre la justice » et que « les États-Unis continueront à tenir l'Iran pour responsable, même si cela signifie que nous devons agir seuls ».

Toutefois, les États-Unis sont loin d'être le seul pays à tenir l'Iran pour responsable lors de la réunion. Plusieurs intervenants ont fait part de doutes au sujet du comportement de l'Iran. Le Royaume-Uni, quant à lui, a indiqué que l'Iran continue de transférer des armes à des groupes de la région et a déclaré qu'il œuvrerait « pour trouver une solution appropriée à la prolifération iranienne ». L'ambassadeur allemand a critiqué les violations des droits de l'homme et la persécution religieuse en Iran, où « les droits civiques et politiques sont violés chaque jour » dans les prisons « les plus odieuses de toute la région ».

Le CCG et la Ligue arabe, représentant les pays les plus touchés par l'agression iranienne, ont également mis en évidence les activités malveillantes de Téhéran dans la région. Ils ont affirmé que la sécurité du Golfe serait assurée si l'Iran adhérait à la Charte des Nations unies et s'abstenait de transgresser les territoires de ses voisins et respectait leur indépendance.

La grande majorité des intervenants ont laissé entendre que l'idée était prématurée en raison du manque de confiance qui existe entre les principaux acteurs régionaux.

Par ses remarques belliqueuses, le ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif, a anéanti tout espoir de faire accepter la proposition de Moscou en matière de sécurité collective. En effet, il a condamné les États-Unis et leurs partenaires du Golfe et a dégagé l'Iran de toute responsabilité. Il a typiquement fait la victime en rappelant la guerre entre l'Iran et l'Irak, bien que Saddam Hussein soit mort depuis bien longtemps et que l'Irak soit maintenant contrôlé par Téhéran. Le CCG a appelé l'Iran à accepter la proposition des EAU qui propose de soumettre leur conflit territorial à la Cour internationale de justice, ce qui favoriserait grandement l'instauration d'un climat de confiance. La réponse négative du représentant iranien était révélatrice : Elle a démontré que l'Iran ne s'intéresse pas à l'État de droit ni à un éventuel rôle que pourraient jouer les organismes internationaux, y compris la CIJ.

Malheureusement, Moscou n'a pas joué son rôle au sein du Conseil de sécurité des Nations unies. D’ailleurs, elle n’a pas non plus exploité la bonne volonté des pays de la région à l'égard de la Russie ni son influence auprès de Téhéran, pour exhorter ce dernier à adhérer aux principes des Nations unies et à cesser ses activités déstabilisatrices dans la région. Moscou serait en mesure d'encourager l'Iran à respecter clairement et sans ambiguïté les principes de la Charte des Nations unies, à l'instar de l’acte d'Helsinki conclu à l'époque de la guerre froide, et qui a été invoqué par Lavrov et d'autres. Ce sont ces principes de base qui ont été à la base de l'acte d'Helsinki, qui a progressé à partir de là.

Dr. Abdel Aziz Aluwaisheg est le secrétaire général adjoint du Conseil de coopération du Golfe pour les affaires politiques et la négociation, et un chroniqueur pour Arab News. Twitter: @abuhamad1

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com