L’Irlande, mauvais gendarme face aux géants du numérique

La fiscalité avantageuse de l’Irlande attire les géants du numérique (Photo, Denis CHARLET/AFP).
La fiscalité avantageuse de l’Irlande attire les géants du numérique (Photo, Denis CHARLET/AFP).
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Publié le Dimanche 01 novembre 2020

L’Irlande, mauvais gendarme face aux géants du numérique

  • Attirés par une fiscalité avantageuse, ces groupes ont choisi l'Irlande comme port d'attache et il revient donc à Dublin de les encadrer pour le compte de l'Union européenne
  • « Cela entraîne bien sûr des obligations. Avec ce rôle de régulateur en chef, le pays a un devoir envers les citoyens de toute l'Europe »

DUBLIN: Deux ans après le tour de vis de Bruxelles sur la protection des données, l'Irlande peine à endosser son rôle de gendarme et à sévir contre les géants américains du numérique qui ont installé dans l'île leur siège européen.

Le « Règlement général sur la protection des données » (RGPD), lancé en 2018, donne plus de pouvoir aux régulateurs pour protéger les consommateurs face à la domination de Facebook, Google, Apple et Twitter.

Attirés par une fiscalité avantageuse, ces groupes ont choisi l'Irlande comme port d'attache et il revient donc à Dublin de les encadrer pour le compte de l'Union européenne (UE), en particulier pour ce qui concerne l'utilisation des données personnelles.

Le régulateur, la Commission irlandaise pour la protection des données (DPC), l'équivalent de la Cnil française, a certes ouvert de nombreuses enquêtes mais n'a pas encore prononcé de sanctions majeures.

« C'est une aubaine pour l'Irlande économiquement d'abriter le siège européen de ces grands groupes du numérique qui apportent beaucoup de chiffre d'affaires », confie un responsable de la Commission européenne sous couvert d'anonymat.

« Cela entraîne bien sûr des obligations. Avec ce rôle de régulateur en chef, le pays a un devoir envers les citoyens de toute l'Europe », explique ce bon connaisseur du sujet, qui estime que les autres pays européens pourraient s'impatienter si l'Irlande se montre trop tendre.

Paradis fiscal ?

Le gouvernement irlandais et les entreprises concernées s'expriment peu sur le sujet, mais ce n'est pas un secret qu'elles ont choisi l'Irlande en raison d'un taux d'impôt sur les sociétés de 12,5%, le plus bas d'Europe.

En 2018, Facebook en Irlande a par exemple réalisé un chiffre d'affaires de 25,5 milliards d'euros et payé 63,2 millions d'impôts, selon le registre du commerce irlandais.

Ces multinationales viennent dans le même temps gonfler le budget du pays, qui ne compte que cinq millions d'habitants.

L'an dernier, elles ont représenté 77% des recettes fiscales versées par les entreprises dans le pays, et 40% pour les dix plus grandes.

Le directeur général de l'ONG Tax Justice Network Alex Cobham n'y va pas par quatre chemins et estime que « l'Irlande est un paradis fiscal ».

« L'Irlande dépend d'un petit nombre de multinationales dans la pharmacie et les technologies et elle ne peut pas se permettre de les froisser », dit-il.

S'il n'y a aucune preuve d'une quelconque interférence du gouvernement irlandais dans la régulation des géants du numérique, la DPC est financée en partie par leurs impôts.

Le RGPD stipule que les autorités doivent avoir « les ressources humaines, techniques et financières nécessaires pour remplir ses devoirs et exercer ses pouvoirs ».

Mais la responsable de la DPC Helen Dixon a dit être « déçue » par le budget de 16,9 millions d'euros alloué en 2020 par le gouvernement.

Cobham parle lui d' « austérité de la régulation », avec de grandes ambitions mais sans les ressources suffisantes.

Le budget de la DPC sera un peu augmenté en 2021, à 19,1 millions d'euros, très loin des sommes brassées par les groupes qu'elle supervise.

Twitter menacé

« C'est une bonne chose mais il faut davantage » pour que le régulateur « puisse faire son travail », estime le responsable européen.

Un porte-parole du gouvernement irlandais insiste sur le fait que la DPC « reçoit le soutien financier à la hauteur de ses besoins actuels ».

Le régulateur irlandais devrait pouvoir montrer l'étendue de ses pouvoirs avec une première décision majeure attendue en novembre contre Twitter qui fait l'objet d'une enquête depuis janvier 2019.

Il s'agit de déterminer si le réseau social a informé comme il le doit dans les 72 heures le régulateur après une faille dans la protection des données pour des utilisateurs.

La décision implique des autorités de régulation de différents pays européens et illustre la complexité du nouveau mécanisme de l'UE sur la protection des données qui joue une partie de sa crédibilité dans cette affaire.

La RGPD prévoit que Twitter puisse subir une amende équivalente à 4% de son chiffre d'affaires mondial annuel, soit jusqu'à 140 millions de dollars compte tenu de revenus de 3,5 milliards de dollars en 2019.


La plateforme Booking épinglée en France pour «pratiques restrictives de concurrence»

La plateforme de réservation en ligne Booking a été épinglée en France pour "pratiques restrictives de concurrence" envers les hôteliers français par la Répression des fraudes, qui lui ordonne sa mise en conformité d'ici fin 2025, a annoncé cette dernière jeudi dans un communiqué. (Photo capture d'écran Booking)
La plateforme de réservation en ligne Booking a été épinglée en France pour "pratiques restrictives de concurrence" envers les hôteliers français par la Répression des fraudes, qui lui ordonne sa mise en conformité d'ici fin 2025, a annoncé cette dernière jeudi dans un communiqué. (Photo capture d'écran Booking)
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  • Booking a jusqu'au 31 décembre au plus tard pour mettre en conformité les "clauses et pratiques non conformes" dans ses contrats avec les hôteliers, sous peine d'une "astreinte financière journalière "
  • Cette décision s'appuie sur une législation européenne, le règlement P2B, qui oblige les plateformes à davantage de transparence envers les entreprises, ainsi que sur le code du commerce français

PARIS: La plateforme de réservation en ligne Booking a été épinglée en France pour "pratiques restrictives de concurrence" envers les hôteliers français par la Répression des fraudes, qui lui ordonne sa mise en conformité d'ici fin 2025, a annoncé cette dernière jeudi dans un communiqué.

Booking a jusqu'au 31 décembre au plus tard pour mettre en conformité les "clauses et pratiques non conformes" dans ses contrats avec les hôteliers, sous peine d'une "astreinte financière journalière dont le montant total pourra atteindre 69,35 millions d'euros", précise dans son communiqué la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

Cette décision s'appuie sur une législation européenne, le règlement P2B, qui oblige les plateformes à davantage de transparence envers les entreprises, ainsi que sur le code du commerce français.

Selon la DGCCRF, les conditions générales de prestations (CGP) de Booking "comportent des clauses manifestement déséquilibrées au détriment des hôteliers français".

La Répression des fraudes souligne que, selon le code du commerce, "il est interdit de tenter de soumettre ou de soumettre l'autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties". Or, "le fait d'entraver la liberté commerciale et tarifaire des hôteliers contrevient notamment à cet article", note-t-elle.

Le règlement P2B, lui, oblige les plateformes à "garantir l'accessibilité des conditions générales, lesquelles doivent être rédigées de manière claire et compréhensible", et à "notifier aux entreprises utilisatrices, sur un support durable, tout changement envisagé de leurs conditions générales".

"La plateforme se doit d'indiquer et de décrire, dans ses conditions générales, les principaux paramètres déterminant le classement des biens et services proposés en justifiant l'importance relative de ces paramètres par rapport aux autres", indique encore la DGCCRF.

Et "en cas de suspension ou de résiliation du compte d'une entreprise utilisatrice, la plateforme doit systématiquement lui transmettre un exposé des motifs", ajoute l'administration.

L'Umih, principale organisation professionnelle dans l'hôtellerie et la restauration, a salué jeudi dans un communiqué l'"avancée significative" que constitue cette injonction, qui doit permettre "un rééquilibrage des relations entre les plateformes numériques et les professionnels du tourisme".

Booking, dont la maison mère est aux Pays-Bas, a indiqué à l'AFP que "bien que Booking.com soit en désaccord avec les conclusions de l'enquête", l'entreprise s'emploie "activement à dissiper toutes les préoccupations".

Elle assure avoir "collaboré étroitement avec la DGCCRF afin de répondre à ses préoccupations et d'élaborer des solutions qui continuent de stimuler la demande pour (ses) partenaires d'hébergement en France, tout en satisfaisant les besoins des consommateurs".


Tutelle du FMI: «nous n'en sommes pas là», dit le gouverneur de la Banque de France

Une intervention du FMI, comme en Grèce au tournant des années 2010, parait improbable, d'autant que l'Union européenne a depuis mis en place ses propres dispositifs d'intervention d'urgence, à travers le Mécanisme européen de stabilité (MES) et la Banque centrale européenne (BCE). (AFP)
Une intervention du FMI, comme en Grèce au tournant des années 2010, parait improbable, d'autant que l'Union européenne a depuis mis en place ses propres dispositifs d'intervention d'urgence, à travers le Mécanisme européen de stabilité (MES) et la Banque centrale européenne (BCE). (AFP)
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  • Le Fonds monétaire international "intervient dans une situation extrême, quand un pays ne peut plus s'en sortir tout seul. Nous n'en sommes pas là, nous avons dans les mains notre destin, mais c'est maintenant qu'il faut agir"
  • "Je redis avec un peu de gravité, avec toute l'indépendance de la Banque de France, qu'il y a là un sujet d'intérêt national"

PARIS: "Nous n'en sommes pas là", a répondu jeudi le gouverneur de la Banque de France, interrogé sur le risque agité par le gouvernement d'une mise sous tutelle de la France par le FMI en cas de dérive des comptes, à quelques jours de l'annonce d'un grand plan d'économies par Matignon.

Le Fonds monétaire international "intervient dans une situation extrême, quand un pays ne peut plus s'en sortir tout seul. Nous n'en sommes pas là, nous avons dans les mains notre destin, mais c'est maintenant qu'il faut agir", a dit François Villeroy de Galhau en présentant devant la presse le rapport annuel de la balance des paiements à la Banque de France à Paris.

"Je redis avec un peu de gravité, avec toute l'indépendance de la Banque de France, qu'il y a là un sujet d'intérêt national", a affirmé le gouverneur, selon qui "il y a un lien très direct entre le niveau de notre dette et la liberté de la France".

"J'espère que nous n'avons pas besoin du FMI pour réaliser que le sujet est extrêmement sérieux", a-t-il poursuivi, précisant qu'il n'avait lui-même "jamais employé cette expression", à propos du mot tutelle.

La ministre des Comptes publics Amélie de Montchalin a de nouveau pointé mercredi le risque "qu'un jour, les institutions internationales décident pour nous", après avoir à plusieurs reprises ces dernières semaines évoqué le risque d'une "tutelle" des institutions internationales, dont le FMI, en cas de dérive des comptes publics.

Ces mises en garde surviennent avant que le gouvernement annonce, le 15 juillet, un grand plan d'économies qui doit représenter un effort budgétaire de 40 milliards d'euros.

"Il faut évidemment tout faire pour éviter ça, notre destin budgétaire, il est entre nos mains", a dit M. Villeroy de Galhau.

Une intervention du FMI, comme en Grèce au tournant des années 2010, parait improbable, d'autant que l'Union européenne a depuis mis en place ses propres dispositifs d'intervention d'urgence, à travers le Mécanisme européen de stabilité (MES) et la Banque centrale européenne (BCE).

L'économiste en chef de l'institution de Washington, interrogé mi-juin, avait affirmé que "la question pourrait se poser mais, j'ai envie de dire, ni demain ni après-demain. Si vraiment rien n'était fait (...), s'il n'y avait aucune volonté d'infléchir la trajectoire de la dette, évidemment qu'à un moment donné, la question se poserait", avait estimé Pierre-Olivier Gourinchas.


Jusqu'ici épargnée, la restauration rapide inquiète pour sa rentabilité

 Le secteur de la restauration rapide en France, dont la croissance est l'une des plus dynamiques de la restauration, s'inquiète de l'effet cumulé de plusieurs réformes sur sa rentabilité, dont celle des titres-restaurants, et a demandé au cabinet Xerfi d'en évaluer l'impact dans une étude publiée jeudi. (AFP)
Le secteur de la restauration rapide en France, dont la croissance est l'une des plus dynamiques de la restauration, s'inquiète de l'effet cumulé de plusieurs réformes sur sa rentabilité, dont celle des titres-restaurants, et a demandé au cabinet Xerfi d'en évaluer l'impact dans une étude publiée jeudi. (AFP)
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  • Le secteur de la restauration rapide en France, dont la croissance est l'une des plus dynamiques de la restauration, s'inquiète de l'effet cumulé de plusieurs réformes sur sa rentabilité, dont celle des titres-restaurants
  • Si le secteur pèse, selon Xerfi, plus de 50 milliards d'euros de chiffre d'affaires, son résultat net a été divisé par deux entre 2018 et 2023 sous l'effet de la hausse des charges d'exploitation

PARIS: Le secteur de la restauration rapide en France, dont la croissance est l'une des plus dynamiques de la restauration, s'inquiète de l'effet cumulé de plusieurs réformes sur sa rentabilité, dont celle des titres-restaurants, et a demandé au cabinet Xerfi d'en évaluer l'impact dans une étude publiée jeudi.

Commandée par le Syndicat national de l'alimentation et de la restauration rapide (Snarr), cette étude envisage plusieurs scénarios: une hausse de la TVA, un doublement de la "taxe soda" en 2026 (après un doublement déjà acté en 2025), une réduction des allègements de charges sur les petits salaires (déjà acté en 2025) et la réforme des titres-restaurants (dont l'utilisation pour faire toutes ses courses en supermarché devrait être pérennisée).

Si le secteur pèse, selon Xerfi, plus de 50 milliards d'euros de chiffre d'affaires, son résultat net a été divisé par deux entre 2018 et 2023 sous l'effet de la hausse des charges d'exploitation.

"Les taux de défaillance du secteur de la restauration rapide se situent aujourd'hui entre 2% et 2,5%, un taux qui n'est pas alarmiste mais toutefois beaucoup plus important que la moyenne des années précédentes", a indiqué à l'AFP Jérémy Robiolle, directeur du développement chez Xerfi.

"Il y a une accumulation de mesures dans le secteur, comme la loi Agec (qui oblige notamment à utiliser de la vaisselle réutilisable, NDLR), la +taxe soda+ ou la réforme des titres-restaurants et on a voulu objectiver les remontées de terrain qui sont assez négatives", a expliqué à l'AFP Esther Kalonji, présidente du Snarr.

L'utilisation des titres-restaurants pour faire toutes les courses alimentaires en supermarché représente selon Xerfi un manque à gagner de 100 millions d'euros pour la restauration rapide en 2025 et de 195 millions en 2026.

"C'est moins d'emplois soutenus, car un titre-restaurant dépensé en restauration rapide génère plus d'emplois qu'en grande surface", selon Clément Morin, auteur de l'étude.

Le Snarr, comme l'Umih et le GHR, autres organisations patronales de la restauration, s'est retiré des groupes de travail liés aux Assises de la restauration menées à Bercy pour protester contre cette réforme qualifiée par l'Umih de "décision funeste pour le secteur".

Xerfi a également évalué l'impact du doublement de la "taxe soda" en 2025, qui représentera 49,5 millions d'euros pour la restauration rapide et jusqu'à 55,5 millions d'euros en 2026 selon les scénarios.

En cumulant les scénarios, Xerfi estime qu'entre 16.500 et 26.200 entreprises du secteur pourraient basculer dans le rouge en 2026.