La lutte pour les richesses pétrolières libyennes alimente l’instabilité

Des ouvriers dans un port pétrolier en Libye (Photo, AFP).
Des ouvriers dans un port pétrolier en Libye (Photo, AFP).
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Publié le Mardi 23 août 2022

La lutte pour les richesses pétrolières libyennes alimente l’instabilité

La lutte pour les richesses pétrolières libyennes alimente l’instabilité
  • Le gouvernement de Tripoli contrôle les institutions gouvernementales et le gouvernement de Tobrouk contrôle la plupart des champs pétrolifères et des ports d’exportation du pétrole
  • Le pétrole libyen est si abondant qu’il suffirait à assurer une vie somptueuse aux deux puissances concurrentes, ainsi qu’aux citoyens libyens ordinaires

Aguila Saleh, président de la Chambre des représentants de Libye, basée à Tobrouk, a visité Ankara au début du mois d’août et a été reçu par le président turc, Recep Tayyip Erdogan, et le président de la Grande Assemblée nationale de Turquie, Moustafa Sentop.

Avant sa visite, M. Saleh a expliqué son changement d’attitude envers la Turquie. Dans le conflit libyen, la Turquie a combattu les forces du maréchal Khalifa Haftar, et M. Saleh soutenait ce dernier. Ils ne s’entendaient pas sur tout, mais dans une déclaration avant son départ pour Ankara, M. Saleh a indiqué aux médias que «la politique est flexible et sujette au développement et au changement; il n’y a pas de rivalité permanente. Les intérêts des Turcs sont liés à nos intérêts.»

M. Erdogan et Aguila Saleh sont convenus que toute solution militaire était à exclure pour la Libye, et ont décidé de laisser toutes les voies du dialogue ouvertes pour la tenue d’élections nationales.

En 2019, la Turquie a conclu deux mémorandums d’entente avec le gouvernement d’union nationale soutenu par l’ONU, l’un pour la coopération militaire et l’autre pour la démarcation des zones de juridiction maritime. M. Saleh était opposé aux deux et a empêché leur ratification au Parlement, mais il dit maintenant avoir changé d’avis et y être favorable.

Dans le cadre de l’un de ces accords, la Turquie a fourni une formation, des conseils militaires et un soutien logistique aux forces militaires du gouvernement d’union nationale. Ce soutien a fait pencher la balance militaire contre une coalition comprenant les forces de Khalifa Haftar et les mercenaires russes du groupe Wagner.

Le contrôle de la richesse pétrolière du pays est la raison principale de la situation critique de la Libye. Le gouvernement de Tripoli, soutenu par l’ONU, contrôle les institutions gouvernementales, la plus importante étant la banque centrale, tandis que le gouvernement de Tobrouk contrôle la plupart des champs pétrolifères et des ports par lesquels le pétrole est exporté. Le pétrole libyen est si abondant qu’il suffirait à assurer une vie somptueuse aux deux puissances concurrentes, ainsi qu’aux citoyens libyens ordinaires.

D’intenses négociations et tractations se déroulent en coulisses. Le 31 juillet, le journal Libya Observer a affirmé que le fils du maréchal Haftar s’était rendu à Dubaï pour négocier plusieurs postes avec un envoyé du Premier ministre Abdel Hamid Dbeibah dans le cadre d’un remaniement gouvernemental.

Haftar souhaitait que quatre postes ministériels – Finances, Planification, Défense et Affaires étrangères, ainsi que deux vice-Premiers ministres – soient laissés à sa discrétion. Il ne serait pas surprenant que ces pourparlers aient eu lieu. M. Dbeibah pourrait accepter un tel arrangement en échange de sa nomination à la tête de l’autorité exécutive de ce pays riche en pétrole.

Le pétrole libyen est si abondant qu’il suffirait à assurer une vie somptueuse aux deux puissances concurrentes, ainsi qu’aux citoyens libyens ordinaires.

Yasar Yakis

Il se peut qu’une autre série de négociations soit en cours pour séparer de la Libye les provinces orientales contrôlées par Haftar et créer un État indépendant. Il s’agirait d’un séisme dans la crise libyenne, avec des conséquences tant pour le pays que pour la région. Si cela se produit, la Turquie sera coupée de la zone de juridiction maritime commune et les deux pays n’auront plus de frontières maritimes communes.

La Turquie ferait probablement tout son possible pour empêcher un tel scénario. Si la Libye est divisée, il est certain que d’autres instabilités se produiront et que le pays riche en pétrole pourrait se retrouver dans un nouveau bourbier.

Comme si la situation politique en Libye n’était pas assez compliquée, un tribunal fédéral américain a condamné Khalifa Haftar le mois dernier pour crimes de guerre dans un procès initié il y a trois ans par les familles de ceux qui avaient perdu des proches. Le commandant libyen a été reconnu coupable d’exécutions extrajudiciaires et de torture. Si ce verdict ne changera probablement rien sur le terrain, il nuira certainement à la popularité d’Haftar.

Le gouvernement basé à Tripoli s’appelait auparavant «gouvernement d’union nationale», mais il a été rebaptisé «gouvernement provisoire d’union nationale». La Turquie a toujours soutenu M. Dbeibah, le Premier ministre de ce gouvernement. Il était le principal défenseur de Tripoli contre une offensive lancée par les forces de Khalifa Haftar en 2019. De violents affrontements avaient alors eu lieu dans les rues de Tripoli pour prendre le contrôle de la capitale.

Le second gouvernement est la Chambre des représentants basée à Tobrouk et soutenue par Haftar. Elle est dirigée par Fathi Bachagha, l’ancien ministre de l’Intérieur. Abdel Hamid Dbeibah et M. Bachagha entretiennent tous deux de bonnes relations avec la Turquie.

En juillet, des manifestants libyens ont mis le feu aux locaux de la Chambre des représentants et ont demandé que les élections aient lieu le plus rapidement possible. Avant la visite d’Aguila Saleh en Turquie, un accord avait déjà été conclu entre M. Dbeibah et le maréchal Haftar pour démettre Moustafa Sanalla, le puissant président de la National Oil Corporation libyenne. Il refuse toujours de démissionner.

Si la Turquie ne parvient pas à tirer parti de ces atouts importants, qui sont en sa faveur, une telle occasion ne se représentera peut-être pas de sitôt.

 

Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie et membre fondateur du parti AKP, au pouvoir.

Twitter: @yakis_yasar

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com